Les vainqueurs face à leur victoire (1945-1947)

publié le 21 sept. 2013, 09:25 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 26 sept. 2013, 04:00 ]

publié le il y a 32 minutes par Jean-Pierre Rissoan

A la différence des pays fascistes, les Alliés ses sont rapidement concertés tant au plan militaire que diplomatique pour remporter la victoire. L'histoire diplomatique  de la WWII [1] est indispensable pour la compréhension de l'après-guerre. Cependant les Alliés sont fort différents et leur intérêts ne sont pas du tout les mêmes ; de plus, en Europe comme en Asie, la guerre a des conséquences durables sur l'état d'esprit des peuples et sur la géographie des frontières.

De la guerre et de la volonté des vainqueurs sort un monde radicalement nouveau. Unis dans la "Grande Alliance", les vainqueurs peuvent imposer leur loi (A) et dessiner ainsi une nouvelle carte du monde (B).


A. LA LOI DES VAINQUEURS

Une série de conférences au plus haut niveau, scande l’union des Alliés.

1.      Les grandes conférences de la "Grande Alliance "

- Moscou, août 1942 : Staline demande l'ouverture d'un second front.

- Casablanca : 14 janvier 1943 (on se battra jusqu’à la capitulation de l’Allemagne, pas de paix séparée)

- Moscou, octobre 43, pour l'O.N.U.. Présence de la Chine nationaliste.

- Téhéran, 27 novembre 1943 ; Churchill propose de décaler les frontières de la Pologne vers l'ouest aux dépens de l'Allemagne ; décision d’Overlord (débarquement en France).

- Moscou, du 9 au 18 octobre 1944, ne réunit que Staline et Churchill. C’est de là que date le mythe du "partage" du monde ; opération aéroportée britannique sur la Grèce, abandonnée par Staline à l'Angleterre, le 14.X.44. Je dis "abandonnée" parce que la résistance communiste était majoritaire en Grèce. Mais, Staline ne pense qu'à ses intérêts nationaux et la Grèce n'a pas de frontière commune avec l'U.R.S.S.. La Pologne, au contraire, qui n'est pas ou très peu communiste, sera intégrée au bloc soviétique car elle est une voie d'invasion de la Russie. 


Ce document a été publié par Le Monde, le 21 janvier 1992. A gauche, la version anglaise, raturée, a été écrite la première. à droite, le document russe sans rature est la traduction du premier. Les deux dirigeants se distribuent leurs zones d'influence : la Roumanie sera à 90% sous contrôle soviétique, la Grèce à 90% sous influence britannique, etc.... Churchill a évité les initiales W.C. et son tampon indique W.S.C. , S pour Spencer.

-YALTA, février 1945 :

La conférence est dominée par le souci d'arriver à un accord. La carte de guerre avantage Staline dont l'Armée Rouge se trouve à 100 km de Berlin alors que les Américains n'ont pas réglé le problème du franchissement du Rhin ni celui de l'invasion du Japon.

Trois accords sont facilement obtenus :

- Le Reich sera fractionné, l'Allemagne devra des réparations, la France est associée à l'occupation du pays.

-l’U.R.S.S. entrera en guerre contre le Japon, 3 mois après la capitulation de l'Allemagne, ses droits lui sont reconnus sur Sakhaline et les îles Kouriles.

-l’O.N.U. sera mise en place par une conférence, distincte des traités de paix, organisée par les 5 puissances alliées qui auront droit de veto. L'U.R.S.S. disposera de 3 sièges[2] ; une tutelle internationale (AMGOT) sera mise en place sur certains territoires.

Sur le sort de l'Europe, les discussions sont plus délicates.

La Yougoslavie est libérée par ses propres forces. Les Alliés optent pour un gouvernement provisoire suivi par des élections générales. Elles auront effectivement lieu en novembre 1945 (90% au front populaire de TITO).

La Pologne aussi, a un gouvernement en exil à Londres mais elle est occupée par l'Armée Rouge et est vitale pour la sécurité de l'URSS. Il y a un gouvernement de fait pro-communiste à Lublin mais quelle est sa légitimité ? Les Alliés optent pour un gouvernement réorganisé, élargi aux libéraux-nationaux (et effectif le 28 juin 1945) et pour des élections (janvier 1947). Accord sur la ligne Curzon[3] (frontière polono-soviétique).

Ce n'est pas un "partage du monde" et il faut bien voir que la Guerre Froide changera l'esprit des accords.

- POTSDAM, 17 juillet-2 août 1945

Attlee remplace Churchill ; Truman est président depuis le 12 Avril 1945 ; Staline est présent. Pour l'essentiel cette conférence confirme Yalta.

- mise en place des négociations de paix avec les ex-alliés d’Hitler : l'Italie, Roumanie, Finlande, Hongrie, Bulgarie (les traités seront signés le 10 II 47).

- accords sur les frontières polonaises dont la frontière allemande qui sera sur la ligne Oder-Neiss avec déplacement de population. A confirmer par le traité de paix.

- les Soviétiques recevront 25% de l'outillage des zones allemandes d’occupation occidentales en plus des réparations prélevées sur la partie orientale plus pauvre qu'ils occupent.

- l'Allemagne sera soumise à une triple politique de démilitarisation, dénazification, démocratisation. Un procès sera mis sur pied pour juger les criminels nazis (ce sera Nuremberg). Chaque allié reste maître dans sa zone d'occupation. Seule Berlin a un statut spécial : c'est une région " hors zone " occupée conjointement par les quatre alliés et administrée par une autorité interalliée particulière : la "kommandantura", mise en place le 11 juillet (avant Potsdam donc).

2.      Des alliés aux situations diverses

L'U.R.S.S. a subi des pertes incalculables. Elle est hantée par sa sécurité et exige des frontières et des points d'appui sûrs et elle veut à tout prix extirper les racines du militarisme allemand. La présence de son armée dans les pays de l'Europe de l'est "contribue à créer des conditions favorables à un processus de transformation sociale" (thèse soviétique officielle) ; de toute façon, Staline ne veut que des pays " amis " à ses frontières.

La Grande-Bretagne a subi des pertes relativement réduites, les ravages sont limités aux grandes villes bombardées. Son économie est désorganisée par un endettement massif et les revendications nationales secouent son Empire colonial. L'Angleterre n'a qu'un souci : se retirer partout où elle dépense de l'argent : Allemagne, Palestine etc… Par contre, elle veut garder, si possible, son Empire.

Les E.-U. ont dans une certaine mesure profité de la guerre ; leur position n'a jamais été aussi forte dans le monde et cela dans tous les domaines. Leur souci est d'écouler leur production dans un monde libéralisé, d'éviter une crise de reconversion comme en 1920-21 et donc des mouvements sociaux surtout à un moment (1944, 45, 46..) où les forces syndicales, socialistes et communistes n'ont jamais été aussi dynamiques. Les Anglo-saxons s'accommoderaient d'une renaissance rapide de l'Allemagne : diminution des dépenses militaires, nouveaux clients pour l'industrie américaine, valorisation des intérêts placés outre-Rhin avant 1930.

La France quant à elle souhaite des réparations allemandes. Au départ, elle a une position proche de celle de l'URSS par rapport à la question allemande : démembrement, contrôle de la Ruhr, rattachement de la Sarre à la France. A cette date, on ne parle pas de "Guerre froide".nouvelle carte du monde


B. UNE NOUVELLE CARTE DU MONDE

1.      Les transformations en Europe

Les changements de frontières concernent essentiellement l'URSS, la Pologne et l'Allemagne.

La Russie retrouve ses frontières de 1914. Elle récupère cependant une portion de la Prusse orientale, l'autre portion étant donnée à la Pologne. Aujourd'hui, cette portion (dite enclave de Kaliningrad) est toujours propriété de la Russie, après l'éclatement de l'U.R.S.S..

L'Allemagne perd toutes ses terres à l'est d'une ligne formée par l 'Oder et la Neiss (affluent de rive gauche).qui sont données à la Pologne.

Les vainqueurs ont voulu assurer une rigoureuse application du principe des nationalités : une nation = un État, y compris au prix de déplacement de populations ce qu'ils s'étaient refusé à faire en 1919. Douze millions de personnes sont ainsi déplacées. Il y aura ainsi dans la nouvelle Allemagne de l'Ouest un parti des " réfugiés " ; cette main-d'œuvre abondante et bon marché assurera à la future R.F.A. les moyens d'un relèvement rapide.

Dans l'immédiat après-guerre, on ne peut pas parler de rideau de fer en Europe. Dans de nombreux pays, à l'est comme à l’ouest (France, Italie, Belgique) les gouvernements comprennent des forces politiques issues de la Résistance —depuis les communistes jusqu'aux partis démocrates-chrétiens - : c'est la politique dite des "Fronts Nationaux". Mais évidemment, les Américains (surtout après la mort de Roosevelt et l’arrivée à la Maison Blanche de Truman, anticommuniste systémique) s'inquiètent de la présence de tous ces communistes dans autant de gouvernements, surtout que l'Armée Rouge est installée au cœur de l'Europe.

2.      Les transformations en Asie

    Elles sont encore potentielles en 1945

a)      Au Japon

    A Yalta, les Alliés sont convenus d'une offensive soviétique en Extrême-Orient, trois mois après la capitulation allemande. Les E.-U. espèrent de la sorte soulager Tchang-Kaï-Chek encerclé en Chine du sud et espèrent partager les risques de l'assaut final contre l'archipel nippon. En application de ces accords, les troupes soviétiques pénètrent en Mandchourie, en Corée, à Sakhaline, le 9 août (trois après le 8 mai 45). Mais, auparavant, la bombe A a explosé sur Hiroshima.

    La thèse de Truman est qu'il s'agissait de sauver la vie de milliers de soldats américains. Une autre thèse est qu'il fallait stopper la progression soviétique, d'impressionner Staline (diplomatie de «l'atome ») et de faire du Japon la chasse gardée des Américains. La thèse de Truman est d'autant plus contestable que le blocus du Japon était possible et le Japon ne peut pas vivre sans l’accès à la mer. Le Japon capitule le 2 septembre 1945.

    Mac Arthur impose son autorité sur les membres du Suprem Command for the allied powers (équivalent d’un AMGOT) où Soviétiques, Anglais et Chinois n'ont qu'une voix consultative. Il interdit toute présence de 1'Armée Rouge au Japon : il ne veut pas voir se répéter ce qui se passe en Allemagne. Il met en application les grandes réformes qui imposent une démocratie de type occidental. Des déplacements de population sont opérés avec rapatriement sur le Japon.

b)      En Chine

    La guerre civile (entre nationalistes de Tchang et les communistes de Mao) est ininterrompue depuis 1937 mais elle est en sourdine pendant la guerre d'agression japonaise. A Moscou, en 1943, les Alliés ont coopté la Chine comme puissance participante à l'œuvre des Nations Unies. Ils ont renoncé aux «droits inégaux» imposés au XIX° siècle par des traités léonins. L'effondrement du Japon semble profité au régime de Tchang-Kaï-Chek reconnu par la communauté internationale (traité fondateur de l’ONU à San Francisco, septembre 45). Mais, huit années de guerre ont modifié le rapport de forces entre les nationalistes et les communistes. Tchang est surtout établi dans les villes, mais l'inflation et la corruption atteignent sa crédibilité. Mao, quant à lui, contrôle 1 million de km2 sur lesquels il met en œuvre la réforme agraire, donnant la terre aux paysans : effet de cliquet recherché.

c)      Au Vietnam

    En Indochine, les partisans communistes et leurs alliés, résistants à l'agression japonaise, sont en mesure de s'emparer du pouvoir. C'est ce qu’ils font avec Ho Chi Minh. Quelle sera l'attitude de la France ancienne puissance coloniale ? Le général de Gaulle envoie l'amiral Thierry d'Argenlieu.

d)      En Indonésie

    La situation est comparable quoique non identique. Les Japonais ont installé Soekarno dans le cadre de leur politique de «co-prospérité»[4] mais après leur départ, celui-ci reste en place au grand dam des Hollandais qui voient s'échapper leur plus belle colonie. Les Pays-Bas vont réclamer le retour à la situation ex-ante.

e)      En Corée

Dans le cadre de la guerre contre le Japon, les Alliés ont envahi la Corée, alors colonie japonaise, l'URSS au nord, les Américains au sud. Un problème agraire grave se posait dans la péninsule. Les communistes de Kim-Il-Sung résistèrent aux Japonais et avec la présence soviétique peuvent envisager une prise du pouvoir. Les Américains s'inquiètent.

f)       Proche-Orient

    Les Ang1ais sont présents en Palestine en vertu des décisions de la S.D.N.. Pendant la 2° guerre mondiale, le flux d'immigrés juifs, qui remonte à 1918, n'a fait que s'amplifier. Les Juifs désirent plus que jamais un territoire ici-même, selon ce qu'il considère être la promesse de Lord Balfour de 1917. Les Anglais attendent une décision de la nouvelle organisation internationale : l'ONU et ne demandent qu'à s'en aller.

    L'ONU vote un plan de partage de la Palestine en deux États : l'un pour les Juifs, l'autre pour les Palestiniens. Ces derniers refusent, les États voisins, réunis dans la «Ligue arabe», créée pour l'occasion, déclarent la guerre au nouvel État "juif" (1947).


        Les deux cartes ci-dessus présentent la situation avant et après la guerre israélo-arabe. Jérusalem devait avoir un statut de ville internationale sous l'égide l'O.N.U.. Grâce à leur victoire, les Israéliens occupent la partie occidentale de la ville. (aujourd'hui, ils occupent la ville entière  et prétendent l'annexer totalement en cas de création d'un État palestinien. Pour les Musulmans, Jérusalem est une ville sainte de l'Islam). La bande de Gaza est réduite à une portion congrue. Beaucoup de Palestiniens ont fui leur pays après la défaite et habitent dans des "camps de réfugiés" au Liban ou en Jordanie. Israël a un double accès à la mer : la Méditerranée et l'Océan Indien via le golfe d'Aqaba et la Mer Rouge.

[1] World War 2 : WWII…

[2] Arguant de la structure fédérale de l’U.R.S.S, Staline -qui savait que l’O.N.U. allait être dominée par les USA et leurs alliés- réclama 15 sièges, un par république soviétique ! on lui a dit de ne pas exagérer.

[3] En Europe orientale, le mélange géographique des populations est extrême. Après la victoire de 1918, les Alliés mirent sur pieds une commission présidée par un Anglais, Lord Curzon. Cette commission délimita la frontière entre la nouvelle Russie et la Pologne ressuscitée (1921) : ce fut la « ligne Curzon ». Mais les Alliés, effrayés par la victoire du communisme en Russie ne respectèrent pas ces conclusions et la frontière polonaise alla très à l’Est, sur des territoires biélorusses. Ce sont ces territoires que l’U.R.S.S. récupéra en 1939, après l’invasion allemande en Pologne. Geste inélégant mais fondé en droit.  

[4] Sur le thème : « vous voyez nous ne sommes pas des impérialistes, puisque nous chassons les Hollandais et mettons un Indonésien à la tête de l’Indonésie ». En fait, l’Indonésie fut exploitée comme une colonie comme partout où débarquèrent les Japonais
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