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Vote F.N. : le cas du Vaucluse (1ère partie)

publié le 27 juin 2011, 01:57 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 3 juin 2016, 10:26 ]
  30/06/2010  

Le Vaucluse est - en pourcentage - l’un des départements les plus frontistes de France. Il est connu également pour sa ville d’Orange qui a élu et réélu un maire aux étiquettes variables mais toujours dans la même tonalité : Front National, Mouvement pour la France, Ligue du Sud [1]. L’épouse de ce maire a remporté la mairie de Bollène… Nous verrons dans cette série d'articles que, s’il n’y a pas de fatalité en Histoire, il y a des antécédents qui peuvent expliquer le présent.

    Géographie du vote FN en Vaucluse.

    Soit la carte du vote FN de 2002 dont on sait la caractéristique essentielle : le vote massif pour l’extrême-droite[2]. Le FN obtient 22% des inscrits à l’échelle du département. La Région PACA votant à hauteur de 19% des inscrits. Le département est grosso modo coupé en deux selon un méridien qui va des limites orientales du canton de Vaison à celles du canton de Cavaillon.

A l’Est de cette ligne on a les cantons qui ont voté à moins de 18% des inscrits (soit moins que PACA) ; deux cantons se signalant par un vote à moins de 15% : Gordes et Bonnieux[3]. Apt en est la sous-préfecture (17,5%).

A l’Ouest de cette ligne, il en va tout autrement. A l’exception de Beaumes-de-Venise et des cantons d’Avignon Ouest et Sud (qui ont voté à moins de 18% des inscrits), quatre cantons ont voté au-dessus de la moyenne régionale (entre 19 et 21%), deux cantons (ceux de Carpentras Nord et Sud) ont voté au-dessus de la moyenne départementale (entre 22 et 25%), enfin six cantons ont franchi la barre du quart des électeurs inscrits (25% et au-delà) soit Valréas, Bollène, les deux cantons d’Orange, Bedarrides et Cavaillon[4].

Nous avons là, deux parties du département au « comportement politique » différent.

A l’Est

    C’est la partie la moins densément peuplée. Celle des plateaux calcaires d’où sortent les « fontaines » après les épisodes orageux (pentes du Ventoux, plateaux de Vaucluse et de Christol, pentes du Lubéron). Plateaux couverts de lavande et de lavandin -sauf s’ils sont « couronnés d’un reste de verdure » - ailleurs c’est la trilogie blé-vigne-oliviers. Les producteurs sont souvent regroupés en coopératives viticoles et oléicoles ce qui constitue la base matérielle d’un vote de gauche : tous les cantons à l’Est de ce méridien imaginaire ont un conseiller général socialiste -sauf Gordes (UMP)-.

    Mais ce vote à gauche est ancré dans les profondeurs des strates historiques. Par exemple, le vote protestant, car il y a là des terres Réformées depuis des siècles. « Le massacre des Vaudois du Lubéron décidé par le Parlement d’Aix en 1545 n’empêcha pas le développement du protestantisme dans la région d’Apt, dont l’évêque Jean-Baptiste de Simiane passa à la Réforme en 1571 »[5]. On peut citer également l’enracinement de la tradition républicaine, avec un vote important pour Ledru-Rollin à la présidentielle de 1848 (il était considéré comme étant d’extrême-gauche). Lors du coup d’État de 1851, les républicains d’Apt prirent la mairie et marchèrent sur Avignon. 700 républicains furent poursuivis par la justice impériale après la victoire de Napoléon-le-petit. En 1870, le ‘non » obtient 43% dans tout le Vaucluse (contre17,3% en France), plus encore dans l’Est du département. Lors de l’Occupation allemande, ces terres orientales du Vaucluse étaient adaptées à la clandestinité des Maquis qui furent ici particulièrement actifs (maquis du Ventoux, de Gordes, de Sault) avec, à leur tête, la noble figure du poète René Char.

   Compléter la lecture du comportement électoral de l'Est du département Pour qui votent les intégristes ? avec le canton de Malaucène

A l’Ouest.

    C’est là, au contraire, le domaine de la plaine du Comtat et de la vallée du Rhône. Très urbanisée : Bollène, Orange, Carpentras, Sorgues, Avignon, Cavaillon… Cela ne signifie pas une présence massive des ouvriers. Le Vaucluse est largement sous-industrialisé. Si le taux d’emploi dans l’industrie est de 18% de la population active en France, il n’est que de 14% en Vaucluse. Dans une ville comme Cavaillon, un peu plus de 10% des actifs seulement travaillent dans l’industrie.

    En revanche, ce département se distingue par un taux d’emploi dans l’agriculture encore très important : 8% contre 4% en France. Il est de 14% dans les deux cantons d’Orange et dans celui de Valréas. Nous avons là une horticulture et une viticulture dynamiques et d’ailleurs réputées depuis des lustres. C’est une agriculture de salariés. En PACA, le ratio salariés agricoles sur non salariés est de 1,2. Il est de 0,5 en Hautes Alpes ce qui suggère une agriculture sans autre main d’œuvre que les membres de la famille, mais de 1,5 en Vaucluse. En moyenne on a donc 1 ou 2 salariés par exploitation agricole. Encore ne s’agit-il que des Français, il faut tenir compte en sus de la main d’œuvre étrangère (marocaine notamment). C’est une agriculture riche, connue pour ses AOC dans le vignoble notamment, où « il s’agit de viticulteurs aisés, plus individualistes » comme déclara le député local (UMP).  

    La structure par types d’activités de la catégorie « ouvriers » est très intéressante. En France métropolitaine, 37% des ouvriers travaillent dans l’industrie, ce pourcentage tombe à 25% en Vaucluse. C’est une différence considérable d’autant que, s’il y a 4% des ouvriers français dans le secteur agricole, en Vaucluse 13% des ouvriers travaillent dans des exploitations agricoles. Enfin, tant dans le bâtiment que dans les services, il y a plus d’ouvriers en Vaucluse qu’en France métropolitaine. Il est alors judicieux de citer les spécialistes :

    « La classe ouvrière n'est pas, et n'a jamais été, un univers homogène. Les ouvriers de l'agriculture, du bâtiment ou des services aux entreprises (nettoyeurs, chauffeurs, réparateurs, manutentionnaires...) sont les catégories de l'espace social les plus proches du FN et celles où le retour à gauche reste aujourd'hui encore le plus problématique. Si l'on observe les communes à forte concentration ouvrière, le vote de gauche apparaît de 15 % plus faible (- 4 points) dans le quart des communes comptant le plus d'ouvriers du BTP, de l'agriculture et des services aux entreprises que dans le quart des communes en comptant le moins. On ne constate aucune variation de ce type avec la proportion d'ouvriers de l'industrie »[6].

    On peut en dire autant sur la catégorie « employés » : « Un même type de division traverse le groupe des employés. L'abstention et le vote d'extrême droite sont plus particulièrement forts chez les employés de commerce - vendeurs(-euses), caissiers(-ères) - ainsi que chez les employés travaillant dans les secteurs où les petites entreprises sont nombreuses, comme le BTP ou les industries agroalimentaires ». Mais concernant les employés, il faut rappeler l’importance de la présence des militaires dans le département. Je renvoie à mon article Ligue du Sud - Ligue du Nord. Dans la circonscription d’Orange-Bollène, les employés d’administration - qui comptent surtout les militaires du rang, jusqu’au grade de sergent-chef - représentent 8,7% de la population active TOTALE de la circonscription[7].

    Pour ce qui concerne la bourgeoisie patronale, on peut établir le tableau comparatif suivant :

 

circonscription

B.P.

P.I.

S.M.

France

22,4

23,1

54,4

Moselle

14,2

21,5

64,3

Vaucluse

22,8

22,2

54,9

    La Moselle (Cf. les articles sur ce département) donne l’exemple du département « ouvrier », ce n’est pas du tout le cas du Vaucluse. L’importance de la Bourgeoise patronale (B.P.) s’explique par l’abondance des exploitations agricoles qui embauchent des salariés. Mais nous verrons le comportement politique de cette classe dirigeante à travers le cas urbain d’Avignon intra-muros. Je conseille vivement la lecture de l’article de C. Traïni « l’épicentre d’un séisme électoral » dont le paragraphe « le vote de la villa ? » qui démolit les idées reçues sur le vote ouvrier en faveur du F.N..[8]

Les forces politiques :


    A l’ouest de notre méridien imaginaire, la situation politique est plus confuse. Si l’Est est habitué à la traditionnelle opposition gauche-droite, à l’Ouest, l’importance du F.N.[9] provoque des triangulaires. Deux cantons sont aux mains du l’extrême-droite (Orange E et O), sept ont été remportés par l’UMP, sept autres ont un Conseiller de gauche. La gauche l’a emporté dans deux cantons grâce à une triangulaire (FN+UMP+G.) dans deux autres avec une maigre majorité absolue. Le canton de Bollène restera-t-il au P.S. si le maire de Bollène (épouse Bompard) se présente ?

    Preuve de l’implantation frontiste, lors des législatives de 2002 qui suivirent immédiatement la présidentielle, il y eut duel UMP-FN dans les circonscriptions 4 (Bollène -Orange) et 3 (Bedarrides - Carpentras). En 2007, on s’est assagi : les quatre circonscriptions ont eu un duel UMP-PS.

    En 2011, le canton de Carpentras-N est passé au FN. En revanche, Bollène est resté à gauche.











Fin de la 1ère partie. A suivre. Vote F.N. : LE CAS DU VAUCLUSE (2° partie)



[1] A ce sujet lire mon article « Ligue du Sud, Ligue du Nord ».

[2] Comme tout le monde, pour ce qui concerne l’analyse de l’extrême-droite en 2002, je cumule les votes FN et MNR.

[3] Les autres cantons sont ceux de Malaucène, Mormoiron, Sault, Apt, Pertuis et Cadenet.

[4] En termes de suffrages exprimés, cela donne des résultats fantastiques, quasi irréels : plus de 37% à Bedarrides, plus de 36% à Bollène, plus de 34% à Carpentras N, Orange Est, Valréas…

[5] Site du diocèse d’Avignon.

[6] Dominique GOUX (ENS) & Éric MAURIN (CNRS), « Anatomie sociale d’un vote », article paru dans l’édition du 14.04.2004 du « Monde ».

[7] Au lieu de 5,8% dans celle de Cavaillon-Apt.

[8] Dans le livre collectif « Vote en PACA » sous la direction de C. Traïni, édité par Karthala - IEP d’Aix-en-P., J’ai moi-même montré le rôle décisif de l’électorat huppé dans l’ascension du F.N. dans le chapitre XXI de mon livre « Coup de pouce du patronat » (C21).

[9] Ou de l’extrême-droite Bompard, ex-FN, ex-MPF, aujourd'hui Ligue du Sud.

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