les chapeaux d' Ascott, photo du film "My fair lady".
L’économiste
Thomas Piketty a fait une thèse qu’il a publiée[1] :
il en a donné la substantifique moelle dans le Monde diplomatique, numéro de septembre 2001, par un article que j’ai
exploité pour l’écriture de mon livre (chapitre 24, intitulé Et aujourd’hui ?, accessible gratuitement
sur ce site) et que je vais exploiter maintenant à nouveau, article qui est intitulé "SUR
LA PISTE DES NANTIS : Baisses d'impôt, retour aux fortunes d'antan".
La formule-clé, selon moi et « retour aux fortunes
d’antan ». NB. Tout ce qui
est écrit en bleu relève de T. Piketty, les graphiques sont extraits de
l’article de l’Humanité-dimanche du 11 octobre 2012 [2].
RETOUR AUX FORTUNES D'ANTAN
En
effet, en lisant l’Humanité-Dimanche du 11 octobre 2012, je suis tombé sur le
graphique suivant :
Cela
fait tilt ! n’est-ce pas ? notez qu’il n’y a aucune raison pour qu’un
chercheur authentique ou qu’un hebdomadaire sérieux publient des sottises. Mais
enfin le rapprochement est intellectuellement éblouissant.
Ah ! la Belle époque que voilà…
La
"Belle époque" où l’argent ruisselait de partout dans les châteaux et
manoirs et hôtels particuliers est appelée « edwardienne period » en Angleterre : c’est, en effet, un
phénomène général qui correspond à une phase A d’un cycle Kondratieff. Époque
d’autant plus belle qu’elle suit, par définition, une phase B -the great deep- des Anglais où tout baissait : prix, bénéfices,
salaires, profits, et où une seule chose augmentait ; le chômage. Rien de
tout cela durant la Belle époque : le "surplus"[3] des
économistes dégouline de partout. Mais cette période bénie est l’épanouissement
de tout un siècle d’accumulation.
En 1884, il y avait cinq Anglais parmi les douze
hommes les plus riches du monde. Le baron de Rothschild, le duc de Westminster,
le duc de Sutherland, le duc de Northumberland et le marquis de Bute.
Sutherland était le plus grand propriétaire foncier avec 482.000 hectares[4]. Sept propriétaires
possédaient chacun plus de 200.000 hectares. Le marquis de Breadalbane pouvait
parcourir à cheval trente-trois heures en ligne droite sans sortir de ses
terres. Le septième de la superficie totale du Royaume Uni était dans les mains
de quatre-vingt-dix propriétaires dont soixante-sept figuraient au ''peerage'' c’est-à-dire étaient membres
de la chambre des Lords. Il s’agit là des noblemen
et non des gentlemen qui sont la
catégorie en-dessous.
Figure supprimée par manque de place, visible sur la fiche
MORT A VENISE, Luchino Visconti, 1971.ci-dessus : le salon de l'hôtel des bains de Venise avec la famille princière polonaise en villégiature (Mort à Venise).
ci-dessous : Madame de..., comtesse, essaie ses pendentifs devant son miroir en Murano (Max Ophüls).
En
France, à la veille de la première guerre mondiale, fortunes et revenus du
patrimoine étaient à un niveau astronomique
(sic). "En effet, la très forte concentration des
fortunes observée au début du XXe siècle est le produit d'un siècle
d'accumulation en période de paix : entre 1815 et 1914, les fortunes
grossissaient sans crainte ni de l'impôt sur le revenu ni de l'impôt sur les
successions (les taux d'imposition les plus élevés atteignaient des niveaux
dérisoires avant 1914)".
"Le fossé séparant les 0,01 % des revenus les plus
élevés (en pratique, toujours constitués pour une part prépondérante de revenus
du capital) de la moyenne des revenus était de l'ordre de 5 fois plus
considérable au début du XXe siècle qu'il ne l'est depuis 1945".
Le grand choc : 1914 - 1945
Le "grand
choc" - un des concepts-clé de Piketty - est
l’ensemble constitué par la guerre de 1914, l’inflation du début des années 20,
la crise de 29 et ses faillites, la seconde guerre mondiale.
"Si les inégalités de revenus se sont néanmoins réduites au XXe
siècle, cela tient pour l'essentiel aux chocs subis par les très hauts revenus
du capital. Les très gros patrimoines (et les très hauts revenus du capital qui
en sont issus) ont connu un véritable effondrement à la suite des crises de la
période 1914-1945 (destructions, inflation, faillites des années 1930)".
"Il fallut attendre les
traumatismes humains et financiers provoqués par les guerres mondiales et la
crise des années 1930 pour que la redistribution fiscale prenne une importance
déterminante" (Piketty signifie par là qu’aucun élément ne permet d’affirmer que les inégalités
auraient déjà commencé à se réduire avant le déclenchement de la guerre de
1914).
"À l'issue des chocs de la période 1914-1945, les conditions de
l'accumulation de patrimoines importants se sont totalement transformées :
les taux supérieurs des impôts sur le revenu et sur les successions ont atteint
des niveaux extrêmement élevés (ceux appliqués aux revenus les plus élevés
dépassent les 90 % dès les années 1920)". "Il est devenu matériellement
impossible de retrouver des niveaux de fortunes comparables à ceux qui
prévalaient avant les chocs".
Le
graphique suivant indique les taux d’imposition des tranches les plus élevées,
aux États-Unis, à partir de 1916, année qui précède l’entrée en guerre décidée
par Wilson et la banque Morgan.
" (…) les Etats-Unis, outre qu'ils partaient de moins haut et que les chocs
y furent moins profonds qu'en Europe, se singularisent
par un très rapide retournement au cours des années 1980-1990 : en deux
décennies, les inégalités ont retrouvé le niveau qui était le leur à la veille
de la première guerre mondiale". Le graphique montre que c’est le démocrate Johnson
qui a fait descendre le taux d’imposition de la tranche de revenus la plus
élevée de 91 à 70%. Et c’est Nixon - républicain qui disait « nous sommes
tous des Keynésiens » - qui fait remonter à 78%. Mais évidemment c’est
Reagan qui fait entrer son pays dans l’ère des déficits massifs : avec
lui, en deux étapes, le taux supérieur d’imposition dégringole de 70 à 50% puis
de 50 à 28%. Les riches ne paient plus d’impôts ou presque, les déficits
s’envolent -car la course aux armements perd tout contrôle- mais le dollar
n’est plus « as good as gold »[5] : c’est du papier dans lequel tout le monde a
confiance. Enfin, jusqu’à présent. Parce que les Chinois commencent à se
méfier.
Quoiqu’il
en soit, répétons-le avec Piketty : en deux décennies, les inégalités ont
retrouvé le niveau qui était le leur à la veille de la première guerre mondiale.
Bien joué. Les Pigeons sont remplumés.
Un retour
au FORTUNES D’ANTAN est-il possible ?
Hôtel particulier construit en 1897 à Paris
"Les éléments d'histoire comparative peuvent fournir quelques pistes.
Dans tous les pays développés, les très gros patrimoines ont été très largement
laminés au cours des années 1914-1945. Pourquoi les pays européens, et la
France en tout premier lieu, ne finiraient-ils pas par suivre la trajectoire
américaine et par retrouver au cours des premières décennies du XXIe siècle la
très forte concentration des fortunes et des revenus qui prévalait à la fin du
XIXe siècle et au début du XXe siècle ?
Aussi incertaine soit-elle, l'idée d'un retour au XIXe siècle a
cependant un certain nombre de fondements objectifs. Tout d'abord, la
transformation des systèmes productifs observée dans les pays développés au
tournant du troisième millénaire : caractérisée par le déclin des secteurs
industriels traditionnels et le développement de la société de services et des
technologies de l'information (mais toutes les époques ont vu des secteurs
anciens décliner et des secteurs nouveaux émerger), elle a probablement pour
conséquence de favoriser un accroissement rapide des inégalités. En
particulier, la très forte croissance enregistrée dans les nouveaux secteurs
est de nature à permettre l'accumulation en un temps relativement bref de
fortunes professionnelles considérables. Ce phénomène a déjà été observé aux
Etats-Unis dans les années 1990, et l'on voit mal pourquoi il ne gagnerait pas
l'Europe.
De plus et peut-être surtout, la reconstitution au début du XXIe
siècle de très gros patrimoines d'un niveau comparable à ceux du début du
siècle est fortement facilitée par l'abaissement généralisé des taux marginaux
d'imposition frappant les revenus les plus élevés. Il est évidemment beaucoup
plus facile de constituer (ou de reconstituer) des patrimoines importants quand
les taux marginaux supérieurs sont de 30 % ou 40 % (voire nettement
moins, avec les exonérations particulières) que lorsque ces taux supérieurs
sont de 70 % ou 80 %, voire davantage, durant les « trente
glorieuses », notamment dans les pays anglo-saxons.
Aux États-Unis, et, dans une
moindre mesure, au Royaume-Uni, l'élargissement des inégalités patrimoniales
observé au cours des années 1980-1990 a été grandement facilité par les très
fortes baisses d'impôt dont ont bénéficié les revenus les plus élevés depuis la
fin des années 1970. En France et dans les pays d'Europe continentale, la
conjoncture politique et idéologique initiale était différente : alors que
la crise économique des années 1970 fut très vite interprétée par les opinions
anglo-saxonnes comme un aveu d'échec des politiques interventionnistes mises en
place à l'issue de la seconde guerre mondiale (à commencer par l'impôt
progressif), -on sait que Johnson
avait lancé un plan de lutte contre la pauvreté aux Etats-Unis, Reagan a eu ces
paroles fortes : la misère à gagné ! en foi de quoi, Reagan va
enrichir les riches (JPR) - les opinions
européennes ont pendant longtemps refusé de remettre en cause les institutions
associées à la période bénie de la croissance (comprendre les
éléments constitutif de l’Etat-Providence mis en place à la Libération pour ce
qui concerne la France et que la Droite et le MEDEF veulent faire disparaître
-JPR). Mais ce
grand écart transatlantique a fini par se réduire : outre que la
stagnation des pouvoirs d'achat constatée au cours des années 1980-1990 a
partout conduit à un certain rejet de l'impôt sur le revenu, l'existence
(réelle ou supposée) d'une mobilité de plus en plus forte des capitaux et des
« super-cadres » constitue aujourd'hui un puissant facteur poussant
les différents pays à s'aligner sur une fiscalité allégée pour les revenus en
question.
En conclusion :
Les
Américains, je parle des braves gens, sont aussi stupides et naïfs qu’ailleurs.
Le graphique ci-dessous montre que les 20% les plus riches des Américains se
partagent 83% des richesses réelles : il n’en reste que 17% pour les 80%
moins riches et très pauvres. Mais, trompés par leur illettrisme ou leurs
médias ou les évangélistes, les braves gens pensent que les 20% plus riches ont
60% des richesses à leur disposition et croient qu’ils en ont 40%. Leur souhait
(3° bâton du graphique) montre un grand désir d’égalitarisme. Même aux États-Unis.
2°
conclusion :
Je
copie/colle le chapeau de l’article de Piketty écrit en septembre 2001. "Afin de prévenir l'expatriation des
« investisseurs » que dissuaderait un environnement « peu
propice aux affaires », le gouvernement français envisage une nouvelle
baisse d'impôt destinée aux hauts revenus. Lorsqu'il s'agit des riches,
le
moins-disant fiscal est en effet devenu une mode internationale".
Qui
gouvernent en 2001 ? Chirac est à l’Élysée mais Jospin est premier
ministre avec un gouvernement gauche
plurielle. Peut-on parler d’une différence radicale entre l’UMP et
le
PS ?
Le
luxe de ce palais et des parures est à mettre en rapport avec
l'intérieur des fermes des paysans siciliens. Cette époque de l'unité
italienne date d'une précédente phase A ; celle de 1850 à 1873. (Le
guépard, de Visconti).
Last but not least, Pour les ouvriers aussi on
revient au XIX° siècle, MM. Arnault et Lagerfeld peuvent être satisfaits. A
votre avis de quand date ce texte ?
"Jamais mon père ne s'était trouvé
aux prises avec autant de difficultés. Il n'avait pas de travail et la fin de
ses ressources approchait. Il fallait absolument aviser. Il plaça ma sœur ainée
apprentie (…) ; puis mon frère Jean-Pierre, ‘…). Mon père et mon frère ainé
allèrent à la campagne chercher de l'ouvrage comme ouvriers (…). Après avoir
parcouru les environs de Lyon, ils finirent par en trouver à
Saint-Didier-au-Mont-d'Or. Avant de prendre cette résolution qui devait nous
disperser, mon père lutta longtemps, il attendit d'être réduit à la dernière
extrémité ; il espérait toujours trouver une occupation à Lyon qui lui
permettrait de nous faire vivre tous ensemble.
Un des souvenirs les plus pénibles de mon
enfance se rapporte à ce temps. Nous n'avions que du pain sec à manger et de la
soupe maigre aux heures des repas. A mesure que les ressources diminuaient, mes
parents trouvaient que l'appétit de leurs enfants augmentait. En effet, ne
mangeant ni viande, ni œufs, ni fromage, nous avions toujours faim. Quand on
nous donnait du pain, nos parents nous disaient : «Vous n'aurez que ça, ne mangez pas trop vite». Un jour, mes parents
étaient inquiets, ils avaient engagé tout ce qu'ils avaient pu Crédit municipal,
il ne leur restait rien, le pain allait manquer. J'avais faim, je demandai à
manger. Ma mère me donna un peu de pain. Je la remerciai et, sans songer à la
situation critique où se trouvait notre famille, je me mis à sauter en dévorant
mon pain. Ma mère, qui était pourtant la meilleure des femmes se leva indignée
et me donna un soufflet en me disant : «Trouves-tu
que tu ne digères pas assez vite ? ». Je mis le reste du morceau de pain que
je mangeais sur la table et j'allais m'accroupir sur les carreaux dans un coin".
[1]
Les Hauts Revenus en France au XXe siècle - Inégalités et
redistributions,
1901-1998, Grasset, Paris, 812 pages, 196,80 francs (30 euros). (1)
L’enquête de Piketty s'appuie notamment sur une exploitation
systématique de
sources fiscales : les déclarations de revenus (qui apparaissent avec la
création de l'impôt sur le revenu en 1914), les déclarations de salaires
(qui
apparaissent avec la création d'un impôt sur les salaires en 1917), et
les
déclarations de succession (qui apparaissent avec la création de l'impôt
progressif sur les successions en 1901).on trouvera le texte intégral de l'article de Piketty par ce lien : SUR LA PISTE DES NANTIS : Baisses d'impôt, retour aux fortunes d'antan, par Th. PIKETTY
[2]
Article de Christophe DEROUBAIX, "derrière
le duel Obama-Romney, la fin du rêve américain ?".
[3]
Grosso modo, on produit des richesses
pour les consommer, les exporter et amortir les investissements qui
permettront
de produire à nouveau. En période de grande prospérité, il y a un
reliquat que
les économistes appellent le surplus.
Le surplus fait le bonheur
de l’industrie du luxe, du gaspillage, des m’as-tu-vu, de ceux dont on
dit que
« l’argent leur brûle les doigts »…
[4]
Dixième fortune mondiale, en 1884. C’est la superficie d’un département
français.
[5]
Depuis les accords de la Jamaïque, 1976.