L'Allemagne en 1914 : réseau ferré et Weltpolitik.

publié le 14 juin 2013, 13:21 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 12 oct. 2016, 06:42 ]


    A. Voici un premier document : le réseau des grandes voies ferrées de l'Empire allemand en 1914. Il laisse deviner les relations croisées entretenues entre tous les États de l'Empire. Il y a quelques gigantesques nœuds ferroviaires : Berlin, Leipzig, Francfort, Munich...
    Bien entendu, il faut se souvenir que Bismarck avait rapidement compris le rôle du chemin de fer dans la mobilisation des troupes en cas de guerre1864, L’indicible question des duchés "danois"., comme Frédéric II avait compris le rôle des canaux et rivières dont il se servit pour transporter ces soldats (et Hitler utilisera les autoroutes...). Parfaitement conscients qu'ils devront se battre sur les deux fronts, les Allemands ont aménagé un réseau qui permet - et qui permettra effectivement - de passer des corps d'armée du front français au front russe -ou inversement - le plus rapidement possible.
    On peut aller de Königsberg (Prusse orientale) à Metz (Moselle), sans rupture de charge. De même entre Aix-la-Chapelle et Thorn sur la Vistule.
    Se souvenir également que les Russes ont construit un réseau dont l'écartement des voies diffère de celui du reste de l'Europe. Il y a donc nécessité de changer de wagons pour entrer dans l'empire russe.



   

    B. Le texte-document qui suit est extrait du cours de géographie de la classe terminale des lycées, section philosophie. Le manuel a été écrit par Gallouédec & Maurette, publié chez Hachette, en 1914. Le livre a été rédigé au cours du premier semestre de 1914. Il donne le/un point de vue français sur la puissance allemande. Les auteurs insistent sur la construction des voies ferrées par les Allemands. Il est vrai que, au programme du baccalauréat (programme de 1902), figuraient alors, en sus des "Grandes puissances du monde", "les grandes voies de communication". Les voies ferrées de la carte ci-dessus ont aussi pour fonction de relier chacun des ports allemands (dont Hambourg, berceau de la compagnie de navigation Hapag Lloyd) ainsi que Rotterdam et Anvers à l'arrière-pays de l'empire de Guillaume II. La politique mondiale de l’empereur -et des konzerns - ne peut se passer de ces outils : ports et voies d'acheminement (canaux et fleuves, voies ferrées).

    Il s’agit ici d’un document original de 1914 et non point d’un cours de 2013.

    J.-P. R.

 L’ALLEMAGNE PUISSANCE MONDIALE

 

L’impérialisme allemand et la "politique mondiale" sont nés des victoires politiques et économiques de l’Empire allemand et de 1'accroissement de sa population.

    Ils se manifestent 1°) par l’expansion du commerce allemand et la participation de L’Allemagne à toutes les grandes affaires du globe surtout en Asie 2°) par la constitution d'un empire colonial, surtout en Afrique 3°) par la constitution et le patronage de comptoirs et de "colonies" de sujets émigrés allemands, surtout en Amérique.

1. La politique mondiale

    "Weltpolitik" (politique mondiale) est un mot qu'inventèrent les théoriciens politiques allemands pour indiquer que l’Empire ne doit pas jouer un rôle politique et économique prépondérant seulement en Europe mais aussi dans le monde entier, par l’émigration des nationaux, la fondation de colonies, l'établissement de comptoirs commerciaux partout où il y a des matières premières à exploiter, des industries à créer, des produits à importer ou à exporter.

    Sans doute l’Allemagne a ses principaux intérêts en Europe : 1) son territoire est plus continental que maritime ; 2) de nombreux Allemands sont établis dans l'Europe centrale ; 3) sa puissance militaire est encore beaucoup plus terrienne que navale ; 4) elle fait plus de la moitié de son commerce avec l'Europe.

    Mais, de plus en plus, elle travaille à avoir hors d'Europe des comptoirs, des colonies, des groupes d’émigrants.

2. Les intérêts allemands hors d'Europe.

    L’Allemagne, enrichie par son industrie et par son commerce, commence à offrir, comme l’Angleterre, la France et les États-Unis, l’aide de ses capitaux (sic) aux pays lointains et encore arriérés, qui s’efforcent d'acquérir un outillage moderne : voies ferrées, ports, usines, etc…

    Son effort dans ce sens, s’il agit partout, a surtout réussi en Asie : en Chine, (principalement dans la Chine du Nord), où les Allemands ont construit une partie des chemins de fer et outillé un des plus grands ports, Kiao-Tchéou [1] ; en Asie turque, où ils construisent le Transasiatique, de Scutari [2] à Bagdad (voir Conclusion).

    (Et dans cette conclusion, on peut lire :) Ce chemin de fer transasiatique, part de Scutari en Asie Mineure, traverse cette péninsule et est construit jusqu'à Alep. De là, il doit se continuer sur Bagdad, puis jusqu'au golfe Persique. Il contribuera au développement économique de l'Asie turque, comme les précédents ont contribué au développement de l'Asie russe; il constituera, d'autre part, une route vers l'Inde plus courte que la voie maritime par Suez.

3. Les colonies allemandes hors d'Europe.

        L’empire colonial de l'Allemagne, de fondation très récente, est assez étendu (2.600.000 km2), mais très peu peuplé (12 millions d’hab.).

        Les principales colonies sont en Afrique : Togoland, Cameroun, Afrique orientale allemande (Tanganyika - Tanzanie), Sud-Ouest africain (Namibie). Autres colonies : en Océanie, la Terre de l’Empereur Guillaume[3], les îles Bismarck et Salomon, les Carolines, les Mariannes et les Samoa; en Asie, Kiao-Tchéou.

        La plupart de ces colonies servent moins à l'Allemagne de territoires d'exploitation que de points d'appui éventuels pour sa flotte ou de comptoirs commerciaux et d'escales pour les grandes lignes de navigation. Mais deux des territoires africains sont déjà des colonies de rapport (sic). Ce sont :

        1° La colonie du Cameroun. (…).

(dont) La région congolaise, au Sud, acquise sur la France en 1911, arrosée par l'Oubangui et la Sanga, affluents du Congo ; région basse, chaude et humide, couverte par la forêt vierge et riche en caoutchouc.

Outre ces produits, cette colonie présente l'avantage d'ouvrir, grâce à ses rivières navigables, que les Allemands sont en train de réunir par des tronçons de voies ferrées, une voie commerciale vers l'intérieur du riche Congo Belge (V. ci-dessus, p 186). Principal marché : Douala.

2° La colonie de l'Afrique Orientale Allemande.

Située à l’Est de l'Afrique Équatoriale, elle comporte trois régions : (…). 

Outre ses produits, cette colonie présente l'avantage d'ouvrir, dès aujourd'hui, grâce à un chemin de fer (achevé en 1914) entre le port de Dar es Salam et le lac Tanganyika, la voie commerciale la plus courte vers la riche région minière du Katanga (Congo belge, JPR).

4. Les émigrants allemands hors d’Europe

    JPR. : Ce chapitre énumère "les pays qui attirent le plus les Allemands". Il fait double emploi avec la lecture complémentaire proposée aux élèves de Terminale-philosophie, lecture que je reproduis in extenso.

Lecture

    La plus forte colonisation allemande se fait en dehors des colonies.

     L’Allemagne n’a eu d’ambition coloniale qu'après avoir réalisé son unité politique et nationale, c’est-à-dire depuis la dernière partie du dix-neuvième siècle. Or, déjà à cette époque, l'Angleterre, la France et plusieurs autres puissances avaient constitué des empires coloniaux étendus et florissants. L’Allemagne dut donc se contenter des pays, généralement de valeur assez médiocre, qui restaient disponibles. Si l’Allemagne a quelques colonies d’exploitation qui peuvent lui rendre de grands services, elle n’a pas de colonies de peuplement. De là, l’importance de l’émigration allemande à l’étranger.

    Cette émigration se fait volontiers en groupes. Dans le Wisconsin, aux États-Unis, les Allemands forment un tiers de la population totale ; certaines villes comme Milwaukee ont une majorité d’Allemands ; à Chicago, à Saint-Louis, les Allemands sont assez nombreux pour donner à certains quartiers une sorte d’apparence teutonne. Dans le sud du Brésil, des villages entiers, à noms de consonance germanique, Blumenau, Teutonia, Annaburg, Badenfurt, Hamburgerber, sont constitués par des Allemands. La ville de Porto Alegre en contient plus de 70.000 (sur une population de 100.000 hab.).

    Cette immigration est une vraie colonisation. Jadis, les Allemands défendaient mal leur nationalité et se fondaient re1ativement vite dans la masse de la population au milieu de laquelle ils s’établissaient. Aujourd’hui, et surtout depuis l’accroissement du prestige de l’Allemagne dans le dernier tiers du XIX° siècle, ils se défendent mieux contre cette absorption. Même en se faisant naturaliser citoyens du pays où ils se fixent, ils restent Allemands. Ils se groupent en communautés ayant leurs administrations, leurs écoles, leurs journaux. Ainsi ils gardent leur langue, leurs usages ; ils restent en contact avec la mère-patrie, pour l’industrie et le commerce de laquelle ils sont des pionniers intelligents, de véritables rabatteurs.

fin de citation du manuel de 1914.

 NB. Ce aspect des choses est fortement souligné par le général Von Bernhardi dans livre écrit à peu près au même moment ; "Notre avenir" par le général**** von Bernhardi (1912), préfacé par Clemenceau (1915) 

lire aussi : XIX° siècle, le train : railway mania, impérialisme et guerre mondiale



[1] JPR ; Transcription actuelle : Kiautschou. Il s’agissait, en réalité d’un comptoir allemand où les Allemands purent construire des voies ferrées dans un rayon de 50km. Le port, stricto sensu, s’appelle aujourd’hui Qingdao (où ce site a un lecteur que je salue au passage).  

[2] JPR : Autrefois connu sous le nom de Scutari, Üsküdar est un des trente-neuf districts de la ville d'Istanbul en Turquie, situé sur la rive asiatique.

[3] La Terre de l'Empereur-Guillaume, en allemand Kaiser-Wilhelms-Land, était le territoire situé dans le nord-est de la Nouvelle-Guinée allemande (aujourd'hui en Papouasie-Nouvelle-Guinée) qui appartint jusqu'en 1914 à l'Empire colonial allemand (Wiki).




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