Certains vont croire que j’exagère à vouloir à tout prix chercher des titres racoleurs pour attirer le chaland. Et pourtant, il existe des historiens révisionnistes - c’est-à-dire ceux qui, suivant la porte ouverte par Isaiah Berlin en 1952, affirment que la Révolution française fut la mère du totalitarisme[1] - des historiens révisionnistes qui réussissent à écrire des phrases où ils mêlent le Serment du jeu de paume et le salut hitlérien. Comment font-ils ? Il faut avoir comme eux une pensée tortueuse, torturée, retorse, maligne, perverse pour comprendre. Comme je pense ne pas en être, je n’affirmerai pas que j’ai tout compris dans ces discours abracadabrantesques. Je suis en effet tombé sur le livre d’un olibrius et je ne me suis toujours pas relevé. Commençons par le commencement. Le 20 juin 2011, sera fêté par les amis de la Révolution l’anniversaire du serment du jeu de paume juré par nos députés du Tiers Etat le 20 juin 1789. Voici une narration classique de l’évènement. Classique c’est-à-dire qui "se dit des auteurs qu’on lit dans les classes, dans les écoles ou qui y ont grand autorité" selon Antoine Furetière dans son Dictionnaire universel de 1690[2].
20 JUIN 1789 A VERSAILLES, LE SERMENT DU JEU DE PAUME. Par Philippe de Carbonnières, Chargé des collections révolutionnaires au musée Carnavalet.
En juin 1789, les états généraux ouverts depuis le 5 mai sont dans une impasse, malgré l'immense espoir qu'ils ont suscité. A aucun moment Louis XVI n'a renoncé à la moindre parcelle de souveraineté, désirant avant tout que les états votent de nouveaux impôts pour combler le déficit. Certes, il a accordé le doublement des représentants du tiers état (600 contre 300 pour chacun des ordres privilégiés) mais il a maintenu le vote par ordre, ce qui réduit cette mesure à néant, clergé et noblesse étant dominés par les conservateurs ; alors que le tiers revendique le vote par tête, beaucoup plus propice aux réformes, puisqu'une bonne partie du clergé et une quarantaine de nobles sont favorables aux « idées nouvelles ». En attendant, l'opposition des deux premiers ordres bloque la situation, et empêche le travail de commencer. Les représentants du tiers (qu'on appelle aussi les « Communes ») vont réagir : le 13, ils somment les deux ordres privilégiés de les rejoindre et, devant leur refus, le 17, les Communes se proclament Assemblée nationale dans la salle des Menus-Plaisirs à Versailles. C'est le véritable commencement de la révolution. Les représentants des « 96 centièmes de la nation » passent du statut d'humbles sujets, délégués de leur ordre et de leur région, à celui de députés de la nation. Cette Assemblée décrète aussitôt qu'elle seule peut consentir à la levée de nouveaux impôts, et bientôt elle se déclarera inviolable. Cette autoproclamation suscite un grand enthousiasme, et fait tache d'huile puisque les trois cinquièmes du clergé et plusieurs dizaines de gentilshommes se disent prêts à rejoindre l'Assemblée. Elle provoque aussi la réaction de la Cour, les éléments les plus réactionnaires - derrière la reine et le comte d'Artois - persuadent le roi de dissoudre cette institution «illégitime». A cette fin, on prévoit une «séance royale», et sous le prétexte de préparer la salle, on la fait fermer arbitrairement. Au matin du 20 juin, les députés trouvent donc porte close, gardée par des soldats. C’est alors qu'un député charentais, le Dr Guillotin, suggère de se réunir dans une salle toute proche consacrée au jeu de la paume, ancêtre du tennis. Dans cette pièce nue, on dresse avec quelques tréteaux une table pour les greffiers, et c'est debout sur ce bureau de fortune que l'astronome Bailly, président, va lire le texte du fameux serment. Les députés y jurent «de ne jamais se séparer et de se rassembler partout où les circonstances l’exigeront, jusqu’à ce que la Constitution du royaume soit établie et affermie». Un seul député du tiers, Martin d'Auch, refusera de signer comme les autres, et si son geste (motivé par un souci de légalisme envers le roi) choquera d'abord ses collègues, on enregistrera cependant son opposition afin de respecter la liberté d'opinion. Même s'il n'est pas dirigé contre le roi, le texte du serment est fondateur de la nouvelle souveraineté, dont la légitimité ne tient pas à un lieu car « là où (seront) réunis ses députés, là est l'Assemblée nationale ». Le geste du serment est emblématique. Il implique chacun et fédère les énergies individuelles. Tout imprégné d'histoire romaine - quatre ans plus tôt, David avait peint le Serment des Horaces[3] prêts à mourir pour l'intérêt général -, il engage l'avenir. Enfin, cet acte grandiose aura une immense répercussion, dont témoignent la presse de l'époque et une abondante iconographie[4]. Le pouvoir ne pouvait tolérer un tel acte il d'indépendance. Le 23 juin, Louis XVI, «regonflé » par les « faucons » de son entourage, prononce devant les 1200 délégués des Etats généraux un discours très ferme. Il y déclare nulle l'autoproclamation du 17, indiquant que lui seul est habilité à promouvoir des réformes, leur ordonnant enfin de délibérer séparément. Il se retire, suivi par la majorité du clergé et de la noblesse. Après son départ, les députés restent en séance, plus pour affirmer leur souveraineté que pour braver son autorité. A la sommation, par le maître des cérémonies, d'évacuer la salle, ils répondront avec dignité et panache. La flamboyante réplique de M. de Mirabeau - noble, mais élu du tiers - sur la volonté du peuple et la force des baïonnettes, a un peu éclipsé celle de Bailly, qui résume tout : « La nation assemblée n a pas d'ordres à recevoir». Devant une telle détermination, et malgré les baïonnettes dont il dispose, Louis XVI va céder. A l'annonce de la résistance des députés, il déclarera : « ils veulent rester ? Eh bien foutre, qu'ils restent! ». Dans les jours qui suivent, la majorité du clergé et 47 nobles se réuniront à l'Assemblée, et le roi finira par ordonner aux autres de la rejoindre définitivement. Soulignons pour finir que, durant
ces journées cruciales, le peuple de Paris et de Versailles a manifesté son
soutien à l'Assemblée. II est certain que cette adhésion a fortifié la
résolution de celle-ci. Lorsque, trois semaines plus tard, la réaction pointera
de nouveau, c'est le peuple qui prendra le relais des députés menacés, et qui
fera avancer la Révolution[5]. Fin de citation Le délire. Dans un ouvrage dont je tairai le nom, ne voulant pas lui faire la moindre publicité, un universitaire entreprend de nous montrer que les racines du nazisme sont à chercher du côté de notre Révolution. A un moment donné, il s’attache à la signification du vote à main levée et il écrit ce qui suit : « Le spectacle de ces militants nazis, levant la main pour voter à l'unanimité le programme de leur parti, oblige d'ailleurs à soulever, in fine, une question troublante, dont l'étude exhaustive exigerait, du reste, qu'on s'attelle enfin à une histoire sans préjugés de la gestuelle nazie. Ce geste fasciste par excellence, qu'est le salut la main tendue, n'est-il au fond pas né à Gauche ? N'a-t-il pas procédé d'abord de ces votes à main levée dans les réunions politiques du parti, avant d'être militarisé ensuite par le raidissement du corps et le claquement des talons - militarisé et donc, par là, droitisé, devenant de la sorte le symbole le plus parfait de la capacité nazie à faire fusionner, autour de Hitler, valeurs de la Gauche et valeurs de la Droite ? Car il y a bien une autre origine possible à ce geste, qui est la prestation de serment le bras tendu ; mais elle aussi est, en politique, éminemment de Gauche, puisque le serment prêté pour refonder, sur l'accord des volontés individuelles, une unité politique dissoute, appartient au premier chef à la liste des figures révolutionnaires obligées, dans la mesure même où la dissolution du corps politique, afin d'en procurer la reconstitution ultérieure, par l'engagement unanime des ex-membres de la société ancienne est l'acte inaugural de toute révolution. Ainsi s'explique que la prestation du serment, les mains tendues, ait fourni la matière de l'une des scènes les plus topiques de la révolution française - et donc aussi, qu'on voie se dessiner, derrière le tableau par Hitler du meeting de fondation du parti nazi, celui, par David, du Serment du Jeu de Paume ». Si vous vomissez, dîtes-vous que vous êtes un homme ou une femme normal(e). Fin de la 1ère partie, à suivre.B. serment du jeu de paume et salut nazi, du pareil au même ? PS. lire aussi Quelques flashes depuis Vizille. [1] Qu’il soit hitlérien ou stalinien, peu leur importe. [2] Trouvé dans l’encyclopédie Wikipaedia. [3] Lesquels ont le bras tendu et levé : posture typiquement fasciste dirait notre olibrius. [4] Dont, bien entendu, le célébrissime tableau de David. [5] Bibliographie : Ph. de Carbonnières, la Révolution, Musée Carnavalet, Paris-Musées, 2009,12 euros (illustré). M. Biard (sous la direction de), la Révolution française, une histoire toujours vivante, Editions Tallandier, 2009, 27 euros. |