Articles‎ > ‎1. Analyses électorales‎ > ‎Bourgogne‎ > ‎

II. Le F.N., les ouvriers : le cas de l'Yonne

publié le 24 juin 2011, 23:58 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 23 janv. 2017, 09:02 ]
cet article est la suite de : I. Le F.N., les ouvriers : le cas de l'Yonne
  04/03/2011  

    A partir des Trente Glorieuses, l’économie et la sociologie de l’Yonne ont bien changé. L’agriculture s’est modernisée (comprendre : "a perdu ses paysans") et, surtout, l’industrialisation fut massive grâce, en particulier, au processus de déconcentration industrielle : les firmes parisiennes délocalisaient dans l’Yonne toute proche au final, avec le progrès des transports[1].

En 1999, le recensement de l’INSEE permet d’établir le tableau suivant :

 

B.P.

P.I.

S.M.

Yonne

19,1

20,1

60,8

France

22,5

23,1

54,4

B.P. = bourgeoise patronale (chefs d’exploit. agri., artisans, commerçants, chefs d’entreprise, cadres et professions intellectuelles supérieures).

P.I. = professions intermédiaires. (Voir l’article du 29.03.2010 Régionales 2010, FN et banlieues : rôle des professions intermédiaires et de l’enracinement communiste note 4)

 

    L’Yonne est aujourd’hui un département qui se trouve à la 60° place en termes de PIB/hab. : 27773 € en moyenne nationale, 22198€ pour l’Yonne. Le salariat modeste (S.M., terminologie INSEE) est largement dominant. L’industrie domine mais il reste du passé agricole du département, les données suivantes :

 

Chefs d’exploit.

Ouvriers agri.

Total

Yonne

4%

5,9%

9,9%

France

2,7%

4,2%

6,9%

 

    Avec presque 10% des emplois, l’agriculture reste un secteur important. Électoralement, il faut tenir compte des retraités de l’agriculture qui sont « restés au pays ». Il y a là un secteur sensible aux thèses du F.N.. Les chefs d’exploitation se plaignent des charges excessives, les ouvriers agricoles de la concurrence des travailleurs immigrés appelés par leurs patrons.

    Pour ce qui concerne la structure des classes ouvrières, outre cet aspect concernant l’agriculture, le pourcentage des ouvriers travaillant dans l’industrie est relativement plus élevé dans l’Yonne (41,4%) qu’en France (37,5%). Cela devrait être favorable à la gauche.

    L’Yonne offre donc un autre exemple du vote ouvrier (élargi aux employés). 

Le comportement politique des Icaunais et Icaunaises

    En 1973, terminus des Trente Glorieuses, l’industrialisation a fait son office mais le F.N. ne joue encore aucun rôle. Les élections législatives donnent les résultats suivants (en pourcentage des électeurs INSCRITS) :

Inscrits

184016

 

ANBl.*

  38217

20,8%

Gauche

  59459

32,3%

Droite

  86340

46,9%

* : abstentions, nuls, votes blancs.

    L’Yonne vote donc majoritairement à droite, et largement, et là encore, même s’il est difficile de dire dans quelles proportions, le salariat modeste abonde ce vote de droite. Mais les traditions électorales des campagnes icaunaises sont un autre facteur à prendre en compte. Pour être totalement affirmatif, il faudrait connaître l’origine géographique des ouvriers qui peuplèrent les usines délocalisées depuis Paris. Une origine locale -vraisemblable compte tenu de la "fonte" des effectifs paysans- expliquerait la permanence des traditions de droite dans l’électorat, fût-il ouvrier.

En 2002, nous l’avons vu, le vote EXD (extrême-droite) est très élevé.

 

1973

1973

2002

2002

+/-

Inscrits

184016

 

235687

 

 

ANBl.

  38217

20,8

68378

29,0

+ 8,2%

Gauche

  59459

32,3

63974

27,1

- 5,2%

Droite

  86340

46,9

62443

26,5

-20,4%

EXD.

 

 

40892

17,4

+17,4

 

    Autre exemple d’hémorragie massive du vote de droite vers l’EXD. Certes, la gauche se rétracte mais elle gagne en voix par rapport à 1973. La droite, en revanche, perd en chiffres absolus (alors qu’il y a plus de 50.000 inscrits supplémentaires) et s’effondre de plus de vingt points. C’est elle qui alimente le vote frontiste et, compte tenu de ce qui a été dit précédemment, ce sont en majorité des voix du S.M. -salariat modeste- qui sont passées de la droite à l’EXD..

    C.Q.F.D.

La présidentielle 2007.

    C’est une revanche pour la droite.

    La forte progression des suffrages exprimés est une lame de fond qui démontre l’ancrage à droite du département.

 

2002

2002

2007

2007

+/-

Inscrits

235687

 

242512

 

 

ANBl.

  68378

29,0%

  39658

16,4%

-12,6%

Gauche

  63974

27,1%

  63851

26,3%

-0,8%

Droite

  62443

26,5%

110130

45,4%

+18,9%

EXD.

  40892

17,4%

  28873

11,9%

-5,5%

 

    La droite, particulièrement grâce à son candidat principal, retrouve son pourcentage des inscrits de 1973, à peu de chose près. La gauche se tasse encore, mais le F.N. perd presque le tiers de son électorat qui vote N. Sarkozy. Preuve - si elle était nécessaire ! - de la percolation entre les deux électorats.

Les régionales 2010

    Sont-elles une revanche pour la gauche ? Apparemment oui, mais l’analyse en termes d’électeurs inscrits est moins convaincante. L’ampleur de l’abstention fausse les résultats.

Comparons-les à ceux de 2007.

 

2010

%

Rappel 2007

+/-

Inscrits

244372

 

242512

 

ANBl.

125315

51,3%

16,4%

+34,9%

Gauche

  56059

22,9%

26,3%

-3,4%

Droite

  42823

17,5%

45,4%

-27,9%

EXD.

  20175

08,3%

11,3%

-3,6%

    Quand on constate le potentiel électoral de la droite (plus de 110.000 voix) on reste abasourdi par son incapacité politique à le mobiliser pour des élections qui ne sont tout de même pas négligeables. La déception chez l’électorat sarkozyste est profonde[2]. Mais elle ne profite pas au F.N. -dont on a dit faussement qu’il s’était "refait une santé" après ces régionales- qui perd encore des voix et des pourcentages. Pourtant, c’est dans l’Yonne que le FN obtient son meilleur score de Bourgogne.

    Certes, la gauche termine en tête ; mais dans l’Yonne, elle reste minoritaire par rapport aux deux tendances de droite : 47,09% des exprimés au second tour. L’effondrement de la majorité présidentielle laisse augurer de mauvais résultats aux élections cantonales qui s’approchent. Mais la gauche n’offre pas de perspectives enthousiasmantes pour cet électorat de salariés modestes qui ne se décident pas à voter massivement pour elle.

Il est vrai que « la gauche » est un terme générique qui dissimule des disparités : vote écologiste, vote socialiste, vote Front de gauche : ce n’est pas pareil !

Mais il appartient aussi aux citoyens de se mobiliser. Ne pas tout attendre des appareils !


lire aussi : L’YONNE, sens SUD-EST : le réflexe républicain



[1] Comme elles délocalisèrent sur Reims, Le Mans, Tours, Bourges, etc… dans un rayon de 200 km autour de Paris, distance qui permet aux cadres de faire l’aller-retour dans la journée (d’où la relative modestie du nombre de cadres supérieurs dans l’Yonne, catégorie INSEE « cadres et professions intellectuelles supérieures).

[2] Je parle bien sûr de l’électorat modeste, pas de celui qui regorge d’argent et ne paie presque plus d’impôts… 

Commentaires


Commentaires