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  • Wycliffe & les Lollards XIV° siècle et ensuite     Jean Delumeau apporte des éléments qui expliquent le succès futur de l’implantation de la Réforme en Angleterre : « Dès 1380 apparurent en Angleterre des projets de confiscation des biens ecclésiastiques ...
    Publié à 12 nov. 2017, 01:03 par Jean-Pierre Rissoan
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Wycliffe & les Lollards XIV° siècle et ensuite

publié le 10 sept. 2014, 07:48 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 12 nov. 2017, 01:03 ]

    Jean Delumeau apporte des éléments qui expliquent le succès futur de l’implantation de la Réforme en Angleterre :

« Dès 1380 apparurent en Angleterre des projets de confiscation des biens ecclésiastiques (avec Wycliffe et ses disciples Lollards, JPR). (..). L'Angleterre avait (…) pris ses distances avec la papauté. Le roi décidait des nominations et gardait le temporel durant la vacance du bénéfice ecclésiastique. Bien avant le schisme d'Henry VIII, l’Église anglaise était devenue le chose du roi et elle n'était plus rattachée à Rome que par lui »[1].

    Effectivement, l’Angleterre de la fin du XIV° siècle a été à la pointe du combat social et de l’émancipation religieuse. Le mouvement de John Ball que Mollat & Wolff dénomment "mouvement des Travailleurs" est absolument contemporain de l’expression publique de "l’hérésie de Wycliffe".

 

    Avec la révolte anglaise des Lollards (1381-1414), on voit les paysans du Kent et de l'Essex s'unir au peuple de Londres - entrés dans la ville, certains se voient offrir vivres et boissons - derrière le prêtre John Ball. Voici un extrait du portrait qu’en trace le chroniqueur français Froissart :

"... Cil Jean Balle avait eu d'usage que les jours de dimanche après la messe, quand toutes gens issent du moutier, il s'en venait au cloître ou cimetière, et la préchoit et faisoit le peuple assembler autour de lui, et leur disait : « Bonnes gens, 1es choses ne peuvent bien aller en Angleterre, ni ne iront jusques à tant que les biens iront de commun, et qu'il ne sera ni vilains ni gentilshommes, et que nous ne soyons tous unis. A quoi faire sont ceux que nous nommons seigneurs, plus grands maîtres de nous ? A quoi l'ont-ils desservi ? Pourquoi nous tiennent-ils en servage? Et si nous venons tous d'un père et de une mère, Adam et Ève, en quoi peuvent-ils dire ni montrer que ils sont mieux seigneurs que nous, fors parce que ils nous font gagner et labourer ce que ils dépendent ? Ils sont vêtus de velouz et de camocas fourrés de vairs et de gris; et nous sommes vêtus de povres draps. Ils ont les vins, les épices et les bons pains; et nous avons le seigle, le retrait, paille, et buvons de l'eau. Ils ont le séjour et les beaux manoirs; et nous avons la peine et le travail, la pluie et le vent aux champs ; et faut que de nous vienne, et de notre labour, ce dont ils tiennent les états. Nous sommes appelés serfs, et battus si nous ne faisons présentement leur service. Et si n'avons souverain à qui nous nous puissions plaindre, ni qui nous en voulsist ouïr ni droit faire ; allons au roi, il est jeune ; et lui remontrons notre servitude, et lui disons que nous voulons qu'il soit autrement ou nous y pourvoirons de remède. Si nous y allons de fait et tous ensemble, toute manière de gens qui sont nommés serfs et tenus en servitude, pour être affranchis, nous suivront ; et quand le roi nous verra ou orra, ou bellement ou autrement, de remède il y pourvoira"[2].

 John Ball est l’auteur de ce mot historique qui illustre le mieux l’insolence révolutionnaire :

"Quand Adam bêchait et qu’Eve filait, où était le gentilhomme ?"

    Les Lollards, révolutionnaires authentiques, ne faisaient que matérialiser dans l'action les idées de John Wycliffe, clerc d'Oxford, qui écrivit, en 1374, dans son traité :

" Primitivement, tous les biens créés par Dieu devaient être en commun. La preuve en est la suivante : chaque homme devait être en état de grâce ; s'il est en état de grâce, il est le maître du monde et de tout ce qu'il contient ; d'où il sort que chaque homme doit être le maître du monde entier. Mais, à cause de la multitude des hommes, cela ne peut arriver s'ils ne tiennent toutes choses en commun. C'est pourquoi toutes choses doivent être en commun" [3].

    Wycliffe affirmait aussi qu’il fallait purifier l’Église en sécularisant son patrimoine ; que les dîmes étaient de pures aumônes, nullement obligatoires ; que les clercs temporels pouvaient corriger les vices des clercs indignes. La grâce accordée par Dieu était le véritable fondement de l’autorité : tout dirigeant en état de péché mortel perdait ipso facto tout droit à commander.

 

    Cependant, nous disent Mollat et Wolff, ce n’est que de 1380 que l’on peut dater les débuts de la prédication des "pauvres prêtres", disciples de Wycliffe que l’on appellera "Lollards"[4]. Wycliffe est condamné pour hérésie en 1382. Les Lollards continuent néanmoins la lutte… Le plus intéressant est évidemment leurs idées politiques. On vient d’en avoir un aperçu. Mollat et Wolff affirment qu’il y a chez eux "un égalitarisme voire un communisme à base biblique"."Bon peuple" proclame John Ball "ne crois pas que rien ne puisse jamais aller bien en Angleterre, tant que tout ne sera pas mis en commun et qu'il n'y aura plus ni noble ni vilain, mais que nous serons tous d'une seule et même condition. (…). Allons voir le roi, il est jeune, nous lui montrerons notre servitude et lui dirons que nous voulons qu’il en soit autrement ou nous pourvoirons nous-mêmes au remède". La mémoire de J. Ball sera honorée par les socialistes anglais du XIX° siècle.

     Les disciples optèrent pour la sécularisation des biens d’Église, le refus de la dîme. Ils ont anticipé l’idée luthérienne du "sacerdoce universel" : Tout homme vertueux et prédestiné à la vie éternelle, s’il est laïc, est un vrai ministre et prêtre ordonné par Dieu pour conférer tous les sacrements  ainsi que de l’idée républicaine : Dieu ne peut donner le pouvoir civil à un homme, pour lui et ses héritiers, à perpétuité. [5]. Les Lollards ont également anticipé l'idée luthérienne de la lecture individuelle de la Bible en diffusant la version anglaise de la Bible traduite par Wycliffe. 

    La liste des revendications des Lollards est bien connue grâce aux documents. Lors de la rencontre entre les révolutionnaires et le roi, il fut réclamé ce qui suit qui est classé par les historiens en trois groupes :

    Groupe légal : aucune autre loi ne doit subsister que le statut de Winchester, confiant le maintien de la paix au peuple lui-même, ce qui consiste sans doute (Mollat&Wolff dixit) à supprimer la législation spéciale du Statut des Travailleurs ; c'est encore celui-ci qui est visé par la demande que soit supprimée toute mise hors la loi, car il la prévoyait pour les travailleurs enfuis.

    Groupe seigneurial: c'est le renouvellement de l'abolition du servage ; et l'obligation faite aux seigneurs de répartir entre leurs tenanciers les droits d'usage sur les bois.

    Groupe concernant l'Église, le plus spectaculaire sans doute : les biens de l'Église lui seraient enlevés et, une fois assurée la subsistance du clergé, seraient partagés entre les paroissiens ; il n'y aurait plus qu'un évêque en Angleterre (et sans doute les insurgés songeaient-ils à confier ce poste à John Ball).

 

    Ces idées sont vivement - et atrocement - combattues par les souverains, y compris Henri VII Tudor et son fils ; mais l’on voit bien que ces "extrémistes" dans leur revendication anticléricale, leur demande de partage des biens du clergé, leur critique du pouvoir papal, aident prodigieusement les Tudor dans leur lutte contre l’Église catholique. Leur influence sera décisive sur le mouvement hussite en Bohème.

 

CHRONOLOGIE

 

-          - 1378, les grands écrits théologiques de Wycliffe.

-          - 1380, début de la prédication des disciples de Wycliffe.

-          - 1381, la "Pool tax" (capitation) déclenche l’insurrection des "Travailleurs".

-          - 13 juin 1381 : les Travailleurs investissent Londres.

-          - 15 juin 1381, assassinat de Wat Tyler, leader populaire

-          - 15 juillet, John Ball, prêtre lollard, chef de la révolte des Travailleurs est martyrisé, hanged, drawn and quartered.

-          - 1382, Wycliffe chassé d’Oxford. Ses disciples sont les "Lollards". Condamnation solennelle.

-          - 1401, un décret anglais condamne les Lollards au bûcher.

-          - 1401, premier martyr lollard : William Sawtrey.

-          - 1414, soulèvement lollard écrasé par les armées d’Henri V.

-          - 1423-1522 : 34 lollards condamnés au bûcher sur 544 poursuivis pour hérésie.

-          - vers 1500 : renaissance du Lollardisme.

-           - 1509 - 1559, agitation lollarde dans le diocèse de York.

-          - 1525, le lollardisme se fond dans l’anabaptisme.

-          - 1535, échec de l’expérience de Münster. Des anabaptistes rejoignent l’Angleterre.

-          - échec anabaptiste également en Hollande, fournisseur de réfugiés en Angleterre.

-          - 1549 : soulèvement paysan dans le fief lollard du Norfolk : Robert Kett’s rebellion.

 

    Cette petite chronologie montre à la fois l’explosion des années 1380 et la permanence du phénomène, fût-il amoindri, pendant plus d’un siècle et sa résurrection au début du XVI° siècle.Cela nous amène à parler des TUDOR. Les TUDOR : Henri VII


    lire aussi, sur ce site, la série intitulée 500 ans de luthéranisme


[1] J. DELUMEAU, "Civilisation de la Renaissance", page 162 et page 164.

[2] D’après le portrait de Froissart. 

[3] Jacques MADAULE, "Les chrétiens et les révolutions", Collection "l'humanité en marche", éditions Martinsart, Paris, 1972, préface de Don Helder Camara,page 60.

[4] MOLLAT & WOLFF, "les révolutions populaires et Europe, 14° et 15° siècles", Flammarion, 1993pages 208 (Wycliffe) et 192 (John Ball, soulèvement des Travailleurs).

[5] Les Lollards, cités par MOLLAT & WOLFF, page 208.

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