Une halte à la MAISON DES CANUTS.

publié le 5 oct. 2011, 06:01 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 5 oct. 2011, 06:02 ]

Je publie aujourd’hui un nouvel article de Lucien Bergery qui vole de place en place dans la bonne ville de Lyon pour apprécier la place qui est faîte aux canuts dans leur propre ville, ville qui est connue des historiens des révolutions dans le monde entier grâce à eux. (Voir les articles[1] précédents :

II. La REVOLUTION et ses musées, LYON et ses canuts… (2ème partie)

Musée des tissus : « Quand Lyon dominait le monde »)

On constatera qu’il en tire une conclusion impérative : les canuts n’ont pas, pas encore, le grand musée qu’ils méritent.

J.-P. R.

 

HALTE A LA MAISON DES CANUTS

 

 

    Par Lucien BERGERY

    Professeur de lettres.

 

Après s'être interrogé sur la place réservée aux canuts dans les lieux prestigieux que sont le Musée Gadagne et le Musée des Tissus, L’esprit canut s'est offert une halte à la Maison des Canuts, espace certes plus modeste, mais aussi plus symbolique de la mémoire des canuts, au cœur même de leur quartier de la Croix-Rousse.

Depuis 2004, la Maison des Canuts est sous gestion privée. Après la mise en liquidation judiciaire de la structure gérée par la COOPTIS[2], le rachat des collections par la municipalité et celui des locaux par la SACVL[3], c'est un fabricant d'écharpes et de foulards croix-roussien commercialisant sur place sa propre production qui a été choisi pour gérer ce lieu. A l'époque, notre association (L’Esprit canut, JPR) avait exprimé son désaccord sur la cession au domaine privé d'une structure symbolique qui aurait pu devenir le point d'ancrage de la création d'un véritable pôle muséal canut à la Croix-Rousse.

Une chose est certaine, la Maison des Canuts "tourne bien" : 30.000 visiteurs en 2010 dont 25 pour cent de scolaires et 25 pour cent d'étrangers, 6 jours d'ouverture par semaine de 9 heures à 18 heures trente, 6 à 8 emplois dont 3 permanents. L'accueil est sympathique, les visites sont commentées de façon dynamique et professionnelle avec le souci louable de traduire l'essentiel en anglais.

 

Le visiteur dispose de trois options : il peut librement :

* parcourir les 3 salles où sont exposés le fonds du matériel et des documents explicatifs,

* visionner une vidéo: "Du papillon au fil de soie",

* Passer à la boutique pour admirer ou acheter les pièces de soie proposées : cravates, carrés, foulards, écharpes, tableaux tissés (70% de fabrication "Maison" et 30% de créations venues de la région Rhône-Alpes)… Il peut aussi trouver des cartes postales, un petit rayon librairie sur la Croix-Rousse et les canuts, divers petits souvenirs...

En fait, ce visiteur passe d'abord par ce troisième espace puisque la Maison des Canuts ouvre directement sur la boutique, très accueillante d'ailleurs avec le rose de ses murs propice à toutes les gourmandises... Mais la rose n'est-elle pas aussi le motif de prédilection des dessinateurs en soierie ?

– Le visiteur peut aussi (pour 6 euros en tarif plein) opter pour une visite commentée d'une heure (chaque jour ouvrable à 11 heures et 15 heures 30) comprenant une demi-heure de démonstration dans l'atelier de l'autre côté de la route, pour ceux qui ont acquitté leur entrée, et une demi-heure d'exposé dans la salle vidéo.

– Enfin, l'après-midi, il est possible (pour 10 euros en tarif plein) de coupler cette visite commentée à une visite guidée des traboules de la Croix-Rousse dans les pas de Robert Luc. Le départ a lieu rue d'Ivry, vers 16 heures 45, une quinzaine de minutes après la visite commentée... peut-être pour laisser la possibilité à quelques indécis d'acquérir un petit souvenir de soie ! L'arrivée est Place des Terreaux vers 18 heures. C'est une promenade agréable où le guide s'efforce d'attirer l'attention du public sur une infinité de petits détails, souvent négligés, qui révèlent, dans l'architecture ou les voies de communication, le mode de vie et de travail des canuts au 19ème siècle. C'est aussi la possibilité de découvrir quelques traboules spectaculaires, comme celle qui relie le 5 rue Bodin à la rue Magneval (ouverte le matin).

Le mieux bien sûr est d'additionner les 3 formules en arrivant une bonne demi-heure avant la visite commentée de 15 heures 30, de façon à ne rien rater de l'ensemble de ces propositions.

Le fonds exposé dans "l'arrière-boutique" ne manque pas d'intérêt ; pris séparément, chaque objet est beau et mérite l'attention du visiteur, mais l'impression d'ensemble est celle d'un fonds davantage décoratif que véritablement porteur de sens. Le visiteur recherche vainement un fil rouge pour le guider dans son approche. Comment s'y prendre dans ce qui apparaît comme une juxtaposition ?

*1ère salle : machines et matériels des ateliers de tissage: métier à bras pour l'échantillonnage, étuve à conditionner, présentoirs de canettes, rouets... panneau sur les travaux de Pasteur...

*2ème salle, un portrait du fondateur de la Maison des Canuts : Lucien Berger... une image tissée par Tassinari-Chatel... un métier Jacquard... une mécanique ronde pour le dévidage des flots... une frise chronologique un peu sévère sur les étapes du tissage de la soie à Lyon de François 1er à 1870.

*3ème salle, quelques maquettes de métiers ainsi que celle d'un atelier canut niché dans une vitrine. Certains visiteurs se disent déçus de ne voir la véritable maison des canuts qu'en maquette ! De toute évidence, la Maison des Canuts manque d'espace et de moyens pour proposer un parcours contextualisé et cohérent au visiteur. L’apport des canuts aux niveaux historique, social, coopératif, politique est pratiquement absent des salles d'exposition.

La démonstration à l'atelier de tissage constitue l'attente principale du public : on vient d'abord à la Maison des Canuts pour voir et entendre fonctionner des métiers. Sur ce point on n'est pas déçu : le jour de notre visite, la démonstratrice, sur le métier à bras Jacquard, travaille au retissage d'un magnifique motif conçu il y a plus de 2 siècles. Chaque passage de navette est ponctué par des éclairages sur le fonctionnement du métier Jacquard que l'on compare au métier à la grande-tire, sur les techniques de tissage, sur l'histoire prestigieuse de certaines pièces, sur la vie quotidienne des canuts... Les explications sont claires et précises mais forcément un peu rapides. Le public (une trentaine de personnes ce jour-là) est invité à poser des questions. Plusieurs doigts se lèvent... La demi-heure impartie est déjà écoulée : seuls deux élus obtiendront une réponse à leurs interrogations... Mais un peu de frustration n'est-ce pas aussi un gage d'achat au rayon librairie ?

 

A l'issue de cette démonstration le public est invité à traverser la rue pour s'asseoir dans la salle de projection. Là, durant une demi-heure, une conférencière (Virginie ce jour-là) propose un exposé sur l'histoire de la soie à Lyon. La présentation ne manque ni de dynamisme ni de conviction mais le menu semble un peu copieux dans un laps de temps aussi court. L'historique se veut sans lacune : depuis 2640 av. J.C. avec "l'invention" de la soie en Chine, jusqu'à 2011, avec les pôles de création les plus novateurs. Le parcours n'oublie aucune étape essentielle de l'aventure des canuts au fil des siècles : progrès techniques, organisation sociale, sens et impact des luttes du 19ème siècle... La présentatrice sensibilise aussi le public sur la situation de l'industrie textile actuelle, sur le "travail malpropre" et sollicite une démarche éthique et responsable de la part du consommateur. Là dessus, rien à redire. Le simple visiteur d'un jour a cependant l'impression de ressortir un peu "groggy" de ce discours ininterrompu qui semble vouloir combler en quelques minutes tous les manques de contenu des salles d'exposition et donner un gage de sérieux à la démarche de l'entreprise.

Sur son site internet : Association@Lyon, La Maison des Canuts se proclame "plus qu'un musée … un lieu de dialogue et de rencontre avec des produits dont on aura compris la complexité et la valeur". Il s'agit bien, au fond, même si la gérante actuelle se défend avec raison d'être "un marchand du temple", de tout mettre en oeuvre pour faire tourner efficacement et de façon rentable une entreprise artisanale, commerciale et culturelle dans l'interdépendance de chacune de ses composantes ; la démarche muséale et patrimoniale est ici au service d'un produit, d'une marque déposée, les conditions étant réunies pour que le visiteur devienne vite un client.

 

Par les temps qui courent ce n'est pas un péché mais les canuts attendent encore, au cœur de leur quartier de la Croix-Rousse, une maison à leur échelle.



[1] Articles qui correspondent aux n° 16 et 17 de la revue L’Esprit Canut.

[2] COOPTIS: coopérative d'activités et d'emploi des artisans de la soie, créée en 1960.

[3] SACVL: Société Anonyme de Construction de la Ville de Lyon.

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