Marat, l’ami du peuple…

publié le 3 juil. 2011, 02:31 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 13 nov. 2017, 15:36 ]
  21/04/2010  

    Dans son édition du 22 avril, LE MONDE publie un article de Guillaume Mazeau, Maître de conférences à l'université Paris-I-Panthéon-Sorbonne, dont voici le début : « Avant même sa parution, le dernier livre de Michel Onfray contre Freud fait déjà l'objet d'un violent débat. Beaucoup de bruit pour rien ? L'historienne de la psychanalyse Elisabeth Roudinesco n'exagère-t-elle pas en décrivant Onfray comme un usurpateur qui réhabilite les thèses de l'extrême droite ? Bien au contraire. Les dérives d'Onfray ne sont pas nouvelles. En 2009, il a publié une apologie de Charlotte Corday (La Religion du poignard. Eloge de Charlotte Corday, Galilée). Plutôt bien accueillie par les médias, cette histoire est pourtant historiquement médiocre et politiquement scandaleuse ».

    J’alimente le débat en citant des extraits du chapitre VI « LA TERREUR BLANCHE » de mon livre « Traditionalisme & révolution ».

 

    La presse

    La révolution voit naître une espèce toute nouvelle et promise à un grand avenir : le journaliste d’extrême-droite. Cette espèce a de beaux spécimen : Rivarol, Mallet du Pan, l’abbé Royou, et beaucoup d’autres plus obscurs mais non moins violents. A ces partisans de l’Ancien régime, la situation révolutionnaire fournit du grain à moudre pour se gausser de l’état d’apparente anarchie où se trouve le pays. Au départ, ils veulent mener un débat d’idées mais peu à peu les attaques ad hominem deviennent la caractéristique de leurs "papiers". Ainsi, Marat, devient sous leurs plumes, un homme "violent, excité, sanguinaire, laid, débraillé, sordide", un "cynique dégoûtant vivant publiquement avec ces misérables filles qu'on rencontre dans les rues les plus sales, et qu'un honnête homme ne voudrait pas toucher du bout de son soulier". Tous finissent, à des degrés divers, nous dit J.-P. Bertaud, par ridiculiser leurs adversaires, se gaussant de leurs tares, de leurs malheurs conjugaux, vrais ou supposés, et des avatars de leur vie publique[1].

 

La République au royaume de Saint Louis !

Après la fuite du roi, acte qui est un aveu, le 21 juin 1791, les choses s'accélèrent. Le club des Cordeliers monte en première ligne pour la promotion républicaine. La République ! Au royaume de Saint Louis ? Mais c'est une nouveauté ! La République, avec des ouvriers des faubourgs Saint-Antoine et Saint-Marceau toujours prêts à en découdre, à prendre quelque Bastille ? Avec un Marat violent, excité, sanguinaire, laid, débraillé, sordide qui a l'outrecuidance d'écrire des sottises pareilles : "C'est un plaisant sophisme que celui de ces harangueurs qui prétendaient "que l'indigent ayant besoin du salaire de sa journée pour subsister et n'ayant point de temps à donner à la chose publique, n'a pas droit de s'en occuper". Marat fait allusion aux députés de la Constituante qui ont inventé la notion de citoyen actif et de citoyen passif. "Voilà précisément les abus criants dont les indigents ont à se plaindre et dont le législateur leur doit le redressement ; car la Révolution ne doit pas s'opérer en faveur de quelques classes particulières de la société, mais en faveur de toutes. Quoi donc ! Sera-t-il vrai que les citoyens aisés, les riches, les opulents recueilleront seuls tous les fruits du nouvel ordre des choses ? Tandis que les indigents, toujours condamnés à passer leur vie entre le travail et la faim, n'auront en partage que les privations, la peine et la misère, se morfondront de fatigues pour nourrir des fainéants qui les dédaignent et périront". Alors Marat porte l'estocade. Il imagine, avec un siècle et demi d'avance, l'Etat-providence : "la société peut donc les forcer au travail, puisque la nature les y condamne : mais lorsqu'ils ne s'y refusent pas[2], et lorsque leur travail ne suffit pas à leur entretien, elle leur doit une nourriture salubre, un logement sain, un vêtement convenable, de quoi élever leurs enfants, des soins dans leurs maladies et dans leurs infirmités, enfin une existence assez supportable, pour qu'ils ne soient pas réduits à s'excéder de fatigue. Or c'est le temps de leur délassement qu'ils peuvent consacrer à la chose publique". Autrement dit, Marat inverse les propositions –il fait la révolution- ! À ceux qui disent 1) les pauvres n'ont pas le temps de s'occuper de la chose publique 2) donc ils seront citoyens passifs sans droit électoral, Marat rétorque 1) tous les citoyens doivent participer à la vie de la cité, 2) la société doit créer les conditions pour qu'ils puissent le faire. Démarche essentiellement autonomique. Et Marat lance la bombe : "voilà où seront forcés d'en venir nos représentants, s'ils ne veulent pas voir un jour les trois quarts de la nation demander le partage des terres : jour moins éloigné qu'on ne pense et que doit nécessairement amener le progrès des Lumières"[3]. Le partage des terres ! La loi agraire! L'horreur absolue… la République, c'est la révolution sociale…

 

Marat expulsé du Panthéon

    La chute de Robespierre ne devait être que la chute d'un "tyran" et tout devait continuer comme avant. En fait, comme l'écrit excellemment Jules Issac, "le 9 thermidor a préparé le 18 brumaire et la République est morte du coup qui a frappé Robespierre". Mais comme souvent, ce n'est qu'après coup que l'on comprend la signification d'un évènement. En se débarrassant de Robespierre, la bourgeoisie thermidorienne négocie un virage à 180°. Après avoir voté l'entrée au Panthéon du corps de Marat, et cela, après l'exécution de Robespierre, la Convention, quatre mois plus tard, décrète qu'il en sera expulsé.

    C'est la jeunesse dorée qui va donner l'impulsion. D'abord dans les théâtres -qu'elle fréquentait assidûment- des excités brisèrent les bustes de Marat. Dans le quartier Montmartre, on put voir des enfants jeter à l'égout des effigies de l'ami du peuple en disant "voilà ton Panthéon". La presse réactionnaire se déchaîne contre Marat. "Ce cynique dégoûtant vivait publiquement avec ces misérables filles qu'on rencontre dans les rues les plus sales, et qu'un honnête homme ne voudrait pas toucher du bout de son soulier. (…) Pourquoi un pareil être n'est-il pas mort de pourriture ? (…) Les scélérats devraient mourir comme ils ont vécu, dans la fange. Nos pères enterraient dans la boue les assassins et les hommes immoraux, et nous leur élèverions des autels ?"[4]

    Le Comité de sûreté générale paraissait n'avoir plus aucune autorité. L'assemblée, non plus. Ainsi, en janvier 1795, six cents "jeunes gens", à la séance du soir, envahirent la salle même de la Convention nationale aux cris de "A bas les buveurs de sang ! A bas les scélérats! À bas les avaleurs d'hommes ! A bas tous ces sacrés coquins ! Nous les f… tous dans l'égout". Autre témoignage : "le 21 janvier 1795, 2 à 300 personnes se rassemblèrent, avec un mannequin qu'ils dénommèrent jacobin, ils se rendirent à la place de la Réunion où ils insultèrent la mémoire de Marat, de là à la cour des Jacobins où le mannequin fut brûlé. Les cendres furent ensuite mises dans un pot de chambre et jetées dans l'égout Montmartre". Les bustes de Marat sont systématiquement couverts de sang, d'excréments. "J'offre, c'est vrai, un holocauste au grand Marat" dit un muscadin modéré en urinant sur sa statue. Le thème des excréments revient sans cesse. Cette jeunesse dorée a des problèmes scatologiques davantage qu'eschatologiques.

    Au final, l'assemblée cède et Marat est dépanthéonisé. Ces excès vulgaires de la jeunesse dorée contrastent terriblement avec la noblesse des sentiments qui présida aux obsèques de l'ami du peuple. Ces dernières sont décrites ainsi par les contemporains : "la dépouille mortelle a été portée jusque dans la cour des Cordeliers. Le peuple, rassemblé sous les bannières des sections suivait paisiblement. Un désordre en quelque sorte imposant, un silence respectueux, une consternation générale offraient le spectacle le plus touchant. La marche a duré depuis six heures du soir jusqu'à minuit elle était formée des citoyens de toutes les sections, des membres de la Convention, de ceux de la Commune, du département, des électeurs et des sociétés populaires. Arrivé dans le jardin des Cordeliers le corps de Marat a été déposé sous les arbres. Le peuple environnait le cercueil en silence. Plusieurs sections ont été jeter des fleurs sur le corps de Marat. La consternation du peuple, sa douleur muette, ses larmes, les honneurs rendus à sa mémoire, voilà le plus éloquent, le plus sublime des éloges"[5].

    Quelle fracture sociale !

    Clairvoyant, Marat avait parfaitement observée cette fracture : "presque en tous pays, les 7/10° des membres de l'Etat sont mal nourris, mal vêtus, mal logés, mal couchés. 3/10° passent leur jours dans les privations, leur vie est une pénitence continuelle, ils redoutent l'hiver, ils appréhendent d'exister". A l'inverse, "on voit des riches qui dorment sur le duvet, sous des lambris dorés, dont la table n'est couverte que des primeurs… comment prétendez-vous qu'un courtisan hautain, qu'un baron, qu'un comte, un marquis, se regardent comme les égaux d'un menuisier, d'un maçon, d'un cordonnier, d'un porteur d'eau, de leurs valets ? Le prétendre, c'est vouloir une chose impossible, c'est se bercer de chimères…"[6]. Les violences qui sont reprochées à Marat et qui sont bien réelles, s'expliquent par la peur qu'il avait pour lui-même et pour le peuple d'être massacrés par "des hommes, en possession depuis dix siècles de nous gourmander, de nous piller et de nous opprimer impunément, qui ne se résoudront pas de bonne grâce à n'être que nos égaux et qui  machineront éternellement contre nous…"[7]. 

 

    Fut-il vraiment l'ami du peuple ?

    Voici une lettre qu'il reçut à son journal et qu'il publia le 12 juin 1791, signée par 340 ouvriers-maçons en conflit salarial avec leurs patrons : "cher prophète, vrai défenseur de la classe des indigents, permettez que des ouvriers vous dévoilent toutes les malversations et toutes les turpitudes que nos maîtres-maçons trament (…), recevez nos plaintes, cher Ami du peuple, et faites valoir nos justes réclamations…". Ami du peuple, qui peut en douter ? Voilà ce que détestèrent, par-dessus tout, les Muscadins.

à suivre : MARAT, l’Ami du peuple… (2ème partie)


[1] J.-P. BERTAUD, "La presse de droite dans l'opposition, l'ami du roi contre l'ami du peuple", L'HISTOIRE, n°37, septembre 1981, pp. 84-85, page 84. Compte-rendu de lecture de Jeremy D. Popkin, "the Righ-Wing press in France, 1792-1800 ", the University of Carolina Press, Chapel Hill, 1980.

[2] On relèvera l'importance de cette proposition. L'aide publique est destinée à des citoyens responsables, à des hommes de devoirs. Pas à des paresseux.

[3]  Article de Marat dans l'Ami du peuple, n°263, 27 octobre 1790, pp. 6-8, présenté par Michel VOVELLE.

[4]  Le messager du soir, 15 pluviôse an III, cité par François GENDRON, page 96.

[5] Sources : Commune de Paris, "rapport sur les funérailles de Marat" (séance du 17 juillet 1793) et "Journal de la Montagne", 18 juillet 1793.

[6]MARAT, "L'Ami du peuple", juillet 1792, extraits cités par Michel VOVELLE, pp. 32-33.

[7] MARAT, "L'Ami du peuple", n°177, 30 juillet 1790. C'est moi qui souligne.

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