1912 : la Chine devient la première république d’Asie

publié le 12 oct. 2012, 09:58 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 18 mai 2013, 01:26 ]

    L’an dernier, fut célébrée la révolution républicaine de Sun Yat-sen. Un article en deux parties a été publié sur ce point d'Histoire.  1911 : SUN YAT-SEN, LA REVOLUTION CHINOISE (1ère partie).  . Cette année est célébrée la proclamation de la première république d’Asie en 1912. Dominique Bari est sinophone, elle a été correspondante du journal L’Humanité, en Chine, durant de longues années. C’est une « plume » autorisée. Vous disposez maintenant de trois articles sur la révolution chinoise de 1911-1912. JPR.

 

 

Par Dominique Bari

Journaliste, sinologue.

 

   

    Le 1er janvier 1912, Sun Yat-sen, un des fondateurs du Guomindang, proclamait officiellement la République de Chine. Quelques semaines auparavant, le 10 octobre 1911, la révolte de la caserne de Wuhan[1] avait provoqué la chute du système impérial chinois, vieux de deux millénaires.

    En 1911 éclate la première révolution chinoise. Elle donne naissance, le 1er janvier 1912, à la première république en Asie, portant l’affirmation d’une identité nationale face à l’impérialisme occidental et d’une modernisation du pays pour le redresser. L’événement déclencheur en est, le 10 octobre 1911, le soulèvement d’une caserne de Wuhan, capitale de la province du Hubei. L’insurrection rallie en six semaines quinze autres provinces à la cause républicaine. Un jeune médecin Sun Yat-sen, figure de proue de l’opposition politique civile, rentre d’exil. C’est lui qui proclame la République de Chine dont il est élu président. Nankin en devient la capitale provisoire. Mais le pays reste divisé[2]. À Pékin, le pouvoir tombe entre les mains du général Yuan Shikai, ancien conseiller impérial qui se pose en rival des républicains du Sud. Il n’a d’autre ambition que de créer une nouvelle dynastie et réinstaure l’empire le 12 décembre 1915. La mort, qui l’emporte en juin 1916, réduit à néant son rêve impérial.

    Le dépeçage de la Chine se poursuit : la Mongolie extérieure[3] tombe sous la coupe de la Russie tsariste et déclare son indépendance le 1er décembre, établissant le khanat de Mongolie autonome. La Grande-Bretagne s’empare du Tibet et en expulse les autorités chinoises en 1912. La Chine entre dans une longue période de guerre civile qui ne s’achèvera qu’avec la victoire des communistes, en 1949. La république serait-elle aussi inapte que l’empire à trouver des solutions à la crise profonde de l’économie et de la société ?

    En dépit d’un enlisement rapide, la révolution de 1911 fit faire un bond à la Chine. Le système impérial est définitivement renversé et des institutions républicaines mises en place. On assiste surtout à un mouvement profond pour le renouvellement des pensées, marqué par le développement de la presse, des clubs, des associations, des partis politiques. À la question : quel ordre social va succéder à celui de l’empire confucéen ? Les réponses sont variées et les options vont s’affronter.

    De 1912 aux années 1930, la nouvelle république s’efforce de suivre le modèle occidental. Pour la bourgeoisie chinoise et une partie de l’élite intellectuelle qui mènent la révolution de 1911, le modernisme se conjugue avec le capitalisme qui façonne le monde contemporain. Dans le même temps, la révolution russe a soulevé bien des espoirs. D’autant que la jeune Union soviétique renonce officiellement, en 1919, aux avantages obtenus en Chine par la Russie du tsar. On est bien loin de l’attitude du monde capitaliste qui, par le traité de Versailles, fait passer la province du Shandong[4] de l’autorité de l’Allemagne vaincue à celle de l’insatiable voisin japonais. La décision enflamme les rues de Pékin, le 4 mai 1919, et fait rebondir au cœur des débats l’interrogation : la modernisation implique-t-elle l’occidentalisation ? La République pliera-t-elle à son tour sous le joug colonial ou saura-t-elle donner une vitalité nouvelle à l’unité et à l’indépendance du pays ? Le salut national ne passe-t-il pas par la révolution sociale ? Le 1er juillet 1921, le Parti communiste chinois (PCC) est fondé à Shanghai. À partir de 1925, les syndicats, le mouvement paysan et le PCC prennent conjointement leur envol et l’on parle alors de «seconde révolution». Entre février et mai 1925, des grèves éclatent dans les filatures de Shanghai. Les élites chinoises, inquiètes de la montée en puissance du mouvement populaire qui réclame la fin des concessions, s’appuient sur les forces occupantes pour le contrer. La répression déclenche une grève générale anti-impérialiste : deux cent mille ouvriers cessent le travail en mai et juin dans les usines anglaises et japonaises.

    La mort de Sun Yat-sen, en mars 1925, laisse le champ libre à l’homme fort du Guomindang, le général Tchang Kaï-chek. Ce dernier obtient l’appui des communistes pour se lancer dans la « reconquête de la Chine du Nord ». En janvier 1927, la concession britannique de Hankou[5] est reprise par les Chinois, première revanche sur les occupants occidentaux depuis les guerres de l’opium. Mais cette victoire de la révolution nationale est le prélude d’une année noire pour la révolution sociale. À Shanghai, en mars 1927, les syndicats et les communistes mènent une insurrection victorieuse avant d’être massacrés par les troupes de Tchang Kaï-chek. Leur défaite est consommée en décembre avec l’écrasement de la Commune de Canton.

    La première révolution en instaurant la république avait clos un chapitre de l’histoire chinoise : l’ère impériale. La deuxième en a ouvert un autre : celui du lien entre guerre nationale et révolution sociale. En proclamant la création de la République populaire, en 1949, Mao Zedong n’oubliera pas ces liens : «Notre nation ne sera plus soumise à l’insulte et à l’humiliation[6]. Nous nous sommes dressés (…) L’ère dans laquelle le peuple chinois était considéré comme non civilisé est à présent terminée».

L’espoir étouffé de la 1ère république de Chine.

    Le 100° anniversaire de la révolution de 1911 est célébré aussi bien à Pékin qu’à Taipei (capitale de Taiwan, JPR) qui considèrent Sun Yat-sen comme le "père fondateur" de la République dont il est intronisé premier président. 
Il ne tiendra son poste que quelques semaines, obligé de céder la place à Yuan Shikai. Les premières élections de la République de Chine ont lieu en décembre 1912 et en février 1913. En raison des critères du droit de vote et du taux d’alphabétisation, moins de 1% de la population est autorisée à voter. 
Le Guomindang, parti républicain et nationaliste fondé par Sun, gagne la majorité des sièges à l’Assemblée nationale mais ne peut faire face aux ambitions de Yuan. Quelques mois plus tard, Yuan interdit 
le Guomindang et dissout le Parlement. À cette époque, les capitalistes chinois se limitent à une poignée de grandes familles liées à l’industrialisation qui se développe dans des régions du littoral comme Shanghai. En contrepartie se constitue un noyau de classe ouvrière, estimée à 650 000 travailleurs 
entre 1915-1920, et à 1,5 million au début des années vingt (pour au moins 250 millions de paysans).

 

    paru dans L’Humanité des débats, 10-12 février 2012.


[1] Wuhan est un important centre de l’intérieur de la Chine. Cette métropole se trouve au croisement du Yang Tsé-Kiang (port fluvio-maritime) et de l’axe routier et ferroviaire, nord-sud, de Pékin à Hong-Kong. JPR. Voir aussi la note 5.

[2] Je rappelle (JPR) que Nankin et Pékin signifient respectivement, capitale du Sud et capitale du Nord. On constate qu’à cette occasion rejoue une fracture entre les « deux Chines ».

[3] A ne pas confondre avec la Mongolie intérieure qui est toujours une des provinces de la Chine-Pékin. La Mongolie extérieure est devenue la République de Mongolie, membre de l’ONU, (capitale : Oulan-Bator). JPR.

[4] Péninsule qui « ferme » le Golfe de Pé-chi-li, au fond duquel se trouve le port de Tien-Tshin qui est le port de Pékin, (qui se trouve à quelques centaines de Km à l’intérieur).

[5] Hankou est une des trois anciennes villes, avec Wuchang et Hanyang, qui sont aujourd'hui comprises dans la ville de Wuhan, capitale du Hubei, en Chine. Hankou est le principal port de la province de Hubei sur le Yangzi Jiang (autrefois Yang-Tsé). Hankou comportait cinq concessions étrangères obtenues après la dernière guerre de l'opium : une britannique d'environ 55 hectares ; une française en 1896, une russe, une allemande et une japonaise. Cf. article Hankou sur Wikipaedia.

[6] Parmi ces humiliations, les Guerres de l’opium restent inoubliées. Les Anglais forçant la Chine à s’ouvrir au commerce de l’opium contrôlé par eux-mêmes et les Américains.  

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