pour la source, voir la biblio de 1917, l'art et la Révolution. El Lissitzky (1890-1941). *** DU CARRE DE MALEVITCH AU SOLEIL NOIR DE DAMIEN HIRST La fondation Beyeler à Bâle rend hommage à la grande exposition de l’avant-garde russe de 1915 pour son centenaire et met en évidence son influence sur tout l’art moderne et contemporain avec l’exposition parallèle « Black Sun ». Maurcie ULRICH, Bâle (Suisse), envoyé spécial. En Russie, en 1915. Saint-Pétersbourg, qui sonne un peu trop germanique alors que la Première Guerre mondiale est commencée, a pris le nom de Petrograd. L’ancienne Russie vacille et les formes de l’art avec elle. Déjà, le cubisme a sept ans, les premières abstractions de Kupka et Kandinsky en ont quatre ou cinq, le futurisme italien aussi, qui exalte la vitesse, la machine, la modernité et même la guerre. Mais dans la ville des Tsars l’exposition appelée « 0.10 » va marquer un tournant (0, pour la destruction de l’ancien monde et 10 pour le nombre de participants prévus au départ, d’après une idée de Malevitch). Avec 150 œuvres, elle va rassembler 14 artistes, à parité hommes et femmes, ce à quoi ils tiennent en cette période. C’est cette même année en effet, il y a tout juste cent ans, que Kazimir Malevitch va au geste le plus radical de toute l’histoire de l’abstraction et peut-être de la peinture, le fameux carré noir qui, d’ailleurs, n’est pas tout à fait carré. (Le carré noir exposé ici est toutefois celui de 1929, le carré original ne sortant plus). Dans cette même période Vladimir Tatline réalise des pièces en relief tout aussi radicales, d’une autre manière, que le carré. Ivan Puni (Jean Pougny), avec ses compositions faisant appel à des matériaux tels que des pièces préformées en aluminium, en Rhodoïd, en carton, prolonge certaines des voies ouvertes par Picasso jusqu’à l’abstraction là aussi. Bien d’autres artistes participent à cette exposition. Le carré noir, cette œuvre ultime et indépassable
En guise d’anniversaire, la fondation Beyeler à Bâle a réussi à rassembler à peu près un tiers des œuvres alors exposées dues en plus des noms déjà cités à Natan Altman, Vassili Kamenski, Ivan Klioune, Mikhaïl Menkov, Vera Pestel, Lioubov Popova, Olga Rozanova, Nadejda Oudaltsova et Marie Vassilieff. Si la plupart de ces artistes sont aujourd’hui inconnus, ils n’en ont pas moins, à des degrés divers, ouvert les chemins de l’art moderne et pour certains d’entre eux, donc, d’une manière décisive, encore porteuse aujourd’hui. C’est bien évidemment le cas de Malevitch. Le carré noir, installé lors de cette exposition de 1915 dans un angle appelé le coin de Dieu, manifestant en cela les intentions spirituelles du peintre avec ce qu’il appelle le suprématisme, est en quelque sorte une œuvre ultime et indépassable. Mais il ne résume pas à lui seul l’œuvre de Malevitch en cette période même, sans préjuger de la suite. Plus de vingt de ses œuvres de cette seule année 1915 sont rassemblées dans une des salles du parcours. Soit donc des variations sur le noir et le blanc mais aussi de véritables symphonies colorées faisant danser sur les toiles carrés et rectangles. C’est une pure joie de la forme et de la couleur, et au regard de la question de la figuration comme une sorte de délivrance, que cette fête de l’abstraction pure. On trouvera des recherches similaires, en plus des œuvres évoquées plus haut, chez Ivan Puni, mais l’autre grand nom de l’expo « 0.10 », c’est bien sûr Tatline. On connaît de lui sa célèbre tour futuriste, beaucoup moins la diversité de ses œuvres spatiales, associant les matériaux les plus divers. Tatline, à l’inverse de Malevitch, et l’opposition entre les deux ira en grandissant, ne met aucune intention spirituelle dans ses œuvres. Il ne tient même pas à leur pérennité. On pense en les décou-vrant à Marcel Broodthaers, à Robert Rauschenberg. Sans doute, les autres artistes que l’on retrouve ici n’eurent pas la même audace et la même influence, mais on mesure à quel point l’avant-garde russe fut en ce temps, et pour quelques années, totalement en phase, voire en avance avec ses deux artistes phares, sur les révolutions artistiques en Europe. On sait tout autant, malheureusement, qu’à la fin des années 1920 le réalisme socialiste allait s’imposer comme art officiel. Cet écho de l’avant-garde russe dans tout l’art moderne et contemporain est illustré de façon on ne peut plus pertinente par la deuxième exposition en cours à la fondation Beyeler et intitulée « Black Sun » (soleil noir). Pensée directement comme un hommage à Malevitch, elle présente des œuvres de 36 artistes majeurs des débuts du XXe siècle à nos jours, soit donc, pour n’en citer que quelques-uns, Kandinsky, Mondrian, Calder, Fontana, Klein, Kelly, Sol LeWitt, Polke, Richter, Rothko, Ryman, Trockel… On s’arrêtera toutefois sur le Black Sun, précisément, de Damien Hirst. Un vaste rond noir de quelque trois mètres de diamètre, d’une densité de trou noir (à notre échelle). Il faut s’approcher pour voir qu’il est fait de milliers de mouches mortes coulées dans de la résine. Une œuvre troublante, comme souvent avec Damien Hirst. Jusqu’au 10 janvier.
Catalogue édité par la fondation Beyeler, 280 pages.
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