Le mouvement
Occupy-Wall-Street est un des plus
réconfortants
pour les gens de ma génération. Après l’effondrement de l’Urss et la fin
des
illusions, nous avons pensé, parfois, lors de nos découragements, à la
"Fin de l’Histoire", comme l’a écrit fort
imprudemment l’universitaire américain Fukuyama : le capitalisme avait
définitivement
gagné.
Et puis,
alors qu’elle fut longtemps, trop longtemps, la
chasse gardée des Etats-Unis, leur "back
yard" comme ils disent
(arrière-cour) avec ses dictateurs galonnés, l’Amérique latine est en
train de
se lever, de se construire comme jamais nous l’aurions imaginé. Même les
populations arabes se soulèvent, et obtiennent/obtiendront la démocratie
comme en
Tunisie et Égypte.
Mais voici
qu’aux États-Unis même, un mouvement populaire se
bat contre la citadelle du capitalisme mondial : la bourse de Wall
Street.
« Nos vies valent mieux que vos profits »[1]
semblent dire tous ces -souvent - jeunes manifestants. Qui l’eût dit ?
Qui
l’eût cru ? et ce mouvement qui se poursuit n’est pas qu’un rêve de
gosses :
il a des prolongements bien concrets. Ainsi dans l’Ohio, le nouveau
gouverneur,
Républicain, c’est-à-dire droite extrême
selon non canons franco-français, les électeurs viennent de repousser
par
referendum une loi antisociale et antisyndicale. Infliger une défaite
aussi
cinglante à un gouverneur élu l’année précédente, cela montre une
capacité d’effronterie
qui va dans le bon sens, le sens de la Révolution. Voici une analyse de
ce qui
s’est passé par Scott Hiley, universitaire à Chicago.
JPR.
"POUR
LE
PEUPLE D’OHIO, SOLIDARITÉ ET VICTOIRE"
par Scott
Hiley,
professeur à
la Chicago Western University
A l’occasion
de son élection (très récente, 2010 seulement,
JPR), le gouverneur de l’Ohio John Kasich a offert aux syndicats un
choix :
« montez
dans le bus » de son programme, a-t-il dit, « ou faites-vous
écraser ». Le bus n’a pas tardé, car les citoyens de l’Ohio
ont vu, quelque mois plus tard, le passage de la loi SB5 [2],
qui donne à l’État-fédéré le pouvoir de fixer la couverture sociale des
employés du public quasiment sans négociation avec les syndicats. De
l’austérité
la plus classique : faire payer aux travailleurs le prix d’une crise
budgétaire
créée par les banques spéculatrices. La loi inclut également un paquet
de réformes destinées
à casser les syndicats des fonctionnaires, des policiers, des pompiers,
et des
enseignants, notamment une interdiction des grèves et une restriction du
droit
des syndicats d’imposer des cotisations à leurs membres.
Cette
attaque contre les travailleurs a été soldée par un échec. Les
syndicats,
solidaires dans la lutte, ont mené une mobilisation de masse. D’abord,
en
mars 2011, la campagne de rappel, où 1,3 millions des citoyens de l’Ohio
ont
signé des pétitions pour mettre sur le scrutin de novembre un référendum
sur SB5;
ensuite, une série de manifestations, de conférences, de pétitions, de
coups de
téléphone, de barbecues militantes et de piqueniques solidaires, pour
aboutir à
la victoire électorale du 8 novembre (2011).
Quelles
sont donc les leçons de cette solidarité, de cette
mobilisation et de cette victoire ? Tout d’abord, Kasich est devenu
l’emblème
de ce que l’on appelle parfois « la surextension républicaine », où
la droite, rendue hardie par l’ascendance des Tea Parties, se croit
capable
d’éliminer d’un coup tous les acquis sociaux. « Ils veulent rayer le
vingtième siècle », estime Sam Webb, chef du Parti Communiste des
Etats-Unis (CPUSA), dont les membres ont participé pleinement à la
campagne
contre SB5.
Ensuite,
la campagne contre SB5, comme le soulèvement de Wisconsin en
février-mars
2011, montre que les partisans de l’austérité ne peuvent plus compter
sur leur
vieille stratégie, qui consiste à persuader les électeurs que les
employés du
public se paient des vies de luxe aux frais des contribuables. Le
public
a vu le ridicule de peindre un prof de lycée ou un pompier en
Sardanapale[3] et a
reconnu qu’un
salaire correct, une retraite, et une couverture médicale constituent
non pas
un vol, mais un droit.
Il s’agit
donc d’une fissure dans l’unité de la droite derrière les
programmes d’austérité dictés par les intérêts des grandes entreprises.
Sur les 88 comtés de l’Ohio, dont beaucoup sont traditionnellement
républicains,
82 ont livré des majorités contre une loi promulguée par un gouverneur
républicain. Dans de nombreuses circonscriptions, le taux d’opposition a
dépassé 60% du vote[4].
De façon
plus large, les leviers politiques commencent à changer de mains.
Les intérêts de
classe prennent le dessus[5] sur les
allégeances de parti, et une résistance cossue, active, et visible à la
politique d’austérité se met en place. Reste à savoir quel sera l’impact
en
2012 de la victoire en Ohio - un état crucial pour Obama, gagné de peu
en 2008
et susceptible de basculer à droite-. Les syndicats ont su mobiliser
les
masses contre une loi répressive et un gouverneur d’extrême-droite.
Pourront-ils le faire pour un président qui souffre d’une opposition de
droite
comme d’un manque de confiance de gauche ? La présidentielle de 2012
sera un
référendum sur l’orientation idéologique du pays. Obama s’est défini en
2008 comme le candidat du peuple ; s’il veut le redevenir, ses alliés,
notamment les syndicats, auront à faire à l’échelle nationale le travail
qu’ils
ont fait en Ohio.
Scott Hiley,
Northwestern
University (Illinois, Etats-Unis).
Traduction :
Jacques Coubard (L’Humanité).
[1]
Slogan du NPA à la présidentielle 2002.
[2]
Pour Senate Bill 5 (SB5) loi du Sénat n°5. (JPR)
[3]
Roi d'Assyrie de 669 av. J.-C. à 627 av. J.-C., réputé pour ses excès.
Sa capitale
-Ninive- est pour les Puritains une autre Babylone-la-prostituée. (JPR).
[4]
Le résultat final du referendum sur la loi SB5 est de 61% de non et 39%
de oui.
[5]
Et c’est bien là le sens profond d’OWS… (Occupy Wall Street), inouï aux
Etats-Unis
à une telle échelle (JPR).