http://www.regards.fr/monde/article/alexandria-ocasio-cortez-du-degagisme-a-l-americaine Michael Moore C’est comme si j’avais passé trois semaines aux States. Pendant cette période j’ai suivi la campagne de Bernie Sanders pour les "primaires" contre Clinton et l’establishment du parti Démocrate. S’il parlait un jour pour deux rallies – nous dirions en français meeting (lol) - j’écoutais ses deux discours, s’il parlait pour trois rallies, j’écoutais ses trois discours ; chacun de ses discours "youtubé" était prolongé par des commentaires d’électeurs sympathisants voire très motivés, ou alors j’allais sur les tweets qui sont un moyen efficace de connaître ce que pense le commun des mortels sur les évènements de l’actualité. J’ai suivi les élections, les "caucus", les primaires fermées et les primaires semi-ouvertes, j’ai attendu les résultats sur CNN à partir de 1 heure du matin, je me suis levé à 4h Am pour suivre les résultats de Californie, je me suis inscrit dans les discussions tweetées – mais en français car mon anglais n’est vraiment pas sûr - j’ai tâché de comprendre le scandale du Nevada où les dirigeants locaux du parti Démocrate ont bidouillé les résultats qui n’étaient pas favorables à Clinton, j’ai vu à quel point celle-ci était détestée du peuple américain (68 % pensent qu’elle n’est pas honnête et digne de confiance), bref, j’ai vécu comme un Américain passionné qui voulait absolument assister à la victoire de "Bernie"… Je vous ai reproduit ces photos improbables où Bernie parle devant une foule de plusieurs milliers d’auditeurs, voire plusieurs dizaines de milliers -ci-contre à Pittsburgh- : incontestablement, il a réussi sa campagne, tellement qu’en France personne n’en a parlé [1]. Il a battu Clinton dans 23 États de l’Union, recueillant environ 13 millions de voix… Mais que signifiait le vote Sanders ? En quoi ses propositions étaient-elles en phase avec les désirs, souhaits, exigences, nécessités du peuple américain ? Telle est la question. Être ou ne pas être l’homme de la Révolution. Faute
de mieux, pour connaître les problèmes posés aux États-Unis, j’ai revu et relu
le livret du Monde diplomatique, dans la collection "Manière de voir", le numéro 16
d’octobre 1992, intitulé "États-Unis, fin de siècle". C’est
un peu vieux certes, mais, hélas pour le peuple américain, c’est encore très
actuel car ce pays se trouve toujours dans un état désastreux –ce que l’on nous
cache, car le leader du monde libre a besoin d’être idolâtré, a besoin d’être
le pays des success stories – et il
n’est pas une des propositions de B. Sanders qui ne réponde à la nécessaire
reconstruction d’un pays plus ou moins démoli par l’ultra-libéralisme. Ce
numéro 16 recueille les articles des auteurs et journalistes du Monde diplomatique écrits autour de
l’année 1990, c’est-à-dire après les huit années de présidence Reagan et au
début de la présidence Bush senior. Ma sélection s’est portée sur les écrits de
Marie-France Toinet, directeur de recherche à la F.N.S.P., "Cette superpuissance minée par son
délabrement social", de Pierre Dommergues, (professeur Paris VIII), "Le rêve américain n’est plus ce qu’il était"
et "La spirale du déclin"
(compte-rendu de lecture d’un ouvrage collectif America, le rêve blessé) et enfin il s’agit de Norman Birnbaum,
professeur à l’université Georgetown de Washington, "Démocrates et Républicains affrontent une vague de ressentiment
populaire". Les exigences d’un travail
rigoureux m’ont poussé cependant à aller voir ailleurs. Pour parler de
révolution politique, il faut comprendre la situation ex-ante, celle d’avant, celle que l’on veut modifier/renverser. Je
me suis donc attelé à la lecture du livre d’André Siegfried « Tableau des États-Unis »
qui présente l’Union à l’apogée de sa puissance, au moment où son système
politique fonctionne aussi bien que les chaînes de montage des usines Ford (2). Précédemment (1931), André
Siegfried avait publié "Les États-Unis d’aujourd’hui", toujours utile (3). LA RÉVOLUTION DU FINANCEMENT Le
premier coup de génie de Bernie et de son état-major a été de déclarer
solennellement que sa campagne serait une campagne du peuple, "by the
people, for the people", en foi de quoi, seules les personnes
physiques pouvaient financer sa campagne avec leur argent propre hors
entreprise (corporate). Bernie a reçu
229 millions de dollars dont zéro des super Pacs – cf. Wikipédia pour la
définition - alors que Clinton a reçu presque 345 $millions dont 100 $ millions
de super PACS. Bernie a reçu de l’argent de plus de 7 millions de souscripteurs
dont le versement moyen fut de $27 puis de $30 en fin de campagne. Si les
Républicains trustent les million-dollars-donors,
Hillary est bien présente dans la liste (20 fois) alors que Bernie est
absent (d’ailleurs il aurait refusé ce financement). Pour confirmation, lire http://www.nytimes.com/interactive/2016/us/elections/election-2016-campaign-money-race.html Voici les conditions à remplir pour financer la campagne de Bernie Sanders :
Cette blancheur virginale (lol) a été pour lui un atout incommensurable. Depuis longtemps, beaucoup d’Américains n’ignorent pas/plus que le Big business est aux commandes et que les présidents en sont plus ou moins les marionnettes. Je crois que c’est à l’occasion du duel Nixon-Kennedy, en 1960, qu’on a dit que l’un était le candidat de Pepsi cola et l’autre de Coca cola, à moins que ce ne soit l’inverse. Aux États-Unis, plus ça change et plus c’est la même chose. Même pour les Démocrates, on peut dire qu’ils appliquent "la loi des milieux d’affaires" (Norman Birnbaum). C’est une des raisons qui font que l’abstention est massive et que des millions d’électeurs potentiels ne sont même pas inscrits sur les listes électorales. Avec des abstentions à 50%, le candidat élu à la Maison blanche ne représente guère que 25% des inscrits [4]… Mais jamais on n’a pu adresser ce reproche à Bernie d’être le candidat des Corporations, entendez des grosses entreprises. Sa campagne a été celle du peuple. Il faut dire que cette année 2016, année de la présidentielle, a été préparée par un mouvement d’opinion inouïe aux États-Unis, le mouvement Occupy Wall Street. Occupy-Wall-Street enfante dans l’Ohio… Ce dernier est né après le crash de 2008 où les manipulations des banques, leur responsabilité dans la crise est apparu avec une clarté cristalline aux yeux des plus lucides des Américains. Ce mouvement a ancré dans l’opinion l’idée – brute de décoffrage mais fondamentalement juste – que la politique de Wall Street, au pouvoir à la Maison blanche depuis des lustres, fait les affaires de 1% de la population de l’Union et laisse se dégrader la situation des autres 99%. On a pu assister à des manifestations où les porteurs de pancartes affichaient des "I am the 99%" (j’appartiens aux 99%). Bernie a repris l’ensemble de cette argumentation évoquant sans relâche le 1%. Cela peut paraître sommaire mais c’est très nouveau pour la masse du peuple américain. Là, on est très rassembleur, l’antienne perpétuelle qui conclut les discours officiels est "God bless America", Que Dieu bénisse l’Amérique, c’est-à-dire tout le monde, riches et pauvres, as a whole, car Dieu ne distingue pas entre nous qui sommes tous méritants. C’est la nation américaine que l’on met toujours en avant, derrière la bannière étoilée. Cette distinction 1% vs 99% introduit au contraire un début d’analyse en termes de classes sociales, en termes de luttes de classes. C’est révolutionnaire. Ci-dessous lutte contre la "billionaire class"... L’APPEL A LA SYNDICALISATION
Unions are my family. Standing with workers on picket lines is something I've done my entire life-- that's what I do and what I believe. B. Sanders, 5 septembre 2016 Il faut remonter à 1935 et au Wagner Act, dans le cadre du New deal du président F.D. Roosevelt, pour trouver une vraie politique présidentielle de soutien au syndicalisme. Au contraire, l’entrée des États-Unis dans la mondialisation des années 80’ s’est faite avec Reagan qui a démantelé tout ce qu’il pouvait, qui a lutté contre le droit de syndicalisation et de grève, suivant sa commère Thatcher. Cette législation du New deal relativement progressive pour l’époque et pour les États-Unis a été démembrée par la seconde Red scare d’après 1946 et la Guerre froide puis par la politique de Reagan. "En transférant les responsabilités fiscales aux États, les Républicains ont cherché à placer les Démocrates qui contrôlent une majorité des exécutifs et des législatures locales dans l'embarras. Le déclin de l'influence politique de syndicats dénoncés par le patronat comme un groupe égoïste parmi d'autres contribue par ailleurs au renforcement des liens - déjà étroits - entre le Parti démocrate et les milieux d'affaires (dont les contributions financières sont ardemment sollicitées). Lorsque les présidents Reagan et Bush ont démantelé ou allégé la réglementation fédérale sur l'environnement, la finance, la santé, l'industrie pharmaceutique et la sécurité sur les lieux de travail, ils ont agi avec d'autant plus de liberté qu'ils savaient pouvoir compter sur le soutien ouvert ou tacite de nombreux élus démocrates. Les Américains se sont ainsi trouvés sans défense face à la baisse des salaires, au chômage, aux défaillances des services publics, à l'angoisse devant l'impossibilité de se soigner et de financer des études supérieures".[5]
L’APPEL A UNE PARTICIPATION ÉLECTORALE INÉGALÉE Je le répète, Bernie appelle à une political revolution. Il a répété à chaque discours la différence entre oligarchie et démocratie. Pointant du doigt pédagogique tel ou tel participant : "you have a vote, you have a vote and you have a vote, that is democratie » mais quand les millionnaires du 1% achètent les campagnes électorales par leurs financements, "that is not democratie, that is oligarchy". L’oligarchie, on pouvait la photographier lors des réunions organisées par Clinton avec George Clooney –que, pourtant, l’on aime bien- avec droit d’entrée fixé à $300.000, oui trois cents mille dollars.Mais cette vieille opposition entre l’âne et l’éléphant devient progressivement obsolète. "Le fonctionnement des institutions rallient beaucoup moins de suffrages : les Américains votent moins que quiconque et de moins en moins au fur et à mesure que l’élection devient plus locale ; leur mépris pour le personnel politique va croissant" (M.-F. Toinet, article cité). Les choses ne se sont pas améliorées depuis cet article publié en juin 1992. Clinton est toujours (juillet 2016) sous le coup d’une enquête du F.B.I. au sujet de ses @mel envoyés par son matériel privé pour le compte du Secrétariat d’État à la Défense qu’elle dirigeait lors du premier mandat Obama. Et combien de fois Bernie lui a-t-il reproché le financement de sa campagne par les intérêts pétroliers et gaziers ce qui rendaient parfaitement vaines ses promesses de maîtriser les émissions de gaz à effet de serre ? Près de la moitié des électeurs Sanders aux primaires démocrates refusent de voter pour elle. Pour eux, c’est Bernie or bust. Bernie ou rien. Le rejet des deux vieux partis est tel qu’aujourd’hui les Américains se déclarent, pour un quart Républicains, pour un autre quart Démocrates et à 44% ils se déclarent indépendants. Ces indépendants sont le cœur, la tête et les jambes de l’électorat Sanders. Bernie a été prié, supplié de se présenter comme candidat indépendant. Qui vivra verra. Dans l’État de New-York, gros fournisseur de délégués à la Convention finale du choix du candidat- les primaires étaient "fermées" entendez réservées aux seuls membres du parti Démocrate, inscrits depuis un certain temps. Les indépendants, massivement pro-Sanders, massivement exclus, n’ont pas pu voter. Depuis toujours le parti démocrate new-yorkais est une machine bien huilée, qui rappelle le fonctionnement des fédérations socialistes du Nord-Pas-de-Calais, si vous voyez ce que je veux dire. En 2008, Clinton obtint 67% des votes de l’ État-empire face à Obama, en 2016, elle a obtenu 67% des votes face à Bernie Sanders. Avec quelque malice, Bernie a publié ce communiqué dans lequel il constate que le seul État de la côte Est (entre la Nouvelle-Angleterre et la Virginie qui relève du sud) où il a gagné sur Clinton est le Rhode-Island où les indépendants avaient le droit de vote aux côtés des Démocrates (primaires ouvertes) : "I am proud that we were able to win a resounding victory tonight in Rhode Island, the one state with an open primary where independents had a say in the outcome. Democrats should recognize that the ticket with the best chance of winning this November must attract support from independents as well as Democrats. I am proud of my campaign’s record in that regard". Bernie n’a eu de cesse de répéter que "lorsque la participation électorale est faible, les Républicains – et il évoquait la menace Trump – gagnent, mais si la participation est élevée, ce sont les Démocrates". On ne peut que constater la similitude du constat avec la France, l’abstention et le vote FN. Il faut donc faire s’inscrire les électeurs potentiels. Concernant les abstentionnistes, Bernie a réussi à faire bouger les lignes. Voici quelques citations cueillies au gré de mes pérégrinations sur le web américain. 1) He restored my faith in a politician first time in my life. 2) I would never imagine in my life that one day I will go to polling station and cast my vote for anyone. Bernie, my 1st vote of my life is for you. 3) I am so grateful that I get to be a part of this revolution. I’be been waiting 45 years for this opportunity! Bernie Sanders is a miracle. Thanks for your passion and fire, John! Keep up the glow! 4) Bernie, you rock! Each of your speeches awakens and inspires a new seed within me. May the garden continue to grow! I'm over 50 and I've learned so much and understand so much more than I used to. You've reawakened the American Dream for me which encourages me to believe that all I have worked toward my entire life is FOR something again ... or more accurately, it CAN be for something again if we all pull together and elect you to lead the way. Today, I really understand "Not me. US." in an entirely new way. WE must stand up for what is right for ALL of us. Thank for helping us to understand the issues and what we can and must do to create real and positive change for ALL people. Knowledge is power and the knowledge that you're sharing with us gives us the inspiration and some of the tools we need to return the power to the people. Thank you! Ce qui valut cette réponse : 5) Dan Allenil y a 5 jours, +Lisa Buckalew : Exactly the same for me. You took the words right out of my mouth. Thanks to Bernie, I'm wide awake, informed and part of the movement. Once we get the power back, we're going to hold on to it for life Ce type de déclarations publiques sur les réseaux sociaux se chiffre en milliers.
sera continué... Etats-unis : la révolution Sanders (2ème partie) ajout pour la campagne 2020 : [1] Sauf l’Huma, of
course… mais sa pagination est limitée. Le Monde n’a guère parlé que de
Clinton, femme de l’establishment et de l’absence de changement, il a parlé de
l’épouvantail Trump. Concernant Sanders, Le Monde n’a fait que le dénigrer ce
qui ne surprend plus que les imbéciles. [2] Une édition électronique réalisée à partir du livre d'André Siegfried, Tableau des États-Unis. 6 cartes et graphiques Paris: Librairie Armand Colin, 1958, 3e édition, 347 pp. Collection: Sciences politiques. Une édition numérique réalisée par Marcelle Bergeron, professeure retraitée de l'École polyvalente Dominique-Racine, Chicoutimi, Saguenay, Québec. [3] "Les États-Unis d’aujourd’hui", A. Colin éditeur, Paris, 1931, 362 pages. [4] "50% seulement des électeurs votent lors d’une consultation de ce type (présidentielle, JPR) ; ils sont à peine 40% lors des autres élections", Birnbaum, article cité. [5] Norman BIRNBAUM, article cité. |