Le canton de Givors se trouve au sud du département du Rhône. La ville éponyme est au confluent de la rivière du Gier et du fleuve. Dans la vallée donc. C’est une ville industrielle qui a valorisé le charbon de Saint-Étienne. Le centre de gravité du canton est à Givors que jouxte la petite ville de Grigny, très ouvrière également. Le Gier coule dans un sillon qui sépare les Monts du Lyonnais au Nord, le massif du Pilat au sud. Le canton est à cheval sur ces trois unités physiques : la vallée du Rhône et du Gier, le plateau lyonnais qui est le prolongement des Monts du Lyonnais et les premiers contreforts du Pilat. Dans l’article "Riches et pauvres : comportement politique dans le Rhône", j’ai tracé les contours -incertains- de la sous-région départementale (avec la présentation d’un canton-type, celui de Vaugneray) qui part à la conquête du plateau lyonnais. Les communes du canton de Givors situées au Nord de cette ville-chef-lieu appartiennent au plateau lyonnais, historiquement et, aujourd’hui, urbanistiquement. La commune de Millery, par exemple, s’adonna longtemps à l’arboriculture et à la culture de la vigne. "Plus tard, en 1984, la qualité des vins millerots est à nouveau reconnue grâce à l’obtention de l’AOC « Coteaux du lyonnais » "[1]. La physionomie du village a bien changé avec l’expansion urbaine de l’agglomération lyonnaise. "A la fin du Moyen Age, des maisons étroites se serrent autour de l’église. Ce « bourg » central est entouré de petits hameaux satellites qui au cours des trois siècles suivants vont être reliés au centre par la construction discontinue de maisons d’habitation de plus en plus spacieuses. L’explosion de l’habitat pavillonnaire, dans les années 70, a fortement modifié la silhouette compacte de l’ancien bourg juché en "sentinelle" dans l’écrin de leur enclos et de leurs cultures"[2]. Durant la période intercensitaire 1990-1999, Millery augmenta sa population de 13,4%, Chassagny de 42% ! Saint-Andéol-le-château de presque 20%. Lire sur le tableau 3, l’évolution démographique comparée de Givors-ville et de Millery. Enfin, autre signe de l’apparence à l’ouest lyonnais, trois communes du canton -très majoritairement à gauche, avec conseiller général communiste- votèrent à droite en 1981, à rebours de toutes les autres communes : Millery, Chassagny, St-Jean-de-Toulas. Givors et St-Romain-en-Gier qui, comme leur nom l’indique, se trouvent sur l’artère du Gier, ont profité de la 1ère révolution industrielle qui fut, ici, fondée sur le charbon de Saint-Étienne et ont donc particulièrement souffert de la crise. Cette crise est bien antérieure aux chocs pétroliers de 1973 et 1979. On se souvient de la grève des mineurs de 1963. Pour la même période intercensitaire, Givors perd presque 7% de sa population et St-Romain stagne à +0,2%... Mais les chiffres remontent depuis 1999…Ces industries (sidérurgie, métallurgie, industries du feu -verreries, briqueteries…-) sont dites "peuplantes" par les géographes et la population de Givors attint son maximum en 1975 avec presque 22.000 hab. les chiffres varient selon la conjoncture : la population baisse durant la grande dépression de 1873-1896, puis après 1a crise de 1929 et après les Trente Glorieuses. Autrement dit, l’immigration joue un rôle important. Elle est ancienne. L’italienne remonte au moins à la fin du XIX° siècle. Laissons parler un ancien maire-adjoint de Givors, chargé par le PCF de s’occuper de la question de l’immigration : « Ma commune, Givors, a une longue tradition d’accueil d’immigrés. Non pas parce que ses habitants les appellent particulièrement mais parce que cette petite ville a une vieille tradition ouvrière et que les patrons d’industrie ont toujours eu besoin de main-d’œuvre. (…). Givors est donc une ville cosmopolite : des habitants d’origine italienne, espagnole, portugaise, algérienne, (…). Cette cohabitation se passe bien, seuls quelques jeunes d’origine algérienne ont chois la délinquance comme moyen à la fois de s’exprimer et de survivre »[3]. Givors a une solide tradition révolutionnaire. Lire l’article en deux parties : Révolution française, sociétés populaires, sans-culottes : Givors-sur-Rhône. Depuis 1953, elle est dirigée par une municipalité communiste et son maire -C. Vallin- fut aussi sénateur. Aujourd’hui, le maire est toujours communiste et est conseiller général du canton (Martial Passi). Le canton a aussi une solide tradition républicaine. Dans mon livre, je cite les résultats du referendum de 1962 sur les Accords d’Evian. Le canton les ratifia à hauteur de 95% de "oui" alors que le "non" obtenait 10% à l’échelle nationale. Je donne les résultats électoraux du canton pour quelques consultations : Tab 1. (en italique : élections cantonales, en bleu : européennes 84, les autres lignes : élections présidentielles)
· FN+MNR en 2002 L’élection de 1981 fut un premier échec pour le PCF qui perd le quart de ses voix. Givors n’y échappa pas : mais le PCF fait encore figure honorable avec un peu moins du quart des inscrits. Le second grand décrochement date des élections européennes de 1984. J’en ai beaucoup parlé car elles marquent la venue au grand jour de l’extrême-droite, jusque là confidentielle depuis Vichy. Hélas, ma série statistique est incomplète et je n’ai les résultats que pour 18.000 inscrits du canton, ce qui correspond tout de même à 87% de la population totale. On peut donc réfléchir à partir de ces chiffres. En voici les résultats détaillés : Tab.2. Elections européennes(1984) dans quelques communes du canton de Givors
*résultats portant sur 18.000 électeurs du canton (soit 87% de la pop. totale). On notera ce fait d’importance : les Givordins ont voté LePen à hauteur de 5,3% des inscrits au lieu de 6,05 en France entière. C’est là le résultat d’un long travail politique du PCF au sein d’une population "cosmopolite" pour reprendre les termes du maire-adjoint Pelosato. Je le redis : ce ne sont pas les ouvriers communistes qui ont mis le pied à l’étrier de LePen en 1984. En revanche, observons le comportement politique de la commune de Millery qui vota à droite en 1981. Trois ans plus tard, la réaction patronale se fait sentir et près de 10,5% des électeurs inscrits de cette commune votèrent Le Pen. Comme dirait l’autre, les immigrés sont à Givors mais c’est à Millery qu’on vote LePen. Ce « détail » confirme, s’il en était besoin, mon article "le FN ? c’est d’abord les riches". Lire la ligne « revenu médian » dans le tableau 3. C’est que les deux villes sont le contraire l’une de l’autre. Voici le portrait que l’on peut en faire : Tab.3 analyse comparée Givors-Millery
* : BP= chefs d’exploit. agri. ; artisans, commerçants, chefs d’ent., cadres sup et prof. Intellectuelles supérieures. **actifs ayant un emploi. Deux grands éléments sont intervenus pour modifier la structure de la population active. Il y a d’abord la fonte des emplois industriels -qui touche la vallée ; et ensuite, la vague de rurbanisation, venue du nord (comprendre de l’agglomération lyonnaise) et qui touche le nord-ouest du canton qui est sur le plateau et est limitrophe de cantons comme Mornant et Vernaison. Lire l’évolution de la population par période intercensitaire, en moyenne annuelle, tant à Givors-ville qu’à Millery (Tab.3). La ville de Givors est massivement peuplée par le salariat modeste (SM, terminologie INSEE) : 70%. Chiffre élevé (trop ?) qui montre un faible encadrement par la fonction publique ainsi que par les prestataires de services comme les professions libérales. La bourgeoise patronale déserte Givors et habite Millery : 35,6% en 2008, sur le plateau, à l’ombre des vergers en fleurs[4]. En revanche, les ouvriers quittent Millery. On peut s’attarder sur les PI : professions intermédiaires, petits chefs, contremaîtres, agents de maîtrise du privé très sensibles au vote FN, surtout si ce sont des accédants à la propriété (ligne : logement). Tab.4 Les élections à Givors-ville
Tab4 bis Les élections à Millery (canton de Givors)
En 2002, près de 16% des inscrits à Givors-ville votent pour LePen. Il y a incontestablement vote ouvrier-employé pour ce candidat mais on ne saurait oublier qu’il vit près de 20% de professions intermédiaires dans la ville. C’est un vote opportuniste, deux ans après, lors de la cantonale, le FN perd la moitié de ses voix. En revanche, le maire communiste obtient plus de 43% des exprimés et presque le quart des inscrits à cette élection. Les électeurs PCF restent fidèles au bastion mais ils présentent un comportement différent aux élections nationales et aux élections locales (tab.4). En 2007, S. Royal obtient un résultat fort modeste dans le canton (Tab.5) compte tenu de la sociologie. Le vote Sarkozy de plusieurs ouvriers est manifeste. La déception se lit dans les résultats des cantonales de 2011. Surtout à Millery. Pour le canton, l’UMP est éliminée après le premier tour. La cantonale 2011. Comme partout ailleurs, la participation électorale est en chute libre. Martial Passi arrive largement en tête avec 35% des suffrages exprimés mais cela ne représente guère que 12,7% des inscrits. L’électorat FN est toujours très mobilisé et ne perd que quelques dizaines de voix par rapport à la cantonale précédente (2004). Si bien que le candidat recule de 1 point en termes d’électeurs inscrits. Par contre, en termes de suffrages exprimés, il passe de 11 à 22,2% des voix, doublement d’un score qui défraye la chronique. L’UMP -dont le candidat a changé il est vrai- perd presque 1.300 voix et se retrouve en 3° position. Le second tour est donc un duel PC-FN. Le second tour dans la commune de Givors. Au second tour, il y a -pour la commune de Givors- 607 votants supplémentaires. Les voix disponibles pour les deux candidats restant en lice sont au nombre de 421(écolo.) + 346 (PS) + 333 (UMP) + 607, soit 1707. Les votes blancs et nuls augmentent de 170 voix. Il y a donc 1537 suffrages exprimés supplémentaires. Martial Passi obtient 2703 voix soit un gain de 1153 voix. Le FN passe de 761 à 1145 soit un gain de 384 voix. M. Passi est élu avec 70,2% des exprimés alors que la gauche ne totalisait que 67% au premier tour. On peut donc dire qu’il a « fait le plein » à gauche, qu’il a obtenu la plupart des voix des votants supplémentaires du second tour et, pourquoi pas, quelques voix républicaines de l’UMP. Les 170 votes blancs et nuls supplémentaires du second tour sont à mettre à l’actif, selon toute vraisemblance, des électeurs UMP qui ont refusé de voter pour le Front national. Quant au candidat FN, il obtient des votes de l’UMP plus celles d’abstentionnistes du premier tour, car ce parti disposait d’une réserve de voix[5]. Le second tour dans la commune de Millery. A Millery, ville bourgeoise de cadres supérieurs et moyens, on vote convenablement, « comme il faut », et on place l’UMP en tête (34,4% des exprimés). Le FN n’en fait pas moins 200 voix, ce qui est supérieur à son score de la présidentielle 2007 (170 v.). Compte tenu des abstentions, cela monte son chiffre de suffrages exprimés à 18,2% au lieu de 7,1% en 2007. Comment cette commune très droite/extrême-droite va-t-elle se comporter face au duel PC/FN du second tour ? Le maire communiste de Givors a tout de même obtenu 230 v. au premier tour, preuve de son enracinement local. Les voix disponibles au second tour se montent à 378 (UMP) + 155 (écol.) + 137 (PS) et 91 votants supplémentaires. Soit 761 suffrages auxquels il faut défalquer 139 votes blancs et nuls. Les deux candidats du second tour avaient donc 622 voix pour les départager. Passi monte de 230 à 675 voix (gain de 445 v.). Le FN passe de 200 à 377 soit un gain de 177 voix. Il est loin des 578 théoriques (somme FN + UMP) que les résultats du 1er tour pouvaient lui laisser entrevoir. Il lui en manque deux cents que les votes blancs et nuls n’expliquent pas en totalité. Plusieurs dizaines de voix de l’UMP sont se sont portées sur M. Passi. Comportement républicain.
Tab.5. Les seconds tours au niveau du canton.
* candidats du F.N. [1] Site Wiki de la commune. [2] Idem. C’est moi qui souligne. [3] A. PELOSATO, « les Algériens, l’Algérie et la France », 2000, disponible sur le net. La ville de Givors est jumelée avec une ville algérienne. [4] Au printemps… [5] Le Pen obtint 1551 voix au premier tour de la présidentielle 2002 à Givors-Ville. |