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L’Amérique latine à la veille de l’indépendance (1808) 1ère partie

publié le 8 mars 2013, 05:35 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 14 oct. 2017, 05:50 ]

    Cet article est constitué pour l’essentiel mais non exclusivement, du cours du professeur H. Méthivier[1]. J’en reprends la substantifique moelle, comme disait Rabelais, parce que je trouve son tableau de l’Amérique espagnole avant les guerres d’indépendance presque parfait. On constatera à sa lecture combien les tendances lourdes sont réellement lourdes en histoire. De fait écrit Méthivier, après Bolivar et l'ère des «libérateurs» commence l’ère des «caudillos», dictateurs créoles ou métis, ambitieux et brutaux, souvent ignorants, parfois énergiques et patriotes, tyrannies que font alterner dans chaque État les révolutions des centralistes et des fédéralistes, des conservateurs et des 1ibéraux. Le grand géographe allemand Humboldt notait en 1800 : "En Amérique (latine, JPR), la peau plus ou moins blanche décide de la place qu'occupe l'homme dans la société". Après l’indépendance, les choses évolueront peu. Avant les "révolutions citoyennes" actuelles, j’enseignais à mes lycéens que la pyramide sociale, au Brésil - mais cela valait pour toutes les sociétés d’Amérique latine sauf Cuba, - était blanche au sommet et noire à la base. Dans les pays andins, la base pauvre et délaissée était indienne. Chavez était d’origine indienne, pour partie, et géographiquement du Llanos, c’est-à-dire l’arrière-cour. Il a mis la société vénézuélienne cul pas dessus tête. Cathy Ceïbe, hispanophone, spécialiste de l’Amérique latine, journaliste à l’Humanité, rapporte : "Les classes moyennes, les entrepreneurs, une partie de l'intelligentsia ont vécu ce processus comme une prise d'assaut de leur maison", nous expliquait, en 2006, le sociologue Edgardo Lander. "J'utilise toujours l'image d'une fête de société exquise où tous ceux qui y participent sont blancs, vêtus élégamment et bien éduqués. Et d'un seul coup, entrent des gens mal habillés, sentant mauvais, attrapant la nourriture avec la main. Ils ont la sensation qu'on leur a ôté leur pays".

 

 

 

    L' Espagne possédait au début du XIXe siècle le continent américain, de la Floride et de l'Oregon à la Terre de Feu, moins l'immense Brésil, au Portugal.

 

Tableau de l’Amérique espagnole.

    Voyons d’abord le régime colonial.

    L'Amérique espagnole était partagée en 4 vice-royautés : Nouvelle-Espagne (Mexique), Nouvelle-Castille (Lima, au Pérou), Nouvelle-Grenade (Santa-Fé de Bogota) et La Plata (Buenos-Aires), en capitaineries générales (Cuba, Guatemala, Caracas, Santiago du Chili). Ces postes étaient réservés à de hauts personnages espagnols qui ne songeaient souvent qu'à faire arbitrairement fructifier leurs charges pendant leur séjour aux colonies.

    En fait, le système colonial mercantile subsistait, c’était le régime du monopole. Ce système réservant à la métropole le monopole de l'achat des produits indigènes et de la vente des objets fabriqués. Des impôts royaux étaient levés sur ces entrées et sorties. Une torpeur économique s'ensuivait sous la tutelle d'une administration tracassière et d'un clergé tout-puissant, l'Espagne n'exigeant guère que les métaux précieux et recevant comme accessoires sucre, café, coton, cacao et fruits.

Pratiquement, la vieille réglementation craquait, tournée souvent par la contrebande et l'interlope anglais.

 

  La Société coloniale, très complexe, forme toute une hiérarchie étagée.

    Les Blancs sont une aristocratie et les Indiens, christianisés en surface, sont réduits au travail forcé.

    Outre les Espagnols, religieux ou fonctionnaires, la classe la active et la plus développée est celle des Créoles, Blancs nés en Amérique : la plupart sont de riches planteurs sur de grands domaines, haciendas du Mexique, de Nouvelle-Grenade (future Colombie) et du Pérou, estancias de la Plata, fazendas du Brésil portugais). Beaucoup forment le patriciat marchand des ports, les portenos, classe éclairée, curieuse du mouvement intellectuel d'Europe. Cette classe ambitieuse, tenue à l'écart par les fonctionnaires espagnols, veut les honneurs et le pouvoir, comme la Bourgeoisie française de 1789. Les circonstances seules la pousseront vers l'autonomie, mouvement qui partira des cabildos, conseils municipaux des villes, formés de créoles riches et actifs.

    Un embryon de classe moyenne est formé par les Métis. Très nombreux, les métis sont intendants de plantations, contremaîtres des mines, artisans de petits métiers. Certains sont instruits et ambitieux.

    Les Indiens, étroitement dominés par le clergé et l'aristocratie espagnole ou créole, constituent en général une masse rurale docile, tenue dans un demi-servage. Dans les grandes plaines de l'intérieur vivaient des populations de bergers à demi sauvages, toujours à cheval, armés de piques et de lassos, les gauchos de la Pampa, les llaneros du Venezuela. Les Nègres esclaves sont nombreux dans les régions atlantiques, mais leur recrutement africain diminue, malgré les négriers  interlopes, à partir de 18o8, quand l'Angleterre interdit et réprime la traite.

    L'Église est puissante, par son clergé nombreux, par l'étendue de ses domaines, surtout au Mexique, par son rôle social. Les prélats et les moines, la plupart espagnols, sont très liés à la royauté et à la société aristocratique. Le bas clergé comprend des créoles et des métis, souvent protecteurs et guides de la masse indienne. L'Église a toujours exercé un despotisme paternel et tutélaire sur les villages indigènes [ 2]. La religion tient une grande place dans la vie créole ou indo-américaine, mais c'est un catholicisme mi-latin, mi-indien, épris de fêtes spectaculaires à l'espagnole, empreint aussi d'atavisme fétichiste et superstitieux (c’est-à-dire que les croyances précolombiennes n’ont pas entièrement disparu ou, alors, ont été mêlées au christianisme par syncrétisme).

 

A la recherche des causes des guerres d’indépendance.

    L'élite créole, s'enrichissant, supportait avec d'autant moins de patience le double régime d'exploitation économique et politique, le monopole espagnol des importations et des exportations, d’une part, les hautes fonctions réservées- et privilégiées, d’autre part.

    Il y a aussi des causes intellectuelles : les créoles lisaient les philosophes du XVIII° siècle. L’ Encyclopédie se trouvait aussi dans bien des bibliothèques. Les loges maçonniques enfin étaient autant de foyers de libéralisme où toute l'élite créole, même très catholique, se rencontrait. Les soldats de la Liberté, Miranda et Bolivar, seront des francs-maçons. Après la Révolution américaine (première révolution d’une colonie contre sa métropole), la Révolution française apportait son dogme idéal : la déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen.

    Alexandre de Humboldt qui séjourna en Amérique de 1799 à 1804 [3], montre les vains efforts des gouverneurs espagnols pour prévenir la révolte qui couve : "Bien loin de calmer l'agitation des colons, les mesures [qu'ils prirent] contribuèrent à augmenter leur mécontentement. On crut voir le germe de la révolte dans toutes les associations qui avait pour but de répandre des lumières ; on prohiba l'établissement des imprimeries dans des villes de 40 à 50000 habitants. On considéra comme suspects d'idées révolutionnaires de paisibles citoyens qui, retirés à la campagne, lisaient en secret les ouvrages de Montesquieu ou de Rousseau". A Santa-Fé une conspiration ayant été découverte, "on mit aux fers des individus qui s'étaient procuré des journaux français ; on condamna à la torture des jeunes gens de seize ans pour leur arracher des secrets dont ils n'avaient aucune connaissance".[4] On notera l’importance des Lumières françaises, relevée par un intellectuel allemand, et l’éternel obscurantisme de l’Inquisition catholique espagnole, dont l’héritage néfaste mériterait un procès de Nuremberg.

    La cause occasionnelle du mouvement fut la guerre napoléonienne : en mai 1808, l'occupation française et l’avènement de Joseph Bonaparte amenèrent les colons à briser le régime colonial. En deux temps. Les cabildos affirmèrent leur fidélité à Ferdinand VII et s'emparèrent du pouvoir avec l’appui de Londres. 1810 est une nouvelle étape : un mouvement insurrectionnel gagne de ville en ville et proclame l'indépendance. Le mouvement, d’abord, antifrançais et loyaliste, devint rapidement antiespagnol et séparatiste.

    Notons immédiatement l’importance du rôle de l’Angleterre et d’un de ses hommes politiques en particulier : George Canning, secrétaire d'Etat au Foreign Office depuis août 1822. En effet, rien ne pouvait être plus profitable à l'Angleterre que l’affranchissement de l'Amérique latine : c'était un immense domaine qui s’ouvrait à l'activité de ses marchands et de ses financiers[5]. Canning était issu de la bourgeoisie commerçante de Liverpool, "Chaque jour" disait ce puritain, âpre au gain comme tous ses compatriotes "me persuade que dans l'état présent du monde, les questions américaines sont, sans aucune proportion, de beaucoup plus importantes pour nous que celles d'Europe"[6]. Canning va donc s’opposer à la politique de la Sainte Alliance, chrétienne et réactionnaire, qui visait à s’opposer à toute idée libérale et à maintenir sur leur trône les souverains traditionalistes. Il soutient les colonies rebelles américaines, non par principe libéral, mais parce que c'est l'intérêt de Londres de ne pas voir une puissance européenne se fortifier en Amérique. En l’occurrence, il déclare secrètement à Villèle, premier ministre de Louis XVIII, qu’il s'opposera à toute intervention française en Amérique latine ayant pour objet de rétablir le pouvoir du roi d’Espagne.

 

C’est alors qu’émerge la noble figure de Simon Bolivar.Simon BOLIVAR, le libérateur.

 



[1] « les débuts de l’époque contemporaine », chez Hatier, 1957.

[2] C’est pourquoi, quand une partie de l’ Église latino-américaine passera à la Théologie de la libération -après le coup d’ Etat fasciste de Pinochet soutenu par la hiérarchie catholique -, les masses indiennes s’éveilleront et Hugo Chavez était un adepte de cette théologie dont l’un des fondements est cette parole de l’Exode : « j’ai vu les souffrances de mon peuple »… Théologie de la libération qui faisait hurler à la mort Jean-Paul II et le cardinal Ratzinger.  

[3] Il a découvert l’existence du courant marin qui part de l’océan antarctique et remonte les côtes du Chili et du Pérou, mêlant ses eaux froides aux eaux chaudes, ce qui explique la richesse en poissons des eaux au large du Pérou et, plus au sud, l’absence d’évaporation océane et, donc, le climat désertique au nord du Chili.

[4] A de HUMBOLDT, Essai sur le royaume de la Nouvelle Espagne, cité par J. Isaac.

[5] Et tout le XIX° siècle, jusqu’en 1914, le confirmera.

[6] Ne pas oublier que la victoire de Waterloo a changé toute la donne pour les Anglais.

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