12/07/2010 Je vais m’intéresser ici au comportement électoral - sur la longueur - d’un secteur d’Avignon intra-muros. Secteur qui n’est pas sans rappeler le quartier d’Ainay à Lyon (2° arrondissement) ou le VIII° arrondissement à Paris. 1. Aperçu stratosphérique de l’histoire d’Avignon.Les villes médiévales ont souvent grandi en cercle concentriques. On entoure le bourg de remparts protecteurs au-delà desquels grandissent des faux-bourgs devenus faubourgs qui sont à leur tour intégrés dans la ville et protégés par de nouveaux remparts, et ainsi de suite. L’exemple de Paris et, à cet égard célèbre. Il en fut de même à Avignon. Les premiers remparts (XII° siècle) ont disparu et leur tracé est nettement visible sur un plan : c’est le « ring » formé par les rues Joseph Vernet, Henri Fabre, des Lices, etc., jusqu’à la rue de la Campane. Des Faubourgs se sont formés dont celui du sud-ouest - ce sont les quartiers Vernet et Raspail - et celui du nord-est -quartiers de la Carreterie et de St-Lazare-. Ils furent englobés dans l’enceinte de la seconde génération de remparts (XIV° siècle) qui, eux, existent toujours. Lorsque la gare ferroviaire dut être construite, elle le fut à l’extérieur des remparts, au sud, et pour faciliter son accès aux habitants de l’intra-muros ont construisit à travers l’ancien tissu urbain la rue de la République, axe nord-sud de type haussmanien qui va de la place de l’Horloge à la porte de la République qui ouvre sur la gare. Le faubourg du sud-ouest offrait de l’espace, ce qui explique le nombre élevé de bâtiments publics ainsi que - nous sommes dans la ville des papes - d’édifices religieux. Couvent des carmélites, Hospice Saint Louis, ancien Grand séminaire, couvent des Récollets, Chapelle de l’Oratoire…c’est donc également le quartier des hôtels particuliers. Ce fut en quelque sorte le Faubourg Saint-Honoré d’Avignon. Alors que La Carreterie et St Lazare furent plutôt le faubourg Saint-Antoine des sans-culottes… 2. Géographie électorale. Entre la Rue de la République et
les remparts actuels vers l’ouest, on a un électorat homogène qui est concerné
par les bureaux de vote 451, 452 et 453. Je présenterai, quand cela est
possible, les résultats groupés de ces trois bureaux qui forment mon secteur
d’analyse.(en jaune sur la carte avec extension vers l'est). Les auteurs de l’histoire d’Avignon écrivent que « le dépeuplement du centre-ville s’est accompagné d’une spécialisation croissante dans les activités tertiaires où commerces de luxe et professions libérales représentent un pourcentage important des actifs tandis que les conditions de l’occupation du sol font monter les loyers » et, concernant plus précisément les quartiers Vernet et Raspail, « patrons et professions libérales y constituent plus du tiers des actifs ». Ouvrage écrit en 1980. Pour ce qui concerne La Carreterie et St-Lazare (bureaux électoraux n°102 et 103, entourés de rouge sur la carte), ils n’hésitent pas à parler d’un East End, allusion à la disparité célèbre à Londres avec le West End cossu. Depuis, le phénomène de boboïfication est bien connu des géographes et des édiles. Tout Avignon intra-muros n’y échappe pas. Cela se traduit au plan électoral bien évidemment. Mais Vernet-Raspail reste un bastion moins « bohème » que les quartiers « bobos », pour ce qui le concerne il faudrait davantage parler de gentrification. L’INSEE a construit des circonscriptions dites « infra-communales » pour s’approcher au plus près du quartier vécu. Ainsi sont les IRIS « Les îlots regroupés pour l'information statistique 2000 (IRIS-2000) forment un "petit quartier", qui se définit comme un ensemble d'îlots contigus. Les IRIS-2000 se déclinent en trois types de zones :- IRIS d'habitat : IRIS-2000 dont la population se situe entre 1 800 et 5 000 habitants ; ils sont homogènes quant au type d'habitat ; etc… ». L’IRIS n°0109 La Balance - Raspail correspond grosso modo à notre secteur des bureaux 451-452-453. En revanche, l’IRIS n°0113 déborde largement le quartier de la Carreterie-St Lazare. Ces réserves faites, on peut lire le tableau suivant : Tableau I Structure sociale des deux secteurs de référence
Source : établis à partir des statistiques INSEE. *NB : la numérotation des IRIS n'a rien à voir avec celle des bureaux de vote.
On voit tout de suite le profil différent de ces quartiers d’Avignon intra-muros. Le taux de bourgeoisie patronale (B.P.) qui regroupe les artisans, commerçants, chefs d’entreprise (ACCE) et les cadres et professions intellectuelles supérieures (CPIS) est de 34,7% en Vernet-Raspail et de 19,9% dans le quart nord-est de l’ intra-muros. Inversement le pourcentage d’ouvriers passe du simple (9,9) au double (19,6). Mais il y a d’autres angles d’attaque pour saisir la réalité concrète : ainsi, le taux d’enfants de 14ans et moins est de 7,8% dans l’ IRIS 0109 et de 14% dans l’autre. Le pourcentage d’immigrés est de 8% d’une part et 13,3% d’autre part ; le ratio retraités/population active est de 63% à Vernet-Raspail et de 30,2 à la Carreterie-St Lazare. Enfin, disons que l’importance numérique des Professions intermédiaires et des employés s’explique par la présence des nombreuses administrations civiles et, pour ce qui nous intéresse ici, religieuses. Fait à considérer dans ce département travaillé par l’intégrisme. Le manuel sur l’Histoire d’Avignon publie des cartes de résultats électoraux depuis 1945, sur lesquelles on distingue bien mon ‘secteur’ d’analyse. Je publie quatre de ces cartes en annexe. Malheureusement, la légende ne donne que des fourchettes qui manquent de précision comme « de 60 à 75% » pour la carte n°4. Pour les résultats des présidentielles 2002 et 2007, pour les régionales 2010, les résultats publiés par le site du ministère de l’Intérieur sont évidemment bien meilleurs, ainsi que les résultats fournis par le Bureau des élections[1] de la ville d’Avignon. 3. Une tradition bien ancrée à droite.On peut établir le tableau suivant. Tableau 2 Comportement politique des deux secteurs de référence.
* = les chiffres qui suivent le libellé des partis indiquent la date de l'élection. PCF 45 = 1945 A la Libération, alors que la ville d’Avignon votait à 23,4% pour le Parti communiste, le secteur Vernet-Raspail y était très rétif et ne donnait que moins de 15% à ce parti, alors que l’East End encore très ouvrier dépassait très largement les 30%. Le vote Poujade est très élevé dans le secteur, il dépasse le double du vote national. C’est une indication. Nonobstant, il faudrait connaître le vote pour le parti d’A. Pinay, les Indépendants & Paysans, qui est le parti de prédilection de ces catégories électorales. C’est d’ailleurs dans l’hypercentre d’Avignon -hors de notre secteur- où se concentre le petit commerce de détail que Poujade dépasse les 30%. L’opposition ouest-est avignonnaise s’exprime bien lors de la présidentielle de 1974. Au second tour, V. Giscard d’Estaing est battu sur Avignon mais le secteur lui donne un score s’étalant de 60 à 75% soit le double des bureaux 102 et 103. Ce dernier n’accordant que le tiers de ses voix exprimées au candidat de la droite, issu des Indépendants rappelons-le. 4. De Le Pen à SarkozyPrésidentielle 2002 On connaît l’ambiance politique des élections 2002 : désintérêt, mécontentement des électeurs de droite devant une politique pas assez à droite proposée par l’UMP et Jacques Chirac, mécontentement à gauche pour une politique Jospin trop timorée… Beaucoup d’électeurs veulent manifester leur désamour et même donner un avertissement. Tableau 3 Vote du secteur lors de la présidentielle
2002 (% des inscrits)
* secteur = ensemble des bureaux 451-452-453 Le secteur a voté pour l’extrême-droite autant que la France entière. Le bureau 453 étant le plus extrémiste. Il y a un vote sur lequel on n’insiste jamais assez, c’est le vote Madelin. Madelin, c’est l’extrême droite économique et sociale. Je cite les mots-clés de son programme : "baisser les impôts, libérer le travail, encourager les entrepreneurs, libérer l'école, réformer enfin l'État, faciliter l'accession à la propriété". Le tableau montre l’accueil reçu dans notre secteur : 50% de plus qu’à l’échelle nationale. En revanche le bureau 103 ne lui donne que 2,4% : cela ne l’intéresse pas[2]. J’ai ajouté le vote Boutin car le programme de cette candidate est également ultra-libéral (Cf. mon article précédent). C’est un moyen de dire -comme J.-M. Le Pen - que l’on veut (encore) moins financer la solidarité nationale. Plus tard, le candidat Sarkozy tiendra compte de cela[3]. Au second tour, alors que Le Pen gagne 0,1% des inscrits en France, il en gagne 0,5% dans notre secteur, signe d’une droite particulièrement déterminée. Présidentielle 2007Le candidat Sarkozy mène campagne sur un thème très libéral. Et pas question de s’éparpiller sur des candidats secondaires, il faut serrer les rangs. Notre secteur abandonne quasiment J.-M. Le Pen qui passe de 13,3 à 6,5% des inscrits. En revanche, il fait un triomphe à N. Sarkozy. Le quartier de la Carreterie - St Lazare ne lui donne que 22,5% mais le bureau 452 monte à 41,4% (soit plus de 48% des exprimés dès le premier tour). Si l’intra-muros donne 28,4%, notre secteur donne 37,7%. Observons que notre secteur reste plus frontiste (6,5% avec une pointe à 7,8) que l’intra-muros (6,1).
Tableau 4 Vote du secteur lors de la présidentielle
2007 (en % des INSCRITS)
Cette étude de cas montre quelle est la base sociale/électorale du sarkozysme. C’est finalement une base étroite dont l’histoire remonte à loin. Et Alain Badiou n’a pas tort de se poser la question : de quoi Sarkozy est-il le nom ? Sur ce point, je me permets de renvoyer aussi à mon article « la réforme intellectuelle et morale ». LA REFORME INTELLECTUELLE ET MORALE Le vote aux Régionales 2010.
Tableau 5 Vote lors des régionales 2010 (% des inscrits) par bureau
*NB = secteur = cumul des votes des bureaux 451-452-453 Si l’on compare "mon" secteur avec l’ensemble des autres bureaux d'Avignon intra-muros, on obtient le tableau suivant (établi à partir du nombre des inscrits) : Tableau 5bis
Reflet sans doute de la boboïfication, le vote Europe Écologie-les Verts a bien pris sur l’ensemble des bureaux « hors secteur » où il oscille entre 7,8 et 11,5 pour une moyenne de 9,2%. En revanche "le secteur" ne lui donne que 6,7% en moyenne. 5,1% seulement au bureau 451 qui est le plus frontiste. La propension à voter FN ou UMP (dans le secteur 451-452-453) est remarquable par rapport au reste des autres bureaux de l’intra-muros. A l’inverse, voter Front de gauche ou Écologie y suscite plus que des réserves. Il est à noter que le FN obtient exactement le même pourcentage (des inscrits) en 2007 et en 2010. Il n’y a pas eu de « poussée » frontiste. Mais évidemment, c’est le score en termes de suffrages exprimés (les abstentions étant bien plus fortes en 2010) qui a fait croire à un « retour ». Au second tour, l’UMP gagne 4,9 points (16,9% des inscrits au lieu de 12%), mais +6,8% sur le secteur et +4,2% sur le hors-secteur. On observe bien là encore quels sont les points d’appui du sarkozysme. Quant au PS, il fait un bon score au bureau 453, mieux que sa moyenne intra-muros. Faut-il y voir une amorce de préparation de l’alternance dans ce quartier très bourgeois ? Fin de la 4° partie.Début de la série : Vote F.N. : le cas du Vaucluse (1ère partie)
Tableau annexe : Bureaux de vote avignonnais*
* par rapport aux inscrits. ** total des deux lignes au-dessus.Sur chaque carte, on observe bien le méandre du Rhône, les remparts du XIV° siècle, la percée haussmannienne de la rue de la République. On constate aussi la variabilité des limites des bureaux électoraux, reflets de charcutages successifs. On devine parfois le tracé des premiers remparts du XII°. En 1945, le secteur Vernet - Raspail est rétif au vote communiste (moins de 15%). à l'opposé, du côté de la Carreterie, le PCF frôle la majorité absolue. A l'intérieur des premiers remparts, près des Halles, de la place Pie, etc..., l'hypercentre donne plus de 30% des suffrages exprimés au seul parti poujadiste. notre secteur Vernet - Raspail est très favorable et pourtant, il y a une liste Pinay - Centre des Indépendants qui y arrive en tête. En 1958, le secteur Vernet - Raspail se jette comme un seul homme dans les bras du Général. Seul le bureau de la Carreterie offre une résistance. Les bureaux de l'Est, de part et d'autre de la rue Thiers, donnent un score élevé au nouveau parti gaulliste après avoir massivement voté Poujade en 1956. En 1974, ils votent Giscard. aujourd'hui, ce sont les bureaux 332 et 333. le secteur Vernet - Raspail vote massivement V.G.E. (entre 60 et 75% des exprimés). Fidèles à leurs tradition les secteurs Carreterie et Saint-Lazare donnent la majorité au candidat de Gauche. Fin de l'article. à compléter par la lecture de Avignon 2012, rue de la Carreterie... pour les résultats de la législative de juin 2012. [1] Que je remercie encore une fois très vivement. [2] Mais c’est lui qui donne le meilleur score à Le Pen intra-muros, 15,1% des inscrits au lieu de 14,6 pour le bureau 453. On observe par là que le FN influence les deux bouts de l’échelle sociale. [3] J’analyse les votes Madelin et Boutin dans le chapitre XXII « le veau d’or » C22. |