Il convient de faire une place au 70° anniversaire du lancer de bombe atomique sur Hiroshima, le 6 juillet 1945, et sur Nagasaki, le 9. Je vous invite à regarder ce remarquable documentaire élaboré par Kenichi Watanabe et diffusé par France3, il y a quelque temps : http://www.dailymotion.com/video/x1b364r_de-hiroshima-a-nagasaki-1_news http://www.dailymotion.com/video/x23bfld_la-face-cache-d-hiroshima-2-2_news
Les Américains ont envisagé très tôt de fabriquer une bombe atomique. Cela en réponse à un projet d’Hitler. L’invasion de la Tchécoslovaquie a permis aux Nazis de faire main basse sur la seule mine d’uranium existante en Europe et, dès lors, le risque était manifeste. Le président Roosevelt répond favorablement à des scientifiques réfugiés aux Etats-Unis et charge le général Leslie Groves de coordonner l’action des acteurs : les scientifiques, les industriels et les militaires. Tout cela dans le plus grand secret : même le vice-président des Etats-Unis (Garner puis Wallace) est tenu éloigné du projet qui prendra le nom de code de "Manhattan". Tous les acteurs sont tenus au plus grand secret. Truman, élu vice-président avec Roosevelt en novembre 1944, président après la mort de ce dernier en avril 45, découvrira ce projet dans le fameux bureau ovale. Ce projet exigea des moyens humains et financiers colossaux. Deux milliards de dollars, valeur 1945. Le Royaume-Uni avait lui-même amorcé ses recherches. Au premier rang des combats, comme l’on sait, il ne peut mener à bien ce projet et Churchill décide de fondre ses forces, dirigées par la commission MAUD, dans le projet Manhattan : "L'accord de Québec, signé le 19 août 1943, transfère dans des conditions léonines le résultat des travaux britanniques aux États-Unis alors que s'amorce le projet Manhattan, le seul qui se concrétise parmi les belligérants avant la fin de l'année 1945" selon Wikipaedia. La présence du Canada s’explique d’une part par sa filiation avec l’Angleterre mais aussi par sa richesse en uranium. La bombe d' Hiroshima et celle de Nagasaki aussi bien sûr, pose la question de son utilisation : fallait-il vraiment lâcher cet engin de mort ? et celui de la publicité à faire pour la population mondiale afin de la rendre juge. Le documentaire que j’ai cité est à cet égard essentiel pour comprendre. D’abord, le Japon n’était pas le destinataire final de l’objet de morts. C’était l’Allemagne nazie. Or, en 1944, arrivant à Strasbourg, les Alliés découvrent dans les laboratoires de l’université qu’il n’y a aucune recherche en cours. Les Allemands ont tout arrêté, se fixant sur le pétrole du Caucase à partir de 1941, puis sur les fusées. De plus, la fulgurante progression soviétique fait que les Allemands cessent le combat le 8 mai 1945 : la bombe n’est pas prête. Deux raisons qui auraient dû, déjà, arrêter les travaux. Mais le Japon offre une terrible résistance. Pourquoi ne pas essayer sur l’archipel ? car il s’agit bel et bien d’une expérimentation à taille réelle, sur des populations civiles et militaires. Depuis plusieurs mois, le Japon est soumis à des bombardements "classiques" intenses, 70.000 morts sont dénombrés à Tokyo, seule. Le pays est totalement isolé du reste du monde, sa flotte navale est parfaitement maîtrisée par les Américains. Or, le Japon ne peut pas vivre sans échanges extérieurs, son asphyxie économique n’est qu’une question de temps. Par ailleurs, et cela inquiète beaucoup Truman qui n’est pas sur la même ligne politique que feu F.D. Roosevelt, les Soviétiques attaqueront le Japon dès le 8 août, comme convenu à Yalta. Y-aura-t-il un Japon du nord occupé par l’Armée rouge et un Japon du sud occupé par les Américains ? Comme Truman peut le voir concrètement en Allemagne entre l’Est et l’Ouest ? A Potsdam, Truman aimerait bien avoir la bombe à ses côtés pour taper du poing sur la table si Staline élève trop la voix. "Pour le test, les scientifiques désiraient une bonne visibilité, un faible taux d'humidité, des vents faibles à basse altitude et des vents orientés à l'ouest à haute altitude. Des conditions optimales furent prévues entre le 18 et le 21 juillet mais la conférence de Potsdam devait débuter le 16 et le président Harry S. Truman voulait que l'essai ait lieu avant. Le test fut donc planifié pour le 16 juillet au moment où tous les éléments de la bombe devenaient disponibles". A ce niveau signalons, une initiative diplomatique japonaise, le 15 juillet 1945. Via leur ambassade à Moscou, les Japonais font savoir qu’ils sont prêts à accepter l’arrêt des combats à la seule condition que les Alliés suppriment l’expression « capitulation sans condition », jugée trop douloureuse pour l’honneur impérial. Une entente était dès lors possible, il suffisait d’écrire que le Japon accepte l’armistice à la condition que Hiro-Hito reste en place, et le tour était joué. Mais, tout un cénacle voulait l’explosion : trop de travail depuis trop d’années, il faut savoir si « ça marche » ; trop d’argent, le Congrès des Etats-Unis a besoin de savoir où est passé cet argent qui est dissimulé dans le budget de l’Union… Le tir a lieu, donc, le 16 juillet près d'Alamogordo dans le désert du Nouveau-Mexique. Truman est immédiatement informé par un message codé : "Opéré ce matin. Diagnostic encore incomplet mais résultats semblent satisfaisant et déjà au-delà des attentes. Communiqué de presse local nécessaire car intérêt sur un grand territoire. Dr Groves (général Groves, cf. supra) ravi. Il revient demain. Je vous tiendrais informé". Dans ces mémoires, Churchill note qu’à partir de là, le comportement de Truman changea, à la conférence, et qu’il prit peu à peu la direction des négociations. Petit détail amusant, la fille du président américain se trouve alors à Potsdam, dans le salon de la conférence. Elle raconte : "Mon père avait soigneusement réfléchi à la manière selon laquelle il devait informer Staline de l’existence de la bombe atomique. Il s’approcha du leader soviétique et lui fit savoir que les États-Unis avaient réalisé une nouvelle arme dotée d’un pouvoir de destruction extraordinaire. Le premier ministre Churchill et le secrétaire d’État Byrnes firent quelques pas vers eux et observèrent attentivement la réaction de Staline. Il garda le calme le plus complet" (7). "J’ai eu l’impression qu’il voulait nous impressionner", dira le ministre soviétique des Affaires étrangères, Viatcheslav Molotov (8), "Staline a réagi avec un tel calme que Truman, qui n’avait pas prononcé les mots bombe atomique, a cru qu’il ne comprenait pas". C’est que, grâce à un fils de pasteur protestant, adhérent à la Jeunesse communiste allemande en 1932, et surtout Docteur en chimie et membre du projet Manhattan, réfugié aux États-Unis, Klaus Fuchs, Staline avait eu connaissance des travaux sur la bombe bien avant… Truman ! Rejetant la demande de certains Américains qui voulaient "prévenir les Japonais", ce qui n’aurait pas permis d’étudier l’impact complet de l’explosion, la seconde bombe est lancée non pas sur un désert mais sur la ville d’Hiroshima, le 6 août. Le 8, les Soviétiques pénètrent en Mandchourie après avoir déclaré la guerre à Tokyo, 8 mai - 8 août : les délais prévus à Yalta entre alliés sont respectés Les vainqueurs face à leur victoire (1945-1947) . Aussitôt une autre bombe est lancée sur Nagasaki, le 9 août. La cible diplomatique est bel et bien l’ URSS, Truman commence la Guerre froide. C’est surtout l’arrivée de l’Armée rouge par l’île de Sakhaline qui détermine l’empereur a cédé. Il n’est nullement question de laisser la presse s’emparer de l’évènement. Cependant, malgré les ceintures de sécurité, un journaliste australien, Wilfrid Burchett, réussit à pénétrer sur le site d’Hiroshima le 3 septembre 1945. Il devra faire amende honorable et apporter des rectificatifs à son témoignage. Les Etats-Unis créent le Département de la censure civile. Les conséquences du bombardement atomique sont classées "secret militaire américain", en parler c’est subir le joug de la justice militaire. Pire encore, les Américains se livrent à des expériences sur les HP, les Human Products, cobayes humains qui reçoivent des injections de matières radioactives.
Outre ces conséquences catastrophiques, le bombardement du Japon a eu des conséquences politiques et historiographiques importantes. De l’entretien que Barthélemy Courmont, maître de conférences à l’université catholique de Lille et directeur de recherche à l’Iris, a donné à l’Humanité 6 août 2015), je retiens ces propos essentiels : Lina Sankari (L’Humanité) Révision des contenus des manuels scolaires, modification de la Constitution pacifiste, possibilité de déployer des soldats sur des théâtres extérieurs… Le Japon est-il en train de tourner définitivement la page de l’après-guerre ? BARTHÉLEMY
COURMONT : N’est-ce
justement pas parce que le Japon n’a pas encore tourné la page de
l’après-guerre qu’on assiste à ces tentations révisionnistes et nationalistes,
qui par ailleurs ne sont pas nouvelles ? Soixante-dix ans après la capitulation, le Japon n’a
toujours pas fait son devoir de mémoire, et en ce sens prolonge l’après-guerre.
Hiroshima joue ici un rôle considérable. Le 6 août 1945, les Japonais sont
passés en l’espace d’un instant du statut d’agresseurs à celui de victimes. La
bombe atomique a occulté un débat national sur le regard que les Japonais
doivent porter sur leur régime militariste. Résultat, les milieux
nationalistes se rattachent encore aujourd’hui à des personnages considérés,
dans le reste du monde, comme des criminels de guerre, à des symboles qui
choquent les anciennes colonies, et à une lecture révisionniste de l’histoire
du Japon. L’après-guerre
sera terminé le jour où le Japon aura fait ce nécessaire devoir de mémoire. lien : Les exactions japonaises, leur guerre d’agression (1931-1937-1945) et le révisionnisme historique |