La dérive « nativiste » de Trump et le virage à gauche des prétendants démocrates reposent sur les évolutions des citoyens eux-mêmes. Un fossé abyssal se creuse entre les deux électorats. Des électeurs républicains de plus en plus à droite, des électeurs démocrates de plus en plus à gauche : voilà la donnée majeure qui permet de comprendre la nature du débat politique outre-Atlantique. Ce mouvement d’éloignement des deux blocs s’accélère (voir l’infographie ci-contre). S’il n’est pas récent (on peut même le faire remonter au début des années 1970), il s’est accentué sous les présidences de W. Bush et Barack Obama, et encore plus depuis l’élection de Trump. Chaque exercice du pouvoir par l’un des présidents cités « radicalise » son opposition, ce qui prépare une alternance plus marquée au scrutin suivant. La « réaction » conservatrice à l’élection de Barack Obama avait pris la forme des Tea Parties, puis du « trumpisme ». Depuis l’entrée en fonction de Trump, les idées du socialisme démocratique gagnent en popularité, notamment au sein de la jeunesse. Avec 55 %, le bloc démocrate est le plus puissantCette polarisation idéologique et politique irrigue l’ensemble de la société. Elle divise les habitants du pays jusque dans leur mode de vie. L’électeur républicain type est plus enclin à vivre en dehors des villes à être adepte des barbecues et de la bière, à se passionner pour le football américain, tandis que son concitoyen démocrate en pince pour l’urbain, les déplacements doux, le bio, le vin blanc et le « soccer » (le football). Une étude a montré que les repas de famille sont écourtés lorsque les membres ont des votes différents. L’identité sociologique des deux montagnes « bleue » et « rouge » diffère tout autant : l’électorat démocrate est plus jeune, plus féminin et plus « multicolore » tandis que celui des républicains s’inscrit en négatif : blanc, masculin, plus âgé. Dernière information utile : les « quantités » ne sont pas égales. Une fois que le Pew Research Center, auteur de cette enquête, a demandé aux « indépendants » de choisir le candidat qu’ils choisiraient en dernier ressort, le rapport de forces est net : 55 % pour les démocrates, 45 % pour les républicains. Pour Bernie Sanders, la clé de l’élection réside plus dans la mobilisation des électeurs « naturels » du Parti démocrate que dans une tentative vaine de convaincre des républicains modérés. Pourquoi le pays se trouve-t-il dans un état de division qu’il n’a pas connu depuis les années 1920, voire depuis la fin de la guerre de Sécession ? Trois politologues (McCarty, Poole et Rosenthal) ont établi que la polarisation allait de pair avec l’explosion des inégalités et un fort taux d’immigrés. Les inégalités sociales ont retrouvé leur niveau des années 1920, soit avant le New Deal et la mise en place de l’État providence et de politiques de redistribution. Depuis plusieurs décennies, l’imposition sur les revenus et patrimoines des plus riches – le fameux 1 % – ne cesse d’être allégée par les députés et sénateurs des deux partis. La grande réforme fiscale de Trump a encore ajouté un coup de rabot supplémentaire sur la contribution des millionnaires et milliardaires dans un pays qui poussa, dans les années 1950, son taux d’imposition jusqu’à 93 %. Quant à la proportion d’immigrés et d’enfants d’immigrés, elle a également rejoint sa toise des années 1920, après les grands apports migratoires des années 1880-1910. Le pays est engagé dans un processus de diversification démographique qui crispe une partie importante de la population blanche. Le mouvement de polarisation a enclenché une réorganisation des deux grands partis selon un clivage gauche-droite, traditionnel en Europe, mais relativement étranger aux États-Unis. Christophe Deroubaix Grand reporter à l'Humanité, 2 août 2019 and now ... voir aussi : Etats-Unis : la révolution SANDERS (1ère partie)Etats-unis : la révolution Sanders (2ème partie) |