B. serment du jeu de paume et salut nazi, du pareil au même ?

publié le 4 juil. 2011, 05:18 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 15 sept. 2016, 15:30 ]

    Que peut-on tirer d’un texte pareil ? A.serment du jeu de paume et salut nazi, du pareil au même ?

1) "Ce geste fasciste par excellence, qu'est le salut la main tendue, n'est-il au fond pas né à Gauche ? "

    Selon notre auteur, la gauche est née avec la Révolution française. Comment se saluaient les sans-culottes qui s’adressaient les uns aux autres, en se tutoyant « citoyens ! » ? Dans le Père Duchesne, organe des hébertistes très lu par les sans-culottes, on lit : « quand il a bien travaillé le jour, le Sans-culotte va se reposer, le soir, à la section et lorsqu’il paraît au milieu de ses frères, l’un lui tend la main, l’autre lui frappe sur l’épaule en lui demandant comment va la joie ». Notez bien que le journal écrit « l’un lui tend la main » … c’est peut être un salut fasciste ? qui sait ?

2) "N'a-t-il pas procédé d'abord de ces votes à main levée dans les réunions politiques du parti, avant d'être militarisé ensuite par le raidissement du corps et le claquement des talons - militarisé et donc, par là, droitisé,"

    De quel parti politique parle notre Olibrius ? Il semble s’agir du parti nazi…Mais les nazis ont été immédiatement des gens militarisés, au sein des corps-francs. La force physique a toujours été leur premier argument. Quant au raidissement du corps et au claquement de talons, cela remonte au moins à l’armée de Frédéric II de Prusse. En parcourant le net, j’ai trouvé cet extrait d’un récit : « Le lieutenant Dieter Joseph von SchulenBuch ne put qu'admirer la précision des soldats lorsqu'ils s'intercalaient, se contournaient, se faisaient face puis demi-tour droite ! Sans aucune variation d'expression, la nuque droite, chacun prenait la place d'un autre avec force claquements de talons »[1]. (La scène se passe en 1800).

    Un historien très sérieux, H. Brunschwig, nous dit que lorsqu’ils entraient dans le bureau d’une administration, les nobles de Prusse y "faisaient sonner leur particule". Dans le verbe sonner on entend aussi bien le nom à rallonge avec les Von et und que le claquement de talons. Et Brunschwig parle de la fin du XVIII° siècle.

    Quant au vote à main levée, nous sommes ici dans la sottise absolue.

    Sur le vote à main levée à Athènes, cliquez sur ce lien :  (malheureusement disparu, JPR)

    Ce qui est confirmé par le petit livre bien pratique de Dominique Vallaud [2]. L’auteur raconte le déroulement d’une assemblée générale (AG) des citoyens qui se tient sur la Pnyx : l’ Ecclésia. "Le président de l’ Ecclésia demande alors si les citoyens sont d’accord sur ce projet ou s’ils veulent le discuter. Des milliers de mains se lèvent à la seconde proposition ; les débats vont pouvoir s’engager" (p.55). Et encore "le président met alors aux voix le projet qui est voté à mains levées et approuvé à une large majorité" (p.64).

    Il va donc falloir rectifier notre jugement. Nous qui croyions que la Grèce fut la matrice de notre démocratie occidentale, il faudra admettre qu’elle créa les conditions de la genèse du nazisme.

    Mais l’olibrius, objectera-t-on, parle de la prestation de serment. La prestation de serment est quelque chose de très sérieux au Moyen âge. Il est né avec le mouvement communaliste -les villes créent des "communes" contre leur seigneur laïc ou ecclésiastique- et en leur sein les métiers sont organisés par des patrons qui prêtent serment. "Les métiers jurés, (sont des) associations dont les membres liés par serment, se donnent eux-mêmes leurs statuts, les font respecter, et qui sont plus fermés que les suivants (on les trouve surtout dans le nord de la France). Au XIIe siècle, l’église manifeste de grandes réticences devant un type d’organisation sociale qui perturbe l’ordre établi. Cette hostilité de principe accompagne les réserves faites par bien des clercs à l’encontre du mouvement communal. Le métier est «juré» ce qui veut dire qu’on y entre par un serment qui rappelle la «conjuration»[3], le serment mutuel constitutif de la commune"[4]. Peut être est-ce là une des raisons de l’hostilité de notre révisionniste : il est aussi théologien et son inconscient n’a pas digéré ce mouvement communaliste dont les revendications de liberté ont porté les premiers coups à l’Europe-chrétienne-sans-couture.

    Mais cette prestation de serment des conjurés communalistes du Moyen âge a été une des premières pierres à l’édification de nos libertés. Comme le serment du jeu de paume a été le premier pas vers la rédaction de notre première constitution écrite alors que chez les nazis, il n’y avait pas de constitution.

    Ces grossièretés trouvèrent cependant des éditeurs. Et en page 4 de couverture on peut lire cette prose :

    Il faut partir de la révolution française pour comprendre l'épanouissement du nazisme en Allemagne (on peut être éditeur et écrire n’importe quoi. Cette liberté est un acquis de la Révolution française pas du nazisme, JPR) et, hélas, son invraisemblable postérité. Cette thèse, iconoclaste, (l’auteur) la démontre, grâce à une érudition époustouflante et une plume allègre, (tout est bon pour vendre sa camelote) dans un livre qui fera date. (Si ce livre fait date, c’est que les révisionnistes l’auront emporté sur les adeptes de la Révolution. Ce sera le retour au traditionalisme, JPR).

    C'est en effet la Révolution qui a séparé la Gauche de la Droite, (cela est très contestable. Emmanuel Leroy Ladurie voit dans le protestantisme du XVI° la première gauche, et le mouvement communaliste du XII° siècle est également de « gauche » selon moi, JPR) créant ainsi dans toute l’Europe une déchirure politique qui malgré l’œuvre unitaire de Bismarck, n'était en fait à la veille de 1914 pas plus surmontée en Allemagne qu'en France (que veut dire cette phrase ?). La défaite de 1918 refusée et même niée par beaucoup, a porté à vif la déchirure allemande.

    Parce qu'il prétendait réconcilier une valeur de Droite, le nationalisme avec une valeur de Gauche, le socialisme le nazisme s'est offert aux Allemands comme la solution paradoxalement centriste (…). Et oui, Hitler était un homme du centre…

 

    En fait, pour comprendre notre olibrius, il faut faire un peu de psychanalyse. Dans les remerciements qu’il place en queue d’ouvrage, il remercie plein de monde et, de façon ironique, il remercie surtout les étudiants de son université, qui ont dû lui en faire voir de toutes les couleurs, des vertes et des pas mûres ; qui ne cessaient d’organiser des AG, oui, oui des AG, où l’on votait, devinez comment ?

    Oui : à mains levées !!

    Voilà comment se termine ce livre qui fera date : par un minable règlement de compte.

    « Guevaras d’amphithéâtre, pasionarias de sous-préfecture, petits apparatchikis syndicaux, quelle n’est pas ma dette envers vous ? (…) or ces révolutions au petit pied permettent à qui le veut bien d'observer, pour ainsi dire in corpore vili, les phénomènes qui se déchaînent dans les grandes, et qui les font passer du sublime initial au su blême totalitaire : la déchirure du contrat social par une minorité mécontente, l'abdication lâche ou complice des autorités en place, la vacance de la légitimité, la polarisation de la vie publique entre une Gauche qui approuve le coup de force et une Droite qui s'y oppose, jusqu'à l'instauration de cette ambiance de guerre civile et de lynchage des minoritaires qui précède immédiatement l'élection du meneur charismatique. Ainsi suis-je sans doute arrivé (dans mon université) avec quelques idées préalables sur ces questions, mais la vérité m'oblige à dire qu'en matière de totalitarisme, c'est avec les enseignants et les étudiants de la Faculté des Lettres que j'aurai pratiquement tout appris ». Évidemment, s’il leur balance à longueur d’année des insanités pareilles, je comprends la réaction outragée des étudiants et des collègues républicains.

    Cher monsieur, on n’apprend pas tout dans les livres. Vos ancêtres durent aller à Coblence pour savoir où c’était.

J.-P. R.

voir aussi :

Quelques flashes depuis Vizille...



[2] La vie quotidienne à Athènes au siècle de Périclès, Hachette, 1986.

[3] "Quel est le but capital de cette «conjuration» ou «communion» que font au douzième siècle les bourgeois de telle cité ? Certes, il est bien restreint. Le but est de s'affranchir du seigneur. Les habitants, marchands et artisans, se réunissent et jurent de ne pas permettre à «qui que ce soit de faire tort à l'un d'entre eux et de le traiter désormais en serf» ; c'est contre ses anciens maîtres que la Commune se lève en armes. «Commune, dit un auteur du douzième siècle (il s’agit de l'abbé Guibert de Nogent, JPR) cité par Augustin Thierry, est un mot nouveau et détestable, et voici ce qu'on entend par ce mot : les gens taillables ne payent plus qu'une fois par an à leur seigneur la rente qu'ils lui doivent. S'ils commettent quelque délit, ils en sont quittes pour une amende légalement fixée ; et quant aux levées d'argent qu'on a coutume d'infliger aux serfs, ils en sont entièrement exempts». " Pierre Kropotkine La Brochure Mensuelle N° 180 - Décembre 1937 (Wikipaedia).

[4] http://www.guichetdusavoir.org/ipb/index.php?showtopic=41715 (avec références bibliographiques)

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