PARIS, LES ARRONDISSEMENTS, LES VOTES, L’HISTOIRE…(PETIT ATLAS)

publié le 22 sept. 2011, 06:35 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 19 nov. 2019, 14:37 ]

    Paris est, après Lyon, la ville la plus fidèle à mon site. Je remercie les Parisiens en leur donnant quelques informations sur le comportement électoral de leur ville. J’ai déjà écrit un article sur ce thème : le vote F.N. à PARIS… je le complète ici en présentant les résultats des autres partis avec une petite mise en perspective historique.

    Quatre cartes[1] montrent la géographie des votes par arrondissement lors des Régionales 2010. Tableaux et cartes exploitent les données en termes de suffrages exprimés.

1.      Ouest vs Est

    L’opposition entre les quartiers Ouest et les quartiers Est est un grand classique de la géopolitique parisienne. On comparera avec intérêt la sociologie des 16° et 20° arrondissement, disposées côte à côte, sur le tableau n°1.

    La carte UMP et la carte Front de gauche (FG) sont à cet égard parfaitement complémentaires (ou presque).

    Le FG fait son meilleur score (10,6%) dans le XX° là où l’ UMP fait son plus mauvais (14,9 %). Inversement, le FG est très faible dans le XVI° arrondissement (1,34 %) où l’ UMP pérore avec 60,5% ! mais le XVI° est l’archétype de l’arrondissement parisien bourgeois et y habiter implique presque de voter à droite. On ne va pas se déclasser en votant autrement. Sauf le vote FN ! le FN fait son meilleur score parisien dans le XVI° (7,1% des exprimés) cela a toujours été depuis 1984 en concurrence avec le non moins aristocratique VIII°.

    La seule nuance à apporter se situe dans le XII° arrondissement, quartier de l’Est qui a toujours été le mauvais élève de la classe en votant à droite. Mais il correspond aux avenues radiales qui joignent le centre de Paris au village de Saint-Mandé et aux Château et Bois de Vincennes. La carte UMP montre bien cette spécificité du XII°. Au demeurant, les statistiques socio-professionnelles (INSEE, 1999) du tableau 1 abondent dans ce sens.

    Voici le tableau CSP (catégories socio-professionnelles) des arrondissements où chaque parti est arrivé en tête ou a fait son meilleur score.


Tableau n°1

 

Circons.

France

Paris

12°

13°

16°

20°

BP*

19,7*

43,9

46,5

41,8

37,8

56,4

30,8

PI

23,1

23,2

21,1

26,8

25,4

16,3

27,1

SM

54,4

32,9

30,5

31,3

36,9

27,3

42,1

1er tour

 

UMP 28,9

Écolo 28,9

PS 28,9

PS 33,1

UMP 60,5

FG 10,5

                                        * hors chefs d’exploitation agricole

                                        SM = salariat modeste (employés-ouvriers) ; BP = bourgeoise patronale (voir note 2).

 

2.      Des partis interclassistes ?

    Les résultats de deux partis de la gauche plurielle -comme on ne dit plus- à savoir le PS et les Verts sont intéressants. Globalement, ils sont forts à l’Est et trois arrondissements de l’Ouest parisien (XVI°, VII et VIII°) semblent une forteresse inexpugnable, même pour le PS du social-libéral Delanoë.


    Mais, comparés au FG qui reste bloqué à l’Est, PS et Verts étendent leur influence vers l’Ouest. Observez le score du PS dans le XVII°, le XV°, le VI° et le Ier …. Même dans le XII° (cf. supra) il arrive en tête au premier tour alors que cet arrondissement à un taux de bourgeoisie patronale[2] de 41,8% !

    Les Verts arrivent en tête de tous les partis dans le II° avec 28,9%, arrondissement dont on peut douter du caractère prolétarien. Avec un taux de BP de 46,5% c’est le paradis des bobos. Mais les Europe-Écologie-Les Verts (EELV) lorgnent sans trop de vergogne vers leur droite. Lire mes deux articles Pour quoi votent les écolos ? et aussi QUI VOTE ÉCOLO ?  A Paris, le score d’EELV est très bon à l’Est mais ils ne sont pas mauvais du tout dans les XVII°, XV°, VI° et Ier.

    Bref, à Paris en tout cas, ces deux partis sont visiblement concurrents quant à la conquête des classes moyennes supérieures. « Ils chassent sur les mêmes terres » comme aime à dire J.-M. Le Pen avec sa délicatesse habituelle. Peu à peu, EELV devient un parti attrape-tout (catch-all party disent les Anglo-saxons) à l'instar du PS.

3.      Un peu d’histoire : Paris et sa périphérie orientale

    Nul n’ignore que Paris et sa banlieue furent - sont encore pour partie - un bastion du PCF et du FG. Y-a-t-il, dès la Révolution, des signes annonciateurs ? La réponse est oui. Ensuite, ne pas oublier que la « banlieue » du Paris historique des 12 arrondissements a été phagocytée et est devenue partie intégrante de Paris.

Paris de l’ouest, Paris de l’est.

    Les arrondissements de l’est parisien ont longtemps été un fief électoral de l’extrême-gauche[3]. En 1967, alors que le parti gaulliste présentait 31 députés sortants sur 31 sièges, le PCF y faisait élire 7 députés. Cette césure électorale est célèbre, je n’insiste pas.

    Sous la Révolution, Paris est limité par la barrière des Fermiers-généraux et correspond aux douze premiers arrondissements actuels. Ce n’est qu’en 1860, qu’une réforme administrative fera absorber les communes limitrophes créant les huit autres arrondissements.

    L’atlas historique de la Révolution Française (vol. 11) est d’une grande richesse documentaire. Le lecteur pourra consulter la carte du lieu de résidence des vainqueurs de la Bastille (à l'Est) et celle des victimes du 10 août 1792 (à l'Ouest). À l’inverse, la carte de la contribution foncière établie à partir de l’évaluation des biens imposables ainsi que la carte des abonnés au journal contre-révolutionnaire Gazette de Paris se superposent et ne laissent subsister aucun doute : c'est la bourgeoisie et aristocratie des quartiers ouest. Les journées révolutionnaires de Germinal et de Prairial de l’an III, menées au cri de « du pain ! et la constitution de l’an I », sont le fait du peuple sans-culotte des sections de l’Est. Les insurgés royalistes du 13 vendémiaire, massacrés à coups de canon par Bonaparte, viennent d’abord des sections des riches du centre-ouest.

La carte des élections législatives de 1849

    Cette carte offre une rigoureuse ressemblance avec les cartes qui précèdent[4].

    La moitié Est vote massivement démocrates-socialistes, extrême-gauche de l’époque. Il y a là une "une constance séculaire" (M. Agulhon) tout à fait remarquable. Ensuite, les travaux d’ Haussmann, que l’on ne présente plus, bouleversent la sociologie parisienne. Les densités de surpeuplement des quartiers du centre s’effondrent, il y a un phénomène d’ex-urbanisation, les ouvriers viennent peupler les communes situées hors de l’enceinte des Fermiers-généraux [5], lesquelles communes deviennent les nouveaux arrondissements ( et 18°, 19°20°pour ce qui nous intéresse). Mais les 10° et 11° (ce dernier étant constitué par l’ancien faubourg Saint-Antoine et le 10° par les Fbg St Martin et du Temple) sont les héritiers directs des sections révolutionnaires du nord de la Seine[6].

Et les banlieusards ?

    La célébrissime "ceinture rouge" de Paris n’existait pas en 1793, c’est évident. Néanmoins on peut faire parler les cartes établies par les chercheurs. De même que c’est avec des civils qu’ont fait des militaires, c’est avec des provinciaux qu’on a fait des Parisiens [7]. En 1947, Gravier pourra écrire son fameux « Paris et le désert français ». Et il est vrai que la capitale et sa banlieue vont faire le vide autour d’elles. Ce processus est en marche dès la fin du XVIII° siècle. L’atlas historique nous offre la carte des origines provinciales des Parisiens en 1793 et celle des origines provinciales des hommes logés en garnis en 1791. Les régions du Bassin parisien sont les premières concernées par cette hémorragie lente mais systématique. La carte du lieu de naissance des employés du ministère de l’intérieur (1792-1800) montre que « les employés viennent des régions bien reliées à Paris, bien alphabétisées ou ayant fourni du personnel patriote à l’élite politique révolutionnaire (…) » [8].

    Mais, dira-t-on, quel rapport avec la pérennité de l’influence révolutionnaire jusqu’à nos jours ? A ce niveau, utilisons les travaux de M. Vovelle et les cartes publiées dans son livre la Révolution contre l’Eglise. Les planches illustrant le flux global des adresses[9] déchristianisatrices (n°2), le nombre de prêtres abdicataires (n°5) ou mariés (n°7), les adresses relatives à la livraison de l’argenterie des églises (n°9), les adresses relatives au culte de la Raison (n°11) ou aux fêtes civiques (n°12), toutes ces planches montrent que le Bassin parisien a massivement participé à la geste révolutionnaire. Et ce ne fut pas imposé d’en-haut : le plus souvent ce sont les municipalités - c’est-à-dire le pouvoir local - qui ont émis ces adresses (planche 18). Autrement dit, ce sont des régions intensément déchristianisées (planche 19) qui ont fourni les migrants qui iront peupler l’Est de Paris ou sa banlieue. Ces migrants n’auront guère de difficultés à nouer des liens avec les Gavroches ou les Titis.

    N.B. Ce dernier texte est un extrait du tapuscrit de ce qui devrait être mon prochain livre.

    Je termine par cette carte des combats de la Commune de Paris. On y lit bien, et avec émotion, la résistance du Paris populaire de l'Est.


    Ce Paris populaire vota pour le parti radical sous la III° République avant 1914 puis pour le PS (SFIO) puis fut le fief du PCF. Aujourd'hui, il y a eu de nouveau une translatio imperii en faveur du PS et les éternelles affirmations concernant le passage des ouvriers communistes au vote FN apparaissent pour ce qu'elles sont : des âneries.


poursuivre par : le vote F.N. à PARIS…** ainsi que à Paris, en avril 2012...Européennes à Paris, 2019... clarification électorale !



[1] Sources des cartes : Lemonde.fr, édition abonnés, 15.03.10.

[2] BP = artisans, commerçants, chefs d’entreprise (ACCE), cadres supérieurs et professions intellectuelles supérieures (CPIS). Il faudrait rajouter les chefs d’exploitation agricole mais cela n’a guère de sens pour une analyse électorale sur Paris.

[3] Cf. GOGUEL, Géographie des élections… III° et IV° républiques.

[4] Dans J. BOUILLON, article cité, page 92.

[5] Cette enceinte est abattue et forme les « Grands boulevards ».

[6] Voir sur Wikipaedia Correspondance entre anciens arrondissements et nouveaux arrondissements de Paris (plan des archives départementales).

[7] Même s’il y a aussi, évidemment, un croît naturel lié aux excédents de naissances.

[8] Atlas historique…, volume 11.

[9] Les « adresses » sont des rapports ou des vœux « adressés » à la Convention nationale par les sections populaires ou les municipalités…

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