Occupy-Wall-Street enfante dans l’Ohio…

publié le 6 janv. 2015, 10:02 par Jean-Pierre Rissoan
publié le 28 août 2012 19:19 par Jean-Pierre Rissoan
     Le mouvement Occupy-Wall-Street est un des plus réconfortants pour les gens de ma génération. Après l’effondrement de l’Urss et la fin des illusions, nous avons pensé, parfois, lors de nos découragements, à la "Fin de l’Histoire", comme l’a écrit fort imprudemment l’universitaire américain Fukuyama : le capitalisme avait définitivement gagné.

    Et puis, alors qu’elle fut longtemps, trop longtemps, la chasse gardée des Etats-Unis, leur "back yard" comme ils disent (arrière-cour) avec ses dictateurs galonnés, l’Amérique latine est en train de se lever, de se construire comme jamais nous l’aurions imaginé. Même les populations arabes se soulèvent, et obtiennent/obtiendront la démocratie comme en Tunisie et Égypte.

    Mais voici qu’aux États-Unis même, un mouvement populaire se bat contre la citadelle du capitalisme mondial : la bourse de Wall Street. « Nos vies valent mieux que vos profits »[1] semblent dire tous ces -souvent - jeunes manifestants. Qui l’eût dit ? Qui l’eût cru ? et ce mouvement qui se poursuit n’est pas qu’un rêve de gosses : il a des prolongements bien concrets. Ainsi dans l’Ohio, le nouveau gouverneur, Républicain, c’est-à-dire droite extrême selon non canons franco-français, les électeurs viennent de repousser par referendum une loi antisociale et antisyndicale. Infliger une défaite aussi cinglante à un gouverneur élu l’année précédente, cela montre une capacité d’effronterie qui va dans le bon sens, le sens de la Révolution. Voici une analyse de ce qui s’est passé par Scott Hiley, universitaire à Chicago.

    JPR.

    

"POUR LE PEUPLE D’OHIO, SOLIDARITÉ ET VICTOIRE"

 


    par Scott Hiley,

    professeur à la Chicago Western University

 

    A l’occasion de son élection (très récente, 2010 seulement, JPR), le gouverneur de l’Ohio John Kasich a offert aux syndicats un choix : « montez dans le bus » de son programme, a-t-il dit, « ou faites-vous écraser ».  Le bus n’a pas tardé, car les citoyens de l’Ohio ont vu, quelque mois plus tard, le passage de la loi SB5 [2], qui donne à l’État-fédéré le pouvoir de fixer la couverture sociale des employés du public quasiment sans négociation avec les syndicats. De l’austérité la plus classique : faire payer aux travailleurs le prix d’une crise budgétaire créée par les banques spéculatrices. La loi inclut également un paquet de réformes destinées à casser les syndicats des fonctionnaires, des policiers, des pompiers, et des enseignants, notamment une interdiction des grèves et une restriction du droit des syndicats d’imposer des cotisations à leurs membres. 

    Cette attaque contre les travailleurs a été soldée par un échec. Les syndicats, solidaires dans la lutte, ont mené une mobilisation de masse.  D’abord, en mars 2011, la campagne de rappel, où 1,3 millions des citoyens de l’Ohio ont signé des pétitions pour mettre sur le scrutin de novembre un référendum sur SB5; ensuite, une série de manifestations, de conférences, de pétitions, de coups de téléphone, de barbecues militantes et de piqueniques solidaires, pour aboutir à la victoire électorale du 8 novembre (2011).

    Quelles sont donc les leçons de cette solidarité, de cette mobilisation et de cette victoire ? Tout d’abord, Kasich est devenu l’emblème de ce que l’on appelle parfois « la surextension républicaine », où la droite, rendue hardie par l’ascendance des Tea Parties, se croit capable d’éliminer d’un coup tous les acquis sociaux. « Ils veulent rayer le vingtième siècle », estime Sam Webb, chef du Parti Communiste des Etats-Unis (CPUSA), dont les membres ont participé pleinement à la campagne contre SB5.

    Ensuite, la campagne contre SB5, comme le soulèvement de Wisconsin en février-mars 2011, montre que les partisans de l’austérité ne peuvent plus compter sur leur vieille stratégie, qui consiste à persuader les électeurs que les employés du public se paient des vies de luxe aux frais des contribuables.  Le public a vu le ridicule de peindre un prof de lycée ou un pompier en Sardanapale[3] et a reconnu qu’un salaire correct, une retraite, et une couverture médicale constituent non pas un vol, mais un droit.

    Il s’agit donc d’une fissure dans l’unité de la droite derrière les programmes d’austérité dictés par les intérêts des grandes entreprises.  Sur les 88 comtés de l’Ohio, dont beaucoup sont traditionnellement républicains, 82 ont livré des majorités contre une loi promulguée par un gouverneur républicain.  Dans de nombreuses circonscriptions, le taux d’opposition a dépassé 60% du vote[4].

    De façon plus large, les leviers politiques commencent à changer de mains. Les intérêts de classe prennent le dessus[5] sur les allégeances de parti, et une résistance cossue, active, et visible à la politique d’austérité se met en place. Reste à savoir quel sera l’impact en 2012 de la victoire en Ohio - un état crucial pour Obama, gagné de peu en 2008 et susceptible de basculer à droite-.  Les syndicats ont su mobiliser les masses contre une loi répressive et un gouverneur d’extrême-droite. Pourront-ils le faire pour un président qui souffre d’une opposition de droite comme d’un manque de confiance de gauche ? La présidentielle de 2012 sera un référendum sur l’orientation idéologique du pays.  Obama s’est défini en 2008 comme le candidat du peuple ; s’il veut le redevenir, ses alliés, notamment les syndicats, auront à faire à l’échelle nationale le travail qu’ils ont fait en Ohio.

Scott Hiley,

Northwestern University (Illinois, Etats-Unis).

Traduction : Jacques Coubard (L’Humanité).

 



[1] Slogan du NPA à la présidentielle 2002.

[2] Pour Senate Bill 5 (SB5) loi du Sénat n°5. (JPR)

[3] Roi d'Assyrie de 669 av. J.-C. à 627 av. J.-C., réputé pour ses excès. Sa capitale -Ninive- est pour les Puritains une autre Babylone-la-prostituée. (JPR).

[4] Le résultat final du referendum sur la loi SB5 est de 61% de non et 39% de oui.

[5] Et c’est bien là le sens profond d’OWS… (Occupy Wall Street), inouï aux Etats-Unis à une telle échelle (JPR).


Č
Commentaires