1ère partie. De Gaulle : le "recours" (1958-1962)

publié le 18 juil. 2011, 04:01 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 5 oct. 2018, 08:44 ]

    Je fais cette leçon en deux parties. En 1958, « on » fait appel au général De Gaulle. Sera-t-il, comme Clemenceau en 1917, ou P. Mendès-France en 1954, l’homme de la solution algérienne dont on se débarrassera par la suite ?[1] Ou bien le régime qu’il met en place est-il assuré de la durée ? C’est en 1962 que le débat sera tranché avec la mise en place définitive d’un régime de type présidentiel qui rompt, non seulement avec les pratiques de la Quatrième république mais avec toute la tradition parlementaire française.

D’où les deux parties :

        - Le" recours" 1958-1962
        - La "durée" 1962-1969

Introduction 

    En 1958, pour résoudre le problème algérien -où sévit la guerre depuis 1954 avec les soldats du contingent envoyés au combat en 1956- les Français et la masse de leurs élus ont recours au général De Gaulle. C’est comme un appel au secours. Mais le général arrive au pouvoir dans des conditions dramatiques et le thème de l’Algérie ne peut pas être unique, dans cette leçon, car chacun sait que De Gaulle profite des évènements pour créer une nouvelle république : la cinquième (I). En quatre ans, la politique économique et la diplomatie de la France reçoivent l’empreinte du général (IIa) mais ce n’est qu’en 1962, après d’âpres difficultés, que la France donne l’indépendance aux Algériens vainqueurs alors que beaucoup des protagonistes du 13 mai 58 espéraient tout le contraire (IIb).


A.    Le "coup" du 13 mai[1]

1.      La crise de mai 1958

a)      L'éphémère gouvernement PFLIMLIN

    Après le bombardement sanglant de l’école et du village tunisiens de Sakhiet Sidi Youssef par l’aviation française, s’ouvre une crise gouvernementale. C’est l’indécision habituelle (voir le cours sur la IV°). Finalement, le M.R.P. Pierre Pflimlin sollicite l’investiture le 13 mai 1958. C’est un démocrate, chrétien bien sûr -MRP- qui a toujours dénoncé l’usage de la torture et qui s’est déclaré favorable à une négociation avec les « fellaghas ». Autrement dit, l’extrême-droite le déteste comme tous les partisans de l’Algérie française. Il est président du Conseil « désigné » par le président de la république R. Coty. Il lui faut maintenant être investi par les députés.

    Cette détestation va jusqu’au bout : le jour du débat d'investiture à la chambre des députés, le 13 mai, une émeute éclate à Alger instiguée par les colons et les militaires qui refusent cette politique « d’abandon ». Le siège du Gouvernement général [2] à Alger est pris d’assaut et un Comité de salut public s’installe présidé par le général MASSU. Massu avait reçu les pleins pouvoirs, en 1957, avec G. Mollet, pour mener « la bataille d’Alger ». Ce comité s’oppose à l’investiture de Pflimlin et exige un gouvernement à Paris qui s’engage à maintenir l’Algérie partie intégrante de la France. Les émeutiers d’Algérie dressent les plans d’une opération parachutée sur la France métropolitaine (le 24 mai, ils se poseront sur la Corse).

    Le 14 mai au matin, Pflimlin obtient un vote favorable à la chambre : il est président du Conseil « investi ». Mais sa faiblesse politique apparaît aussitôt puisqu’il nomme le général SALAN au gouvernement général d’Alger, alors que celui-ci avait approuvé le Comité de salut public de Massu !

    Le 15 mai, le général De Gaulle se déclare « prêt à assumer les pouvoirs de la République » ! Alors qu’il y a un gouvernement parfaitement légitime, au plan constitutionnel, celui de Pflimlin !

b)      L'investiture de DE GAULLE, président du conseil

    De Gaulle utilise la menace militaire pour revenir au pouvoir mais il entend respecter des formes, il ne veut pas apparaître comme un général fasciste. Mais il ne veut pas non plus utiliser la procédure habituelle de la Quatrième qu’il a toujours rejetée.

    Pour forcer la main aux députés, il laisse grandir la menace militaire. Le 19 mai, il déclare : « l’armée a jugé de son devoir d’empêcher que le désordre s’établisse. Elle l’a fait et elle a bien fait ».

    Par un usage habile des médias -et notamment des conférences de presse télévisées, ce qui est tout nouveau- il apparaît peu à peu comme la seule issue pacifique à la crise.

    Les députés et les différents partis politiques sont hostiles à De Gaulle, mais la situation leur échappe. Le socialiste Guy Mollet est au centre du jeu. Il fait condamner par son parti (la SFIO) le recours à De Gaulle mais entre en contact avec lui : « respecterez-vous les règles constitutionnelles -celles de la 4°, JPR- pour former un gouvernement ? ». Reçu à Colombey-les-Deux-Églises, alors que son parti appelle à la manifestation de défense républicaine du 28 mai, il reçoit l’accord de De Gaulle pour l’investiture façon IV°.

    Peu à peu, le MRP (Bidault, Pflimlin), les Indépendants (Pinay) se rallient, et le 29 mai, après la démission de Pflimlin, le président Coty fait appel « au plus illustre des Français » pour former un gouvernement. De Gaulle est alors président du Conseil « désigné ».  °

    Le débat d’investiture a lieu le 1er juin dans une ambiance lourde. De Gaulle est investi par 329 voix favorables contre 224 hostiles. De Gaulle est investi par les socialistes mollétistes, les « modérés » de Pinay, une bonne partie de l’extrême-droite. Les apparences ont été respectées. La guerre civile évitée.

    Le 2 juin, l’assemblée vote les pleins pouvoirs à De Gaulle en Algérie mais aussi celui de préparer une nouvelle constitution qui devra être approuvée par referendum. (C’est irrégulier, l’assemblée n’ayant pas à déléguer son pouvoir constituant dérivé).

2.      La mise en place d'un nouveau régime

    Vous aurez plus de détails dans l’article de ce site10 députés PCF comme en ...1958 et Le Pen député gaulliste. La constitution -le grand public s’en apercevra plus tard- est aussi un compromis. Si le président a des pouvoirs renforcés (comme l’article 16), le gouvernement ne lui est pas inféodé. L’article 20 dit textuellement « le gouvernement détermine et conduit la politique de la nation »[3].

    La constitution de 1958 est soumise à la ratification populaire le 28 septembre 1958. Les gens votent « oui » à De Gaulle et non pas pour une constitution qu’ils n’ont généralement pas lue. Seul en tant que parti, le Parti communiste français appellent à voter « non ». Il est rejoint par des personnalités isolées comme Mitterrand ou Mendès-France. Le « oui » obtient presque 80% des suffrages exprimées : 79,25%... dès lors, il faut mettre en place les institutions prévues par le texte fondamental.

    Les élections législatives se tiennent en deux tours car on passe de la proportionnelle au scrutin majoritaire. Le PCF totalement isolé obtient 19% des voix : c’est une chute considérable. Il avait obtenu 25% en 1956. Seul contre tous, il n’a plus que 10 députés. Les socialistes appellent à voter pour les gaullistes au second tour et réciproquement. Avec à peu près le même nombre de voix que le PCF au premier tour, le nouveau parti gaulliste, l’ UNR, obtient 198 sièges. C’est-à-dire qu’il n’a pas la majorité absolue.

    Les socialistes, les radicaux, les MRP s’effondrent. L’autre grand vainqueur est le C.N.I.P., les Indépendants de Pinay, anciens pétainistes partisans de l’Algérie française [4]. Ici aussi, pour ceux qui désirent approfondir, il y a un article à lire : L’Artois 1947 - 1981 (3ème partie)

    Le Conseil de la république redevient le Sénat.

    De Gaulle avait exigé et obtenu l’élargissement du collège électoral pour la présidentielle. Sous les III° et IV° républiques, l’hôte de l’Élysée était élu par les députés et sénateurs réunis en congrès à Versailles. Avec la nouvelle constitution, les représentants des conseils municipaux sont électeurs. Le vote a lieu le 21 décembre 1958. 74391 voix s’expriment et De Gaulle obtient 57649 voix [5].

    Après la passation des pouvoirs entre Coty et De Gaulle, le général nomme son premier Premier Ministre -la titulature de « Président du Conseil » disparaît- : c’est Michel Debré.

    Nous sommes le 8 janvier 1959 : la V° est en place.  

B.     Les débuts de la V° et la paix en Algérie

1.      Dès le départ une politique "gaullienne"

a)      La politique économique : adaptation de l'outil à l'ouverture extérieure.

    Le traité de Rome du 25 mars 1957 marque pour la France l’entrée dans une nouvelle époque. Comme prévu et malgré le retour des Gaullistes, la France entre dans la C.E.E. le 1er janvier 1959. La France repliée frileusement sur son empire colonial : c’est fini. Place à l’ouverture - progressive - des frontières et à la concurrence avec les entreprises allemandes, hollandaises, belges, etc…

    C’est pourquoi toute la politique gaullienne est tendue vers l’investissement industriel, la concentration des entreprises -l’industrie est pulvérisée en milliers d’entreprises, il faut les concentrer-. La vie économique est rythmée par le plan quinquennal et les plans gaulliens mettent l’accent sur la compétitivité, l’expansion (dont la recherche scientifique) et l’aide de l’État. Cette aide favorise les secteurs les plus concentrés, les plus intégrés à l’économie européenne, les plus aptes à la concurrence. C’est ce qui fonde l’argumentation des communistes qui accusent le gaullisme d’être « le pouvoir des monopoles ». G. Pompidou, directeur général à la banque Rothschild puis chef de cabinet du général peut difficilement les contredire.

    En nommant Antoine Pinay aux Finances, De Gaulle savait que la politique menée allait être monétariste, favorable aux rentiers et aux propriétaires. Le fait signifiant est évidemment la création du nouveau Franc, dit aussi Franc lourd symbole de la volonté d’avoir une monnaie forte et stable. Auparavant, le Franc a été dévalué de 17,5% ce qui stimula nos exportations. Pinay en bon patron « Indépendant » mène une politique déflationniste : blocage des salaires et des prestations sociales, déflation, recherche de l’équilibre du budget. La convertibilité du franc est rétablie. Il est encore l’auteur d’un emprunt, l’emprunt Pinay, indexé sur l’or qui ‘éponge’ les liquidités excédentaires en circulation.

    L’agriculture entre dans une période décisive : la fin des paysans. Le PCF crée le MODEF -attention à la confusion ! - : le mouvement de défense des exploitations familiales. C’est que la Politique agricole commune (PAC) favorise les moyennes et les grandes exploitations. De grandes manifestations paysannes sont organisées. La politique des prix est cardinale : en fixant le prix européen garanti à 100, on élimine celui dont le prix de revient est à 105 et on engraisse celui dont le prix de revient est à 80…

    Dans l’enseignement, deux éléments : la loi Debré de soutien à l’école privée religieuse. Le plan Rueff - Armand qui, pour la première fois, met l’école au service de l’économie. La création des collèges se propose de former les ingénieurs et cadres, les ouvriers qualifiés et les autres à partir des trois filières mises en place dès la sixième.

b)      La politique extérieure

    Le général ne peut pas développer la grande politique mondiale dont il rêve pour la France : le problème algérien le préoccupe chaque jour. Il exprime sa solidarité atlantique et se rapproche de l’Allemagne de l’ouest.

    Deux faits cependant montrent que la politique gaullienne est sur ses rails :

- D’une part, en 1960, la première bombe atomique française explose au Sahara (site de Reggane) : c’est l’amorce de l’indépendance militaire de la France.

- D’autre part, De Gaulle invite monsieur « K » à visiter la France (1960). Premier signe du refus de la politique des « blocs ».

2.      De Gaulle et la guerre d'Algérie

    C’est la grande question du début du septennat.

a)      Une politique pragmatique

    La politique algérienne du Général n’obéit pas à un plan pré-établi. Elle est pragmatique, c’est-à-dire réactive aux évènements. L’opinion française souhaite la paix, mais pas encore l’indépendance de l’Algérie. De Gaulle semble, dans un premier temps, se situer dans une perspective « Algérie française » : le 4 juin1958, tout de suite après son investiture, il part à Alger où il prononce un discours et lance son fameux « je vous ai compris » dont les historiens se demande toujours ce qu’il faut comprendre. En octobre, il propose la « paix des braves » : c’est-à-dire l’arrêt des combats, sans négociation politique préalable, ce qui ne peut satisfaire le F.L.N. qui a créé le G.P.R.A. [6].

    Puis, on applique le « plan de Constantine » soit un plan de développement économique, quinquennal, de l’Algérie. Si l’idée est bonne en soi, elle sera longue à porter ses fruits.

    En attendant, les combats continuent, toujours dans le cadre de la politique de pacification mollétiste : on veut bien discuter mais pas avec des rebelles, il faut donc les éliminer militairement, pacifier l’Algérie et alors on pourra discuter.  En attendant la guerre continue.

b)      L'idée d'autodétermination et la "stratégie" du referendum

    Le premier grand virage gaulliste dans le politique algérienne est le discours du 16 septembre 1959 : De Gaulle lance l’idée de l’autodétermination. Le peuple algérien devrait pouvoir déterminer par lui-même (auto) quels seront ses rapports à la France.

    Première remarque concernant le fonctionnement des institutions. Les grandes étapes de l’évolution de la politique algérienne sont marquées non point par des débats parlementaires, ni même par des prises de position du gouvernement (article 20) mais par les discours télévisés du chef de l’État.

    Deuxième remarque. Cette idée suscite l’opposition furieuse des ultras de l’Algérie française qui voient bien le virage en train d’être négocié. Le principal obstacle viendra désormais des partisans du statu quo colonial. Du 24 au 31 janvier 1960, se déroule la semaine des barricades à Alger. Des Français tirent sur des gendarmes français. Il y a des morts. En France, cela suscite la mobilisation des milieux anti-fascistes.

    En mai 1960, le général déclare : « la France restera en Algérie, j’en réponds ! ». Mais le thème de l’Algérie algérienne ayant été lancé, De Gaulle est chahuté lors de ses voyages à Alger et Oran en décembre 1960.

    C’est pourquoi De Gaulle, pour montrer aux factieux qu’il n’est pas seul, adopte la stratégie du referendum : l’approbation populaire montrera aux partisans de l’extrême-droite que ce sont eux qui sont isolés. Le 8 janvier 1961, est organisé le referendum sur l’autodétermination : 75,25% de « oui ».    

c)      Le putsch des généraux et les accords d' Evian.

Le 7 avril 1961 s’ouvrent à Evian les premiers échanges entre le GPRA et la France. Le 11, De Gaulle s’affirme persuadé que « l’État algérien sera souverain ». C’est alors que se produit le coup d’État des généraux à Alger les 21/22 avril 1961.

C’est un « putsch » comme on disait alors. Quatre généraux - Challe, Salan, Jouhaux et Zeller - disent avoir pris le pouvoir en Algérie. C’est un coup d’État militaire. Passons sur les détails. Le putsch échoue pour plusieurs raisons.

-          De Gaulle applique immédiatement l’article 16 de la constitution qui lui permet d’agir par décret sans vote de la chambre. Celle-ci, cependant, ne peut plus être dissoute.

-          L’attitude du contingent est résolument hostile. Les bidasses sont tenus informés de la situation grâce à leurs « transistors » : nouveauté technique des Trente glorieuses.

-          PCF et CGT lancent un mot d’’ordre de grève pour le 24 avril -c’est un lundi- , grève suivie par 12 millions de salariés.

    Le 25, Challe se rend. Les desesperados de l’Algérie française se jettent dans l’aventure sanglante de l’ OAS, organisation terroriste qui balance des bombes et tuent des innocents.

    Les pourparlers d’ Evian ont repris. Ils échouent sur le problème du Sahara que les Gaullistes et autres Indépendants veulent garder : on y a trouvé du pétrole et on y fait exploser nos bombes ! Caractère impérialiste de cette guerre. Finalement, De Gaulle cède et l’on peut aboutir aux accords d’ Evian du 18 mars 1962. Les accords sont approuvés à nouveau par referendum : le PCF appelle à voter « oui » alors que les Indépendants du CNIP votent « non » ! C’est comme un renversement des alliances par rapport à 1958. Le « non » obtient tout de même 10% des exprimés.

    Les attentats de l’OAS redoublent. Le 12 février 1962, une manifestation anti-OAS est interdite mais se tient quand même. La police du préfet de police Papon, maintenant bien connu, charge les manifestants dont certains se trouvent coincés par les grillages des bouches de métro qui ont été fermées. A la station Charonne, les policiers dans l’exercice de leur fonction, font 8 morts, tous communistes ou sympathisants. Les obsèques des victimes seront suivies par un peuple ému et silencieux d’un million de personnes.

    En Algérie, c’est le chaos. Après les avoir toujours refusées, l’ OAS -une partie d’entre elle, en tout cas - entame des négociations avec le F.L.N. ! Trop tard… Les plus déchaînés pratiquent la terre brûlée. La quasi-totalité des Pieds noirs quittent leur lieu de naissance pour la métropole. C’est un déchirement.

    L’ Algérie ravagée, décimée, désorganisée devient la République démocratique et populaire d’Algérie (juillet 1962).

NB. : sur la manifestation cruellement réprimée du 17 octobre 1961, lire :
http://www.humanite.fr/politique/17-octobre-1961-c-est-un-pas-extremement-important-pour-alain-ruscio-506715



[1] Ceux que cela passionne peuvent lire, évidemment, le chapitre XX, vol. II, de mon livre, disponible sur ce même site. (voir la page d’accueil).

[2] Le gouverneur général était nommé par la président du conseil et le représentait en Algérie.

[3] Ainsi le socialiste Jospin a-t-il mené la politique de son choix sous la présidence Chirac. Ainsi cet article est-il aujourd’hui quotidiennement violé sous la présidence Sarkozy.

[4] Parmi les députés de ce parti, un certain J.-M. Le Pen, résolument gaulliste à cette date (voir Marine LE PEN, le F.N. et le GAULLISME…)  l’article, sur ce site).

[5] Le reste se distribue entre un candidat SFIO et un candidat PCF.

[6] Clin d’œil évidemment au G.P.R.F. créé par De Gaulle en 1944.




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