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Le droit à la paresse, 1880, par Paul LAFARGUE (extraits) et article de Pierre IVORRA, la lutte pour la réduction du temps de travail...
Cet article est à lire après celui que j'ai intitulé Le salariat, la liberté, la retraite… l’aide de Christopher HILL. C. Hill (Cambridge) montre combien fut rude le ...
Publié à 26 oct. 2020, 08:23 par Jean-Pierre Rissoan
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Quelle place pour les ergonomes face au diktat de la productivité ? par Fanny DOUMAYROU
Mots clés :
Souffrances au travail,
conditions de travail,
ergonomie,
tms,
productivité,préambule : L’ergonomie, du grec « ergon », travail, et « nomos », les règles, a
été utilisée pour la première fois par ...
Publié à 11 sept. 2013, 01:03 par Jean-Pierre Rissoan
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La Colère de Ludd.
de
Julius Van Daal [1].
Compte-rendu
d’ouvrage par Éric Arrivé [2].
La lucidité des luddites
Deux
siècles après son fulgurant passage dans l'histoire des résistances au capitalisme ...
Publié à 5 avr. 2013, 00:17 par Jean-Pierre Rissoan
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Le salariat, la liberté, la retraite… l’aide de Christopher HILL
publié le 5 oct. 2012 16:38 par Jean-Pierre Rissoan
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mis à jour : 5 oct. 2012 16:41
]
Je
publie un texte de l’historien anglais, Recteur du Balliol ...
Publié à 9 mai 2018, 06:53 par Jean-Pierre Rissoan
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publié le 18 sept. 2015, 09:20 par Jean-Pierre Rissoan
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mis à jour : 26 oct. 2020, 08:23
]
C. Hill (Cambridge) montre combien fut rude le passage à la contrainte de l'usine avec ses horaires obligatoires et démesurés, l'absence de liberté dans la journée alors que l'ancien système, le domestic system, permettait au travailleur de prendre une pause au moment où il en ressentait le besoin, etc... La lutte pour la réduction du temps de travail est donc une lutte systématique des travailleurs pour vivre tout simplement. En 1880, en pleine période productiviste, en pleine bagarre pour la réduction du temps de travail, Paul Lafargue - qui savait de qui tenir - publie une bombe provocatrice "Le droit à la paresse"... Dans un texte paru en feuilleton dans « l’Égalité » des 26 février, 5 mars et 12 mars 1882, Paul Lafargue démonte la rhétorique patronale opposée au passage à la journée de 8 heures. L'internationale socialiste la revendique depuis 1866, elle sera adoptée en 1919 seulement.
Au moment où je me proposais de lire cet ouvrage et d'en faire un compte-rendu, l'Humanité publie ces cours extraits. J'utilise donc mon droit à la paresse pour reproduire ici-même ces extraits.
Ce 9 mai 2018, l'Humanité publié un article de Pierre IVORRA qu'il intitule "Du droit à la paresse". c'est tout naturellement que je le place après les extraits du livre si actuel de Paul LAFARGUE, gendre de Karl Marx. J.-P. R.
***
Nous nous proposons de défendre la réduction légale de la journée de travail à huit heures contre les économistes et les possibilistes. Les considérants de la résolution du Congrès de Genève sont, dans leur brève concision, assez explicites pour l'importance de la limite légale de huit heures ; cependant, ils ne répondent pas à une objection souvent répétée : « Si vous réduisez la journée de travail, disent les bourgeois, vous réduisez forcément les salaires ». A cette objection plausible en apparence, beaucoup d'ouvriers baissent la tête en signe d'acquiescement. Cependant, rien de plus faux. Je vais le prouver. (...) Au contraire, moins l'ouvrier travaillera et plus il sera payé. (...) Si demain, en France, l'article de notre programme minimum devenait loi, si la journée était de huit heures, il faudrait 3 ouvriers pour faire vingt-quatre heures de travail, tandis qu'aujourd'hui il ne faut que 2 ouvriers travaillant douze heures : donc, toute l'armée de réserve du capital serait absorbée dans l'atelier. Les ouvriers qui travaillent, n'ayant pas à craindre la concurrence des ouvriers qui chôment, pourraient non seulement maintenir leurs salaires, mais demander une augmentation. Mais, disent les patrons, vous ruinerez l'industrie française, si vous diminuez la journée de travail et augmentez les salaires. (..) Le contraire est le vrai : moins les ouvriers travailleront, plus ils seront payés et plus l'industrie française sera prospère. De toutes les lois de l'industrie capitaliste, celle-ci est une des plus faciles à établir. Si, pour porter une industrie nationale à son plus haut point de développement, il ne fallait que de faibles salaires et de fortes journées de travail, l'industrie française devrait être une des premières du monde ; elle ne devrait craindre aucune concurrence. (...) L'industrie française est maintenue dans son état d'infériorité, parce que l'ouvrier français travaille trop et à trop bon marché. (...) Une des grandes lois de la production capitaliste est la production à bon marché. Les machines ne sont pas introduites dans l'industrie moderne, ainsi que le prétendent les jésuites de la philanthropie, pour soulager le lourd labeur de l'homme, mais pour produire vite, beaucoup et à bon marché et pour réduire le prix de la main-d’œuvre. Mais si la main-d’œuvre est si abondante à un prix si bas que le capitaliste peut, en la surmenant de travail, produire à aussi bon compte qu'avec des machines. il n'hésite jamais ; car les machines exigent une avance de capital, elles s'usent et se démodent ; tandis que le capitaliste ne débourse pas un sou pour se procurer 100 ou 200 ouvriers, il n'a qu'à ouvrir les portes de ses ateliers ; et s'il les tue de travail, quel mal cela fait-il à sa poche ? La poche est l'endroit où le capitaliste met tout son cœur et toute son intelligence. Les capitalistes français se sont trouvés dans cette situation ; la main-d’œuvre en France était si abondante et à si vil prix qu'il leur était plus profitable de la surmener de travail que d'introduite des machines pour la remplacer. Ce fait est constaté par des écrivains bourgeois. (...) De l'aveu même des industriels et des économistes bourgeois, pour développer l'outillage industriel, pour accroître les forces mécaniques de la production industrielle, il faut relever la valeur de la main-d’œuvre, il faut porter les salaires à leur maximum. (...} Nous avons démontré avec des faits officiellement constatés en Angleterre et en France que la réduction légale de la journée de travail bénéficierait aux ouvriers et à l'industrie nationale et concourrait à l'enrichissement des patrons. Malgré les avantages qu'elle apporterait aux patrons, les ouvriers ne doivent pas espérer l'obtenir ; car le pouvoir politique est entre les mains de la classe la plus égoïste, la plus bornée qui ait jamais gouverné la France.
PAUL LAFARGUE (1842-1911), AUTEUR DU « DROIT À LA PARESSE » (1880)
Ces bien courts extraits ont pour vocation de vous faire lire l'intégralité du texte :
"le droit à la paresse, éditions ALLIA, 74 pages, 6,2€
sur le net : https://www.marxists.org/francais/lafargue/works/1880/00/lafargue_18800000.htm#3
Voici maintenant l’article de l’économiste Pierre IVORRA
Certains nous disent que Marx est un philosophe du
travail. Étrange ce qualificatif attribué à quelqu’un qui avant tout a
écrit un livre sur le capital. En fait, Marx est plus que cela, il est
le chantre de la libération du travail salarié. Marx
n’idéalise pas le statut de prolétaire, il suffit de relire ce qu’il
écrit dans le Capital. Il peint en ces termes l’attitude du capitaliste,
« l’homme aux écus », et celle du salarié dans leur rapport social et
même psychologique : « Notre ancien homme aux écus prend les devants et,
en qualité de capitaliste, marche le premier ; le possesseur de la
force de travail le suit par-derrière comme son travailleur à lui ;
celui-là le regard narquois, l’air important et affairé ; celui-ci
timide, hésitant, rétif, comme quelqu’un qui a porté sa propre peau au
marché, et ne peut plus s’attendre qu’à une chose : à être tanné. » Pour
lui, le salarié est dans une situation de dépendance vis-à-vis du
capitaliste, à l’égard de celui qu’Emmanuel Macron qualifierait de
« premier de cordée ». Aussi, quand, depuis sa tombe, à Londres, le
spectre de Marx entend certains idéaliser le salariat, il doit doucement
rigoler. Dans le Capital, Livre 3, Marx considère que, dans l’activité
productive, « la seule liberté possible est que l’homme social, les
producteurs associés règlent rationnellement leurs échanges avec la
nature, qu’ils la contrôlent ensemble au lieu d’être dominés par sa
puissance aveugle et qu’ils accomplissent ces échanges en dépensant le
minimum de force et dans les conditions les plus dignes, les plus
conformes à leur nature humaine ». Mais, il remarque aussitôt que, de
toute façon, « cette activité constituera toujours le royaume de la
nécessité ». Et il a cette remarque extraordinaire : « C’est au-delà que
commence le développement des forces humaines comme fin en soi,
écrit-il, le véritable royaume de la liberté qui ne peut s’épanouir
qu’en se fondant sur l’autre royaume, sur l’autre base, celle de la
nécessité. La condition essentielle de cet épanouissement est la
réduction de la journée de travail. »
Le salarié n’est libre qu’en échappant au salariat, en
commençant à dépasser le caractère marchand de sa force de travail.
C’est là le sens de la proposition de sécurité d’emploi et de formation.
D’où les réflexions d’un homme comme Paul Boccara sur le
dépassement du salariat et la nécessité de développer les activités non
marchandes tout en maîtrisant le marché. Et, bien avant lui, celles d’un
autre penseur, Paul Lafargue, le gendre français de Marx, célèbre pour
avoir écrit en 1883, le Droit à la paresse.
Journaliste économique
De Germinal à Macron c'est
toujours la même rengaine des patrons...
Juin 1936. La semaine tombe à 40 heures. Les maîtres
des Forges tonnent contre ce qu’ils baptisent « la loi de fainéantise sociale» : «Nos entreprises sont perdues. Comment relever le pays si nos ouvriers
habitués à la tâche et fiers de l’accomplir travaillent deux fois moins ? La
France va à sa ruine. Et tous pâtiront de ce luxe de paresse !» La chanson
contre la réduction du temps de travail est une vieille rengaine. Au fil des
siècles, les archives déclinent les mêmes arguments.
Nous sommes en 1848. La journée de travail du textile
lyonnais vient de passer de 14 à 12 heures. Pour la chambre patronale des
soieries, c’est la catastrophe. Elle adresse au préfet une supplique pour
dénoncer la dangerosité et l’amoralisme de la nouvelle loi : « Nous attirons votre
attention sur les graves conséquences qu’auraient à subir nos industries au cas
où la loi venait à être appliquée. Vous le savez, la main d’œuvre ici est
exigeante et hors de prix. Avec 14 heures, nous tenions à peine.12 heures
précipiteraient les faillites. Le travail, dans nos entreprises, a toujours
commencé à 4 h du matin, repos d’un quart d’heure à midi, repos final à 18 h.
Les filles employées s’y livrent sans que leur santé n’ait jamais été altérée
et sans qu’elles se plaignent de leur sort par ailleurs envieux quand on songe
à tous les « sans travail » qui écument les rues. Ici, la main d’œuvre est plus
coûteuse qu’à l’étranger. Si nous maintenions le même salaire pour la journée
réduite à 12 heures, la partie ne serait plus tenable. Nous serions dans
l’obligation de fermer nos manufactures et de les transporter là où l’ouvrière
est la moins dispendieuse. Et puis, que l’on ne se trompe pas, l’ouvrière
ramenée à 12 heures, continuerait à se lever à l’aurore pour n’arriver à la
manufacture qu’à la minute obligatoire, plus disposée à se reposer des
occupations auxquelles elles auraient vaqué dehors qu’à attaquer avec ferveur
le travail de nos fabriques. Redevenue plus tôt libre le soir, elle n’en
profiterait pas dans l’intérêt de son sommeil. Il y aurait à craindre pour la
moralité de celles qui, étant sans famille, se verraient affranchies de toute
surveillance pendant deux longues heures de la soirée. » Le texte
est éloquent. On entendra la même remarque pour réprouver la loi qui interdit
aux enfants le travail dans les mines : « Loi
qui porte atteinte au droit du travail et à la liberté individuelle »
1919. La loi des 8 heures suscite les mêmes réactions.
Voici ce qu’écrit un entrepreneur de la Métallurgie : « On en veut à ceux qui font la richesse du pays. Il est sûr que nos
industries péricliteront, et puis que feront nos ouvriers de tout ce temps
vacant ? Désœuvrement, fréquentation plus assidue des estaminets. Décidément la
morale n’est plus du côté du gouvernement. Faudra-t-il bientôt que nous transportions
nos industries dans les colonies ? »
Un dernier exemple. 12 novembre 1938. Par une série
décrets, baptisés «décrets misère»,
le gouvernement Daladier supprime les acquis du Front Populaire. Entre autres
la semaine de quarante heures. L’argument mérite citation : «Cette loi de
paresse et de trahison nationale est la cause de tous les maux de notre
économie. Elle va précipiter la chute de la France. On ne peut pas avoir une
classe ouvrière avec une «semaine de deux dimanches» et un patronat qui s’étrangle
pour faire vivre le pays !».
Deux ans plus tard, reprenant les mêmes arguments,
Pétain balayera les dernières lois sociales et les syndicats qui en étaient à
l’origine…
Et...... 80 ans après; "Travaillez bien plus pour gagner bien moins" dans le pays de
Macron, c'est toujours la même chanson....
Michel Etiévent
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publié le 11 sept. 2013, 01:03 par Jean-Pierre Rissoan
préambule :
L’ergonomie, du grec « ergon », travail, et « nomos », les règles, a
été utilisée pour la première fois par un biologiste polonais en 1857,
mais elle ne sera reprise qu’en 1949, année de la création de la
première société savante en ergonomie.
Née après la Seconde Guerre mondiale, l’ergonomie a pour perspective
d’adapter le travail
à l’homme, de favoriser à la fois
le bien-être au
travail et
la performance.
Il y a 25 000 ergonomes dans
le monde. Deux grands courants existent : l’ergonomie human factors, d’origine
anglo-saxonne, qui travaille sur les postures, les cadences ;
l’ergonomie de l’activité, d’origine francophone, qui s’intéresse à
l’ensemble de la situation de travail. Texte de l’article de Fanny DOUMAYROU
Adapter le travail à l’homme, améliorer à la fois le
bien-être des salariés et leur performance, tel est le credo de
l’ergonomie, discipline fondée dans l’après-guerre. Mais les marges de
manœuvre se réduisent avec la crise, qui a provoqué l’explosion des TMS
puis des risques psychosociaux.
«Après la guerre, l’ergonomie a connu sa période faste avec
la construction de ses concepts et la mise au point de ses méthodes,
elle avait tellement confiance en elle qu’elle pensait qu’elle pouvait
transformer le travail », rappelle l’ergonome Solange Lapeyrière,
ajoutant qu’aujourd’hui l’un des écueils du métier est cette « attente
énorme et illusoire », cette « illusion » que l’intervention de
l’ergonome dans l’entreprise va tout changer. Le triomphalisme n’était
pas de mise au 50e congrès de la Société d’ergonomie de langue française
(Self), qui a réuni, fin août, à Paris, quelque 700 participants
reflétant la diversité du métier : enseignants-chercheurs en ergonomie,
consultants, experts pour les CHSCT, ergonomes d’entreprises, de
collectivités, d’institutions, ou de services en santé au travail.
Discipline née dans l’après-guerre, l’ergonomie reste mal connue du
grand public, pour qui elle se résume à l’image d’Épinal de la recherche
des gestes, postures et outils de travail les moins nocifs pour le
corps humain. Si le courant anglo-saxon (human factors) s’approche de
cette vision plutôt technique, le courant francophone, dit ergonomie de
l’activité, prend en compte tous les aspects de la situation de travail.
« L’ergonomie vise à analyser les conditions de travail dans leur
ensemble, dans ses différentes dimensions matérielles et managériales,
explique Sophie Prunier-Poulmaire, maître de conférences en ergonomie à
l’université de Nanterre. Avec un double objectif de respect de la santé
des salariés, mais aussi de la santé économique de l’entreprise. »
Concrètement, l’intervention des ergonomes se situe soit en amont,
dans la conception des installations de travail, à la demande des
entreprises ou des collectivités, soit en aval, à la demande des
directions, des syndicats ou des CHSCT, lorsque émerge un problème de
qualité ou de santé au travail, notamment depuis le début des années
2000, avec l’apparition des troubles musculo-squelettiques (TMS), ou,
plus récemment, de troubles « psychosociaux ». Mais dans un monde du
travail où la pression économique s’accentue, comment s’articule ce
compromis improbable entre santé des salariés et santé de l’entreprise ?
« C’est un état d’équilibre, constate Sophie Prunier-Poulmaire. La
contrainte économique fait partie des difficultés. Notre tâche sera de
montrer que quand on parle de réduction des coûts, il faut aussi
regarder le coût du non-respect de la santé au travail. Les maladies
professionnelles et l’absentéisme ont un coût, et l’entreprise peut
gagner à mettre en place une véritable politique de prévention. »
Une démonstration qui ne convainc pas forcément les directions.
Ergonome tout juste retraité d’un grand groupe industriel, Frédéric
Decoster travaillait à la conception des installations, avec pour
mission de suggérer aux ingénieurs des modifications dans les machines
ou les pièces pour que le travail des ouvriers soit le moins pénible
possible. « On a de grands discours sur l’automatisation, mais on oublie
de dire que la machine fait le travail le plus simple, et que c’est
l’homme qui continue de faire le travail le plus pénible. Les ergonomes
sont là pour rétablir l’équilibre en faveur de l’humain »,
souligne-t-il. Face aux ingénieurs, c’est une « bataille », un « rapport
de forces », « passionnant » d’ailleurs, dans lequel il faut « tout
justifier économiquement ». Par rapport au début des années 1980, « la
prégnance des objectifs économiques est beaucoup plus forte,
témoigne-t-il. Avant, on arrivait à des arrangements, tel coût était
accepté, mais aujourd’hui on ne gagne que si c’est très peu cher ou si
on arrive à démontrer que le coût va être compensé par une amélioration
de la qualité ». Si des améliorations sont apportées à l’ergonomie du
poste de travail, l’intensification du travail à la chaîne reste
intouchable. « On s’est battus, mais on n’arrive à rien, regrette
l’ergonome. La quantité de travail à fournir en une minute est
régulièrement augmentée, on arrive à des seuils impossibles pour le
corps humain, ce qui explique l’apparition des troubles
musculo-squelettiques. C’est triste à dire, mais ces maladies ne coûtent
pas assez cher pour poser un problème à la direction. Les industriels
savent s’en débrouiller. Le recours à l’intérim s’explique, en partie au
moins, parce qu’il permet de jeter les salariés quand les problèmes de
santé apparaissent. »
Professeur d’ergonomie à l’Institut polytechnique de Bordeaux,
François Daniellou parle, lui aussi, d’un quotidien fait de « batailles,
de conflits, de succès et d’échecs », mais il « revendique avec
fierté » le « compromis » que propose l’ergonomie. « Le chômage est la
situation la plus pathogène, une intervention qui entraînerait la
fermeture de l’entreprise n’aurait pas de sens, estime-t-il. Quand on
regarde le travail comme on le fait, on s’aperçoit que les difficultés
qui mettent en danger les travailleurs mettent aussi en danger
l’entreprise. La tradition de gouvernance des entreprises en France veut
qu’on écoute très peu les salariés, ce qui provoque des problèmes de
santé et un gaspillage gigantesque car il y a un lien fort entre
l’écoute du personnel et la capacité d’innovation. D’où la bataille à
mener pour favoriser un débat sur la qualité du travail. » Selon lui,
écouter les salariés ferait gagner de l’argent mais perdre du pouvoir
aux entreprises. « Beaucoup préfèrent perdre de l’argent, mais garder le
pouvoir », déplore-t-il. Dans l’agroalimentaire, « on a réussi à faire
baisser les cadences pour des raisons de qualité, mais dans
l’automobile, il y a un dogme du lean management (méthode inspirée de
Toyota et se résumant en France à une chasse aux temps morts – NDLR)
appliqué de façon descendante, autoritaire et méprisante. Combien de
temps faudra-t-il pour que les directions comprennent qu’il n’y a pas de
développement industriel sans reconnaissance de l’intelligence des
travailleurs ? »
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publié le 5 avr. 2013, 00:17 par Jean-Pierre Rissoan
de
Julius Van Daal [1].
Compte-rendu
d’ouvrage par Éric Arrivé [2].
La lucidité des luddites
Deux
siècles après son fulgurant passage dans l'histoire des résistances au capitalisme
et malgré l'attention minutieuse qu'a pu consacrer E. P. Thompson à ses
partisans (cf. la Formation de la classe
ouvrière anglaise), la figure mythique de Ludd est toujours aussi malmenée.
D'un côté, ceux qui acquiescent sans broncher à l'idée que le progrès humain
est naturellement porté par le capitalisme industriel ne voient dans le
luddisme qu'une crispation rétrograde face à l'émergence d'un monde inédit mais
prometteur. De l'autre, les comptes rendus de cette agitation mécanoclaste
détachée de son contexte et des discours qui l'ont portée sont paresseusement rabattus
sur des considérations qui mettent en avant l'introduction malveillante des
machines industrielles pour expliquer la trajectoire des sociétés modernes et
leur négation de plus en plus résolue des libertés publiques et individuelles.
De sorte qu'aucune justice n'est rendue à la pertinence des positions luddites
aussi bien dans les débats de l'époque que dans ceux que nous avons à mener
pour envisager une émancipation radicale face à un capitalisme aujourd'hui
globalisé.
Dans
son ouvrage, la Colère de Ludd,
Julius Van Daal revient donc sur les événements qui ont émaillé l'Angleterre à
l'époque où celle-ci est confrontée au blocus continental résultant des guerres
napoléoniennes. Pressée par la crise et portée par les innovations, la
fabrication textile, des Midlands au Yorkshire, va se trouver bouleversée par
quelques entrepreneurs austères et âpres au gain, appuyés par un appareil
militaire, policier et judiciaire contrôlé par un gouvernement conservateur. En
s'appuyant sur une description vivante des actions audacieuses et des discours
pleins de verve que leur opposèrent les tisserands et autres tondeurs de laine
rassemblés sous la bannière de Ludd, Julius Van Daal montre bien le leitmotiv
profond de leurs luttes. Il ne
s'agissait pas de dénoncer les machines comme ferment en soi d'une dissolution
des modes de vie simples et néanmoins pleins de joie d'une classe populaire
encore relativement maître de sa subsistance et donc de son destin. (C’est
moi qui souligne, JPR, et cela renvoie à Le salariat, la liberté, la retraite… l’aide de Christopher HILL) Il s'agissait plutôt de mettre
en lumière que leur mise en œuvre dégradante - et la production qui en
découlait — était le fruit pourri de la logique économique qui n'offre aux
travailleurs que la possibilité de s'activer à l'expansion indéfinie du
capital. Comme l'indique l'auteur, jamais l'esprit humain n'eut de plus mortel
ennemi que cette plate et monstrueuse abstraction enfantée par les errances des
civilisations et les sommeils encauchemardés de la raison. Cette quête
incessante de rentabilité a fait couler des torrents de sang.
Le
soulèvement des luddites n'aura cependant pas trouvé de prolongement immédiat
dans un contexte qui présentait aussi beaucoup d'obstacles. Tout d'abord
l'appareil étatique les a amalgamés avec les agitations révolutionnaires de
l'ennemi continental pour justifier le rétablissement de l'ordre nécessaire à la
bonne marche des affaires et de la guerre. D'autre part, le rôle et le poids
encore faible de cette classe ouvrière émergente ne pouvaient compenser la
lucidité dont elle faisait preuve à l'aube de son emprisonnement dans la course
à la productivité. Une lucidité qui lui fit de plus en plus défaut à mesure que
l'outil industriel s'imposait et que sa réappropriation fut revendiquée comme
seule et illusoire compensation.
£ric
Arrivé.
[1]
L'Insomniaque Éditeur, 288 pages, 18 euros.
[2]
Paru dans LES LETTRES FRANÇAISES, avril
2013, page IX, supplément à l’Humanité du 4 avril 2013.
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publié le 22 févr. 2013, 01:03 par Jean-Pierre Rissoan
[
mis à jour : 9 mai 2018, 06:53
]
publié le 5 oct. 2012 16:38 par Jean-Pierre Rissoan
[
mis à jour : 5 oct. 2012 16:41
]
Je
publie un texte de l’historien anglais, Recteur du Balliol College à l’université d’Oxford, Christopher Hill. Extrait de son livre
« histoire économique et sociale de la Grande-Bretagne »[1], ce chapitre s’intitule « L’usine et la classe
laborieuse ». En réalité, Ch. HILL établit une comparaison féconde entre
les conditions de travail AVANT la révolution industrielle, caractérisées par
le travail à domicile, et APRÈS, avec la manufacture et le travail salarié, les
horaires fixes et obligatoires, les contraintes de toutes sortes. L’enfer du
salariat. Avec le travail à domicile, le travailleur avait un espace de liberté
que l’usine capitaliste a détruit.
La
révolution industrielle du XIX° siècle fut un immense ASSERVISSEMENT des gens.
Et ça continue… la suppression du salariat - œuvre de long terme…- est au cœur
de la réflexion du mouvement ouvrier du XIX° siècle et de Marx en particulier.
On comprend bien pourquoi, aujourd’hui, la grande majorité des salariés tient
tant à la retraite, période de la vie où ils peuvent/pourraient être enfin
maîtres de leur emploi du temps, en un mot de leur vie.
NB :
les mots soulignés le sont par moi.
J.-P. R.
L'USINE ET LA CLASSE
LABORIEUSE
« Les manufactures ... les plus
prospères sont là où l'esprit est le moins sollicité et où l'on peut sans
grand effort d'imagination tenir l'atelier pour une machine dont les hommes
sont les rouages... Nous formons une société d'ilotes et n'avons point de
citoyens libres ».
ADAM FERGUSON
Essai sur l'histoire de la société civile, 1765
Il
est de bon ton depuis quelque temps de prétendre que la misère des travailleurs
pendant la révolution industrielle est une invention ex post facto d'historiens sentimentaux, et surtout des pionniers
que furent J. L. et B. Hammond. On peut prouver statistiquement que le revenu
national et la masse salariale ont l'un et l'autre augmenté après 1780. On en
conclut que les ouvriers d'usine ont certainement vu leur sort s'améliorer. Or,
les statistiques et l'imagination sont à l'historien ce que l'huile et
l'essence sont au moteur à explosion : l'excès de l'un ne compensera pas
1’insuffisance de l'autre. Les Hammond ont ouvert un nouveau champ d'étude - le
peuple - et l'histoire ne sera plus la même après leurs travaux. Certes, leurs
conclusions peuvent être attaquées sur des points de détail à coup de données
statistiques récentes, mais ils ont de l'histoire un sens plus aigu que leurs
détracteurs et ce serait folie que de les vouer trop cavalièrement à l'oubli.
Il
ne suffit pas de démontrer par exemple qu'à durée de travail égale un homme
pouvait gagner plus à l'usine qu'à son domicile ; chez lui, si longue que fût sa journée, il était son maître. Il
avait la possibilité, s'il en décidait ainsi, de s'interrompre une heure, un
jour, quitte a s'appauvrir d'autant et
cette liberté était inestimable A 1’usine, sa rétribution nominale était
sans doute plus élevée mais il était soumis à une discipline stricte dont il
n'avait aucunement l'habitude, assortie de lourdes amendes sanctionnant des
peccadilles professionnelles, si bien que son gain net était probablement
moindre. Ajoutons que l'horaire de
travail dont il n'était pas maître le frustrait dans sa liberté et sa dignité.
Nous aimerions croire, avec deux siècles de recul, que cette discipline de
travail fut aisément acceptée à l'époque, parce que sa nécessité nous parait
aujourd'hui évidente : tous les ouvriers ne doivent-ils pas commencer le
matin à une heure donnée, respecter toujours le même horaire, se plier aux
cadences et aux conditions matérielles qu'exige le processus industriel ?
Pourtant, ces exigences furent
ressenties comme autant d'effroyables contraintes, autant d'empiétements sur la
liberté d'un homme qui naguère travaillait chez lui sans même une horloge, qui
vivait peut- être à des kilomètres de l'usine sans autre moyen de locomotion
que ses jambes, et qui abandonnait le
droit de choisir le moment, la durée et le rythme de son labeur. Or, qu'est la
liberté, sinon le choix ? demandait Milton. Un raisonnement fondé
sur le taux de rémunération nominale, sur des conjectures touchant le pouvoir
d'achat peut être trompeur, car nous ignorons la proportion des ouvriers
d'usine qui, à une date déterminée, possédaient encore un lopin de terre leur
fournissant de quoi nourrir leur famille. Les salaires étaient payés plus
régulièrement par le patron, c’est entendu, mais ils élargissaient l'écart
entre ouvriers qualifiés et non qualifiés. La hausse des prix à la fin du XVIIIe
siècle fut supportable pour les premiers dont la rémunération augmentait aussi
vite, sinon plus que les prix, mais non pour les travailleurs à domicile et la main-d’œuvre
non qualifiée. En admettant qu'on puisse prouver les théories les plus
optimistes sur le niveau de vie de la classe laborieuse, il n'en reste pas moins que l'homme ne vit pas seulement de pain.
Nous
considérons le passé avec nos idées préconçues du XXe siècle. Après deux cents
ans de luttes syndicales, le travail salarié s'est acquis une position
respectable et respectée dans la collectivité; mais si nous adoptons l'optique
du XVII°siècle, nous découvrons que les Niveleurs [2] estimaient qu'en acceptant d'être salariés les
travailleurs abdiquaient leurs droits d'hommes libres et devraient perdre par
là même leurs droits d'électeurs ; selon Winstanley [3], les salariés n'avaient part à rien dans leur propre
pays, et il fallait abolir le travail salarié. C'était la une attitude
traditionnelle, et l'on doit ajouter que nombre d’usines ressemblaient à des workhouses (dépôts de mendicité), et
que, souvent, c'est sciemment qu'on les avait conçues sur ce modèle (les
Niveleurs avaient estimé eux aussi, que les indigents étaient indignes du droit
de vote (franchise)). Tout cela peut nous faire comprendre pourquoi les artisans indépendants s'accrochaient
désespérément à une situation économique pourtant intenable. C'est la
raison pour laquelle les premières filatures du Lancashire durent employer tant
de femmes et d'enfants de miséreux qui n'avaient pas le choix, tant de Gallois
que d'Irlandais (en Écosse, des Highlanders), toutes personnes à qui manquait
cette tradition d'effort personnel et de fierté qui caractérisait l'artisan
anglais. Sir John Clapham relève qu'en France les cahiers de doléances de 1789
«voient rarement [dans la condition de
journalier] autre chose qu'un enfer où peuvent être précipités les paysans si
la situation ne s'améliore pas».
L'homme né libre pensait encore qu'en
allant s'embaucher de son plein gré à la manufacture il renonçait aux droits
qu'il avait de naissance et qui, selon la définition d'un Niveleur, étaient la
propriété de sa personne et de son travail. Nous pouvons rétrospectivement partager ces sentiments, en
imagination bien sûr. Si nous percevons l'atmosphère de servitude qui entourait
encore le travail salarié au XVIII°siècle, nous nous laisserons moins
impressionner par les statistiques donnant à croire que les ouvriers étaient
plus à leur aise que les artisans indépendants et que les squatters des
communaux, et nous saisirons pourquoi ces
artisans plus libres ont formé l'avant-garde du jeune syndicalisme.
Avant
la révolution industrielle, il y avait en Angleterre, comme dans tout pays à
l'économie retardataire, un chômage saisonnier et un sous-emploi permanent Tant
que le travailleur eut sa parcelle de terrain, il fut protégé, sauf en période
de chômage très prolongé. En vertu du système de placement en vigueur,
l'employeur pouvait, en temps normal, inscrire sur ses registres des ouvriers
en surnombre auxquels il faisait appel en cas de brusque accroissement de la
demande. Quand revenaient les vaches maigres, il les laissait à nouveau à la
charge de la paroisse. L'irrégularité de l'emploi était partie intégrante du
système ; d'où une attitude particulière envers le travail. Pour Malachi
Postlethwayt [4], l'excellente qualité des produits manufacturés
anglais tenait à ce que « les gens pouvaient
se reposer quand bon leur semblait » et avaient latitude (dans
certaines limites) de travailler quand l'envie leur en prenait. Cette liberté
avait beaucoup plus de prix que la stabilité de l'emploi. Voila pourquoi le
lundi était un jour de congé sacro-saint, parfois même le mardi, pour
compenser, on besognait d'arrache-pied à la fin de la semaine, voilà aussi
pourquoi bien des usines fermaient pendant la moisson, la foire ou la fête
annuelle et, à Londres, les jours de pendaison, voilà pourquoi, enfin, on travaillait moins quand la nourriture était
bon marché, ce que déploraient vivement les économistes. On disait en 1747
qu'un homme « capable de gagner sa vie en
trois journées sera désœuvré et ivre le reste de la semaine ». On
s'habillait et on se nourrissait mieux quand tout coûtait cher. Il y avait une réserve
permanente de chômeurs à Londres, moins visible ailleurs, elle se composait de
gens qui étaient employés à temps partiel, de squatters, d'indigents et de
travailleurs à domicile. Ce système permettait, entre autres avantages,
d'enrôler des soldats en temps de guerre, sans grand dommage pour l'économie
(la conscription touchait rarement la main-d’œuvre à temps complet) ; un emploi
industriel régulier impliquait une armée régulière.
N'allons pas idéaliser le système du
travail à domicile; il entraînait un
gaspillage de temps, un sous-emploi quasi perpétuel et pouvait mettre, en cas
d'accident, les hommes à la merci de l'aide aux indigents ou du prêteur sur
gages. Les relations humaines, comme le souligne le Pr. Ashton, étaient « dépersonnalisées » dans le textile bien
avant que n'apparaissent les usines, puisque les moyens de production
appartenaient aux capitalistes. Des milliers d'ouvriers à façon ne voyaient
jamais leur employeur; ils lui chapardaient des matières premières; lui les
payait en nature selon un barème surfait. Si l'un de ces travailleurs obtenait
des matières premières à crédit ou recevait, à tout autre titre, des avances de
son patron, il se mettait sous sa dépendance car il ne pouvait jamais
rembourser ses dettes. Comme il était fort mal vu d'embaucher un homme sans
l'assentiment de l'employeur précédent et que le système excluait toute
discussion collective, l'ouvrier ne pouvait pratiquement pas débattre de sa
rémunération et n'avait aucun recours : longues journées de labeur, rétribution
irrégulière et versée en nature, besogne harassante et mal payée pour les
hommes, les femmes et les enfants, voilà ce que rapportait Je travail à
domicile. A ce propos, il est absurde de prétendre que c'est l'usine qui a
introduit le travail des enfants ; il se pratiquait depuis fort longtemps à
domicile. En révélant ses pratiques au grand jour, en montrant brutalement
qu'elle était l'assise même du profit capitaliste, l'usine choqua profondément
les philosophes,
Il
y a une différence fondamentale entre le travail des enfants en usine et à
domicile (sauf quand les parents étaient exceptionnellement obtus ou dans le
cas des apprentis miséreux souvent traités avec sauvagerie). Si, à la
manufacture, un apprenti, indigent lui-même, avait l'occasion de s'initier à un
métier qui lui permettrait finalement de s'établir à son compte, un enfant n'y
apprenait rien qui pût l'aider à se tirer d'affaire. On estima longtemps qu'un
homme digne de ce nom se déshonorait en y mettant sa progéniture. Les petits
pauvres que les asiles londoniens envoyaient dans le Nord pour épargner aux
contribuables les frais de leur entretien, étaient particulièrement vulnérables. Dès l'âge de sept ans, les enfants
devaient en usine besogner de douze à quinze heures par jour (ou par nuit), six
jours par semaine, « au mieux, à une
pénible tâche monotone, au pire, dans un enfer de cruauté », « Les doigts arrachés et les membres broyés
dans les engrenages ne se comptaient plus. ». Le salaire du contremaître
était fonction du travail qu'il pouvait tirer de ceux dont il était
responsable. Le Pr. Ashton fait preuve d'une singulière mansuétude quand il dit
de l’histoire de ces enfants qu'elle est « déprimante
». Les premiers méthodistes
convaincus des dangers de l'oisiveté pour des créatures marquées du péché originel,
ont eux aussi fait preuve d'une coupable
indulgence envers le travail des enfants. Leur attitude s'inscrivait
d'ailleurs dans un climat d'hostilité générale à tout divertissement, qui
contribua beaucoup à faire de l'âge de la révolution industrielle une époque
sinistre et desséchée.
Dans
l'optique des économistes, tout plaidait en faveur de l'usine, tellement plus
simple et rationnelle. II faut dire que le travailleur en chambre était souvent
astreint à des voyages interminables pour se procurer sa matière première et
vendre ses marchandises (un bonnetier de l'est des Midlands, par exemple, y
consacrait deux jours et demi par semaine). Les avantages de la concentration
qui débouche sur la spécialisation du travail sont évidents. La discipline s'acquérait
péniblement, certes, mais - comme dans toute économie peu évoluée - elle était
indispensable à l'augmentation de la productivité ; les salaires étaient payés
sinon ponctuellement, du moins plus régulièrement à la manufacture. Les crises
de surproduction étaient, croyait-on, peu probables, et la production massive,
dans l'industrie comme dans l'agriculture, permettait évidemment des économies
énormes.
Ce qu'on perdait avec l'usine et l'enclosure, c'était l'indépendance, la
diversité et la liberté dont avaient joui les artisans et les petits
exploitants ; l'ascétisme devenait de
rigueur, selon les Webb [5]. Au
ressentiment que suscitait la perte de l'indépendance, s'ajoutait la haine du
pouvoir absolu, incontrôlé, qu'exerçait le patron capitaliste sur son personnel,
surtout quand il payait les salaires, en totalité ou en partie, sous forme de
bons de crédit dont on ne pouvait obtenir la contre-valeur que dans une
boutique lui appartenant. Certains commerçants profitaient de leur monopole
pour imposer des prix exorbitants. Les rapports d'employeur à salariés,
écrivait le doyen Tucker au temps de George II, « s'apparentent à ceux qui lient planteur et
esclaves dans nos colonies américaines, beaucoup plus qu'on ne pourrait s'y
attendre dans un pays comme l'Angleterre ». Les termes « maître » et
« serviteur » qu'on trouve dans les actes concernant les relations
professionnelles résument les raisons de cette hostilité : un serviteur
était assujetti; il avait abdiqué les droits dont tout Anglais libre jouit dès
sa naissance, renoncé à l'héritage de plusieurs siècles d'histoire.
Les
nouveaux seigneurs de l'industrie devinrent bientôt aussi riches que les
banquiers, les marchands ou les gros propriétaires fonciers; mais ils n'avaient
aucunement ce sens des responsabilités, si infime fût-il, qui caractérisait de
longue date certains des terriens et chefs de grandes familles. L'argent était
le seul lien qui attachait le maître au serviteur. Le travail, l'un des
facteurs de production, devait coûter aussi peu que possible. «Augmenter les salaires est une erreur,
déclarait déjà le D Johnson, car les journaliers n'en vivent pas mieux
pour autant; ils deviennent simplement plus paresseux». En vertu de ces
commodes maximes, on dépouillait les
gens du lopin de terre qui jusque-là leur avait évité de mourir de faim en
période de chômage et leur avait laissé la possibilité de s'arrêter quand ils
n'avaient plus la force de travailler, notamment en cas de maladie. L'énorme
majorité des Anglais a dû voir une ironie combien cruelle dans la formule
lancée par William Hutton en 1780 « Tout
homme tient sa fortune entre ses mains. ». Ils avaient le sentiment non pas qu'on leur avait ouvert des portes
nouvelles, mais qu'on les privait de leurs anciens droits. Le jugement
prononcé par l'économiste Arnold Toynbee en 1884 garde toute son actualité «Plus nous examinons le cours réel des
choses, plus nous sommes stupéfaits des souffrances infligées bien inutilement
à la population. ».
Le
luddisme [6]' avant la lettre fut la réplique logique d'hommes libres qui, au temps du travail à façon,
avaient rarement possédé leurs propres outils et voyaient dans la concentration
des machines l'instrument de leur asservissement. Déjà à la fin du XVII°siècle,
les tisserands londoniens avaient fomenté des émeutes et mis en pièces les
métiers à ruban hollandais introduits par des Français ; des scies mécaniques
avaient été brisées à Londres en 1763 et 1767 ; détruire des métiers à bas
devint, en 1727, un crime passible de la peine capitale. John Kay vit, en 1751,
sa maison saccagée parce qu'il était l'auteur d'inventions économisant de la main-d’œuvre
et il dut fuir à l'étranger. En 1768, les fileurs de Blackburn démolirent les
«jennys » de Hargreaves; dix ans plus tard, on s'attaqua systématiquement aux
machines d'Arkwright. Les ouvriers illettrés ne furent pas les seuls à entrer
dans la danse. En 1755, Lawrence Earnshaw, qui avait mis au point une nouvelle
machine à filer le coton, préféra la
détruire plutôt que d'ôter aux pauvres le pain de la bouche. Le vent tourna
bien vite du reste. Au cours des années soixante, Arkwright n'est effleuré
d'aucun des scrupules humanitaires qu'a inspirés à Lewis Paul, trente ans plus
tôt, sa machine moins complexe.
Le
vandalisme sélectif dirigé contre des employeurs particulièrement détestés fut
une forme primitive de la contestation dans l'industrie. A ses débuts, le
mouvement ouvrier essaya d'abord de freiner, par le truchement du Parlement,
l'afflux de main-d’œuvre dans les usines en s'autorisant de la réglementation
élisabéthaine sur l'apprentissage. (« Chaque fois que le
législateur cherche à régler les différends entre patrons et employés,
lit-on dans Adam Smith, ce sont toujours les maîtres
qu'il prend comme conseillers.») Sa tentative ayant échoué, le
mouvement ouvrier se tourna vers la destruction organisée des machines. Ses
premières actions dans l'industrie se manifestèrent également par ce que le Pr
Hobsbawm appelle «la négociation
collective par l'émeute»; ainsi
les prix furent-ils remis en question à vingt- quatre reprises au cours de la
seule année 1766.
Les
travailleurs qui n'écoulaient plus directement leurs marchandises et devaient
laisser ce soin à leurs patrons en vinrent à s'intéresser davantage aux
salaires qu'aux prix de revient. Ils ne furent plus liés à l'employeur par le
souci de limiter la production et de maintenir les normes de qualité. Les
guildes cédèrent donc la place peu à peu à des organisations mieux armées pour
défendre les salaires et les conditions de vie de ceux qui n'avaient que leur
travail à vendre.
L'énorme
puissance de l'État et du patronat fut mobilisée pour empêcher la classe
laborieuse de s'organiser en vue de protéger sa position. En 1719, on interdit
aux ouvriers (mais non aux inventeurs) d'aller exercer leurs talents à
l'étranger. Une loi de 1726 réprime sauvagement les associations de
travailleurs : quatorze ans de déportation pour recours à la violence lors de
litiges professionnels, la mort pour la destruction délibérée de machines. En
revanche, les employeurs avaient le droit de s'unir « dans le
silence et le secret le plus absolu pour faire baisser les salaires
», dit Adam Smith. Ni les syndicats, ni leurs membres ne se hasardaient en
temps normal à poursuivre en justice les patrons qui payaient en nature, de
crainte de représailles. En 1719, quand les keelmen [7] de Newcastle débrayèrent pour obtenir une hausse de
salaire, on leur envoya pour toute réponse un régiment et un bateau de guerre.
L'année suivante, après une grève qui réunit à peu près 7.000 tailleurs
londoniens, le Parlement interdit les associations dans la profession ; en
1726, ce fut dans le tissage et la manufacture lainière, à la suite des émeutes
accompagnées d'actes de vandalisme qui éclatèrent dans l'Ouest ; en 1749, dans les
industries de la soie, du lin, du coton, de la futaine, du cuir et du fer
notamment ; enfin, en 1777, chez les chapeliers. En 1757, toujours après une
grève, on retira aux juges de paix le privilège de fixer les salaires dans la
draperie ; ceux-ci seront désormais établis au cours de « libres négociations » entre les parties. Par un retour inattendu des
choses, c'étaient les travailleurs et les consommateurs qui cherchaient
maintenant protection dans le système élisabéthain de réglementation des
salaires, des prix, des normes de production et des conditions d'apprentissage,
etc.. Les patrons et les intermédiaires préféraient le laissez-faire au contrôle des juges de paix qui les détestaient
farouchement et risquaient, par ailleurs, d'être sensibles aux pressions
locales. Nous trouvons là le fondement social du «radicalisme tory» évoqué plus
haut.
Les
employeurs pouvaient intenter des poursuites contre des syndiqués, pour
conspiration, et contre tout individu cessant le travail. Nous savons pourtant
que les ouvriers qualifiés et semi-qualifiés étaient groupés en associations
professionnelles déjà assez puissantes, souvent camouflées en clubs ou en
amicales, qui versaient des allocations en cas de maladie ou de décès; ainsi le
fonds de secours des keelmen de Newcastle créé en 1699 servit à construire un
hôpital ; les employeurs prétendirent en 1712 qu'il «était utilisé pour encourager les mutineries et les troubles parmi les
adhérents»[8]. On pourrait citer bien d'autres clubs qui, au début
du XVIII°siècle, appuyèrent les revendications salariales. Si les tisserands de
Spitalfields obtinrent une loi du Parlement protégeant leurs conditions de
travail et leur rémunération, c'est grâce à leur propre organisation et à
l'aide que leur apporta le lord-maire de Londres, un partisan de Wilkes. à suivre avec :Le droit à la paresse, 1880, par Paul LAFARGUE (extraits)
[1]
Au SEUIL, collection l’Univers historique, tome 1.
[2]
Gauche radicale prônant le suffrage universel, à l’époque de la révolution
cromwellienne (JPR).
[3]
Extrême-gauche communisante et rationalisante, même époque.
[4] Économiste anglais, 1707-1767.
[5] Époux, tous deux économistes et socialistes (Fabiens). Milieu XIX°-milieux XX°.
[6]
Luddisme : destruction de machines, du nom de Nel Lud qui brisa deux
métiers en 1779 (N. d. T.).
[7]
Keel signifie la quille d'un navire (N. d. T.).
[8] R. Howeli, op. cit., p. 292. Les
keelmen avaient fait grève dès 1654
pour une augmentation de salaire.
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