Quelques flashes depuis Vizille...

publié le 18 août 2011, 12:18 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 10 juin 2017, 02:05 ]

    Chacun sait que le château de Vizille (38) abrite le musée départemental de la Révolution française. C’est une excellente escale de vacances.

    C’est avec émotion que j’ai vu que les bibliothèques personnelles d’Albert Soboul, de Jacques Godechot et de J.-R. Suratteau [1] ont abondé le centre de documentation du musée[2]. On se prend à rêver devant ce trésor intellectuel que représente cette masse d’ouvrages qu’ont manipulés ces immenses historiens. Hommage.

    Un tableau m’a singulièrement ému, c’est celui d’Auguste Couder (1790-1873) représentant le Serment du jeu de paume. Sont-ce les dimensions du tableau ajoutées à la proximité où se tient le spectateur ? Est-ce la distinction sacrée qui habite chaque jureur en ce moment si solennel et que l’artiste a bien rendue ? En tout cas, on est rempli de l’histoire de France et de l’Histoire tout court en regardant ces hommes s’engager de la sorte dans ce qui aurait pu n’être qu’une aventure et qui se termina ,grâce à leur détermination, en épopée. Ainsi qu’on peut le lire dans le dictionnaire Soboul, "le serment a joué un rôle essentiel, permanent et constitutif au cours de la Révolution française (…)". Les révolutionnaires étaient fascinés par l’antiquité romaine. "Les serments prêtés à Rome par les magistrats, les soldats et les citoyens sont conçus comme des rites d’intégration à la collectivité publique, différents par là à des serments d’homme à homme, piliers de la société féodale". Si l’on entre dans la polémique (voir à ce sujet mon article en 2 parties serment du jeu de paume et salut nazi, du pareil au même ?), on croira plutôt que c’est le lien d’homme à homme qui aurait créé les conditions, parmi d’autres, de l’éclosion du nazisme lequel exploita l’esprit de soumission, toujours en sommeil dans les sociétés d’exploitation. Le nazisme hitlérien pose pour principe que la société est une pyramide de chefs, que "le chef détient une autorité incontestée (…), que partout le chef est institué par le chef immédiatement supérieur ». Le serment révolutionnaire est, au contraire, l’adhésion à un principe universel (ici, l’idée que tout pays a besoin d’une constitution écrite) et un engagement libre à faire triompher collectivement ce principe. La soumission à une constitution démocratiquement établie et adoptée est l’antithèse du nazisme qui dit textuellement (article 2 de la loi du 24 mars 1933) "les lois édictées par le gouvernement peuvent s’écarter de la constitution du Reich". Autrement dit, il n’y a plus de constitution, c’est l’arbitraire total.

    Poursuivant ses âneries, l’auteur du livre dont je parle, évoque "Ce geste fasciste par excellence, qu'est le salut la main tendue" ; ayant cela en tête, j’observais le tableau de Couder et l’on voit très nettement Mirabeau tendre le bras comme… Comme un fasciste ? Je suis toujours déconcerté par la capacité des révisionnistes à dire n’importe quoi pour rabaisser notre révolution.


    Le musée consacre une large place, trop large à mon goût, à Marie-Anne-Charlotte de Corday d'Armont, l’assassin de Marat-l’ami du peuple. Il est vrai que le musée est aussi le musée de l’histoire de l’histoire de la Révolution. Il montre les perceptions différentes, multiples, que chaque période de notre histoire a eues sur la Révolution. Charlotte Corday a eu des périodes de réhabilitation (et elle a des laudateurs comme Onfray), J.-P. Marat -après avoir été admis au Panthéon- a été dénigré II. MARAT, l’Ami du peuple…et si on le constate moins aujourd’hui, c’est parce que c’est la figure centrale de Robespierre qu’il faut démolir. Le tableau de la mort de Marat, fût-il une copie, est toujours bouleversant.


    Copie aussi de l’œuvre d’Isidore Pils (1849) est le tableau représentant Rouget de l’Isle chantant pour le maire de Strasbourg le chant de guerre de l’Armée du Rhin. La fiche du musée nous signale que Dietrich -le maire- voyant affluer vers sa ville l’immense troupe des volontaires pour défendre la patrie en danger, regretta qu’il n’y eût pas une œuvre qui marque ce moment grandiose et dramatique de notre histoire. Ces paroles arrivèrent jusqu’à un officier qui était également chanteur et compositeur : Rouget de l’Isle. Ce dernier travailla la nuit et sortit ce chant de guerre, qui sera immortalisé par les Parisiens enthousiastes, voyant arriver les volontaires marseillais chantant à gorges déployées le chant qui prit leur nom.

    Cette scène est excellemment rendue dans le film du même nom réalisé par Renoir en 1936 à l’occasion du Front Populaire. "La Marseillaise" de Jean RENOIR (1938) produite par la CGT

    Et cela me fait rebondir sur ce qu’à dit Jean-Luc Mélenchon, à Avignon, lors du festival de cet été. Loin de souhaiter la gesticulation des brandisseurs de pancartes à son nom, Mélenchon souhaita que chaque artiste, écrivain, musicien, homme ou femme de théâtre, etc... s’empare de l’évènement et crée une œuvre originale qui témoignerait à sa façon et à sa mesure, de l’aventure du Front de gauche. Que se lèvent de nouveaux Rouget de l’Isle !

    Diable, direz-vous, la Révolution, le Front populaire, le front de gauche ? Êtes-vous sûr que tout cela est du même gabarit ?

    Qu’en savons-nous ? Aujourd’hui, sans doute, le Front de gauche semble un peu gringalet -surtout comparé à ses aînés- mais il sera ce que nous en ferons. Les jureurs du jeu de paume savaient-ils qu’ils allaient contribuer à transformer le monde dans son entier ?

    Amis, citoyens, entrons dans la carrière…nos aînés n’y sont plus et nous y appellent.    



[1] J.-R. Suratteau, outre ses multiples travaux, a mené au bout, avec son équipe, la confection et la publication du célèbre dictionnaire SOBOUL sur la Révolution française (sorti en 1989 aux P.U.F.).

[2] Auxquelles s’est ajoutée récemment celle de Roger Barny.

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