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STALINGRAD, le grand tournant de la seconde guerre mondiale (1ère partie)

publié le 9 févr. 2013, 07:37 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 8 janv. 2019, 08:27 ]

Sommaire.

 

LES BUTS DE GUERRE DES ALLEMANDS.

LE SITE DE STALINGRAD - VOLGOGRAD

LA DEUXIÈME GRANDE OFFENSIVE DE PRINTEMPS : 1942

LA BATAILLE DE RUE : 13 SEPTEMBRE 42 - 19 NOVEMBRE 42.    (deuxième partie)
Stalingrad : le grand tournant de la seconde guerre mondiale (2ème partie)

LA CONTRE-OFFENSIVE DU 19 NOVEMBRE : OPÉRATION URANUS (troisième partie : STALINGRAD : le grand tournant de la 2ème guerre mondiale (suite et fin).

LA VIE DANS LE « CHAUDRON »…

BILAN

RÉFÉRENCES VIDÉO ET BIBLIO

 

STALINGRAD : LE GRAND RETOURNEMENT


 

  

 2013 est le soixante-dixième anniversaire de la victoire soviétique de Stalingrad. Le 2 février 1943, le feld-maréchal Von Paulus, commandant la VI° armée de la Wehrmacht, capitulait. Capitulation d’une armée allemande ! On l’attendait, il est vrai, depuis son encerclement, mais avec Hitler il fallait se méfier de tout. On ne savait jamais. Le 2 février 1943 demeure le tournant décisif de la guerre en Europe. C’est le revers, l’échec des nazis, le grand revirement : la phase « B » de la 2° guerre mondiale commence : celle où les succès des Alliés compensent largement leurs défaites ici ou là. Mais attention, le 2 février 1943, si tous les antifascistes sont heureux, ils savent que rien n’est encore joué : l’Allemagne est touchée mais pas morte.

    La bataille de Stalingrad a duré du 23 août 1942 au 2 février 43, elle dépasse donc celle de Verdun qui dura de février 1916 à juillet. Ces deux batailles, connues pour l’intensité des combats et le nombre de morts et blessés, ont ceci de commun que la défaite de la France en 1916 ou de l’URSS en 1942 eût marqué, vraisemblablement, la fin de la guerre et la victoire allemande. L’une et l’autre marquèrent l’acmé du polemos (Voir ce mot dans l’article III. GUERRE DE SÉCESSION : WILLIAM T. SHERMAN). Mais compte-tenu de la nature du vaincu : l’armée nazie d’Hitler, Stalingrad reste mondialement plus retentissante que Verdun.

 

    Cette bataille d’une envergure inouïe, dont le nombre de victimes, toutes nationalités confondues, dépasse le million, interroge : pourquoi un tel acharnement ? Du côté soviétique, c’est assez facile à comprendre : on veut sauver la patrie, c’est une question de vie ou de mort, que ce soit la patrie du socialisme ou la sainte Russie. Mais du côté allemand ? Quel est le sens de cette bataille à des milliers de kilomètres de Berlin ? Quels sont les buts de guerre des Allemands ?

 

LES BUTS DE GUERRE DES ALLEMANDS.

    Les arguments qui suivent sont extraits des travaux de Wolfram Wette [1] et de son livre "Les crimes de la Wehrmacht". Il y a, certes, des buts très concrets comme le pétrole du Caucase. J’y reviendrai. Mais pourquoi ce pétrole est-il si important ? Quel est l’enjeu suprême, l’eschatologie du combat ?

    Le général de corps d'armée Erich Hoepner était le commandant du 4° groupe de blindés. Au début du mois de mai 1941, il informa ses officiers de la manière dont on prévoyait que seraient menés les combats. Son texte, à propos du programme d'extermination militaire imminent, transmis par écrit, est une parfaite illustration de cette pensée fondée sur la caractérisation de l'ennemi et où différents éléments de propagande étaient assemblés en un mélange explosif : "Dans sa conception et dans son exécution, toute opération de combat doit être guidée par la volonté de détruire l'ennemi entièrement et sans pitié. On sera en particulier sans merci pour les piliers du système russo-bolchevique actuel".

    Le général de corps d'armée Erich von Manstein était en 1941 commandant en chef de la 11e armée, engagée dans la section Sud du front de l'Est. Dans son ordre à l'armée daté du 20 novembre 1941, on peut lire : "II faut éliminer une fois pour toutes le système judéo-bo1chevique. Il ne doit plus jamais pouvoir intervenir dans notre espace vital européen" [2]. Le soldat allemand s'engageait aussi dans ce combat, écrivait-il, "comme vecteur d'une idée ethnique et vengeur de toutes les cruautés qui lui ont été infligées, à lui et au peuple allemand".

    "Un certain nombre de points n'étant pas encore établis" à propos du comportement de la troupe à l'égard du système bolchevique, le commandant du groupe d'armées Sud, engagé dans le cadre de la 6°armée, le feld-maréchal Walther von Reichenau, jugea nécessaire de promulguer un nouvel ordre qui fixait le niveau de la violence autorisée et souhaitée. Ce texte, distribué à toutes les compagnies, emploie une argumentation racialiste et se focalise sur l'objectif d'extermination : "Le but essentiel de la campagne contre le système judéo-bolchevique est l'écrasement complet des moyens de pouvoir et l'éradication de l'influence asiatique dans le cercle culturel européen. Cela implique, y compris pour la troupe, des missions qui vont au-delà de l'attitude unilatérale traditionnellement assignée au soldat. Le soldat, dans la zone Est, n'est pas seulement un combattant respectant les règles de l'art de la guerre, mais aussi le vecteur d'une implacable volonté ethnique et le vengeur de toutes le bestialités qui ont été infligées à l'ethnie [Volkstum] allemande et apparentée.". (…). Reichenau concluait son ordre avec un appel - volontairement imprécis - à la poursuite de la guerre d'anéantissement. La mission du soldat allemand, écrit-il, est "d'éradiquer impitoyablement la perfidie et la cruauté des espèces étrangères, et, par là-même, de sécuriser l’existence de la Wehrmacht allemande en Russie".

    Wolfram Wette peut donc écrire : "Quand on lit les discours et les ordres du général de corps d'armée Erich Hoepner, du général feld-maréchal Walther von Reichenau ou du général de corps d'armée Erich von Manstein en 1941, on ne peut s'empêcher de penser que ces textes n'étaient que l'écho direct du discours tenu par Hitler le 30 mars 1941". Il s’agit du discours secret tenu par Hitler, à la chancellerie du Reich, devant le corps des généraux de la Wehrmacht. 250 généraux qui, trois mois plus tard, allaient commander l’armée de l’Est. Hitler y qualifia le bolchevisme de "système criminel asocial" et parla d'un "combat d'extermination" dans lequel il n'était pas question de "conserver l'ennemi", mais où le but était l'"extermination des commissaires bolcheviques et de l'intelligentsia communiste". La Wehrmacht devait selon lui abandonner, dans cette guerre, le "point de vue de la camaraderie entre soldats" qui avait jusque-là été le sien. Lien :1°partie. INTRO : LES CARACTÈRES DE LA SECONDE GUERRE MONDIALE  Citons-le mot pour mot "Ce combat sera très différent du combat à l'Ouest. A l'Est, c'est la dureté qui sera source de douceur pour l'avenir".

    Et chez le bidasse de base ? Chez Herr omnes comme disait Luther, le Monsieur-tout-le-monde, le soldat au front ? W. Wette cite les travaux d’un universitaire américain, Stephen G. Fritz [3], qui a collationné des centaines de témoignages à partir des lettres de la Poste allemande, d’entretiens individuels avec des vétérans, etc… On exécutait prisonniers de guerre et partisans, transfuges, commissaires politiques et Juifs ; on détruisait des villages entiers après avoir tué leurs habitants, "en ayant toujours conscience de remplir en bons soldats notre rude devoir". Après la guerre, l'un de ces fantassins reconnut : "J'avais repris à mon compte sans réserve l'idée brutale que nous agissions comme il le fallait". Fritz en conclut qu'"il existait au sein de la troupe, en Russie, un accord tellement frappant avec la conception qu'avait le régime national-socialiste sur l'ennemi bolchevique et le traitement à lui appliquer, que beaucoup de soldats participait volontairement aux opérations meurtrières". Plus encore : un nombre surprenant d'hommes de troupe avaient adopté l'ensemble de l'idéologie nationale-socialiste. Ces soldats ne combattaient pas seulement parce que la machinerie de terreur qui animait la guerre ne leur laissait pas d'autre choix, mais parce qu'ils étaient persuadés de la justesse des objectifs de guerre tels que les leur présentaient les milieux politiques et les interprétations métaphysiques que leur proposait la propagande nationale-socialiste.

    Racisme d’extermination ajoutée à la puissance de feu de la technique allemande : il y avait de quoi avoir peur. Quoiqu’on dise, le combattant soviétique, le soldat inconnu de Stalingrad fut un héros.

 

LE SITE DE STALINGRAD - VOLGOGRAD

   (photo satellite supprimée faute de place, le lien est ci-dessus)


    NB. la Volga descend vers le sud. la rive droite est donc la rive occidentale. C'est là qu'est construite la ville (en grisé sur la vue satellitaire). les traits noirs sont des torrents qui descendent de la falaise rive droite. Là, ils sont en partie recouverts par le bâti urbain.

    Le fleuve qui est de direction NNE-SSO effectue un gigantesque méandre (visible sur la carte ci-dessous) avant de prendre une direction ONO-ESE. La Volga se coupe en deux au moment de prendre sa direction vers l’Est : elle crée une île, Ostrov Sarpinskiy, laquelle est inondable lors des hautes eaux d’avril -qui sont en moyenne de 24.000m3/s au lieu de 3900m3/s en décembre/janvier-. C’est pourquoi, l’île nous apparaît en vert : ce sont vraisemblablement des pâturages. En décembre-janvier, il n’y a aucun risque d’inondation : la Volga est gelée ! C’est une route naturelle. Elle est facile à traverser pour les camions : il suffit de poser quelques planches et et/ou branchages. A partir du 19 décembre 1942, la glace est suffisamment épaisse pour laisser passer les camions de ravitaillement et les chars de renfort. C’est que Stalingrad-Volgograd a un climat continental typique. Très froid l’hiver -c’est l’anticyclone de Sibérie qui s’impose sans limite- il est très chaud l’été : l’écart moyen de température est de 40° ! Mais on sait ce que sont les moyennes en météorologie. En 1942, janvier fut particulièrement froid : on a enregistré -30° le 5 janvier… Une pensée pour le soldat allemand sans nourriture ou presque et encerclé.

    Le fleuve n’est pas canalisé, il y a de nombreuses îles et îlots au milieu du cours. C’était encore plus vrai à l’époque de la bataille. Aujourd’hui, on peut voir à l’entrée Nord de la ville, un barrage construit - en 1958 - au niveau d’un rétrécissement du cours et, derrière le barrage, la Volga a pris une largeur très importante (lac de retenue). Le barrage mesure 725m de long : à l’aval, la largeur du fleuve est bien plus importante : 1300 mètres. C’est cette distance que les soldats qui assuraient la relève, avaient à traverser - sous le feu des avions ennemis - pour rejoindre la rive ouest, la rive droite, où est construite la ville.

    NB. sur la carte ci-dessous, la ville actuelle est en jaune. la ville voisine de Volzhskiy (rive gauche) se trouve à 25m d'altitude. à comparer aux 102 m de Kourgane Mamaïev, point culminant de la ville en rive droite (ou occidentale).

    Le méandre s’explique sans doute par la butte que longe la Volga, qui a construit ici sa rive concave. La butte s’élève à 102 mètres d’altitude : c’est la fameuse Kourgane Mamaïev que nazis et soviétiques se disputèrent avec acharnement. 102 mètres : c’est suffisant pour voir tout l’horizon dans ce paysage de plaine de la Volga qui est parfaitement monotone (la pente du fleuve est de cinq centimètres par kilomètre), c’est idéal pour les batteries d’artilleries. Il y a là comme une falaise, d’ailleurs, sur la carte satellite, on voit des traits noirs, perpendiculaires à la Volga : ce sont de petits torrents comme la Tsaritsa (visible sur une autre carte). Ces torrents ont creusé des ravins qui ont eux-mêmes suscité le creusement de tunnels. Le QG soviétique du Front de Stalingrad, fut, un temps, dans l’un de ces tunnels.


    Aujourd’hui, la ville dépasse le million d’habitants. Elle en avait 600.000 au moment de l’agression nazie. En 2012, elle déborde largement le méandre, vers le sud. Elle doit mesurer dans les 40 km du nord au sud. En 1942, elle mesurait environ 24 km de Rynok à Kuporosnoe. Son originalité réside dans cette longueur Nord-Sud exagérée par rapport à son étroitesse Est-Ouest. Mais cela s’explique par le besoin d’exploiter le plus possible la rive droite/occidentale de la Volga dont la profondeur permet l’accueil des plus gros bateaux. La rive gauche/orientale est la rive convexe, basse, qui n’est pratiquement pas urbanisée. En tout cas, elle ne l’était pas du tout en 1942 à l’exception de quelques bâtiments pour bateliers (Krasnaïa Sloboda) qui deviendront la ville de Krasnoslobodsk (14.000 habitants aujourd’hui). Nonobstant, c’est de là que partaient le ravitaillement et les hommes pour la périlleuse traversée si vitale pour les combattants de Stalingrad. Cette rive gauche/orientale est réputée être le début de l’Asie.

    Stalingrad n’avait guère que 150.000 habitants à la fin des années 1920. C’est le premier plan quinquennal (1928-1932) soviétique puis le second qui en font une ville-champignon. Elle a 600.000 habitants au début des années quarante. Cela correspond à un accroissement moyen annuel de 20 à 25% qui ne peut s’expliquer que par l’exode rural. Stalingrad devient le grand centre de métallurgie lourde et de constructions mécaniques de la Volga. En 1932, la célèbre usine de tracteurs sort 144 tracteurs par jour. Elle sera reconvertie en fabrique de chars d’assaut (T34) dès 1941. Les ouvriers et leur famille étaient logés dans des cités-jardins (voir la carte suivante) : industrialisation et urbanisation allaient de pair. De plus, Stalingrad est un grand port fluvial entre mer Caspienne et région de Moscou (et inversement). Une importante gare ferroviaire augmente son importance stratégique. C’est un carrefour Ouest-Est/ Nord-Sud.

    Cette urbanisation échevelée avec une toute nouvelle classe ouvrière faisait de Stalingrad une ville de la jeunesse : c’est ce qu’a voulu retranscrire l’artiste qui créa ce monument dédié, à la fin des années trente, aux enfants de la ville, avenir de l’URSS.



LA DEUXIÈME GRANDE OFFENSIVE DE PRINTEMPS : 1942

    Il existe de multiples livres épais et documentés sur la bataille ; ce n’est pas le but de cet article de les concurrencer. J’aimerais donner l’essentiel.

    Et d’abord répondre à cette question : quelle est la date de début de la bataille ?

    "Les Allemands passèrent à l’offensive le 29 juin" écrivent des historiens soviétiques. La VI° armée allemande "rencontre les forces du front de Stalingrad aux alentours du 17 juillet 1942 dans la boucle du Don où les Russes tentent de la stopper" écrivent des historiens français. Le général Erémenko qui fut chargé de la direction du Front de Stalingrad, nous dit dans son livre qui narre l’histoire de la bataille : "le 23 août, l’ennemi lançait dans le ciel de Stalingrad une attaque massive". Enfin, la bataille dont les images sont restées les plus célèbres, le combat de rue, le combat à l’arme banche, le combat au corps à corps, le contact physique entre les soldats ennemis sur les ruines, cette bataille cruelle, décisive, inhumaine débute le 13 septembre.

 

        Concernant le 29 juin 42.

    Il s’agit, en réalité, de la mise en branle de l’énorme machine de guerre allemande et alliée. L’été est évidemment la saison propice aux offensives. Déjà, en 1941, l’invasion Barbarossa eut lieu le 22 juin (en retard à cause de la résistance grecque contre laquelle la Wehrmacht dut intervenir). Il y aura, en 1943, une troisième offensive nazie de printemps. Pas en1944 ! L’idée est simple : il faut éviter la raspoutitsa : c’est-à-dire le dégel où tout est boue et gadoue. L’URSS est encore héritière de la Russie tsariste et, sans parler d’autoroutes - inconnues - les routes ne sont pas goudronnées ni empierrées, ce sont des chemins de terre impraticables lors du dégel.

    L’objectif de la campagne d'été 1942 projetée par le commandement nazi restait le même : défaire l'Armée rouge, s'emparer des principales régions industrielles et fournisseurs de matières premières de l'U.R.S.S. et remporter la même année une victoire définitive à l'Est. Malgré la victoire soviétique lors de la bataille de Moscou (janvier 1942, où le front recula, par endroits, de 400 km), les zones d’occupation par la Wehrmacht restent très importantes et représentent un territoire où, avant la guerre, habitaient 45% de toute la population de l'Union, qui livrait le tiers de la production industrielle et où se trouvaient 47% des terres ensemencées. Malgré cela,

"l ’Union- Soviétique avait toujours à supporter le principal fardeau de la guerre. Les gouvernements de Grande-Bretagne et des États-Unis ne se décidaient toujours pas à ouvrir un deuxième front en Europe et se bornaient à mener des opérations militaires sur des théâtres de la guerre secondaires : en Afrique et dans le Pacifique. Cela permit à l'Allemagne et à ses alliés de transférer sur le front soviéto-allemand de nouveaux importants contingents de troupes et de matériel. En été 1942, le nombre des troupes fascistes concentrées contre l'Armée soviétique atteignit 237 divisions et vers l'automne 266, dont 193 allemandes. Dans le même temps, seules quatre divisions allemandes et onze italiennes agissaient contre les Britanniques en Afrique du Nord". (Académie des sciences de l’URSS).

    Les Allemands passèrent donc à l'offensive le 29 juin pour ce qui concerne la partie sud de l’immense front qui va de Leningrad aux bords du Caucase. Y prirent part cinq armées allemandes, une armée roumaine, une armée italienne et une armée hongroise, constituant le groupe d'armées "Sud". Les opérations se déroulaient malgré tout sur un vaste front. C’est le "Plan bleu" [4].

    Pour se rendre maître du pétrole caucasien et atteindre la Volga, le commandement nazi avait massé sur l'aile méridionale du front de l’Est le gros de ses forces : 90 divisions. Simultanément, à proximité immédiate de Moscou, l'ennemi tenait encore près de 70 divisions. Le Quartier Général soviétique près le commandement suprême (STAVKA), bien qu'il eût connaissance de l'importance des forces ennemies massées sur l'aile méridionale du front, continuait de considérer Moscou comme l'objectif le plus probable de l'offensive nazie et réservait à sa défense la principale attention. Cette décision erronée du point de vue stratégique et imputable à Staline était rendue encore plus nocive par les revers, essuyés dans le sud.

    Le coup principal fut porté tout d'abord en direction de Koursk - Voronej où l'ennemi parvint à percer les lignes fortifiées des troupes du front de Briansk et du front Sud-Ouest et a atteindre les 7 et 8 juillet la banlieue de Voronej, c’est-à-dire le Don. A l'issue de combats très durs, les troupes soviétiques réussirent à stopper l'avance de l'ennemi. Les troupes nazies firent un mouvement vers le Sud et marchèrent sur Stalingrad et le Caucase, respectivement troisième et quatrième phase du "Plan bleu".

 

Concernant le 17 juillet.

    Du 28 juin au 24 juillet, les troupes ennemies avancèrent de 150 à 400 kilomètres et s'emparèrent des terres fertiles de la rive droite du Don, ainsi que des régions industrielles du bassin du Donetsk. Le groupe de choc de l'ennemi déboucha sur le Don en s'emparant sur l'aile méridionale de Rostov et, après avoir forcé le fleuve, menaçait le Caucase. Le 17 juillet, et suivant, de sanglants combats s'engagèrent sur les avant-postes de Stalingrad. Mais la ville elle-même est encore à près de 100 km. Il est difficile de parler de la "bataille de Stalingrad" à cette date. Mais il est vrai que les ordres donnés à la VI° armée allemande est de foncer sur la ville de la Volga.

    Dans les plans d’Hitler, il y avait l’idée de s’emparer du fleuve - les Allemands savent parfaitement les mérites du transport fluvial -, de maîtriser la ville, de descendre la Volga jusqu’à la Caspienne et, de là, de s’emparer de la flotte de cette mer fermée qui mouille l’Iran et sur laquelle se trouve Bakou, eldorado pétrolier des Allemands. Hitler alimentait également des projets plus ou moins réalistes sur la maîtrise de l’Iran et de l’Irak et, donc, du Golfe arabo-persique et de son pétrole inépuisable [5]. De façon corollaire, prendre la Volga c’est couper Moscou et sa région de tout ce que peut lui fournir le sud : céréales, produits pétroliers, et empêcher une aide, alors virtuelle mais probable, des Anglo-saxons grâce à une chaîne logistique qui partirait des ports de la mer d’Oman. Dans un discours, Hitler, pensant aux maux faits aux soviétiques et sûr de son succès, dira "aucun bateau ne remontera plus la Volga". Quant à Staline, réalisant les menaces qui pesaient sur la ville qui porte son nom et apprenant que certains généraux l’avaient déclarée "indéfendable", il hurla "Comment ne comprennent-ils pas qu'il ne s'agit pas seulement d'une catastrophe pour Stalingrad ? Nous sommes en passe de perdre notre principale voie navigable et bientôt ce sera aussi le tour de notre carburant ! ".

    Le 28 juillet 1942, Staline, par l'Ordre n°227, a interdit toute retraite, lançant le mot d'ordre « Ni shagou nazad » (Pas un pas en arrière). Ce texte, lu à toutes les troupes, dépeint dans son introduction de façon réaliste l'état militaire et économique de l'URSS, loin des clichés de la propagande ; chaque soldat russe sait donc qu'il se bat pour la survie d'un pays au bord du gouffre (article « Bataille de Stalingrad»).

    En attendant, à Stalingrad, c’est le branle-bas de combat. On fortifie la ville. Pendant ce temps, la VI° armée a éliminé toute présence armée soviétique de la boucle du Don et les armées fascistes alliées peuvent s’y installer pour couvrir les armées allemandes qui continuent sur Stalingrad. La ville n’est plus qu’à une soixantaine de kilomètres.

 

        Le bombardement terroriste du 23 août 1942.

    La ville de Stalingrad n'étant plus qu'à 60 km, la Luftwaffe lança une série de bombardements aériens qui tuèrent 40 000 personnes et transformèrent la ville en un tas de ruines. Le général Erémenko :

"Le 23 août. L’ennemi lançait dans le ciel de Stalingrad une attaque massive. La ville flambait. Tous les quartiers de cette ville où vivaient près de 600.000 habitants, se transformaient en ruines. Des centaines de milliers de paisibles habitants périssaient... Les gués, les bacs et tous les vapeurs qui traversaient la Volga se trouvaient sous le feu de l'artillerie et de l'aviation".


   

    Aucun objectif militaire n'est visé. Les historiens s’accordent sur le chiffre de 40.000 victimes civiles le premier jour. La Luftwaffe effectua deux mille sorties sur Stalingrad avec 600 bombardiers parmi lesquels les Junkers Ju 88 et Heinkel He 111 s’en donnent à cœur-joie. Le bombardement de Stalingrad du 23 août avait mis le feu aux réservoirs de pétrole, et les colonnes de fumée noire qui s'élevèrent durant des jours et des jours, étaient visibles de loin en loin. Les bombardements sur la ville continuèrent les jours suivants. Le 25, Stalingrad est décrétée en état de siège. Nikita Khrouchtchev est commissaire au Front de Stalingrad qui, au plan militaire est dirigé par Erémenko.

"Il est possible d’établir une typologie des bombardements : ceux qui ont des objectifs militaires même s'ils comportent la possibilité de tuer des civils (aérodromes, casernes...) ; ceux qui ont des objectifs paramilitaires pouvant entraîner la mort de nombreux civils (usines) ; ceux qui ont des objectifs explicitement psychologiques contre des populations qui ne sont pas sous les armes (colonnes de réfugiés, villages...)" [6].

    Ce troisième type relève du bombardement terroriste. L’expression "Terroriser la population civile" (par bombardement) fut utilisée lors d’une conférence internationale de l’entre-deux-guerres. Sans suite.

    Ultérieurement, les Allemands réussiront à bombarder des objectifs davantage militaires.

Vue aérienne de l’usine de tracteurs TRACTORNY, fleuron de la jeune industrie soviétique…

            ...on reconnaît, au centre, la longue chaîne de montage des tracteurs puis... des chars T34.


Concernant le 13 septembre : les évènements qui débutent à cette date relèvent de la seconde partie :

 

Fin de la première partie. à suivre : Stalingrad : le grand tournant de la seconde guerre mondiale (2ème partie)



[1] Professeur d’histoire contemporaine à la faculté de Fribourg et professeur honoraire de l’université russe de Lipetsk. Publié à Francfort/Main en 2002, Paris (Perrin) 2009.

[2] "Il faut réfléchir en termes d’économie d’un grand espace -Grossraumwirtschaft-" disaient déjà les Allemands avant l’arrivée d’Hitler au pouvoir. (Cf. le coin du bachotage, « les R.I. de 1936 à 1939 »).

[3] FRITZ, Stephen G., Hitlers Frontsoldaten. Der erzählte Krieg, traduit de l'américain par Klaus Kochmann, Berlin, 1998. Version américaine : "Frontsoldater : The German Soldier in World War II", Lexington, University Press of Kentucky, 1995.

[4] L’offensive sur Stalingrad s’inscrit dans un plan d’ensemble qui concerne 10 armées dont 6 allemandes. La stratégie globale commandée par Hitler lui-même est exposée de façon qui me semble satisfaisante dans l’article « Opération Fall Blau » de Wikipaedia. L’article « Bataille de Stalingrad » est aussi à lire.

[5] Dans le magnifique documentaire « La face cachée de Hiroshima » de Kenichi Watanabe, on apprend que le fameux projet MANHATTAN fut conçu pour répliquer aux Allemands dont on pensait qu’ils allaient à la découverte de l’énergie atomique et de sa maîtrise militaire. En 1942, en réalité, Hitler abandonna ce projet et se consacra à la conquête du pétrole, essentiel à ses yeux, pour cette guerre motorisée.

[6] D’après Danièle Voldman, « les civils, enjeu du bombardement des villes », contribution au colloque sur « La violence de Guerre, 1914-1945 », Éditions Complexe, 2002.




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