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Ligue du Sud, Ligue du Nord…

publié le 27 juin 2011, 01:50 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 29 nov. 2013, 05:19 ]
  04/06/2010  

    Le maire ex-Fn, ex-Mpf, d’Orange, Jacques Bompard est parti à la bataille des Régionales 2010 sous la bannière, le gonfalon, de la Ligue du Sud. Ligue du Sud ? « Le choix du terme n’est pas gratuit » réplique J. Bompard « il y a une référence implicite à la Ligue du Nord dont nous trouvons que l’action est très positive pour l’Italie toute entière ». La Ligue du Nord a une politique qui tend à l’éclatement de l’Italie. C’est une politique fondamentalement égoïste, les « riches » ne voulant plus payer pour les « pauvres », à savoir les régions du sud. C’est la fin de la cohésion et de la solidarité nationales. C’est un phénomène général. On l’a vu en Yougoslavie qui a commencé d’éclater dès que la Slovénie a quitté cette fédération. Même processus en Tchécoslovaquie : la « Tchéquie » voulait se débarrasser de la Slovaquie. L’autonomisme catalan repose sur les mêmes bases : Barcelone veut pouvoir « s’envoler » sans avoir à traîner derrière elle les provinces pauvres d’Espagne. Quant aux extrémistes flamands, ils ne veulent plus que le système de sécurité sociale belge soit un, les cotisations flamandes payant pour le déficit de la Wallonie. C’est un des derniers liens qui unifie la Belgique. Au lendemain de l’annexion de la RDA, la Bavière - nouveau-riche oublieux de son passé - a vivement manipulé le frein pour éviter le versement de subventions aux « nouveaux länder ».

    Au cœur de sa propagande, Bompard et sa Ligue du Sud place le « localisme » et il ajoute « Nous cumulons tous les inconvénients d’un État centralisé sans avoir aucun des avantages, notamment la sécurité et la prospérité. Dans le même temps, l’État se décharge sur la Région d’un maximum de tâches, sans jamais donner les moyens financiers suffisants pour les assumer. La Ligue du Sud exigera donc qu’une partie de la richesse prélevée chez nous par l’État à travers la TVA soit reversée à la Région ». Tout est cela est d’une partialité confondante.

1.    Prélèvements et versements de l’État concernant PACA.

    Si l’État central prélève des impôts directs et indirects sur les ménages et entreprises des régions, il en redistribue le montant sous des formes multiples, la plus évidente est le salaire des fonctionnaires, la solde des militaires, les pensions de retraites. Il y a aussi les aides publiques pour l’aménagement du territoire, etc…

    Pendant très longtemps, PACA a toujours davantage reçu qu’elle n’a versé. C’est le cas de presque toutes les régions de France d’ailleurs, seules trois régions permettent le financement de ces transferts : l’Ile-de-France - de très loin la plus ‘contributaire’-, l’Alsace et Rhône-Alpes[1]. Aujourd’hui encore, seules ces trois régions ont une ‘moyenne du revenu déclaré’, une ‘moyenne du revenu disponible’, une ‘moyenne des niveaux de vie’ supérieures aux moyennes de la France métropolitaine (INSEE).

    Cette situation est ancienne. André Siegfried, jetant un regard sur l’histoire de la III° République, disait sans ambages: « disposant, dans une large mesure, des ressources budgétaires, grâce à l'influence des partis de Gauche, le Midi, grand quémandeur de places, d'indemnités, de pensions, de primes, s'est vu allouer une proportion de crédits supérieure proportionnellement soit au nombre de ses habitants, soit à la contribution apportée par lui à la richesse nationale. En un mot il a touché plus qu'il n'a versé »[2].

    Cette situation de PACA est radicalement différente de celle de la Lombardie dans l’espace italien. Si l’on prend le caractère décisif du taux d’emploi dans l’industrie (y compris le bâtiment) -dont on sait le rôle d’entraînement sur tout le reste - il était de moins de 18% en PACA, en 1999, contre plus de 44% en Lombardie. Même si la désindustrialisation a fait chuter ce taux, la Lombardie reste une grande région industrielle. Milan - « capitale économique de l’Italie »[3] - et sa région ont un rôle bien plus proche de celui de nôtre Ile-de-France. L’extrême-droite de la Ligue lombarde a de la matière statistique pour argumenter son égoïsme. Au plan éthique, c’est autre chose[4]. Quant à PACA, la stratégie localiste de la Ligue du Sud ne repose sur rien.

2.    Le cas de l’armée, grand employeur provençal.

    Largement tertiarisée, la population active de PACA inclue un grand nombre de militaires. Avec quel argent sont payées les soldes de la marine à Toulon, de l’armée de l’air à Salon-de-Provence et Istres (liste non limitative) ? Mais voyons de plus près le cas du Vaucluse puisque les paroles de M. Bompard ne dépassent guère les limites de ce département.

En Avignon

    La préfecture - fiefs de fonctionnaires civils d’Etat - est le siège de la délégation militaire départementale (DMD), du Centre d’information et de recrutement des forces armées de Vaucluse, du Groupement de gendarmerie de Vaucluse.

A Orange

    La ville de Monsieur le maire héberge l’escadron de la Gendarmerie mobile d’Orange, le 1er régiment étranger de cavalerie, la base aérienne 115 « Capitaine de Seynes ». L’auteur du site de la BA115 observe avec sagacité « la BA115 c’est aussi 1800 hommes et 40 appareils de combat. En matière économique, c’est au plan local, un impact de 35 millions d’euros par an, 360 emplois pour les jeunes de la région et la mise à contribution de près de 200 entreprises locales ».

Sur le site Apt-St Christol

    Sont accueillis le 2° régiment étranger du Génie (920 hommes), un détachement du 132° BCAT et une station d’écoute de la D.G.S.E..

    Si la Ligue du Sud envisage l’autonomie de la Provence, mieux encore son indépendance, hypothèse farfelue mais la démagogie de l’extrême-droite est sans limite, avec quel argent Mr Bompard envisage-t-il de rémunérer cette masse imposante de travailleurs de l’État ? si c’est avec les impôts des Provençaux et Azuréens, qu’il le leur dise !

A la vérité, les soldes versées sont une manne pour le Vaucluse, sans laquelle il serait encore plus pauvre qu’il ne l’est déjà. Ce régionalisme de mauvais aloi s’accompagne d’une démagogie anti-Paris qui peut abonder le vote extrémiste.

    Évidemment, je n’ai pas choisi l’exemple de l’Armée par hasard. D’une part, son importance économique est bien réelle, d’autre part son influence électorale, avec une telle concentration, est importante. Je n’ignore pas que tous les militaires ne votent pas pour l’extrême-droite et je veux croire, bien au contraire, que certains se souviennent de l’exemple du capitaine de Seynes, héros de l’escadrille Normandie-Niemen qui symbolise à tout jamais l’alliance franco-soviétique lors de la Seconde guerre mondiale[5].   

3.    La Provence aux Provençaux !

    Dans mon livre Traditionalisme et Révolution, je me suis servi de l’ouvrage de F.-X. Emmanuelli, « Histoire de la Provence »[6]. Cet universitaire parle carrément de la « nation » provençale qui a été « voici bientôt cinq siècles annexée à l’ensemble français ». 

    Un réflexe régionaliste ?

    L'auteur prend immédiatement son lecteur à la gorge : "Voici bientôt cinq siècles que la Provence a été annexée à l'ensemble français. Cet événement historique est devenu extrêmement grave pour le peuple provençal du jour où la France a été pourvue d'un régime niveleur dont l'action est devenue culturellement dévastatrice depuis un siècle, sans que cette catastrophe puisse lui être entièrement attribuée" (p.9). Annexion ? régime niveleur ? –comprendre 1789, bien sûr- les mots sont forts… "Pour sauver la Provence aujourd'hui, (…), il faut un projet volontariste de longue durée, qui n'est guère compatible avec les aléas des consultations périodiques" : ancienne et récurrente remise en cause des élections législatives qui empêchent un pouvoir exécutif fort (…). "D'autres penchent pour la régionalisation. L'expérience historique de tous les peuples montre que la liberté face à l'État n'a jamais été plus certaine que lorsque existaient ou existent des contre-pouvoirs sociaux (le clan, la clientèle, la famille élargie) ou institutionnels (la province)". Nouvelle exhumation des vieilles communautés naturelles chères au cœur des Traditionalistes…[7]

    Bon, dira-t-on, encore un historien de droite, et alors ? L'intérêt du livre pour ce qui concerne mon propos, c'est l'exposé par l'auteur de ce qu'il considère un peu comme un viol de l'esprit provençal. Viol commis par les étrangers, lesquels ne sont pas seulement venus d'au-delà des Alpes ou de la rive sud de la Méditerranée, mais aussi de France, or, un Français qui parle français en Provence est devenu un élément perturbateur : "C'est l'immigration d'origine interne ou externe qui explique les bonds (démographiques) des départements littoraux, à l'exemple de Nice où la population étrangère (retraités français –sic- et piémontais) représentait 27 % du total en 1936. De nos jours sont arrivés presque d'un seul coup 300.000 pieds noirs. En 1977, la région compte 205000 Maghrébins, 89000 Italiens, 51000 Ibériques et 12000 personnes en provenance des autres pays de la CEE : ces immigrés, en principe temporaires, se rencontrent dans le bâtiment et le génie civil (42,5 %), l'agriculture et la sylviculture, la pêche et les services. Depuis un siècle, l'intrusion massive d'étrangers à la culture provençale a commencé. Du temps des migrations lentes et faibles dans un espace quasiment figé, l'assimilation se faisait sans problème. Maintenant l'intégration des travailleurs immigrés se fait par le vecteur du français[8] (c'est moi qui souligne, JPR). Ainsi un élément de perturbation grave a été introduit dans un monde fragile que le phénomène urbain est en train de démolir"(p.272).

    L'auteur [9], admirateur de F. Mistral, rejette en revanche les "options troubles des Daudet, des Bosco, des Pagnol, des Giono, tendant à instaurer une pseudo-littérature provençale dégagée du provençal et participant ainsi, de l'intérieur, sans scrupules excessifs, au plus insidieux des asservissements intellectuels ?" (p.318). Refuser l'asservissement… Affirmer la pensée provençale en langue provençale… mais ne pas le faire par "une trop évidente politisation extrémiste" (p.319).

Le vote Le Pen, massif dès 1984, la création de la Ligue du Sud, sont-ils, en Provence, l'expression d'une crise d'identité régionale ? Cet ouvrage ouvre la voie à une explication de ce genre. Cette explication peut-elle s'appliquer au Languedoc-Roussillon voisin ? Il est possible de répondre par l’affirmative quand on lit sous la plume de Maurice Agulhon, les similitudes entre Provence et Languedoc[10].

4.    Le point de vue d’André Siegfried.

    Siegfried, homme du Nord (il est havrais !), protestant, admoneste vivement le Midi dans sa conclusion sur « la géographie électorale de l’Ardèche » dont il généralise le cas. 

    « Quand on parle du Midi et de son rôle dans la politique française, (…), les deux dates essentielles à considérer sont la victoire de Charles Martel sur les Sarrasins (le Midi français[11] ne sera pas arabe !) et l'entrée du Vivarais (ou de la Provence, JPR) dans le Royaume de France (le Midi français aura son centre de gravité politique non dans la Méditerranée mais dans le Nord). Si le Midi (…) avait été rattaché, historiquement, aux pays méditerranéens, son niveau de vie, son standard of living, comme disent les Anglais, serait resté plus bas, comparable vraisemblablement, à celui de l'Espagne ou de l'Italie. Ses propres ressources ne lui eussent pas permis de le faire, ce qui signifie que le Midi (…) reçoit du Nord, matériellement, plus qu'il ne lui apporte ».

    Cela permet à l’auteur -qui s’installe dans une problématique pas très saine - de conclure : « Il suffirait de faire, par département (…) le total de ce que l'administration des finances perçoit comme impôts d'État et de ce qu'elle verse comme contributions de toute nature[12], pour constater que la balance penche assez lourdement du côté de ce qui est touché et non du côté de ce qui est versé. La même statistique, faite pour un département du Nord, la Seine, Lyon ou le Nord[13] par exemple, montrerait au contraire que ces unités départementales paient plus qu'elles ne reçoivent, ce qui revient à dire que le Midi vit quelque peu sur le Nord et que, s'il demeurait seul, abandonné à ses propres moyens, son niveau de vie baisserait aussitôt ». D’où l’estocade : « Dès lors, toute idée de sécession du Midi est inconcevable : on concevrait plutôt une sécession du Nord ! Le jour où la destinée a décidé que le Midi ne graviterait pas politiquement vers la Méditerranée, mais vers un État politique centré au Nord, a été une date fondamentale dans son histoire ».

    Ces considérations[14], qui pourraient être discutées d’abondance, n’ont d’intérêt que parce qu’elles remettent les propos de Bompard à leur juste place. Mais elles ont été à l’origine du stupide « le Nord travaille et le Midi gouverne »… Ce qui est insultant pour tout le monde. Le Nord fournit des brutes de labeur incapables de générer des cerveaux aptes à synthétiser ou conceptualiser. Le Midi paresseux fournit des générations de bavards qui tiennent le perchoir… au Palais Bourbon…

*

    Outre son localisme étriqué, M. Bompard est aussi un catholique traditionaliste. Avec d’autres ingrédients, on a là un faisceau de motivations pour le vote d’extrême-droite en Vaucluse. J’y reviendrais dans un autre article, en intégrant cette fois le vote F.N..Vote F.N. : le cas du Vaucluse (1ère partie)


[1] Voir par exemple l’étude publiée dans l’Information géographique, n°3, 2001, page 252.

[2] « Géographie électorale de l’Ardèche sous la III° République », cahier F.N.S.P., n°9, 1949, page 133.

[3] Titre de la thèse célèbre de Dalmasso. 

[4] Au plan économique aussi d’ailleurs, car on sait bien que la Lombardie a bénéficié de la main d’œuvre et de l’épargne du Mezzogiorno italien. 

[6] F.-X. EMMANUELLI, agrégé d'histoire, docteur ès lettres, "Histoire de la Provence", Hachette-littérature, 342 pages, 1980.

[7] Il est vrai que l'auteur s'inquiète tout autant de la disparition possible à ses yeux de la France au sein d'un super-État européen. D'où ses réflexions : « Au moment où s'avance le rouleau compresseur de la culture nord-américaine, les régionalistes ne sont-ils pas en train de se tromper d'adversaire et de guerre ? Le salut des cultures minoritaires passe-t-il par la désintégration de l'État mis en place en France il y a deux cents ans ? Il est permis de s'interroger ». (pp. 324-325).

[8] Comprendre « le vecteur de la langue française » qui marginalise toujours plus, selon l’auteur, la langue de F. Mistral.

[9] Le passage sur la langue provençale a été écrit par un collègue de F.-X. Emmanuelli, Claude Mauron, agrégé de langue et de culture d'oc.

[10] M. AGULHON, "Pénitents et francs-maçons… ", page 335 et suivantes. Encore la comparaison porte-t-elle davantage sur l'importance de l'implantation des "confréries (…) comme milice catholique", milice de l'Église contre-réformée, et sur l'ancrage des sentiments contre-révolutionnaires et cléricaux.

[11] Siegfried montre ici une vision très large du « midi » : c’est la France du Sud de l’Atlantique au Alpes.

[12] C’est exactement ce qui a été fait dans l’article de l’Information géographique de 2001 cité plus haut.

[13] C’est, on le sait, le contraire aujourd’hui pour ce département. Mais la solidarité nationale joue maintenant en sens inverse : c’est le principe même de la solidarité.

[14] Ouvrage cité, chapitre VII, pp. 132-135.

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