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Retour sur l'histoire des Vaudois au XVI°siècle, la tragédie de 1545...

publié le 2 mai 2016, 03:52 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 19 déc. 2018, 09:06 ]

  
     J'ai publié un article sur l'histoire des Vaudois, François 1er et le génocide des Vaudois (1545), qui a eu un "succès" inattendu pour ce qui me concerne : 220 lectures en un peu plus d'un an, originaires de 14 pays avec la France naturellement en tête (176 lectures) mais aussi 17 pour le Canada, 10 pour la Suisse, 4 belges et 4 américaines, etc... (NB. il faut ajouter 1400 pages vues depuis mai 2016).
    Une lectrice, spécialiste de la question, a exprimé quelques réserves. Il s'agit de Mme Catherine Beaucourt qui fait partie de l'Association d’Études Vaudoises et Historiques du Luberon à Mérindol (AEVHL) et dont les recherches se situent plus vers les Monts de Vaucluse et Nord-Luberon, c'est à dire les villages de MURS, JOUCAS, LIOUX, MENERBES et CABRIERES D'AVIGNON que sur Mérindol. Cette historienne travaille aussi sur l'histoire générale des Vaudois, ayant largement participé à la définition du chemin de l'Exil entre Mérindol et la Drôme dans le cadre de l'association "Sur les Pas de Huguenots"  http://www.surlespasdeshuguenots.eu/ . On peut  consulter le site de la Muse à Mérindol et les numéros de la VALMASQUE pour avoir un aperçu de l'étendue des recherches de son groupe.
    Avis donc aux amateurs qui sont nombreux à nous lire.
    J'ai demandé à Mme Beaucourt d'exprimer son point de vue et je lui donne avec plaisir accès aux colonnes de ce site qui est ouvert ainsi que je l'ai toujours affirmé. Les intertitres sont de moi.
    J.-P. R.


VAUDOIS DU LUBERON


Texte de Catherine Beaucourt

En ce qui concerne les persécutions envers les Vaudois du Luberon provençal et comtadin, il ne faut pas négliger le contexte international de la fin du Moyen Âge et du début des Temps Modernes, l’ancrage de la Provence au royaume de France, l’exercice du pouvoir royal, personnel de François Ier et le développement de l’appareil d’État, le renouvellement des élites et la mentalité des contemporains. Il faut également mentionner l’importance de l’imprimé. 

Les Vaudois ne sont pas de nouveaux venus dans cette région, en 1250 on trouve dans les registre de l’Inquisition la mention de leur  présence à L’Isle sur la Sorgue, Malaucène et Monteux.

Le contexte social de la fin du XVe siècle est dramatique. Les grands fléaux véhiculés par la fin de la Guerre de Cent Ans (sacs des Grandes Compagnies[1], épidémies de peste et famines) furent à l’origine du dépeuplement des villages provençaux et comtadins qui étaient le plus souvent le seul revenu des seigneurs qui tentèrent de revaloriser leur territoire en faisant appel à une immigration des vallées piémontaises, voulue et concertée dès le  milieu du XVe siècle et dont l’appartenance religieuse importait peu. Les ecclésiastiques ne furent guère plus regardant et leur firent des propositions d’installation souvent très avantageuses.[2] C’est ainsi que bon nombre de villages du Luberon et des Monts de Vaucluse ressuscitèrent paisiblement grâce à la venue d’environ 6000 personnes[3]. Les nouveaux habitants, soucieux de leur travail, ne cherchaient pas à faire de vagues et se fondaient dans la nature. Ils fréquentaient l’église tout en ayant une pratique clandestine de la foi vaudoise. Chrétiens, ils savaient lire et connaissaient très bien les textes sacrés.

         Les premiers tracas arrivèrent vers 1517/18 avec l’évêque d’Apt, Jean de Montaigu, qui fit appel à l’inquisiteur Pierre Ebrard.

Puis ce fut  l’arrivée à Apt, pour aider l’évêque Jean Nicolaï vers 1530, de l’inquisiteur Jean de Roma [4] qui ébranla la communauté vaudoise. Obsédé par les origines piémontaises des Vaudois il se mit à considérer hérétique, tout Piémontais. S’inspirant largement du « Marteau des sorcières »[5] et du « Manuel de l’inquisiteur »[6] de Bernard Gui (1261-1331) (celui du Nom de la Rose, JPR), tout en y ajoutant sa touche personnelle, il inquiétera les gens de la région d’Apt et en particulier ceux de Cabrières. Ce qui le rendit  célèbre fut le procès mené à Apt, du jeune barbe Pierre Griot en 1532.[7] Le jeune homme dévoilera dans ses confessions, la présence de Vaudois dans les villages de  Roussillon, Cabrières d’Avignon, Joucas et de Murs où il  suivit l’enseignement du barbe Jean Serre dans sa bastide de Bérard [8]. On ne connait pas l’issue du procès.

La même année, quelques mois plus tôt, les Vaudois  adhérèrent aux idées de la Réforme au synode de Chanforan.

Les évêques des trois diocèses concernés par la présence vaudoise n’eurent pas tous le même comportement envers la communauté. Si les évêques de Cavaillon et d’Apt, poussés par le prétexte religieux n’hésitèrent pas à tenter de s’approprier les biens des vaudois, Jacques Sadolet, évêque de Carpentras fit preuve de grande mansuétude et de paternalisme à leur égard. Pour mettre en valeur sa mense épiscopale il arrenta le grand domaine de Bezaure [9] à des vaudois de Murs dès 1528.  Vers 1530, dans le collimateur de l’inquisiteur Jean de Roma, Cabrières considéré comme une Nouvelle Genève est le village à abattre…mais il faut des prétextes qui sont trouvés au fur et à mesure des opportunités.

Le rôle de François 1er

En 1531 François Ier s’inquiéta des « erreurs luthériennes » et demanda une enquête à l’archevêque d’Aix. Dès lors la mécanique répressive connut des variations importantes d’intensité qui furent en fonction des conditions qui régnaient en Provence et dans le Comtat mais surtout à la volonté royale d’alternance de rigueur et de clémence.

En 1533 le pape Clément VII donna aux hérétiques un délai de deux mois  pour abjurer.
L’Affaire des Placards[10] n’arrangea pas la situation. Aussi le roi montra de nouveau le désir d’extirper l’hérésie de son royaume de France et de son Comté de Provence. La justice eut l’ordre de poursuivre les hérétiques et pour ce faire « le roi donnait 100 ducats à tout homme qui les dénoncerait » (cf. dans mon livre, ici-même, le concile de Toulouse de 1228, JPR). L’appât du gain éveilla une conscience catholique insoupçonnée.

Au printemps 1535, le Parlement de Provence et l’évêque de Cavaillon s’activèrent contre les Vaudois. La répression s’organisa à l’échelle internationale[11] et en juillet le roi accorda de nouveau son pardon. Toutes les poursuites furent suspendues, les prisonniers libérés et les biens confisqués rendus. Les fugitifs purent rentrer dans le royaume de France et vivre en bons chrétiens catholiques…et ses désister de leurs dites erreurs. La condition de la clémence royale : l’abjuration.

François Ier n’a pas encore opté pour une politique répressive à l’encontre des Réformés et l’année 1536, avec l’invasion étrangère (c'est la guerre contre Charles Quint qui attaque le Nord du pays et assiège Marseille, JPR), est un peu plus calme de ce côté. Le roi ayant appris « que par la grâce et la volonté de Dieu les hérésies …avaient cessées », abolissait le 31 juillet 1536 les procédures et les condamnations, à condition d’abjurer dans les six mois. Mais revirement royal le 5 aout, lorsqu’il donna l’ordre  à l’archevêque d’Aix  de chasser les hérétiques. Qu’il ait voulu se débarrasser de l’hérésie, c’est clair. Mais dès qu’il prenait des mesures de clémence l’archevêque d’Aix les appliquait à reculons, puis se montrait particulièrement zélé et s’animait dans une répression active quand le roi redevenait répressif. De ce fait, guère de temps de paix pour les vaudois de Provence. C’est l’alternance, les incertitudes, les hésitations que l’on verra jusqu’à la fin du règne.

Sur le terrain les sévices continuaient avec plus ou moins d’intensité selon les humeurs et surtout en fonction des conditions économiques dramatiques dont la communauté vaudoise, marginalisée, était rendue responsable. Il fallait un bouc émissaire.

En novembre 1537   la Compagnie de Gabriel des Gérards d’Aubres, armée royale, vint occuper le village de Cabrières, brûler des maisons et  saccager les récoltes. Il fallait nourrir et occuper la soldatesque désœuvrée.

         Les dénonciations spontanées eurent des heures de gloire et firent le bonheur des tribunaux d’inquisition. La rumeur puis la délation nourrie par la peur de l’étranger fut un moyen d’exprimer ce sentiment d’insécurité qui animait la population de Provence et du Comtat. C’est pour cela que le « boiteux de Murs », Jean Serre, barbe[12] influent de la communauté fut inquiété en 1536. L’évêque de Carpentras, Jacques Sadolet l’interrogea personnellement avec bienveillance. Serre repartit sans inquiétude.  

Emprisonné à plusieurs reprises ce ne fut qu’en 1539 qu’il dénonça à son tour[13] ses frères des villages du Luberon, des Monts de Vaucluse et de la vallée d’Aïgues. Relâché, il fut  repris et  jugé relaps en 1540. A la même période Colin Pellenc, meunier du  moulin du Plan d’Apt (dont la propriété suscitait des convoitises), fut accusé d’hérésie. Arrêté, il fut  brûlé à Aix en octobre. Par mesures de représailles  les gens de Mérindol vinrent brûler le moulin. Ils furent  condamnés par contumace. Crime de lèse-majesté.

Les confessions de Jean Serre et l’action du Plan d’Apt furent le point de départ de l’Édit de Mérindol du 18 novembre 1540 qui condamnait 19 Mérindoliens à être brûlés. Les villages les ayant reçus devaient être rasés. Affolés, la veille, le 17 novembre  plus de 300 hommes, femmes, enfants et leurs bêtes quittèrent la région vers Sisteron. Il n’y eut pas de prise d’armes ni de mésactions de la part des Vaudois dont les princes protestants prirent la défense. François Ier qui cherchait à les ménager en vue d’une éventuelle coalition contre son ennemi Charles Quint, fit marche arrière et envoya des lettres de grâce aux persécutés. Protégés par l’évêque Sadolet, les Vaudois de Cabrières du Comtat adressèrent au Parlement d’Aix et au roi des suppliques et demandèrent des enquêtes au sujet de leurs frères disparus.

 En 1543, ce fut une tentative de prise du village de Cabrières du Comtat par l’évêque de Cavaillon, Pierre Ghinucci qui  voulait confisquer les biens des Vaudois et se les approprier, car sa marotte était d’agrandir les possessions de son petit évêché. L’expédition a avorté[14].

         A la suite des ces poursuites, beaucoup de Vaudois sont  dans les campagnes et refusent de se présenter devant la justice. La menace est sérieuse car  s’ils ne le font pas ils doivent être « exterminés de nos royaumes, terres et seigneuries ». Telle est la nouvelle décision royale. Il faut procéder contre  les hérétiques  et   leurs complices rebelles à la justice, tous ceux qui partagent leurs idées.

On demande l’abjuration…sinon punis et exterminés…

L'acmé de 1545

          Il  faut agir. Il est alors demandé au seigneur de Grignan[15]  de prêter main forte pour extirper l’hérésie de Provence et du Comtat.  En son absence, c’est  Jean Maynier d’Oppède  qui va prendre des décisions draconiennes. Mais il faut l’aval du Parlement que d’Oppède n’a pas encore. Alors il réunit un conseil de guerre à Marseille le 11 avril 1545 avec Pierre  Strozzi et le capitaine de la Garde dit Paulin. Ce ne sera que le lendemain dimanche que le Parlement     décidera de faire exécuter les arrêts contre les hérétiques mais aussi contre tous les rebelles à la justice royale. On jouait sur les deux tableaux. Il ne s’agit plus des quelques  mérindoliens de l’arrêt du 18 novembre 1540, mais des villages entiers de la Roque d’Anthéron, Villelaure, Lourmarin et autres lieux qui sont dans le collimateur de Maynier d’Oppède.

Le 13 avril 1545,  les troupes royales s’installent à Pertuis. Le capitaine Paulin  s’empare le 16 avril  de Cabrières, de Pépin, de la Motte. Villages de la vallée d’Aïgues. Tandis que d’Oppède saccage  Villelaure et  Lourmarin. Le 18 les deux troupes se rejoignent à Mérindol dont la population a fui  se réfugier derrière les murailles de Cabrières du Comtat[16] et dans les montagnes de Murs. Les troupes massacrèrent les quelques malheureux qui restaient,  pillèrent ce qu’elles trouvèrent et mirent le feu au reste.

Le lendemain dimanche 19 avril le siège fut  mis devant Cabrières du Comtat qui résista héroïquement  mais se rendit le 20 avril. Pero Gelido  informa le  cardinal Farnèse[17] à qui il écrivit  qu’  « après beaucoup de fatigues et de dépenses, Cabrières s’est  rendu au capitaine Paulin et que tous les habitants de ce lieu ont péri ». Inutile de relater les faits sanglants de ces journées tragiques, horreurs qui tournent parfois au Grand Guignol inutilement selon les narrateurs[18].

Les troupes poursuivront les gens de Cabrières et de Mérindol jusqu’à Murs. Les Mursois avaient déjà mis à l’abri femmes et enfants ainsi que du bétail dans des grottes. Le capitaine de Mormoiron qui avait l’habitude de vagabonder et piller dans les parages trouva la cache et enfuma les  réfugiés qui périrent étouffés[19].  Le 21 Avril, Lacoste fut ravagé, on voulut  piller Apt et abattre les murailles de Gordes dont 25 villageois furent emprisonnés.

Quelques jours après ces carnages, de Bot, seigneur de Saignon rapporta qu'il avait couché à Murs et qu'il avait vu là les principaux vaudois si défaits si affamés qu'ils ne pouvaient se tenir  debout. Il emmena aux commissaires 211 vaudois    presque morts de faim.  Un millier de personnes  errèrent dans les bois   désirant revenir chez eux. Les gens et le bétail  mouraient  de faim. Apporter aide, soutien et nourriture était  passible de lourdes sanctions.

D'Oppède mit les sieurs de Rognes,  Joseph d'Agoult et Vaujouine en garnison aux alentours de Murs  et tous continuèrent  sans vergogne  à  piller la région. Vaudois ou catholiques.  François d’Astouaud, seigneur de Murs et le cardinal Sadolet se  plaignirent de Vaujouine (qui avait un grand entraînement en la matière de pillage) et de ses hommes  qui auraient malmené leurs gens de Murs, Bezaure et Saint-Lambert et auraient pris une quantité de bœufs. Sadolet distribua  des saufs conduits pour ses rentiers vaudois. 

Quant aux gens de Murs ils  décidèrent de se présenter à la justice. Situation délicate car   il était admis qu'une fuite était synonyme de rébellion et   seul le soldat pouvait  décider de qui était hérétique ou non, pillable ou non. De plus  un arrêt du 20 Mai 1545 stipulait  que tous ceux qui étaient  des lieux suspects Mérindol, Lourmarin, Gargas, Murs... et   qui se nommaient « Serre », même s’ils n’étaient  pas des lieux suspects seraient mis aux galères à Marseille. De ce fait Murs était un village doublement condamné.  

Le procès de Maynier d’Oppède [20] eut lieu en 1551 et l’avocat Jacques Aubéry a prononcé une plaidoirie qui dura 7 jours entiers qui fut sans résultat sur l’issue du procès. D’Oppède qui possédait de puissants appuis[21], tout comme Paulin, héros national à l’époque, Guérin, avocat au parlement d’Aix ne rencontra pas la même indulgence et fut pendu.  Le scandale de l’époque fut surtout procédurier : indignation des contemporains qu’une cour souveraine comme celle de Provence fût contrainte de comparaître en corps devant celle de Paris qui élevait celle-ci au dessus des autres.

Les suites...

 Ce sinistre épisode eut un grand retentissement dès les semaines qui suivirent.

Une chanson circula très rapidement en 1545 : « Voyez la grande offense/Faite par les méchants au pays de Provence/Contre les Innocents car ils ont mis à mort/Les chrétiens à grand tort … » [22].

En 1568, un auteur inconnu écrit une longue pièce en vers : La tragédie du sac de Cabrières », qui sous couvert de dénoncer les agissements des dirigeants est un traité d’éducation pour le prince Christophe de Bavière.[23]

L’affaire de Cabrières et Mérindol vont opposer les plus grands esprits pendant des siècles. Voici ce que d’Alembert écrit à Voltaire en 1744.

« Monsieur, serez-vous donc toujours l’adulateur du vice ? Suivez plutôt la fougue de votre imagination impétueuse. Comment votre plume a-t-elle pu s’abaisser à louer un magistrat qui s’est rendu coupable de plus de crimes qu’il n’a prononcé d’arrêts ? Vous ignoriez sans doute ses expéditions sanglantes à Mérindol et Cabrières contre les Vaudois. S’il vous souvenait qu’à peine entré dans cette dernière ville il fit conduire dans un pré les soixante hommes qui la défendaient, et les fit tous égorger par ses soldats ; que les femmes, qui cherchèrent alors un asile dans les églises, furent violées jusque sur les marches de l’autel, et que celles dont l’âge et la laideur étaient un frein contre la licence furent renfermées et brûlées dans une grange pleine de paille ; s’il vous souvenait que vingt-deux autres villages partagèrent le sort de Cabrières, et que cette horrible persécution coûta la vie au moins à quatre mille personnes, et que l’élite de la jeunesse vaudoise, au nombre de sept cents, fut réservée à l’opprobre le plus honteux, vous abandonneriez bientôt votre langage cynique et révoltant pour vous élever contre les emportements de la plus criminelle des persécutions. Adieu, monsieur ; ma plume va vous paraître un peu hardie, mais je ne puis fermer la bouche à la vérité ».[24]

Dans son  « Traité sur la tolérance », Voltaire a pris conscience des faits et écrit en 1763 : «  Ces peuples, jusqu'alors inconnus, avaient tort, sans doute, d'être nés Vaudois; c'était leur seule iniquité. Ils étaient établis depuis trois cents ans dans des déserts et sur des montagnes qu'ils avaient rendus fertiles par un travail incroyable. Leur vie pastorale et tranquille retraçait l'innocence attribuée aux premiers âges du monde. Les villes voisines n'étaient connues d'eux que par le trafic des fruits qu'ils allaient vendre, ils ignoraient les procès et la guerre; ils ne se défendirent pas: on les égorgea comme des animaux fugitifs qu'on tue dans une enceinte[25] »

La tragédie des Vaudois  du Luberon et des Monts de Vaucluse fut pendant des siècles, un exemple cité  aux enfants. Les guerres de religions  s’étendirent à  la France entière sans pour autant épargner la Provence et le Comtat Venaissin avec encore des périodes de tolérance et de trêve  pour redoubler d’horreur dans les moments d’acharnement.

Les rois successeurs de François Ier ont eu du mal à gérer le conflit qui était religieux, politique, économique et bien souvent d’origine familiale. Charles IX a vu les massacres de la Saint-Barthélemy[26],  Henri III a tenté de garder un équilibre et Henri IV fit admettre en 1598, un traité de tolérance : l’Édit de Nantes.  Mais ce ne fut que de la tolérance, avec la reprise des persécutions et les « Dragonnades » du XVIIe siècle. Il  fut abolit par Louis XIV en 1685.

Des Vaudois ont fui vers l’exil, d’autres ont réintégré tant bien que mal les terres abandonnées, certains ont abjuré par nécessité ou conviction. Toutefois (dans)  les villages du Luberon leur présence est indéniable et bien des familles locales revendiquent leurs origines vaudoises du XVIème siècle.

Catherine BEAUCOURT-MARUCCO

 

 

 

 

 

 

 



[1] Arnaud de Cervole et Bertrand Duguesclin

[2] Le commandeur de l’ordre des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem passa le premier « acte d’habitation », (contrat collectif), en 1465 pour les terres de la commanderie de Joucas. L’évêque d’Apt, Jean de Montaigu, passera un acte d’habitation en 1508 pour la remise en état de son domaine des Tourettes, Jacques Sadolet évêque de Carpentras fit de même pour sa mense épiscopale de Bezaure (Lioux). Les contrats individuels sont des « accapts ».

[3] Les Vaudois ont des patronymes caractéristiques qui permettent de les identifier

[4] Une enquête ordonnée par François Ier en 1533 le stoppa dans ses exactions.

[5] Kramer et Sprenger « Malleus Maleficarum », Strasbourg 1486-87.

[6] « Practica Inquisistionis haereticae pravitatis »

[7] Gabriel Audisio « le barbe et l’inquisiteur ».

[8] Catherine Beaucourt «  Jean Serre, le boiteux de Murs ». Valmasque n°101, mars 2016

[9] Commune de Lioux-84. Une série de baux furent enregistrés pour Bezaure et Saint-Lambert en 1528, 1543, 1538 et 1543.

[10] Dans la nuit du 18 octobre 1534, des protestants français placardent des proclamations contre la messe en différents lieux du pays et jusque sur la porte de la chambre de François 1er, à Amboise. C'est la première manifestation d'hostilité entre protestants et catholiques en France. Elle mènera vingt-cinq ans plus tard aux guerres de religion...

[11] P. Gilles n°71, t.I, p.60. Claude de Tende, gouverneur de Provence  donna le  12 juin 1535 des lettres patentes à Pantaléon Bensour, commissaire du duc de Savoie, pour qu’on lui donne copie de toutes les dépositions faites par les suspects d’hérésie détenus en Provence.

[12] Les barbes sont issus du monde rural,   formation essentiellement biblique, paysan, fils de paysans, prononcent les trois vœux pauvreté, chasteté, obéissance, propriété commune, Interdiction de jurer, juger et tuer.  Le terme de "barbe" apparaît au XVe siècle. Mistral le définit comme " titre de respect qu'on donne à un ancien du peuple, à un oncle, dans les Alpes piémontaises et le comté de Nice". "L'ouncle" est l’ancien du village par affection et respect.

[13] On connait certaines méthodes inquisitoriales pour inciter aux aveux « spontanés ».

[14] Marc Venard : « Réforme protestante, réforme catholique dans la province d’Avignon XVIe siècle. » Paris, 1993.

[15] Louis Adhémar de Monteil, baron puis comte de Grignan, gouverneur de Provence, parti à la diète de Worms.

[16] Aujourd’hui Cabrières d’Avignon.

[17] A.S. Parma. Carte farnesiane, Francia, lettre du Pero  au cardinal Farnese, 20 avril 1545.

[18] Ce sera le 3 novembre 1545 que les troupes reviendront pour raser le village déserté, à la demande insistante de l’évêque de Cavaillon Ghinucci et  contre l’avis de Gelido et de Paul Sadolet.

[19] Catherine Beaucourt : « La semaine sanglante à Murs, les grottes de Bérigoule » in La Valmasque n°101.

[20] J. Aubéry. « Histoire de l'exécution de Cabrières et de Mérindol, et d'autres lieux de Provence », présentée et annotée par G. Audisio.

[21] Les papes Jules II et Jules III intervinrent en sa faveur

[22] Bordier in « Le chansonnier huguenot » T. III P. 341. :« Chanson lamentable » P.398 et  en 1570, P.398.

[23] Catherine Beaucourt : "La tragédie du sac de Cabrières ou traité d’éducation pour un jeune prince allemand", Valmasque N° 101.

[24] Voltaire, Correspondance : année 1744 Garnier (Œuvres complètes de Voltaire, tome 36, pp. 283-284).

[25] Voltaire, « Traité sur la tolérance » : Note 8 «  Le véridique et respectable président de Thou parle ainsi de ces hommes si innocents et si infortunés: "Homines esse qui trecentis circiter abhinc annis asperum et incultum solum vectigale a dominis acceperint, quod improbo labore et assiduo cultu frugum ferax et aptum pecori reddiderint; patientissimos eos laboris et inediae, a litibus abhorrentes, erga egenos munificos, tributa principi et sua jura dominis sedulo et summa fide pendere; Dei cultum assiduis precibus et morum innocentia prae se ferre, caeterum raro divorum templa adire, nisi si quando ad vicina suis finibus oppida mercandi aut negotiorum causa divertant; quo si quandoque pedem inferant, non Dei divorumque statuis advolvi, nec oereos eis aut donoria ulla ponere; non sacerdotes ab eis rogari ut pro se aut propinquorum manibus rem divinam faciant: non cruce frontem insignire uti aliorum moris est; cum coelum intonat, non se lustrali aqua aspergere, sed sublatis in coelum oculis Dei opem implorare; non religionis ergo peregre proficisci, non per vias ante crucium simulacra caput aperire; sacra alio ritu et populari lingua celebrare; non denique pontifici aut episcopis honorem deferre, sed quosdam e suo numero delectos pro antistitibus et doctoribus habere. Haec uti ad Franciscum relata VI id. feb., anni, etc." (THUANI, Hist., lib. VI.) Mme de Cental, à qui appartenait une partie des terres ravagées, et sur lesquelles on ne voyait que les cadavres de ses habitants, demanda justice au roi Henri II, qui la renvoya au parlement de Paris. L'avocat général de Provence, nommé Guérin, principal auteur des massacres, fut seul condamné à perdre la tête. De Thou dit qu'il porta seul la peine des autres coupables, quod aulicorum favore destitueretur, parce qu'il n'avait pas d'amis à la cour.

 [26] Le mariage organisé par Catherine de Médicis et Charles IX, de Marguerite de Valois avec Henri de Navarre, prince protestant fut mal apprécié. (voir le film de Patrice Chereau, La reine Margot, JPR).


Hérésies : les vagues successives du communisme utopique

publié le 18 juil. 2015, 04:52 par Jean-Pierre Rissoan

    Mes divers articles s’inscrivent dans une série intitulée « l’actualité à la lumière de l’histoire » et dans mon livre, j’ai placé en exergue ce conseil de F. Braudel à Marc Ferro : "et n’hésite pas à reculer pour expliquer : plus tu recules dans le passé, mieux tu analyses". Qu’est-ce que l’histoire peut bien apporter à la compréhension d’un fait -somme toute mineur- comme la candidature non-communiste de 2012 ?

    Je tâche, actuellement, de conduire à sa fin la rédaction de mon second livre, rédaction qui m’a amené à suivre le déroulement de nombreuses révolutions de par le monde.

Ainsi ai-je rencontré les Lollards[1]

    « Il y eut, la révolte anglaise des Lollards (1381-1414), où l'on voit les paysans du Kent et de l'Essex s'unir au peuple de Londres derrière le prêtre John Ball ; c’est un épisode qui suscite une réflexion de longue portée. "Bon peuple" déclare John Ball "ne crois pas que rien ne puisse jamais aller bien en Angleterre, tant que tout ne sera pas mis en commun et qu'il n'y aura plus ni noble ni vilain, mais que nous serons tous d'une seule et même condition". Les Lollards, révolutionnaires authentiques, ne faisaient que matérialiser dans l'action les idées de John Wyclif, clerc d'Oxford, qui écrivit, en 1374, dans son traité : "primitivement, tous les biens créés par Dieu devaient être en commun. La preuve en est la suivante : chaque homme devait être en état de grâce ; s'il est en état de grâce, il est le maître du monde et de tout ce qu'il contient ; d'où il sort que chaque homme doit être le maître du monde entier. Mais, à cause de la multitude des hommes, cela ne peut arriver s'ils ne tiennent toutes choses en commun. C'est pourquoi toutes choses doivent être en commun". Wyclif est condamné pour hérésie en 1382. Les Lollards engagent néanmoins la lutte : de la difficulté de l’Église à se faire obéir ! Ces thèses audacieuses inspireront Thomas More. Les hommes ont besoin d'utopie ».

Puis, il y eut les Hussites.

    Les Tchèques furent dans un tout premier temps influencés par les thèses de Wycliffe : « la grâce n’est pas étrangère à la Seigneurie, elle en est la véritable base ». Autrement dit, le seigneur, quel que soit son grade, n’a d’autorité réelle que si celle-ci est fondée sur l’état de grâce, sinon il est permis au peuple de contester la réalité de son pouvoir. Thèse éminemment révolutionnaire. Les Hussites ont contesté la cupidité de l’Eglise catholique romaine, altérée de pouvoir et de richesse surtout depuis Innocent III. Ils ont lancé la prédication en langue nationale. Ils ont combattu par la violence les indulgences que Jean XXIII[2] comptait utiliser pour financer sa guerre contre le roi de Naples. Les Hussites ont aussi exigé et appliqué la communion sous les deux espèces, ont nié le droit de l’Eglise à posséder des biens de sorte que de nombreuses sécularisations furent opérées par moult nobles et bourgeois. Tout cela, on le retrouvera avec le luthérianisme.

    Mais le hussitisme eut des prolongements après la mort - dans des conditions ignominieuses[3] - de Jean Huss. Il y eut d’abord le radicalisme pragois au caractère évident de révolution sociale. Puis le Taborisme est une tentative quelque peu naïve de société communiste : « ils voulaient vivre dans l’imitation de l’Eglise primitive, et mettaient tout en commun ; ils se nommaient tous frères, et l’un fournissait ce dont manquait l’autre »[4].

    Mais ces communautés taborites expriment, en un sens, une révolution aboutie qui va au bout de sa réflexion, de sa sincérité. Leurs existences donnent l’essence de ce mouvement historique.

La philosophie de Thomas Münzer

    Voici ce qu’en dit F. Engels :

    « Il rejetait la Bible comme révélation tant unique qu'infaillible. La véritable révélation vivante c'est, disait Münzer, la raison (c’est moi qui souligne, JPR)[5]révélation qui a existé de tous temps et chez tous les peuples et qui existe encore. Opposer la Bible à la raison, c'est tuer l'esprit par la lettre. Car le Saint-Esprit dont parle la Bible n'existe pas en dehors de nous. Le Saint-Esprit, c'est précisément la raison. La foi n'est pas autre chose que l'incarnation de la raison dans l'homme et c'est pourquoi les païens peuvent aussi avoir la foi. C'est cette foi, c'est la raison devenue vivante qui divinise l'homme et le rend bienheureux. C'est pourquoi le ciel n'est pas quelque chose de l'au-delà, c'est dans cette vie même qu'il faut le chercher  et la vocation des croyants est précisément d'établir ce ciel, le royaume de Dieu, sur la terre. De même qu'il n'existe pas de ciel dans l'au-delà, de même il n'y existe pas d'enfer ou de damnation. De même, il n'y a d'autre diable que les désirs et les appétits mauvais des hommes…».

    « Sa doctrine politique se rattachait exactement à cette conception religieuse révolutionnaire et dépassait tout autant les rapports sociaux et politiques existants que sa théologie dépassait les conceptions religieuses de l'époque. De même que la philosophie religieuse de Münzer frisait l'athéisme, son programme politique frisait le communisme, et plus d'une secte communiste moderne, encore à la veille de la révolution de mars (1848 en Allemagne, JPR), ne disposait pas d'un arsenal théorique plus riche que celui des sectes « münzériennes » du XVIe siècle. Ce programme (…) exigeait l'instauration immédiate sur terre du royaume de Dieu, du millénium des prophètes (…). Pour Münzer, le royaume de Dieu n'était pas autre chose qu'une société où il n'y aurait plus aucune différence de classes, aucune propriété privée, aucun pouvoir d'État autonome, étranger aux membres de la société. Toutes les autorités existantes, si elles refusaient de se soumettre et d'adhérer à la révolution, devaient être renversées,  tous les travaux et les biens devaient être mis en commun et l'égalité la plus complète régner. »

Même aux Pays-Bas…

    Geert Groote[6] (1340-1384) -contemporain des Lollards anglais et de John Ball- se rebelle contre les abus de l’Eglise, « exalte les vertus de pauvreté et de simplicité », prône « le partage des richesses et la prédication en langue vulgaire » et non plus en latin. Il fonda la communauté des « Frères de la vie commune » (De Voogd). Communauté enseignante dont Érasme fut l’élève. La Frise, qui s’était proclamée "immédiate d’Empire"[7] avait des velléités d’indépendance autant que ses paysans mutins qui luttaient contre l’injustice (révolte du "pain et du fromage"1491-1492). Les Etats de Frise -l’assemblée provinciale- sont élus par les propriétaires terriens au suffrage indirect, cas unique dans les 17 provinces. Mais un adage frison ne dit-il pas « every Frisian is a nobleman » ? Ces éléments expliquent le succès de l’anabaptisme au sein de son petit peuple :

"True evangelical faith cannot lie dormant. It clothes the naked, it feeds the hungry, it comforts the sorrowful, it shelters the destitute, it serves those that harm it, it binds up that which is wounded, and it has become all things to all people"[8].

    Anabaptisme hérétique et pourchassé. Les Anabaptistes furent au premier rang des victimes de la sauvagerie répressive : « On ne saurait compter ceux qui furent torturés, brûlés ou exécutés, mais leur courage et la ténacité de ces émissaires restèrent inébranlables » écrit Engels et H. Pirenne confirme cette sentence : « Nulle confession n’a fourni autant de victimes à la répression de l’hérésie » .[9]

L’anabaptisme redynamise les Lollards…

L’édit des 39 articles est la constitution de l’Eglise anglicane. Ce n’est pas rien. « Toujours valable aujourd’hui » écrivait Roland Marx en 1976. Et dans ce texte (sacré ?) on parle de choses aussi triviales que le droit de propriété. En effet, l’article 38 dénonce nommément les Anabaptistes, preuve manifeste de leur importance concrète dans les villes et campagnes anglaises, preuve des sentiments révolutionnaires qui habitent le peuple anglais durant cette première étape de la Révolution. Il faut savoir d’abord que le maître J. Calvin a publié un texte sévère et définitif sur les Anabaptistes de Genève et de la Confédération helvétique : « Brievre instruction pour armer tous bons fidèles contre les erreurs de la secte commune des Anabaptistes ».Cela en 1544. Il fut introduit en Angleterre et traduit en langue vernaculaire en 1549. On voit donc la mobilisation des esprits contre la secte honnie.

Que dit l’article 38 ?

“Article XXXVIII:  Of Christian men's good which are not common. The riches and goods of Christians are not common, as touching the right, title, and possession of the same, as certain Anabaptists do falsely boast; notwithstanding every man ought of such things as he possesseth liberally to give alms to the poor, according to his ability”.

Comme on le voit, les biens des Chrétiens ne sont pas propriété commune, ce sont les Anabaptistes qui divulguent cette grossière tromperie. Bien entendu, chacun se doit en fonction de ses possibilités de faire un peu l’aumône. Mais le substrat est clair : pas de communisme en Angleterre !

Les Diggers de Winstanley

    Nous sommes ici en pleine révolution anglaise.

    Le texte suivant est extrait de L’Etendard dressé des Vrais Niveleurs, qui est, si l’on en croit O. Lutaud, la réponse de G. Winstanley et treize amis co-signataires à The agreement of the people de Lilburne[10]. Mais le texte est adressé surtout « aux puissances d’Angleterre et à toutes les Puissance du monde ». 

    « Wheresoever there is a people united by common community of livelihood into oneness, it will become the strongest land in the world, for then they will be as one man to defend their inheritance (…) Whereas on the other side, pleading for property and single interest divides the people of a land and the whole world into parties, and is the cause of all wars and bloodshed and contention everywhere (…) But when once the earth becomes a common treasury again, as it must, then this enmity of all lands will cease, and none shall dare to seek dominion over others, neither shall any dare to kill another, nor desire more of the earth than another »[11]

    Pensée d’une incroyable lucidité.

    Les Diggers ? On connaît le "passage à l‘acte" de ces utopistes qui, un jour d’avril 1649, se sont emparé de terrains communaux sur la colline de St. George’s Hill (Walton-on-ThamesSurrey), constituant une communauté et ont entrepris de les bêcher avec leur outil (a dig), les ensemencer et se partager la récolte. Il est vrai que l’Angleterre vivait une pénurie de grains, voire une famine à cette date, et ce passage à l’acte est parfaitement fondé. Nonobstant, les propriétaires locaux les ont fait ultérieurement déguerpir manu militari, et ce, partout où l’expérience fut tentée. De tout cela, il reste le souvenir et les écrits de Winstanley.

    Winstanley est souvent cité comme communiste chrétien. Il est certainement déiste, à coup sûr anticlérical. Mais sa démarche est matérialiste. D’une part, il s’appuie sur les nécessités vitales, les besoins du peuple :

« The declaration of righteous law shall spring up from the poor, the base and despised ones and fools of the world »[12]

D’autre part, son Dieu est à l’image de la Raison qu’il vénère :

« (…) Le riche dit au pauvre que ce dernier offense la loi de la Raison s'il prend au riche ; or moi j'estime que cette loi est rompue si les riches ont l'abondance grâce aux pauvres (...). Est-ce la lumière de la Raison qui veut que certains accaparent tout ? (...), que le prêteur aille emprisonner l'autre et le fasse mourir de faim au secret ? Est-ce la lumière de la Raison qu'une portion de l'humanité aille tuer et pendre l'autre, parce que cette dernière ne veut pas observer la même démarche ? … ». Winstanley qui dit par ailleurs « la Raison est l’esprit qui noue toutes créatures ensemble » (cité par Lutaud).

Notre Babeuf et ses immortels "Égaux"…

«La Révolution française n'est que l'avant-courrière d'une autre révolution bien plus grande, bien plus solennelle et qui sera la dernière». Ni «loi agraire», ni «partage des campagnes» ! «Nous tendons à quelque chose de plus sublime et de plus équitable, le bien commun ou la communauté des biens ! Plus de propriété individuelle des terres, la terre n'est à personne. Nous réclamons, nous voulons la jouissance communale des fruits de la terre : les fruits sont à tout le monde. Nous déclarons ne pouvoir souffrir davantage que la très grande majorité des hommes travaille et sue au service et pour le plaisir de l'extrême minorité. Assez et trop longtemps moins d'un million d'individus dispose de ce qui appartient à plus de vingt millions de leurs semblables, de leurs égaux. Qu'il cesse enfin, ce grand scandale !... L'instant est venu de fonder la République des Égaux. Les jours de la restitution générale sont arrivés ». (extrait du Manifeste des Égaux, 1796).

    Preuve claire de la proximité des Égaux avec les couches populaires et leur sensibilité à leurs problèmes : le gouvernement de la République qu’ils se proposent d’installer « fera disparaître le ver rongeur de l’inquiétude générale, particulière, perpétuelle de chacun de nous sur notre sort du lendemain, du mois, de l’année suivante, de notre vieillesse, de nos enfants et de leurs enfants ». L’insécurité sociale ? Le chômage ? La hantise de ne pouvoir donner à manger à ses enfants ? Le stress permanent du père et de la mère de famille ? Les Égaux connaissent. Mieux : ils agissent contre ce ver rongeur…

    Comme on le voit, je souhaite -suivant en cela l’illustre G. Lefebvre- éviter « d’examiner la pensée de Babeuf, non, comme on l’a fait plus d’une fois, sous la forme d’un système conçu dogmatiquement et avec une parfaite cohérence, mais comme un flux où le communisme millénaire, transmis par les livres, s’est enrichi et vivifié par l’observation de la société et sous l’influence des évènements »[13].

    Le "communisme millénaire" !… Quelle belle expression et il est vrai que tous les mouvements sociaux d’envergure aboutissent à ce point de réflexion : les Lollards anglais, les Taborites tchèques, puis tout ce que nous avons rencontré dans l’étude des révolutions voisines…le "flux" traverse la France des Philosophes et les Égaux s’en sont inspirés. A cela fait écho la poésie - propre de l’homme - de l’écrivain cubain Alejo Carpentier : « Selon le contenu des siècles, le mythe changeait de caractère, répondant à des désirs toujours renouvelés, mais il restait toujours le même : il y avait, il devait y avoir, il fallait qu'il y eût, à l'époque présente, à n'importe quelle époque présente, un monde meilleur »[14].

Au XIX° siècle

    L’idée communiste parcourra tout le XIX° siècle, comme un spectre bien connu. On ne va pas en retracer l’histoire ici.

    Elle fait son apparition à la chambre des députés de la III° république où Jules Guesde reprend le flambeau en répliquant à ses adversaires politiques :

    "Nous ne renions pas, en effet, les communistes d'autrefois. Que, passant par-dessus les Babouvistes, vous nous rattachiez à la République de Platon, à l'Utopie de Thomas Morus, à la Cité du soleil de Campanella, tout ce grand passé, nous nous glorifions de le faire nôtre ; nous réclamons comme notre tradition préhistorique le grand rêve communiste de tous ceux qui, du cerveau ou de la main, ont lutté pour le bien-être ou le bonheur commun. Ceux-là, nous les saluons"[15].

    Jules Guesde avait bien senti et ressenti en lui le passage du flux du communisme millénaire... Il se savait maillon d’une chaîne humaine. Le P.C.F. à Tours fut à son tour un maillon, il existe toujours, mal en point, certes, mais vivant. Pourquoi serait-il le dernier ? L’immobilisme est le contraire de la dialectique.

    Comme il a eu raison de ne point changer d’appellation. Renoncer au mot « communiste » après l’effondrement de ce que vous savez, c’eût été admettre que l’expérience bolchevique était le seul vrai communisme et que le flux millénaire, comme les chutes du Niagara, coulait verticalement dans l’oubli et la fin de l’Histoire… Non, ne laissons pas ce plaisir au Figaro et à quelques journalistes du Monde. J.-L. Mélenchon n’a pas fait une OPA sur le flux millénaire du communisme. Il ne faut pas confondre les "superstructures" - le PCF en est une - avec les infrastructures : le flux des manifestants de Septembre-Décembre a bien montré la survivance du flux millénaire…

    La lutte continue !  et comme le dit, stupéfait, Alain Juppé :"c'est une grande spécificité française, qui plonge nos partenaires européens dans la perplexité, que de voir resurgir un Parti Communiste en 2012".




[1] La plupart des textes qui suivent sont extraits soit de mon premier, soit de mon second livre (à paraître).

[2] Élu pape par le concile de Pise en 1410, il fut déposé par le concile de Constance en 1415. Il est considéré comme un antipape par l’Église catholique romaine, puisque, aussi bien, un pape prit le nom de Jean XXIII, en 1958. Ce début de XV° siècle marqua l’acmé de la crise de l’Eglise romaine.

[3] Huss est convoqué au Concile de Bâle muni d’un sauf-conduit. En fait, on lui a tendu un traquenard, il y sera kidnappé, jugé et brûlé vif.

[4] Cité par MOLLAT & WOLFF les révolutions populaires en Europe aux XIV° et XV° siècles, Flammarion, coll. Champs, Paris, 1993, 336 pages.

[5] Münzer annonce les thèses de l’anglais Winstanley (cf. infra).

[6] Gérard le Grand, né à Deventer, Province de l’Overijssel, Est des Pays-Bas.

[7] C’est-à-dire immédiatement sous l’autorité de l’Empereur, ce qui, compte tenu des distances et des préoccupations de l’Empereur, correspondait à une indépendance de fait. 

[8] « Celui qui a la vraie foi dans l’Évangile ne peut rester inactif : il habille ceux qui sont nus, il nourrit ceux qui ont faim, il réconforte celui qui souffre, il abrite le sans-logis, il rend service même à ceux qui lui nuisent, il soigne celui qui est blessé, et ainsi, toute chose est à tout le monde ».

[9] « Les anciennes démocraties aux Pays-Bas »Flammarion, 1928.

[10] D’où l’auto-appellation de "vrais Niveleurs" qui se veut polémique face à Lilburne et ses amis "qui se dédouanaient de l’accusation de communisme" (O. LUTAUD).

[11] Cité par C. HILLThe world turned upside down, traduction de LUTAUD : « Là où un peuple est ainsi accordé au point de ne faire qu'un, en un même communisme de vie ce peuple va constituer le pays le plus fort du monde : car ils ne feront qu'un seul homme pour défendre leur héritage..., tandis qu'inversement la revendication de la propriété et de l'intérêt particulier divise le peuple d'un pays, et divise le monde entier en sections —, ce qui provoque partout guerre, lutte, sang versé.. » dans Cromwell, les Niveleurs et la République. Puis (JPR) : « Mais une fois la terre redevenue un trésor commun - ce qui doit être - alors l’inimitié entre tous pays cessera et personne ne cherchera à établir sa domination sur les autres, ni n’osera tuer son prochain, ni ne désirera la terre de son voisin ».

[12] Cité par C. HILL, « La proclamation de la loi juste (en Français d’aujourd’hui, on a envie de traduire « les Droits de l’Homme ») jaillira de chez les pauvres, de la base, des exclus et autres fous du monde entier ».

[13] Propos de l’Historien Georges Lefebvre cités par J. BRUHAT. Il est évident que sous la plume de G. Lefebvre, « millénaire » n’a rien à voir avec le millénarisme 

[14] Cité par MAZAURIC, dans Antoine CASANOVA (Besançon) et Claude MAZAURICVive la Révolution ! Messidor – Éditions sociales, Paris, 1989, 222 pages, « Vive la révolution… ».

[15] Jules Guesde, discours à la chambre des députés, 24 juin 1886.

Commentaires

François 1er et le génocide des Vaudois (1545)

publié le 19 mars 2015, 06:11 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 2 mai 2016, 03:54 ]

Je publie cet extrait du livre de Paul LEUTRAT qui narre avec minutie les atrocités commises à l’encontre des Vaudois, pauvres de Lyon. C’est le massacre génocidaire de Mérindol en 1545. La télévision vient de placer cette page épouvantable de notre histoire au premier plan et je me dois de répondre à l’attente de certains. Malheureusement, je n’ai pas encore abordé la vie et l’œuvre de Pierre Valdo, pauvre de Lyon. C’est que la matière abonde et il faut - il faudrait - faire feu de tout bois. Ce qui n’est plus tout à fait possible.

Petit prolongement avec le pardon demandé par le pape François aux Vaudois, église de Turin, en cette année 2015.

J.-P. R.  

 

 

Les Vaudois sont installés dans le Lubéron depuis le milieu du XIV°siècle. Il s'agit d'un massif d'une longueur de cinquante kilomètres, au nord de la Durance, à proximité de plaines fertiles [1]  Ils y vivront tranquilles, comme en Calabre, et pour les mêmes raisons, jusqu'en 1400, où, chassés, ils reviennent lorsque deux familles piémontaises qui possèdent des terres dans le Lubéron y installent des paysans pratiquant la religion des pauvres de Lyon. Ceux-ci ne tardent pas à faire œuvre de prosélytisme. Cela leur est d'autant plus facile que dans la partie du Lubéron qui appartient au Comtat Venaissin, le légat du pape et le recteur résidant à Carpentras traitent les populations sans ménagement. Cette tyrannie se précise au début du XVI°siècle avec le vice-légat Alexandre Campeggi, pourtant mis en garde par un compatriote qui, parlant de ses officiers, lui écrit :

"Ils veulent gouverner ces douces et pacifiques populations avec la rigueur et l'impétuosité dont on use dans le gouvernement de nos pauvres cervelles italiennes".

Et Jacques du Maurier, lieutenant civil du roi, qui sera chargé d'instruire l'affaire des massacres sur le territoire du royaume dira de son côté :

"Le populaire de Provence est laborieux en agriculture, grand nourricier de bétail et fidèle au roi, comme ils montrèrent au temps de la nécessité mais grossier d'esprit et de nulle érudition, conséquemment facile à tourner et faire croire ce qu'on lui dit. ".

LES PRÉMICES.

L'affaire commence en 1532 lorsqu’ Eustache Marron, de Cabrières, délivre des prisonniers arrêtés pour avoir protesté contre l'enlèvement de leurs filles. La compagnie royale est pourchassée de la Roche-d'Anthéon à l'abbaye de Silvacane. Onze vaudois sont pris et ils sont brûlés le 5 avril 1534. L'incident qui doit permettre l'extermination des Vaudois est trouvé. Mais une longue lutte de procédure va s'engager, avec des alternatives diverses, avant que la croisade puisse erre engagée, et les hésitations de François 1er sont le reflet des incertitudes de la monarchie française face à la Réforme. Cependant les nuages s'accumulent, de plus en plus menaçants, jusqu'au jour où éclatera un orage que les pauvres de Lyon ont peut-être cru pouvoir éviter.

Après l'affaire de 1532, les évêques d'Apt, de Sisteron, de Cavaillon, pourchassent les vaudois dans leurs diocèses respectifs et l'inquisiteur de la foi à Turin est prévenu qu'un grand nombre sont originaires du Piémont, ce qui entraînera une nouvelle persécution dans les vallées alpestres, celle de 1535.

Cette même année 1535, les vaudois adressent une supplique aux protestants allemands que les Suisses appuient avec une copie de leur confession de foi, afin qu'ils interviennent auprès de François 1er. Mais, le 16 juillet, déjà, a été rendu en leur faveur l'édit de Coucy, à la seule condition qu'ils abjurent dans les six mois. Thomas de Piolenc ayant signalé en 1537 que les Vaudois ne se convertissent nullement, le roi, en 1538, ordonne de les punir. Arrêtés, ils seront bannis et verront leurs biens confisqués. Le parlement d’Aix dresse alors une liste de deux mille cinq cents hérétiques. Mais un vaudois arrêté la même année parle de dix mille foyers hérétiques en Provence. En 1539, il y a de nouvelles lettres patentes, les premières n'ayant pas été suivies d'effet. Cent cinquante-quatre vaudois sont arrêtés, et une liste, de quinze mille suspects cette fois, dressée.

En 1540, Français 1er publie encore des lettres patentes. Mais l'armée envoyée à Cadenet, trop faible, doit se replier. Le juge d'Apt, s'étant emparé du moulin du Plan d'Apt qu’il convoitait, après avoir fait brûler le propriétaire en tant que vaudois, voit ce moulin saccagé par les autres vaudois et lui-même est menacé de mort. Convoqués à la suite de cette affaire, les présumés coupables n'obtempèrent pas. L'édit de Mérindol, du parlement de Provence, ordonne alors que la localité sera détruite :

"attendu que tout le lieu de Mérindol est la retraite, refuge de gens tenant sectes damnées et réprouvées » [et la cour commande] « que toutes les maisons dudit lieu soient abattues".

Mais on sursoit à cette décision et, après enquête de l'envoyé du roi, Guillaume du Bellay, sieur de Languy, de nouvelles lettres patentes sont envoyées, qui reprennent les décisions de l'édit de Coucy. Il est dit que le roi

"pardonne à tous vaudois et dévoyés de la foi étant au pays de Provence ; que, voulant user de miséricorde pour la multitude espérant qu'ils se réduiront par la douceur, [il] leur remet et pardonne toutes peines et condamnation pourvu dans trois mois ils viennent abjurer et promettre de vivre catholiquement".

    Les Vaudois adressent le 6 avril 1541 une supplique accompagnée d'une confession de foi au parlement d’Aix, puis au roi lui-même. Cette confession de foi reconnaît l'autorité souveraine de la Bible, la croyance au péché originel, la régénération par le Saint-Esprit, la justification par la foi agissant par les bonnes œuvres, la rédemption par Jésus-Christ, seul médiateur, les sacrements du baptême et la Sainte-Cène. Les vaudois, dans leur supplique adressée au parlement, font remarquer que tous ceux qui se sont présentés jusqu'à ce jour devant les autorités civiles et ecclésiastiques pour rendre compte de leurs actes et de leur foi ne sont jamais rentrés. Ils demandent donc qu'on vienne vérifier sur place les accusations injustement portées contre eux.

    Mais François 1er, sollicité à ce sujet, ordonne d'exterminer les vaudois. Des interventions en leur faveur se produisent alors. Le 23 mai 1541, les princes allemands écrivent au roi. Sadolet, évêque de Carpentras, après avoir arrêté une attaque contre Cabrières en 1542, part pour Rome exposer la question au pape. Mais il revient avec une fin de non-recevoir.

    Les événements se précipitent et s'aggravent. Déjà en 1541, l'inquisiteur Jean de Rome battait la campagne, saccageant les maisons, pillant les fermes, accablant les vaudois d'amendes et les torturant à l'aide de bottes pleines de graisse qu'il leur mettait aux pieds et qu'il faisait chauffer au feu. Dans leur plainte au roi, les hérétiques pouvaient écrire : "Bref, il était inquisiteur, accusateur, juge et partie, tant qu'il en a fait mourir plusieurs, qu'il a mutilé des autres à pauvreté".

    L'évêque de Cavaillon va à deux reprises à Mérindol pour discuter avec les vaudois, mais il ne trouve rien à leur reprocher. "Je n'eusse point pensé qu'il y eût de si grands clercs à Mérindol", aurait-il déclaré. Le 4 avril 1542, une commission officielle qui se rend également à Mérindol se trouve dans le même cas. L'évêque de Cavaillon organise alors une expédition armée contre Cabrières-du-Comtat le 10 avril 1542 et la localité est pillée. Eustache Marron vient au secours de Cabrières mais trop tard. A Lourmarin, les vaudois ont plus de chance, et ils chassent les hommes du comte de Grignan.

    En mars 1543, de nouvelles lettres patentes de François 1er amènent les vaudois à envoyer des députés à la cour et le roi, ébranlé, ordonne qu'un maître des requêtes accompagné d'un docteur en théologie se rende en Provence et qu'en attendant tous les prisonniers soient relâchés.

Le parlement, les évêques, le comte de Grignan, le nonce du pape à Paris mettent tout en œuvre pour obtenir la révocation des ordres du roi. C'est alors que Jean Meynier, seigneur d' Oppède, second président du parlement d'Aix, remplace le 20 décembre 1543, Garçonnet, mort peut-être empoisonné, à la tête de ce parlement. Cette assemblée a mauvaise réputation, et un proverbe dit : "Le parlement, le Mistral et la Durance sont les trois fléaux de la Provence". Avec d' Oppède ce sera pire. Il possède des propriétés au nord du Lubéron, et l'occasion est excellente pour lui d'accroître son domaine, Déjà, il a fait mourir de faim dans une citerne une demi-douzaine de paysans qu'il a accusés d'être vaudois pour pouvoir s'emparer de leurs biens Son nouveau titre avec les pouvoirs qu'il entraîne, va lui permettre d'agir sur une bien plus grande échelle. Il est en outre viguier de Cavaillon[2] et peut donc en même temps pourchasser les vaudois de Provence au nom du roi et ceux du Comtat Venaissin au nom du pape.

Un autre personnage, Pietro Gelido, dit « Il Pero », ancien calviniste converti, devenu prêtre, trésorier du Comtat à Carpentras, va jouer un rôle important dans cette sinistre affaire. Il servira d'agent de liaison entre le roi, le parlement et le cardinal Farnèse, légat à l'époque, afin de hâter la répression contre ses amis de la veille. Il demande au cardinal: « d'appliquer la médecine qui guérit tous les maux en appliquant les peines usitées contre les rébellions » et il brandit à ses yeux la menace d'une sécession du Comtat. D' Oppède, de son côté, fait croire au roi que les vaudois de Provence attaquent en direction de Marseille, où ils veulent faire "comme un canton suisse". La calomnie, des deux côtés, est identique, et elle indique une collusion probable entre les deux ennemis des vaudois.

 

LE 16 JANVIER 1545, LE ROI ACCEPTE L'EXTERMINATION DES VAUDOIS.

    D'Oppède ne souffle mot de cette décision jusqu'au 12 avril, où le comte de Grignan étant parti à la diète de Worms et des troupes revenant du Piémont étant arrivées à Marseille pour s'embarquer vers Boulogne, il met le parlement au courant. Cette prudence correspond aux fluctuations de la politique des représentants des différents pouvoirs depuis le début de l'affaire des vaudois. Le parlement lui-même, à un an d'intervalle, fait passer le nombre des hérétiques susceptibles d'être poursuivis, sur les listes qu'il dresse à cet effet sur ordre royal, de deux mille cinq cents en 1538 à quinze mille en 1539. Cela suppose une indulgence à l'égard de l'hérésie au départ. On voit même un prélat, l'évêque de Carpentras, intervenir auprès du pape en faveur des vaudois. L'évêque de Cavaillon use d'abord de la persuasion, puis il se contente de faire piller une localité comme mesure de représailles du fait de l'obstination de la population dans l'hérésie. En 1540, l'armée envoyée à Cadenet pour appliquer les ordres du roi, défavorables aux vaudois à l'époque, est manifestement insuffisante et après qu'elle a battu en retraite, rien d'autre n'est tenté.

    Le silence d' Oppède semble donc indiquer qu'il n'était pas sûr d'avoir l'appui du clergé et de la noblesse de la région dans son entreprise. Le comte de Grignan envoyait bien des hommes à Lourmarin, mais il aurait sans doute hésité à mettre tout le Lubéron à feu et à sang. A supposer qu'il ait accepté d'appliquer les ordres royaux, il aurait été pour Oppède un rival gênant. Celui-ci préfère, à tous égards, mener seul son entreprise criminelle. Le 13 avril 1545, les opérations commencent contre Pertuis, et non Mérindol qui est pourtant la localité visée par l’arrêt de contumace. Le 14, les troupes sont à Cadenet. Le 15 a lieu un conseil de guerre. Le 16, c'est l'attaque de Cabrières-d'Aygues, de Pépin-d'Aygues, de la Motte-d'Aygues, de Saint-Martin-de-la-Brasque, et de Cabriette. Surpris dans leurs villages, les vaudois sont massacrés et les maisons pillées et brûlées. Les femmes qui accompagnent les soldats crèvent les yeux des vaudoises avec des aiguilles, les reîtres leur coupent les seins, leurs petites filles sont violées et les plus jeunes enfants meurent de faim sur le cadavre de leur mère. Les blessés, abandonnés sur place, seront dévorés par les loups et par les chiens. Huit cents survivants sont vendus un écu pièce pour galères de Marseille et d' Oppède poursuit sa marche victorieuse, après avoir octroyé deux jours de répit à troupes.

    Le 18, Lourmarin, Villelaure, et Très-Ermine sont attaqués à leur tour, ainsi que, par un autre corps d'armée sur la rive gauche de la Durance, la Roque-d'Anthéon Saint-Estève-de-Janson. Mais les habitants, mis au courant des atrocités commises auparavant, s'enfuient et les soldats doivent se contenter de piller et de brûler.

    Le même jour, à Mérindol, un garçon idiot que l’on trouve est attaché à un arbre et sert de cible aux soldats. Quant aux femmes réfugiées dans l'église, on les abandonne aux charretiers pour qu'ils les violent. Celles qui sont trop vieilles se voient introduire de la poudre dans le vagin et on y met le feu. Après quoi on les précipite du haut d'un rocher, et on achève les survivantes à coups de pierres et d'épées.

    A Lauris, les filles et les femmes de Mérindol que l’on a emmenées sont mises toutes nues, on les fait tenir les mains comme pour une danse et on les fait ainsi aller par la ville autour du château en les battant et en les frappant inhumainement. Enfin, les petites filles de 8 ans sont violées en même temps que leurs mères.

    D’ Oppède, dans le Comtat Venaissin, a pris rendez-vous avec le nouveau légat du pape Antonio Trinulcio. Ils canonnent Cabrières-d’Avignon du 20 au 21. Marron défend la place. Fait prisonnier, il finira brûlé vif à Marseille. Le 21, Cabrières se rend. Des notables sont envoyés en Avignon, mais une grande partie des habitants périront. Dix-huit hommes sont taillés en pièces à coups d'épées et de hallebardes, des femmes sont enfermées dans une grange qui est incendiée. Celles qui sautent par les fenêtres sont reçues sur la pointe des piques et le président d’ Oppède pousse le raffinement jusqu'à faire ouvrir le ventre des femmes enceintes et écraser leur fœtus sous les pieds. Deux cents hommes sont réfugiés dans une salle basse du château ou ils sont maintenus prisonniers avant d'être massacrés.

    Le capitaine Jean de Gaye fait violer publiquement les femmes réfugiées dans l'église puis les fait assassiner. L'une est jetée du haut du clocher. Quelques filles plus jeunes sont emmenées par les soldats qui en abusent également, et quelques enfants, de même que quelques hommes vendus pour les galères. Jean Meynier fait tuer jusqu’aux chats. On évalue à neuf cents le nombre des victimes.

    Le même Jean Meynier, ayant ainsi récupéré les terres vaudoises, fait proclamer que quiconque apporterait secours ou nourriture aux survivants serait passible d'arrestation et verrait ses biens confisqués.

    Les expéditions se poursuivent plusieurs mois durant, à Lacoste, sur le versant nord du Lubéron, par exemple, où malgré les promesses faites de se borner à la destruction des remparts, on procède à de nouveaux massacres Les mères jettent des couteaux à leurs filles du haut des murailles pour qu'elles puissent se tuer avant d'être violées. L'une d'elles, qui a sauté des remparts, et agonise, le sera pourtant dans cet état. A Murs, on asphyxie les vaudois dans une grotte. Partout règne la terreur. On emporte jusqu'aux tuiles des maisons, jusqu'aux clôtures des champs. Il y a au total douze ou treize villages d'incendiés, vingt-deux de saccagés. Il périt encore un grand nombre de personnes, soit de faim soit à cause de leurs blessures et il y a tant cadavres autour du château de la Tour-d'Aygues qu'une épidémie se déclare dans la localité, dont meurent plus de cent habitants. Les gens de Mérindol s'étaient réfugiés dans la montagne. Ils demandent en vain à pouvoir passer en Allemagne. Dans une véritable Assemblée du désert, ils décident alors de poursuivre leur résistance.

    Le parlement condamne deux cent cinquante-cinq vaudois à mort et seize autres pour crime de droit commun ! Quatre cent soixante sont relâchés et quarante-sept abjurent. Six cent soixante-six sont envoyés aux galères. Au total, mille huit cent quarante personnes ont été tuées et mille sont mortes de fatigue. Il faut ajouter les neuf cents victimes de Cabrières dans le Comtat Venaissin. Certains villages tel Très-Ermine, ne seront jamais rebâtis. Les vaudois survivants partent finalement pour Genève et le Piémont.

Le roi, par lettres datées du 18 août 1545, ordonne l'extermination de ceux qui sont en fuite. Les bourgeois sont les premiers à protester contre ces atrocités. Ce sera de la part du roi, une sèche fin de non-recevoir. La Suisse, plus tard, recevra une réponse identique. Une nouvelle intervention de la Suisse et des États protestants de la Ligue de Smalkalde reste sans effet A cette date et malgré des regrets à son lit de mort (le 31 mars 1547), au reste peut-être légendaires, François 1er, même s'il fait libérer les vaudois condamnés aux galères, a choisi la répression[3].

 

SUITES DU DRAME : VERS LES GUERRES DE RELIGION

    Henri II ordonne par contre la révision de l'édit de Mérindol et le président d' Oppède est arrêté en octobre. Les gens du parlement d’Aix sont assignés à se présenter devant la Grand'Chambre du parlement de Paris. Le procès s'ouvre le 20 mai 1548. Jacques Aubery du Maurier demande un an pour préparer son accusation. Il parlera sept journées entières, reprochant à d' Oppède :

- d'avoir souvent écrit au roi pour l'indisposer contre les vaudois ;

- d'avoir retenu les bandes du Piémont en Provence quand elles étaient nécessaires ailleurs ;

- d'avoir excédé les ordres du -roi dans l'exécution de l'arrêt ;

- d'avoir laissé commettre les atrocités de Lacoste ;

- d'avoir défendu de fournir des vivres aux réfugiés.

Mais ses conclusions sont bénignes et d' Oppède est libéré. Polin, commandant des troupes « induit en erreur », est acquitté. Guérin, avocat du parlement d'Aix, accusé de concussion est seul pendu. Le parlement de Paris- ne pouvait que blanchir le parlement d'Aix et plus particulièrement son président !

Mais- le poème du Sac de Cabrières, dont l'auteur est inconnu, retrace à jamais les événements dans leur atrocité [4]  D'Oppède y est stigmatisé en vers vengeurs, lui qui disait : « Qu'ils -ne vivent donc plus ; ils m'enrichissent morts » et qui est décrit comme étant :

"Cette bête puante et de fait et de nom,

Puante -si puant avant qu'elle soit morte,

Que d'un mille la -sentant la femme grosse avorte".

 

Et cependant non seulement Jean Meynier d’ Oppède est gracié, mais il est réintégré dans sa charge le 2 novembre 1553. Trois ans plus tard, le pape Paul IV le fait chevalier de l'Ordre de Saint-Jean-de-Latran, comte palatin et attache ce titre à la nouvelle baronnie d’Oppède. Les jésuites, créés en 1540, portent sur le nouveau baron le jugement suivant:

"Il n'y a pas de meilleur chrétien dans le royaume de France, zélé pour la foi catholique au point de pâtir pour elle infiniment, il n'y a pas plus docte quant à la doctrine. Je vous en supplie, ajoute l'un de ces jésuites écrivant à un confrère, pour l'amour de Dieu, que, dans vos oraisons vous- recommandiez le Premier président et toute sa maison parce qu'à l'occasion il se montrerait toujours favorable à la Compagnie".

La tourmente passée, les survivants se réinstallèrent « en leurs maisons et terres désolées » dit l'Histoire Ecclésiastique. La majorité rentre en 1556. Dès 1530, - les vaudois du Lubéron, comme ceux des Alpes, avaient envoyé deux députés auprès des réformateurs de Suisse et de Strasbourg au sujet d'une union possible avec les Églises protestantes. L'un des députés a été arrêté sur le chemin du retour à Dijon. L'autre a pu s'acquitter de sa mission et l'accord était sur le point d'être conclu lorsqu’intervinrent les tragiques événements. A leur retour, les vaudois du Lubéron rentreront dans le sein de la grande famille protestante. Quatre ans plus tard, ce sera le début des guerres de religion.

Celles-ci vont voir se dérouler d'autres atrocités, comparables à celles dont le Lubéron vient d'être le théâtre et les flammes de Cabrières et de Mérindol annoncent celles qui vont s allumer un peu partout en France et en Europe. Les massacres de Provence sont comme une sinistre préfiguration des événements de toute la fin du siècle et d'une partie du suivant. En même temps, ils constituent un douloureux hommage des vaudois à ceux qu'ils vont rejoindre et comme un résumé de près de quatre cents ans de luttes et de persécutions.


LES VAUDOIS ET LE BON PAPE FRANÇOIS

 

Le pape fait pénitence

Gaël De Santis
Mardi, 23 Juin, 2015
L'Humanité
   

    Pour la première fois, l’Église vaudoise, longtemps persécutée, reçoit un pape dans ses murs.

    C’est une première : un pape dans une Église vaudoise, longtemps victime de persécutions de la part de l’Inquisition. Hier, à Turin, le pape François a envoyé un signal. « De la part de l’Église catholique, je vous demande pardon pour les attitudes et comportements non chrétiens et même non humains que, dans l’histoire, nous avons eus contre vous. Au nom du Seigneur Jésus-Christ, pardonnez-nous ! » a-t-il déclaré depuis le temple du centre de la capitale du Piémont qui n’a été construit qu’après la reconnaissance des droits civils aux Vaudois, en 1848.

    Cette visite est un signal dans le paysage politique et culturel de la Péninsule. Un de plus, après l’encyclique sur l’écologie humaine, la reconnaissance de l’apport de la théologie de la libération, les mesures pour lutter contre la pédophilie au sein de l’Église. Avec sa visite chez les Vaudois, le pape redit son attachement à une « Église qui se tourne vers les pauvres ». Car en Italie, l’Église vaudoise n’est pas n’importe quelle institution. Née au XIIe siècle, quatre siècles avant la réforme luthérienne, pour permettre aux laïques de prêcher en langue vernaculaire, ce courant, d’abord connu sous le nom de « pauvres de Lion »(5) est antérieur au mouvement franciscain dont le pape a tiré son nom. Son initiateur, Pietro Valdo, fut excommunié. Aujourd’hui, cette Église de 26 000 membres en Italie, plutôt progressiste, est très active dans les actions de soutien aux migrants. Elle défend le principe de laïcité dans un pays concordataire et se montre ouverte aux débats sur les questions de la fin de vie, de l’homosexualité et de l’avortement.


à lire également : Retour sur l'histoire des Vaudois au XVI°siècle, la tragédie de 1545... texte de Catherine Beaucourt


[1] Voir H.P. Eydoux : Cités mortes et lieux maudits de France, chapitre IV, Paris, 1959.

[2] Le viguier est un magistrat qui assume des fonctions de police. Cavaillon relève des États du pape. D’Oppède exerce donc ses fonctions au double titre de viguier du Roi et viguier du pape.

[3] Notre histoire passe le plus souvent ces événements sous silence. Il est vrai qu'il en est de même pour le massacre des pastoureaux par Louis IX ou celui des communards par Thiers !

[4] L’œuvre a dû être composée entre 1566 et 1568. Elle a été retrouvée au fond Palatin de la Bibliothèque du Vatican. Elle a été publiée avec une introduction historique par Fernand Benoît et une étude littéraire par J. Vianey. (Marseille, 1927).

(5) il s'agit bien entendu des "Pauvres de Lyon". La bonne foi de notre camarade De Santis aura été surprise. (ou alors "Lion" était alors l'orthographe usuelle de ma bonne ville de Lyon).

La croisade contre les Albigeois (2ème partie)

publié le 26 août 2013, 10:11 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 21 mai 2015, 01:25 ]

    lien pour aller à la 1ère partie : La croisade contre les Albigeois (1ère partie)   

    

    Voici l’interprétation que donne de l’hérésie cathare un écrivain pétainiste, en 1941 [1]. Après avoir dit que l’ordre traditionnel, malgré les changements du XIII° siècle, avait été pourtant maintenu avec la prééminence terrienne, Jean Gazave doit convenir : "une fois au moins, la résistance aux nouveautés perturbatrices (sic) alla jusqu’au conflit armé". Selon lui, la guerre - la "croisade" des Albigeois - oppose deux civilisations différentes : la terrienne, catholique, "où régnait la vertu de tempérance qui ordonne la modération dans la recherche du lucre" et celle du pays d’Albi qui "fit exception", qui se lança dans une monoculture commerciale du pastel et devint le pays de Cocagne. "L’or y roulait, abondant comme pierres des chemins et cailloux des torrents". La plante tinctoriale cultivée était en effet vendue au Grand Commerce et les marchands venaient des quatre coins du Vieux Monde, apportant avec eux leurs arts, lettres, goûts raffinés et autres "mœurs dissolues" (sic) et surtout, ils apportèrent aussi l’hérésie cathare. Les comtes de Toulouse, "leurs vassaux, leurs femmes, leurs troubadours, leurs artistes, tous engoués de modes nouvelles" se sont jetés dans cette religion "qui les délivrait de l’ancienne, trop gênante" et qui "au rebours de la morale chrétienne, n’imposait aucun frein à leurs concupiscences". Pour le pape et Saint Dominique, la croisade est "une action religieuse", pour Simon de Montfort et ses croisés la lutte qu’ils mènent est "un combat contre une civilisation étrangère, c’est-à-dire contre une économie divergente de la leur". Heureusement, grâce à Dieu, "l’hérésie dogmatique et morale ne fut pas seule vaincue, l’économie mercantile (…) s’effondra du coup". La chrétienté fut "réunifiée sur son économie agrarienne". La "nouveauté" fut terrassée. Non seulement, la terre ne ment pas… elle a toujours raison !   

    Ainsi, en plein XX° siècle, on retrouve des intellectuels qui condamnent à leur tour, comme le firent leurs ancêtres, les nouveautés de la période qu’ils étudient. Il y a une incontestable mentalité traditionaliste, une solidarité entre générations. La pensée conservatrice, ce n’est pas un vain mot.

 

Les hérésies font vaciller l’Église monolithe.

    Il n'entre pas dans notre propos de lister ici les hérésies du Moyen Age. L'important c'est de voir qu'elles remettent en cause l'ordre établi, elles peuvent déchirer la robe sans couture, elles ébranlent l'autorité de l’Église laquelle réagit chaque fois très durement. Mais cette période de notre histoire est hélas féconde et il faut donc s'y arrêter un instant parce qu'elle sécrète des institutions et des comportements que l'on va retrouver tout au long de notre survol historique : les compagnies de Pénitents incarnent la rigidité dogmatique et inquisitoriale de cette période [2].

    Il n'est pas indifférent de constater l'apparition d'un début de rationalisme et d'un individualisme qui fait fi des communautés chez un intellectuel comme Abélard et chez son disciple et ami Arnaud de Brescia qui fait la révolution avec les bourgeois de Rome. Les hérésies du moine Henri et de Pierre de Bruys s'épanouissent en pays cathare en plein milieu du XII° siècle et, à peine une génération plus tard, les paroles des Pauvres de Lyon, inspirées de celle de Vaudès (Pierre Valdo) remuent les consciences des classes miséreuses des villes. Et puis, il y a les Cathares au XIII° siècle.

    Le catharisme imbibe quasi totalement un Languedoc tourné vers le grand commerce, nous l’avons vu, et particulièrement vers l'Orient méditerranéen. R. Nelli, spécialiste de l'histoire du Languedoc et du Catharisme, montre le caractère révolutionnaire de cette hérésie à l'égard du système féodal, socle de l’Église romaine :

"Sans doute, le Catharisme considérait la terre comme "satanique", parce que c'est le mauvais Dieu qui la fait "grener et fleurir", et que l'agriculteur est son coadjuteur, mais surtout parce qu'elle est le support de l'organisation féodale, plus satanique encore. C'est pourquoi il préférait au travail du laboureur celui de l'artisan, qui se borne à transformer la matière, et même celui du marchand et du banquier, qui font fructifier l'argent par une sorte d'activité abstraite. Tandis que le seigneur, seul propriétaire de la terre, mais ne la cultivant pas, vit sur le dos de ceux qui la travaillent, mais ne la possèdent pas, le marchand ne subsiste que de son activité propre, il n' "exploite" que ceux qui veulent l'être, et ne s'assure le service d'autrui qu'en le rétribuant. Cela revient à dire qu'au XIIIe siècle, où, bien entendu, il n'était pas encore question de s'élever contre la notion même de "profit", l'équation travail-argent paraissait plus humaine et plus juste dans le pré-capitalisme bourgeois que dans le système féodal" [3].

    Il faut ajouter que le midi de langue d'oc vit deux innovations : C'est sur Marseille qu'est tirée de .Messine le 15 février 1200 la première lettre de change connue ; c'est à Toulouse que fut créée la première société par actions pour reconstruire les moulins de Bazacle, (1182) [4]. Bref, il y a bel et bien, là, quelque chose de "nouveau"… et l’Église n’aime pas les nouveautés.

    On a vu comment les Albigeois ont été défaits à la bataille de Muret La croisade contre les Albigeois (1ère partie). Nous verrons les conséquences de la victoire du roi de France au siège d’Avignon, en 1226. Le comté de Toulouse est détruit comme force politique par le traité de Meaux-Paris (1229).

 

Inquisition, délation, rémunération.

    C'est au concile de Toulouse (1229) que furent adaptés les principes posés par le traité de Meaux–Paris qui clôt la croisade des Albigeois. Un des canons de ce concile ordonne "aux évêques de désigner dans chaque paroisse un prêtre et deux laïques de bonne réputation, qui feront le serment de rechercher les hérétiques et leurs fauteurs, de visiter les maisons, y compris les greniers et les souterrains, et de dénoncer les hérétiques découverts à l'évêque et au seigneur ou à leurs représentants qui leur réserveront le sort qu'ils méritent". Il va de soi que les compagnies de pénitents serviront d'institut de formation pour obtenir ces "laïcs de bonne réputation" requis par l'évêque. Ainsi s'articulent inquisition, pénitents, délation. Cet appel à deux laïcs par paroisse est un véritable trait de génie. L'Eglise –c'est une marque de confiance dans la population, une preuve de la solidité de ses assises- L’Église crée comme un véritable militantisme institutionnalisé. Quant on sait que l'Inquisition et les compagnies de pénitents –fournisseurs officiels de délateurs – vont durer des siècles, on peut imaginer la puissance de l'implantation du conservatisme social, de la "pensée unique" dans nos villes et villages.

    Inquisition et délation forment un couple infernal qui va obérer pour longtemps la vie publique des pays catholiques. Ces méthodes ne peuvent que nourrir une indignation féconde, car qui oublie son passé est condamné à le revivre. "S'indigner ? Réaction spontanée, mais facile, et en somme commode", nous avertit A. Cazenave. "Cette exigence (que le cathare se convertisse et dénonce ses coreligionnaires, JPR) paraît aujourd'hui odieuse. Elle est en outre difficilement compréhensible, car la mentalité contemporaine admet mal que le remords puisse s'accompagner de trahison. Mais tout jugement de cet ordre serait un anachronisme qui déplacerait dans le temps notre propre système de valeurs. Celui des inquisiteurs, au lieu de se fonder sur des sentiments, fait référence à un ordre transcendant. Ce sens de l'honneur, qui se rebiffe en nous devant un mouchard, leur est inconnu. Seule compte la distinction entre la vérité et l'erreur. Et, bien entendu, les cathares sont dans l'erreur. (…). Ils ont transgressé la loi divine et risquent leur salut éternel en ne le reconnaissant pas. (…). Telle est la finalité ultime de l'Inquisition : du tribunal, les accusés doivent sortir convertis"[5] (et délateurs aurait-elle dû ajouter car "le converti se transforme forcément en délateur" écrit-elle par ailleurs, et "la soumission en fait un délateur"). Mais alors, lorsque le Vatican de Jean-Paul II dénonce l'Inquisition et demande pardon, il fait œuvre d'anachronisme, pourquoi s'excuser pour des comportements qui avaient à l'époque leur légitimité ?

    Cela dit, il est bien vrai que les catholiques du XIII° siècle faisaient référence à un ordre transcendant, que des inquisiteurs étaient persuadés de sauver des âmes de l'enfer en les forçant à se convertir et que la dénonciation d'autres victimes de l'erreur était noble pour la même raison. Pour tout chrétien, la délation est une obligation religieuse et chaque paroissien est un agent de l'Inquisition : ainsi sera-t-il établi par la loi dans l'Espagne des Rois très catholiques. Chaque chrétien doit ainsi agir au nom de Dieu et dire, d'une certaine façon, le Droit. En fait, tout devait entrer dans les normes les plus rigides. Chacun peut surveiller son voisin, le suspecter et le dénoncer. De toute façon, c'est pour la bonne cause. Dénoncer, c'était sans doute rendre grâce à Dieu, puisqu'on remettait sur le droit chemin des brebis égarées. Mais imagine-t-on ce que cela représentait, pour l'avenir, en termes d'esprit de certitude, d'imperméabilité au doute, d'esprit d'intolérance ? L'esprit inquisitorial va perdurer jusqu'au supplice du chevalier de La Barre et même au-delà. C'est l'infâme que devra fustiger Voltaire. Quant à l'esprit de délation, il sera entretenu et encouragé durant des siècles. Il y a là un mal français qui connaîtra un avatar particulièrement horrible sous le régime de Vichy.

    Mais il y a pire.

    Le traité de Meaux–Paris signé par Saint Louis et Raymond VII de Toulouse, comporte ce second alinéa : Raymond VII promet "2° De faire prompte justice des hérétiques manifestes et de les faire rechercher par ses baillis ainsi que leurs fauteurs. A cette fin il paiera pendant deux ans deux marcs d'argent et ensuite un marc à celui qui prendra un hérétique, si celui-ci est ensuite condamné par l'autorité compétente [6]". Ainsi donc il est demandé à chaque chrétien de dénoncer son voisin d'hérétique, non seulement pour sauver les âmes (la sienne et celle du voisin), pour aider l’Église et la sainte Inquisition, pour rendre grâce à Dieu, mais aussi pour deux marcs d'argent. Soit 1080 francs-or de 1914, plus d'un mois de salaire d'un professeur de lettres à l'Université de Toulouse de 1229, un demi-mois du traitement d'un Professeur en Théologie… Le système a vite dérapé. Telle servante qui voulait se constituer une dot, dénonce sa maîtresse la Dame de Montmaur, tel autre qui veut récupérer l'héritage de sa mère, (c'est important, l'héritage…) héritage confisqué pour hérésie, s'engage à dénoncer ses compatriotes passés en Catalogne, etc.… Tout étant dès lors permis, "l'Inquisition recrute sans bruit un personnel auxiliaire d'indicateurs, chasseurs de primes, agents secrets, mus par l'espoir d'un salaire ou d'une remise de peine"[7]. Déjà Saint Augustin loin d'ignorer cet aspect pécuniaire de la contrainte l'assumait pleinement. Dans sa lettre à Vincent, évêque donatiste, il dit clairement que l'argent pris aux hérétiques –mais l'argent n'est que poussière- est plus que compensé par leur retour dans la Lumière : "vous ne direz pas sans doute que l’argent ou les autres biens par la perte desquels les lois forcent les hérétiques à rentrer dans l’Eglise sont plus chers aux hommes que la lumière que Jésus Christ ôta à Saint Paul (…) et qui ne lui fut rendue qu’après qu’il fut incorporé à l’Eglise ?"[8] Lumière et poussière sont ainsi indissolublement unies, comme dans un rai de soleil on voit s'agiter les particules de poussière. Va donc pour l'amende aux hérétiques ; au XIII° siècle, c'est la prime à la délation… 

    Le traditionaliste Belperron ne trouve rien à redire. Il analyse le traité de Toulouse et il écrit sobrement : "le seul fait nouveau est la prime pour la capture des hérétiques et l'ordre donné aux baillis, fonctionnaires laïcs, de les rechercher". Rien ne l'étonne alors que c'est proprement dégoûtant, mais, il est vrai que le royaliste Maurras, son contemporain, avait proposé que chaque poilu aie sa part du butin, en cas de victoire, en 1916. Quoi qu'il en soit, cette marchandisation de la religion, cette rémunération de la délation au nom des saints principes de l’unité des chrétiens est déconcertante. Elle annonce un mariage abject entre le veau d’or et la défense de soi-disant grands idéaux.

    Mais l'extrême-droite, religieuse ou pas, a un rapport à l'argent étonnant.

 



[1] Jean GAZAVE, militant de l’Action Française, "La terre ne ment pas", 1941, pp. 36-39.

[2] Un bon résumé, selon nous, rédigé par Anne BRENON, conservateur en chef du Patrimoine de France, en charge du Centre d'études cathares, dans le numéro de PYRÉNÉES, de l'été 2002, "cinq siècles de résistance", pp. 26-35, deux cartes. Voir aussi, sur ce site,  Les hérésies avant le Valdéisme (1173)

[3] R. NELLI, "La vie quotidienne des cathares", Hachette, 1977, page 28. Voir aussi l'ouvrage d'Anne BRENON, "le vrai visage du catharisme" particulièrement le chapitre X.

[4] D'après Joseph Calmette, "La Société féodale", Colin, réédition de 1942, p129. Mme Anne BRENON place à Toulouse l'invention de la lettre de change. Sur les liens entre le catharisme, "la société marchande et la banque", Anne BRENON a écrit des pages excellentes (pp. 135-147) dans son livre "le vrai visage du catharisme" (éditions Loubatières).

[5] "La chasse aux cathares", revue L’HISTOIRE, n°56, 1983. Ce faisant, Mme Cazenave est d'accord avec l'abbé Boulenger qui, dans son histoire de l’Église de 1928, (imprimatur du 25 mars 1923) écrit que "ce n'est pas avec notre mentalité qu'il convient de juger les choses du passé" (page 256). Le bon abbé qui dit aussi "par l'Inquisition, qui a soulevé de nos jours tant et de si injustes critiques, l'Eglise et l’État entendaient se prêter un mutuel appui pour supprimer des hérétiques qui, par leurs doctrines antisociales (c'est lui qui souligne) étaient aussi dangereux que les pires révolutionnaires de n'importe quelle époque (page 255).

[6] BELPERRON, "La croisade contre les Albigeois et l’union du Languedoc à la France", Plon, 1942, réédition 1946, page 389. Voir aussi Th. DE CAUZONS, "Les Albigeois et l’Inquisition", Bloud & Cie, 1908, pp 75 et 81.

[7] A. CAZENAVE.

[8] SAINT AUGUSTIN, lettre à Vincent, 93.5



[i] Un bon résumé, selon nous, rédigé par Anne BRENON, conservateur en chef du Patrimoine de France, en charge du Centre d'études cathares, dans le numéro de PYRENEES, de l'été 2002, "cinq siècles de résistance", pp. 26-35, deux cartes.



Les hérésies avant le Valdéisme (1173)

publié le 2 avr. 2013, 09:12 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 7 avr. 2013, 00:57 ]

  

    Cet article est un extrait, mis en forme pédagogique par moi-même, du livre de Paul Leutrat, "Les Vaudois". Il prépare un article sur Pierre Valdès (ou Valdo), fondateur du mouvement des "Pauvres de Lyon", qui a été l'objet d'une intéressante exposition au temple de Lyon, rue Lanterne, en mars 2013.

    J.-P. R.


         Les classes dirigeantes seigneuriales se rendent compte du danger et passent à l'offensive contre les cités bourgeoises qui affirment leur indépendance d'une façon plus totale en se séparant de l'Eglise catholique. Les grands bourgeois eux-mêmes se trouvent débordés par des couches sociales à qui le mouvement communal n’a rien apporté et pour qui l'hérésie sera un moyen d'agitation propice à la réalisation de leurs aspirations.

    Cette hérésie se manifeste selon deux grands courants indépendants l'un de l'autre mais non sans contacts. Soit la rupture avec l'Eglise dominante sera totale, et ce sera le manichéisme (hérésie schismatique), soit elle ne sera que partielle, l'ambition des hérétiques étant alors de ramener cette Eglise à sa pureté primitive, et les vaudois illustreront cette tendance d’éclatante façon (hérésie dogmatique).

 

L’hérésie schismatique

    Les systèmes manichéens et gnostiques n'ont cessé de se manifester dans l’ Église chrétienne depuis les premiers siècles de son existence. la carte ci-dessous montre l'évolution géographique du manichéisme, de son influence en tout cas, religion qui est née en Asie mineure (la carte, hélas, ne l'indique pas) et dont les Pauliciens ont été les premiers vecteurs.

    La Gnose, ou connaissance, est un mouvement religieux qui emprunte ses idées à trois religions et philosophies : le zoroastrisme, la philosophie antique et le christianisme. Ce courant se divise en un très grand nombre d'écoles et on peut en compter jusqu'à quatre-vingts dans les trois premiers siècles de l'ère chrétienne. Mais ces diverses écoles se ressemblent toutes. En bref, la doctrine exprimée veut ôter à Dieu la responsabilité d'avoir créé le monde matériel qui est la cause initiale du Mal. Entre le monde immatériel, royaume de Dieu, et le monde matériel, royaume de Satan, il situe des mondes intermédiaires, peuples de demi-dieux, les Eons, qui participent à la fois de la nature divine, et de la nature humaine.

 

Manichéisme.

    C'est grâce aux philosophies gnostiques qu'il n y a pas rupture entre les doctrines antiques et la religion nouvelle. Manès (c’est de son nom qu’est né le mot manichéisme) crée sa propre foi en partant de ces principes. Né en 216 en Babylonie septentrionale, il prêche en Perse entre les années 242 et 273. Arrêté et emprisonné il meurt assassiné en 277. Il est enterré à Ctésiphon. Manès distingue deux principes, celui du Bien et celui Mal, qui sont inconciliables. L'homme participe des deux. Son devoir est de pratiquer un ascétisme poussé au maximum puisque sa chair est 1’oeuvre des démons. A la limite on aboutirait au suicide, mais Manès n'a pas envisagé cette solution. Le monde extérieur étant mauvais, il faut seulement s'abstenir de toute participation, telle que procréer, bâtir, semer, récolter, élever des animaux. Mais comme par ailleurs il faut bien tenir compte des réalités, les adeptes sont divisés en deux groupes : d'un côté il y a les «purs», les «élus» qui suivent fidèlement la religion, et de l'autre les «auditeurs», les «croyants» qui subviennent aux besoins des élus. C'est ainsi qu'une fois morts, les croyants renaissent à la vie terrestre jusqu'à ce 'ils soient devenus à leur tour des parfaits.

    Les commandements auxquels les auditeurs doivent obéir sont très simples, le seul rite que l'on puisse assimiler à un sacrement est l'imposition des mains, pratiquée lorsqu'un croyant rentre dans la catégorie des élus.

    Le culte consiste en prières, en quelques chants, en jeûnes fréquents et prolongés Il y a aussi des confessions publiques et une confession générale lors de la fête de la Bêma destinée à commémorer la Passion de Manès, considéré comme l'incarnation du Saint-Esprit. Les prières sont récitées face au Soleil, astre créé, ainsi que la Lune, par Dieu. Les temples sont construits de telle façon qu'ils permettent de repérer les principales positions de l'astre du jour au cours de l’année. C'est ainsi que Montségur (est classé comme) ancien temple manichéen.

    Au milieu du III° siècle, les manichéens se rencontrent en Palestine, en Egypte et à Rome, puis, au IV° siècle, en Afrique du Nord, en Asie Mineure, en Illyrie, dans l'ensemble de l'Italie, en Gaule et en Espagne. A partir de 297, le manichéisme est persécuté. 372. 382, 389, marquent les principales dates des persécutions. En Asie Centrale, ou il jouit de plus de liberté, le manichéisme se maintient officiellement jusqu'aux invasions de Gengis Khan, au XIII° siècle.

 

Les Pauliciens et les Bogomiles.

    Les Pauliciens du nom de Paul de Samosate, évêque d'Antioche en 260, tout en pratiquant les rites catholiques sont dualistes A la faveur du conflit entre Byzance et les Musulmans, ils peuvent se maintenir en Arménie jusqu'au IX° siècle, où Basile 1er, après les avoir vaincus, déporte un grand nombre d'entre eux dans les Balkans. Il s'agit là aussi d'une région où deux religions s'affrontent, puisque les Églises orthodoxe et catholique, après la rupture de 1054, y sont rivales. Cela permet au manichéisme de s'implanter, puis de se développer. Ses fidèles seront appelés dans cette partie de l'Europe, bogomiles, du nom de Bogomil, «l'ami de Dieu», un personnage sans doute légendaire [1]. Le bogomilisme s'étend dans toute la péninsule, et en particulier en Yougoslavie, où il se maintiendra jusqu'à l'invasion turque au XV° siècle. Les Églises les plus importantes se situent en bordure de l'Italie, en Bosnie et en Istrie.

    C'est ainsi, grâce cette fois aux rapports commerciaux, que des infiltrations se produisent en Italie même : plaine du Po et Toscane. L'Inquisition prouvera les rapports existant entre les bogomiles et les manichéens italiens et français. Ils reçoivent des noms différents selon les pays En Bosnie, Dalmatie, Italie du Nord, on les appelle patarins ou paterins, dans le nord de la France, poplicains ou publicains, ou encore tisserands, car ils sont nombreux dans cette profession, et enfin bougres, qui est une déformation de Bulgares (en passant par Boulgres). Dans le midi de la France, ce sont les Albigeois. Cette dernière région ne compte pas une seule localité qui, du fait des relations avec l'Italie, n'ait été touchée par le manichéisme. Celui-ci est également très important dans la plaine du Po et les Apennins.

 

Les Cathares.

    Des cathares sont condamnés au bûcher à Monteforte puis à Asti, en 1030, mais ils ont le pouvoir à Orvieto en 1125, avec Diotésalvi et Masasio, puis avec deux femmes, Julietta et Mélita de Monte-Meano, en 1173, ils provoquent une révolution à Concorezzo, et la même année à Rimini, ils empêchent l'application des sanctions prévues contre eux ; a Viterbe, en 1205, leurs représentants sont élus au conseil municipal. Milan est cathare ; Florence elle-même constitue un foyer de manichéisme.

    Dans le Languedoc, saint Bernard est empêché de parler à Verfeil en 1147. En 1167, un concile cathare a lieu à Saint-Félix-de-Caraman, près de Toulouse, sous la présidence de Niquinta, « pape » manichéen venu de Bulgarie. Le légat Pierre de Saint-Chrysagone, les archevêques de Narbonne et de Bourges, à la même époque, viennent à Toulouse, pour combattre l'hérésie, mais le comte Raymond VI se garde bien de leur accorder sa protection de façon trop ostensible. Ils condamnent le cathare Pierre Mauran à être fouetté, mais manquent être lynchés eux-mêmes. L'accusé, revenu du pèlerinage de trois ans auquel il a été astreint sera triomphalement élu capitoul (conseiller municipal, dirions-nous aujourd’hui).

    Roger II, vicomte de Carcassonne, toujours à la même époque, ayant emprisonné l'évêque d'Albi, Raymond VI organise contre lui une croisade, mais toute théorique puisqu'elle se borne a l'occupation de Lavaur.

 

Les Tisserands.

    Raoul le Glabre dans son Francorum Historiae, signale cette hérésie en pays de langue d’Oil dès le début du XI° siècle. Selon les rumeurs qui couraient à l’époque, ce seraient des Italiens qui auraient organisé un centre de propagande au Mont-Wimer, en Champagne et de là, l'hérésie serait passée en Flandre et dans le Val de Loire. Un prêtre de Rouen, Héribert, était venu à Orléans pour y faire des études. Il s'était lié avec deux autres prêtres, Etienne supérieur de la collégiale de Saint-Pierre-le-Puellier, confesseur de la reine, et Lisois, du Chapitre de la cathédrale Sainte-Croix. Tous les deux faisaient de la propagande en faveur d'une hérésie apportée d'Italie par une femme et ils «pensaient autrement que l'Eglise». Ils rejetaient les dogmes de la Trinité et de l'Incarnation, la Rédemption, les sacrements et le culte. Ils enseignaient l'éternité de la matière, l'inutilité des œuvres, l'impossibilité de la damnation par les excès de la chair. L'affirmation que la matière est éternelle, ce qui revient à l'affirmation de l'existence d'un principe du Mal indépendant de Dieu, est manichéenne (c’est dire aussi qu’elle est incréée et cela pose un fondement du matérialisme philosophique, JPR). Héribert adhéra à la secte et, de retour à Rouen, en parla au chevalier Aréfast dont il dépendait. Celui-ci se hâta de prévenir le duc Richard II et le roi Robert le Pieux (972-1031). Il se rendit lui-même à Orléans, où il se fit passer pour hérétique auprès de Lisois et d’Etienne, afin de pouvoir les démasquer. Les deux hommes arrêtés, ne renièrent rien de leurs croyances. Ils furent excommuniés et brûlés. Le concile d'Orléans qui les condamna en 1022 est le premier à faire flamber des hérétiques.

    En 1025, de nouveaux hérétiques arrêtés à Arras, cette fois, abjurèrent leurs «erreurs», à Liège, d'autres firent de même. Mais à Arras encore, en 1153, le clergé reçoit une lettre du pape Eugène III parce qu'il a murmuré contre son évêque qui voulait excommunier les manichéens. En 1162, Henri, frère de Louis VII, découvre en Flandre d'autres manichéens qui se recrutent essentiellement parmi la bourgeoisie. A cette occasion, le pape Alexandre III adopte une attitude tolérante, mais en 1172 le clerc Robert est brûlé à Arras pour hérésie et en 1182 de nouveaux cathares sont arrêtés en grand nombre sur dénonciation d une femme.

    A Liège, la seconde ville du Nord à être touchée par le manichéisme en 1025, des hérétiques nient en 1144 l'efficacité du baptême, disent l'absurdité de l’eucharistie, la nullité de l'imposition des mains, condamnent le mariage et le serment. Mais ils continuent, par prudence, à fréquenter les sacrements. Le clergé écrit au pape Lucius II pour lui demander quelle conduite adopter à leur égard. Il lui est conseillé de les enfermer dans des monastères, ce qui sera fait. Ces hérétiques étaient organisés en croyants, prêtres et prélats.

    La même année, Eversin, prévôt du monastère de Steinfeld, près de Cologne, demande au sujet d'une affaire identique les conseils de saint Bernard. Les hérétiques de sa ville pratiquent la pauvreté totale, rejettent toute nourriture provenant du coït (sic), comme le lait, ne reconnaissent pas 1’eucharistie, ni la pénitence, le mariage, la liturgie la croyance au purgatoire, et ils proclament la nécessite d’un second baptême. Les adeptes de la secte, accompagnés de femmes, prêchent l'hérésie de village en village et ils reconnaissent un chef suprême.

    Entre 1159 et 1163, Eckbert, abbé de Schömar, écrit un sermon contre d'autres hérétiques de Cologne. Il déclare que le manichéisme s'est surtout développé dans les milieux populaires et plus particulièrement chez les tisserands et les fabricants de draps. Le consolamentum qu'il décrit est identique à celui des Albigeois.

    Comme ils ne fréquentent pas l'église, ces hérétiques sont arrêtés le 2 août 1163. Arnoldus, Marsilius, Theodoricus défendent leurs croyances et, le 5 août ils sont brûlés avec leurs fidèles. Tous meurent avec beaucoup de courage et l'histoire dit qu'une jeune fille d'une grande beauté qui, elle, avait été graciée, se jeta dans les flammes pour partager leur sort. A Cambrai, deux religieux, Hildebrand et Jonas, à la même époque, sont jugés à leur tour. Jonas convaincu de catharisme, est «retranché comme un membre pourri du corps du Christ». On signale des cathares à Chalon dès 1045. A Besançon, deux missionnaires cathares dont les prêches connaissent un grand succès sont brûlés. A Bonn, des cathares vont aussi au bûcher.

    Il y a encore d'autres foyers d'hérésie, à Soissons, où Clément et frère Ebrard qui vivent sous la protection du comte Jean sont accusés par leurs adversaires des pires débauches, à Reims où les doctrines cathares sont condamnées en termes violents par l'archevêque Samson disant qu'elles sont propagées par «d'abjects tisserands», divisés en «majores» et en «sequaces» c'est-à-dire en purs et en croyants Toujours à Reims, en 1182, un jeune chanoine Gervais de Tibury, qui se promène à cheval, dans les vignes avec l'archevêque Guillaume, fait des propositions malhonnêtes à une jeune fille. Celle-ci ayant répondu que la perte de sa virginité constituait un péché irrémissible, elle est brûlée comme hérétique, tandis que son initiatrice, une vieille femme, parvient à échapper au supplice. Ainsi, les hérétiques sont tour à tour accusés des pires débauches ou d'une trop grande pureté !

    L'affaire des publicains, à Vézelay, en 1167, est l'une de celles qui ont eu le plus grand retentissement. Les hérétiques sont accusés de rejeter les sacrements : baptême, eucharistie, mariage, culte et hiérarchie. Deux cathares demandent à subir les épreuves de l'eau et du feu. L'un d'eux, reconnu coupable, est fustigé et banni Sept autres sont brûlés.

    Enfin, le concile de Reims, en 1148, avait eu à juger un hérétique breton, Eude de l’Etoile, qui prêchait dans le diocèse de Saint-Malo et dans la forêt de Brocéliande, aujourd'hui forêt de Paimpont. Il avait changé son nom de Eude en celui de Eon, d'après la Gnose, ce qui va à l'encontre des reproches d'ignorance formulés à son égard. II enseignait qu’il était l'incarnation divine et il donnait à deux de ses disciples, toujours d'après la Gnose, les noms d'autres Eons : Sagesse et Jugement. Il disait encore que certains de ses disciples étaient des anges ou des apôtres, ce qui constitue une preuve de sa croyance en la métempsycose. Il permettait à la foule des fidèles n'importe quelle nourriture mais par contre le régime auquel étaient astreints les purs était sévère. Accusé de piller les monastères et les églises et de vivre dans le luxe, ce qui parait surprenant, il fut condamné à la prison perpétuelle mais ne renia rien de sa doctrine. Plusieurs de ses fidèles périrent exécutés.

 

    Exception faite pour la Bretagne avec Eude de l'Etoile, l'hérésie cathare s'est donc répandue essentiellement dans les milieux bourgeois et ouvriers du Nord et de l'Est d'une part, dans le Languedoc et l'Italie d'autre part. Lyon, situé entre les deux zones d'influence, s'il n'était pas contaminé par l'hérésie, était tout au moins forcément un lieu de passage. Et si l'on n'a pas dépisté de cathares dans l'antique Lugdunum, on en trouve un peu plus au nord, à Vézelay, Besançon, et, plus près encore Chalon. Il y avait alors dans l'abbaye d'Ainay (Lyon) un autel devant lequel était célébrée en l'honneur de la Vierge une fête mystérieuse qui devait exciter les reproches de Bernard, abbé de Clervaux et la Fête des Merveilles conservait la marque de son origine païenne. La ville où l'on découvre ces traces d'hérésies va subir d'une façon plus directe l'influence de certaines doctrines.

 

Hérésies dogmatiques

 

    Tanquelin.

    Vers 1100, Tanquelin, aux Pays-Bas, en Flandre et en Allemagne rhénane, prêche une doctrine qui nie l'autorité de 1’Eglise, qui affirme que la parole d'un laïque vaut celle d'un ecclésiastique, sinon davantage, qui condamne les redevances telles que la dîme et déclare sans valeur les sacrements et les pratiques religieuses. De telles prédications recueillent un écho favorable parmi les populations ouvrières et rurales du Nord et Tanquelin, accompagné de trois mille personnes, va prêcher jusqu'à Rome. Pris par les soldats de l'archevêque de Cologne, il s'évade mais est finalement assassiné en 1115. Ce n'est pas pour autant que ses idées disparaissent. On retrouve ses anciens disciples à Yvois, dans le diocèse de Trêves, quelques années plus tard.

    Henri l’hérétique.

    Au même moment, Henri [2], un ancien religieux, parcourt également les régions orientales de la France et les régions occidentales de l'Allemagne, en prêchant des doctrines identiques à celles de Tanquelin. Parti de Lausanne, il arrive au Mans en 1116. On l'accuse alors de mœurs infâmes mais en même temps on reconnaît qu'il a une grande réputation de sainteté ! Quoi qu'il en soit, il prêche dans l'enthousiasme général et trois clercs, un jour où ils veulent le contredire, sont roués de coups. Les archidiacres, en l'absence de l'évêque, lui font porter une lettre lui interdisant de parler en public, mais Henri continue. Il s'attaque au sacrement du mariage dont il déclare qu'il parait absurde qu'il soit indissoluble, et il condamne les patrimoines privés. L'évêque Hildebert, retour de Rome, se voit dénier par lui toute autorité. Il faudra un incendie de la ville, opportunément déclaré, pour que la population se retourne contre Henri et ses disciples, accusés d'avoir attiré le malheur sur la cité. Hildebert peut alors affronter 1’hérétique dans une controverse publique à la suite de laquelle Henri doit s'enfuir. On 1e retrouve à Poitiers, à Bordeaux, et l'un de ses disciples Pons s'installe à Périgueux. Il arrive ainsi en terre cathare où il peut prêcher librement, niant la propriété, rejetant la messe et la communion, condamnant l’adoration de la croix. Lui et ses fidèles ne mangent pas de viande, ne boivent du vin que tous les trois jours et refusent de-recevoir de l'argent. Ils sont connus sous le nom d'"apostoliques". Du Languedoc, Henri passe en Provence puis, on ne sait pour quelle raison, va confesser ses erreurs à Pise, mais, revenu, rencontre Pierre de Bruys en Dauphiné et se proclame alors son disciple. Certains historiens distinguent Henri de Lausanne, disciple de Pierre de Bruys, et l'ermite Henri, qui prêcha au Mans. Mais Henri de Lausanne étant passé, lui aussi, au Mans à la même date, il y a tout lieu de penser qu’il s'agit du même personnage.


    Pierre de Bruys.

    Pierre de Bruys, donc, prêche en Dauphiné.  Lui-même et Henri parcourent cette province ainsi que la Provence et se rendent tous les deux en Languedoc. Ils retrouvent là ceux qui "sous une fausse couleur de religion niaient le sacrement du Corps et du Sang du Seigneur, le baptême, le sacerdoce, et toute la hiérarchie ecclésiastique, ainsi que les liens du mariage" et qui avaient été condamnés par le pape Calixte II lors d'un concile tenu à Toulouse le juin 1119, c'est-à-dire les Cathares. C'est ainsi que, des le départ, les contacts entre les manichéens et ceux qui établissent une tradition d'évangélisme anarchique, apparaissent. La lutte contre un même adversaire explique ces rencontres. En outre, en Languedoc, les hérétiques poursuivis sont certains de trouver une protection. Dès cette date, au reste, selon les indications de Pierre le Vénérable, le nombre des hérétiques est si grand qu'il faut à la fois organiser des missions pour les ramener dans le giron de l'Eglise et des expéditions pour les refouler des zones non encore contaminées.

On signale d'abord le passage de Pierre de Bruys à Lyon puis dans une ville du Sud-Ouest dont le nom n'est pas connu, où le vendredi saint 1112, il met le feu aux croix et fait rôtir des quartiers de viande qu'il distribue à ses disciples, ensuite à Toulouse. Dans le Dauphiné, son hérésie est combattue par l'archevêque d'Embrun, les évêques de Gap et de Die. En 1140, elle est signalée à Arles. Vers la même date de 1140, Pierre de Bruys est arrêté à Saint-Gilles où 1’assassinat du légat du pape devait plus tard servir de prétexte au déclenchement de la croisade contre les Albigeois, et il est brûlé vif par la foule.

La doctrine de Pierre de Bruys est une condamnation des sacrements, de la liturgie, de la hiérarchie catholique, négation du baptême de l'enfant, inutilité des églises pour prier, haine de la croix qui est l’instrument de supplice du Christ, négation de l'eucharistie et du sacrifice de la messe, inutilité des prières pour les morts. Pierre le Vénérable distingue les pétrobrusiens, qui sont ses disciples propres, des henriciens, disciples d’Henri de Lausanne, qui poussent les théories de Pierre de Bruys plus loin encore. L'hérésie d’Henri de Lausanne se développe en particulier chez les tisserands du Midi qu'on appellera "Arriani" du nom d'un village voisin de Toulouse.

Saint Bernard doit se déplacer dans le Midi pour combattre cette hérésie. Mais à Albi il est accueilli par un charivari et à Verfeil, "siège de Satan", il est également très mal reçu, les seigneurs quittent l'église lorsqu'il commence à prêcher et favorisent le départ de Henri. Pourtant celui-ci tombera entre les mains de l'évêque de Toulouse et il est transféré à Reims au concile présidé par Eugène III en 1148. Il y est condamné à la prison perpétuelle et meurt peu après de façon mystérieuse.

    Clémentius.

    Une hérésie similaire s'est développée dans le diocèse de Soissons avec un paysan, Clémentius, habitant Bucy. Il enseigne que le fils de la Vierge Marie n'est qu'un fantôme, nie la valeur du baptême, condamne le mystère de la messe, ainsi que le mariage et la génération. On accuse ses disciples des pires méfaits, comme de fabriquer du pain avec la chair des enfants assassinés, nés de leurs débauches. Arrêté en même temps que son père, Evrard, et deux de ses disciples, et conduit devant l'évêque de Soissons, Liard, Clémentius subit le sort de Pierre de Bruys et il est massacré par la foule.

    Gérard.

    Une autre hérésie s'est répandue en Angleterre avec Gérard, venu d’Allemagne, et qui réunit autour de lui aux environs de 1160, une trentaine de disciples. Il nie le baptême, l'eucharistie, le mariage. Devant le concile d'Oxford, les hérétiques refusent d'abandonner leurs croyances. Ils sont fouettés, marqués au fer rouge et jetés nus sur les routes où il est défendu de leur venir en aide. Tous meurent de faim et de froid.

    Arnaud de Brescia.

    Mais c'est encore en Italie que ce genre d'hérésies connaît le plus grand succès. La Querelle des Investitures, puis la lutte du Sacerdoce et de l'Empire, de même que le développement des cités de l'Italie du Nord ne pouvaient que faciliter la diffusion des tendances anti-sacerdotales. Arnaud était né à Brescia vers 1100. Il est moine très jeune, suit à Bologne les leçons d’Immerium, puis à Paris, celles d’ Abélard. Il accompagne son maître au Concile de Soissons en 1112,  puis revient à Brescia pour enseigner à son tour.

    Il prend parti pour la politique gibeline (favorable à l’Empire) et participe au soulèvement de la commune contre l'évêque Manfred, qui se plaint à Rome. Déposé de sa charge par Innocent II, il est alors chassé d'Italie, passe en Allemagne puis en France où il retrouve Abélard. Tous les deux comparaissent en 1140 devant le Concile de Sens pour propagation de théories hétérodoxes. Le 16 juillet 1141, Innocent II ordonne d'enfermer Arnaud, mais la sentence n'est pas exécutée et nous retrouvons le futur hérétique à Paris, où il continue à enseigner à la montagne Sainte-Geneviève, vivant, ainsi que ses disciples, dans la pauvreté. Il accuse les évêques de vivre par contre dans le luxe et attaque saint Bernard. Celui-ci obtient de Louis VII qu'il soit expulsé. Arnaud se réfugie en Suisse en 1143 et s’humilie a Viterbe en 1145 devant le pape Eugène III. Sa vie pieuse à Rome est un exemple pour les croyants et il réunit autour de lui de nouveaux disciples, il recommence alors à prêcher, critiquant le pape lui-même et prend la tête de la commune en 1147, faisant appel à Frédéric Barberousse pour l'aider. En 1148, il est déclaré schismatique et en 1142, hérétique. L'empereur et le pape ayant signé la paix en 1155, Arnaud se réfugie en Toscane près de Compagnatico Mais, 1’empereur ayant saisi l'un des vicomtes en représailles, Arnaud lui est livré à Otricoli. Condamné à la prison par le préfet de Rome, il se serait enfui ; mais repris il fut condamné à mort. Barberousse se débarrasse ainsi d'un allié gênant. Son corps est brûlé et les cendres en sont jetées dans le Tibre (afin de ne pas laisser de reliques). Après sa mort, sa doctrine se répand surtout en Lombardie, où les cathares sont déjà nombreux. Aussi ses disciples seront-ils appelés "lombards". En 1184, les arnalistes (c’est-à-dire les disciples d’Arnaud) sont condamnés conjointement par le pape et l'empereur à Vérone. Mais, à cette date, une nouvelle secte vient de prendre naissance de l'autre côté des Alpes, qui ne tardera pas à fusionner avec eux, celle des Vaudois.

 

Conclusion.

    Pour les hérétiques dont il vient d'être question, Tanquelin, Henri de Lausanne, Pierre de Bruys, Clémentius, Gérard et Arnaud de Brescia, il s'agit de ramener L' Église à sa pureté initiale. Mais cette tentative se heurte évidemment à la résistance des cadres ecclésiastiques. Par contre, les hérétiques rencontrent sympathie et aide active non seulement auprès des simples gens mais aussi auprès de certains seigneurs sur qui pèse la tutelle de l'Eglise. Cela ne signifie pas qu'il ne se produit pas des retournements de situation, et les foules, dressées contre ceux qui prêchent, leur font parfois un mauvais parti. De leur côté, les hérétiques cherchent à rentrer dans le giron de l'Eglise. Mais, très vite déçus, ils reviennent à leurs prêches initiaux. Il faudra attendre saint François d'Assise pour qu'enfin le pape sache canaliser et utiliser ces aspirations profondes qui mettent l'existence du christianisme officiel en danger.

    En même temps ces prédications s'accompagnent de revendications sociales; elles ne se conçoivent même pas sans elles. S'attaquer à l'Eglise, c'est s'attaquer au régime politique existant. Et les humbles viennent demander, comme les premiers chrétiens, une libération immédiate, et non pas seulement pour l'au-delà, auprès de ceux qui s'insurgent. Ces mouvements présentent tous un aspect révolutionnaire. Mais ils ne se conçoivent pas non plus sans une influence manichéenne plus ou moins profonde du fait du contact avec les cathares.        

    Il faut aller plus loin. Les XII° et  XIII° siècles n'ont pas été comme on l'a dit trop souvent une époque de foi, ou plutôt ils ont été une époque de "fois", et l'on assiste même à des tentatives de concilier les trois religions essentielles du moment grâce à une religion supérieure. Il y a influence réciproque du judaïsme, du christianisme et de l'islamisme. Les persécutions et les guerres ne changent rien à cet état de fait. Les adversaires se rencontrent hors des champs de bataille et les Juifs ne sont pas constamment persécutés. Ils nouent dans les villes des relations avec les chrétiens et, dans les universités, les gens des différentes religions se retrouvent ; les communications avec l'Espagne musulmane ne cessent à aucun moment. Les manichéens eux-mêmes sont constamment présents jusqu'à la croisade (des Albigeois) qui anéantira une partie d'entre eux et obligera les autres à se terrer mais ils continueront ensuite à propager leur doctrine sous le couvert d'hérésies diverses et le pape accusera Nogaret lui-même, au début du XIV° siècle d'être patarin [3].

Les Vaudois allaient donc trouver en Europe un terrain propice pour la diffusion de leur doctrine.

Telle était la situation alors que s'effondrait le prestige de 1’Eglise dans la ville de Lyon, patrie de Valdès.

 

CALENDRIER DES HÉRÉSIES AVANT VALDO

 

1022 Jugement du Concile d'Orléans contre Étienne et Lisois (dénonciation du prêtre Héribert).

1025 Jugements identiques à Liège et Arras

1030 Exécution de cathares à Monteforte, puis a Asti

1045 Présence des cathares a Chalon-sur-Saône

1100-1115 Prédications de Tanquelin dans l'Est et le Nord.

1112 Pierre de Bruys à Lyon, puis dans le Sud- Ouest.

1116 Henri de Lausanne au Mans.

1119 Intervention de Calixte II à Toulouse contre les cathares.

1125 Les cathares à Orvieto Hérésie de Clémentius dans la région de Soissons.

1140 Mort de Pierre de Bruys à Saint-Gilles, Arnaud de Brescia (et Abélard) devant le Concile de Sens.

1144 Hérétiques signalés à Liège, Cambrai, Cologne.

1147 Saint Bernard de Clairvaux empêché de parler a Verfeil

1148 Jugement d'Eude de 1'Etoile à Reims. Arrestation d'Henri de Lausanne et sa moi

1152 Arnaud de Brescia déclaré hérétique

1153 Le clergé d’Arras soutient les hérétiques.

1155 Arrestation et exécution d'Arnaud Brescia.

1157 Dénonciation d'hérétiques a Soissons et Reims.

1158 Gérard en Angleterre.

1163 Arrestation de cathares à Cologne, Bonn, Besançon. Des cathares sont signalés, nombreux, en Flandre

1167 Condamnation de cathares à Vézelay. Concile cathare à Saint-Félix-de-Caraman.



[1] Lire l’article Bogomilisme sur Wiki.

[2] Henri l'Hérétique, dit aussi Henri l'Ermite, Henri de Lausanne, Henri de Cluny…

[3] Le grand-père de Guillaume de Nogaret fut condamné comme hérétique lors de la Croisade des Albigeois.

1-5 sur 5