500 ans de luthéranisme (3° partie) : anabaptisme et lollards en Angleterre

publié le 4 nov. 2016, 08:12 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 17 nov. 2016, 15:57 ]

suite de : 500 ans de Luthéranisme : (2°partie) Le communisme primitif de Münzer et des Anabaptistes

    Les échanges commerciaux sont légion entre les îles britanniques et le Delta d’or. Comme toujours et comme partout, les idées accompagnent les marchandises. Un vieux dicton ne dit-il pas :

"Hops [1], Reformation, bays, and Beer

Came into England all in year"

 

Permanence du courant révolutionnaire en Angleterre

    La situation est révolutionnaire dans les campagnes anglaises, en termes sociaux, c’est-à-dire exploités vs exploiteurs. Les "hérésies" prospèrent concomitamment.

-          - 1381, la "Pool tax" (capitation) déclenche l’insurrection des "Travailleurs"

-          - 13 juin 1381 : les Travailleurs investissent Londres.

-          - 15 juin 1381, assassinat de Wat Tyler, leader populaire

-          - 15 juillet, John Ball, prêtre lollard, chef de la révolte des Travailleurs est martyrisé, hanged, drawn and quartered.

-          - 1382, Wycliffe chassé d’Oxford. Ses disciples sont les "Lollards".

-          - 1401, un décret anglais condamne les Lollards au bûcher.

-          - 1401, premier martyr lollard : William Sawtrey.

-          - 1414, soulèvement lollard écrasé par les armées d’Henri V.

-          - 1423-1522 : 34 lollards condamnés au bûcher sur 544 poursuivis pour hérésie.

-          - vers 1500 : renaissance du Lollardisme.

-           - 1509 - 1559, agitation lollarde dans le diocèse de York.

    "Bien que persécuté et interdit, le lollardisme ne disparut jamais" écrit Trevelyan (historien, Cambridge). Sur les Lollards, voici le lien avec un article de ce site : Wycliffe & les Lollards XIV° siècle et ensuite

Ces révolutionnaires suscitèrent des mesures d’exception comme nous l’avons indiqué dans la chronologie. Le lollardisme eut ses martyrs tout au long du XV° siècle. Et au début du XVI°, les historiens observent un "revival" - une renaissance - de la pensée révolutionnaire. Ces thèses audacieuses inspireront Thomas More, dont les travaux sont une nouvelle étape dans l’histoire du communisme primitif. Les hommes ont besoin d'utopie. On constate donc qu’il y a une permanence du courant révolutionnaire anglais, les campagnes anglaises s’agitent sous les premiers rois Tudor. Les Lollards aident grandement Henri VIII dans son entreprise de dépossession de l’Église d’Angleterre. C’est une idée vieille d’au moins cent-cinquante ans quand il la met en œuvre et une idée adoptée par de larges masses, autrement dit une force matérielle. Les TUDOR : Henri VIII

 

Débarquement des Luthériens

    Et voici que cette tradition anglaise rencontre l’innovation luthérienne. "Les doctrines luthériennes firent immédiatement entrer les Lollards dans le mouvement protestant " écrit Trevelyan. Cambridge deviendra un foyer réformé. Les étudiants "luthériens" se réunissent à la "petite Allemagne" (auberge du Cheval Blanc à Cambridge). Mais le plus intéressant pour notre sujet est "l’importation" du courant anabaptiste depuis le continent. L’anabaptisme est une secte religieuse. Deux points de sa "doctrine" sont à souligner. D’abord, ce souci de responsabiliser l’adulte : c’est un sujet libre, pas un nouveau-né, qui doit décider de son entrée dans la communauté chrétienne [2]. Le baptême doit se faire à l’âge adulte. Cela relève de la démarche autonomique. Ensuite, les Anabaptistes sont pour la révolution sociale. Les Anabaptistes, croyant résolument en la liberté de l’adulte responsable, conçoivent l’existence de "congrégations" créées par un "élu" en lieu et place de l’Église instituée. Avec leur refus de la dîme, il y a là la négation de l’ordre ecclésiologique. Et dès lors que devient le roi "chef suprême de l’Église d’Angleterre" ? Surtout, ainsi que l’écrit Christopher Hill : "still more were alleged to carry egalitarianism to the extent of denying a right to private property. The name came to be used in a general pejorative sense to describe those who were believed to oppose the existing social and political order"[3]. "D’autres encore ont été accusés de porter la notion d’égalitarisme jusqu’à la négation du droit à la propriété privée. Le mot "anabaptiste" fut finalement utilisé dans un sens très péjoratif pour désigner tous ceux dont on pensait qu’ils s’opposaient à l’ordre social et politique existant".

    Les échanges de toute nature sont multiples de part et d’autre de la Manche. Les allers-retours fréquents pour les marchands comme pour les intellectuels.

    L’anabaptisme est, lui aussi, un "produit d’importation" du continent en Angleterre où il rencontre le fonds lollard. L’anabaptisme se répandit de façon significative en Allemagne du sud et en Suisse, à l’occasion de "la Guerre des paysans", aux Pays-Bas également. On sait aussi que "nulle confession n’a fourni autant de victimes à la répression de l’hérésie" (H. Pirenne). Il en va de même en Angleterre. Mais dans ce dernier pays, l’hostilité à la secte va être portée au niveau institutionnel, au niveau théorique et philosophique en quelque sorte. Cela par le biais des articles de foi de 1563.

-          - 1516, Thomas More publie L’Utopie.

-          - 1519, réforme de Luther.

-          - 1521, Cambridge à la tête du mouvement anglais de réforme religieuse.

-          - 1525, W. Tyndale adopte définitivement les idées luthériennes. Il traduit en anglais le Nouveau Testament et le fait imprimer.

-          - 1525, échec du mouvement paysan allemand de Thomas Münzer. L’Angleterre sert de refuge aux exilés.

-          - Le lollardisme se fond dans l’anabaptisme.

-          - 1535, échec de l’expérience de Münster. Des anabaptistes rejoignent l’Angleterre.

-          - échec anabaptiste également en Hollande, fournisseur de réfugiés en Angleterre.

-          - 1549 : soulèvement paysan dans le fief lollard du Norfolk : Robert Kett’s rebellion.

-          -1563 : édit des Trente-neuf articles dont le 38° condamne explicitement l’anabaptisme (communauté des biens).

 

Les trente-neuf articles : turning point ?

    Les réformés anglais ont à plusieurs reprises définit leur credo (R. Marx). Les 39 articles de 1563 sont un aboutissement de la réflexion du premier XVI° siècle anglais, c’est pourquoi, quoiqu’adoptés sous le règne d’Elizabeth, je les fais figurer dans la partie consacrée à la révolution henricienne.

    L’édit des 39 est la constitution de l’Église anglicane. Ce n’est pas rien. "Toujours valable aujourd’hui" écrivait Roland Marx en 1976. Et dans ce texte (sacré ?) on parle de choses aussi triviales que le droit de propriété. En effet, l’article 38 dénonce nommément les Anabaptistes, preuve manifeste de leur importance concrète dans les villes et campagnes anglaises, preuve des sentiments révolutionnaires qui habitent le peuple anglais durant cette première étape de la Révolution. Il faut savoir d’abord que le maître J. Calvin a publié un texte sévère et définitif sur les Anabaptistes de Genève et de la Confédération helvétique : "Brievre instruction pour armer tous bons fidèles contre les erreurs de la secte commune des Anabaptistes". Cela en 1544. Ce texte fut introduit en Angleterre et traduit en langue vernaculaire en 1549. On voit donc la mobilisation des esprits contre la secte honnie.

    Que dit l’article 38 ?

"Article XXXVIII:  Of Christian men's good which are not common. The riches and goods of Christians are not common, as touching the right, title, and possession of the same, as certain Anabaptists do falsely boast; notwithstanding every man ought of such things as he possesseth liberally to give alms to the poor, according to his ability".

Du bien des hommes chrétiens qui ne sont pas communs. Les richesses et les biens des chrétiens ne sont pas des biens communs, en ce qui concerne le droit, le titre et la possession du même, comme certains Anabaptistes le divulguent faussement. Nonobstant, tout homme doit donner l'aumône aux pauvres, selon ses capacités disposant libéralement des choses qu'il possède.  

    Comme on le voit, les biens des Chrétiens ne sont pas propriété commune, ce sont les Anabaptistes qui divulguent cette grossière tromperie. Bien entendu, chacun se doit, en fonction de ses possibilités, de faire un peu l’aumône. Mais le substrat est clair : pas de communisme en Angleterre ! On comprend mieux cette exclamation de William Penn (1644-1718) qui parle ainsi de la Réforme : "je suis sûr qu’on l’a faite pour assurer les droits de la propriété et de la conscience : le Protestantisme a été la protestation élevée par la conscience contre les atteintes portées à la Propriété"[4]. Il faut dire que ces "communistes" primitifs qui parlent de partage, qui nient la propriété privée, sont bien à contre-courant dans cette Angleterre remplie de loups hobbesiens qui se lèchent les babines devant les biens des couvents et autres monastères, qu’ils convoitent et qu’ils accapareront. Ainsi, dès le milieu du XVI° siècle, l’État anglais légifère sur le statut de la propriété : elle sera privée. Cela justifie les affirmations du philosophe A. Badiou qui peut écrire :

"J'appelle ‘État’,…, le système des contraintes qui, précisément, limitent la possibilité des possibles. On dira aussi bien que l'État est ce qui prescrit, ce qui, dans une situation donnée, est l'impossible propre de cette situation, à partir de la prescription formelle de ce qui est possible. L'État est toujours la finitude de la possibilité, et l'événement en est l'infinitisation. Qu'est-ce qui aujourd'hui, par exemple, constitue l'État au regard des possibles politiques ? Eh bien, l'économie capitaliste, la forme constitutionnelle du gouvernement, les lois (au sens juridique) concernant la propriété et l'héritage, l'armée, la police... On voit comment, au travers de tous ces dispositifs, de tous ces appareils, y compris ceux, naturellement, qu'Althusser nommait ‘appareils idéologiques d'État’ - et qu'on pourrait définir par un but commun : interdire que l'Idée communiste désigne une possibilité -, l'État organise et maintient, souvent par la force, la Distinction entre ce qui est possible et ce ne l'est pas. Il en résulte clairement qu'un événement est quelque chose qui advient en tant que soustrait à la puissance de l'État"[5].

    Les fameuses "libertés anglaises" dont on nous rebat les oreilles sont limitées, à droite, par l’exclusive anticatholique, à gauche, par l’exclusive anticommuniste. On retrouvera cependant une forme de communisme sous la Révolution de 1640-1660.


[1] Hops : houblon ; bays : Étoffes fines à contexture assez légère (Le Branchu).

[2] Cela annonce E. Kant et son célèbre « aie le courage de te servir de ton propre entendement ».

[3] C. HILL, p26.

[4] R.B. PERRY, Puritanisme & Démocratie.

[5] Alain BADIOU, l’hypothèse communiste, (2009), Nouvelles éditions Lignes, extraits.

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