10/10/2010 Je passe en revue quelques explications possibles au fort vote extrémiste en Alsace. L’immigration ?L’Alsace est une de nos régions où le pourcentage d’immigrés par rapport à la population totale est le plus élevé. De façon significative (?), l’INSEE établit ses calculs en en excluant les Allemands et les Suisses. Compte tenu de ce que l’on sait de la propagande du Front national et du M.N.R. on peut penser a priori qu’il y a là une des clés de l’explication de l’ampleur du vote frontiste. On ne peut pour cela en rester à l’échelle régionale, il faut descendre au niveau du bassin d’emploi, cadre défini par l’INSEE. Nous avons la chance de pouvoir travailler sur le bassin d’emploi INSEE de Saverne - Sarre-Union dont les limites correspondent exactement à celle de la 7° circ.. Que constate-t-on ? La densité de la population immigrée est très faible (recensement de 1999) dans tous ses cantons à l’exception de celui de Saverne, flanqué au sud par celui de Marmoutier. C’est la zone d’emploi alsacienne (sur douze) où la part des immigrés dans la population totale est la plus faible. De surcroît, cette densité -durant la décennie 1990-1999- a évolué à la baisse dans certaines communes et est restée stable ailleurs (de 0,0 à moins de 1% d’augmentation) sauf à Marmoutier où elle a augmenté de plus de 1%. Mais précisément, dans cette zone d’emploi/7° circonscription, ce sont les cantons où la population immigrée est la plus faible, reste stable, voire baisse, qui donnent le plus gros score à l’extrême-droite. Inversement, à Saverne et Marmoutier, où cet argument de l’’immigration pourrait théoriquement jouer, le FN y fait ses plus bas scores. Tableau 3 Votes exprimés et immigration (7° circ.)
Sources : établi à partir des statistiques Min. de l’Int. Et INSEE. Légende : un tiret (-) : densité immigration faible Deux tirets (--) faible et tendance au recul Une croix (+) : densité relativement élevée et stable Deux croix (++) ; densité relat. élevée et en augmentation moyenne. L’indice B2 me permet de dire si le canton est de tradition catholique. Il s’agit de la somme des votes Bayrou et Boutin, deux votes totalement divergents en termes de motivation politique mais dont on est sûr que les électeurs sont de religion catholique et (presque) exclusivement. En 2002, F. Bayrou est encore l’héritier de la tradition catholique, centriste et humaniste. Les quatre cantons de tradition luthérienne (La Petite-Pierre, Sarre-Union, Bouxwiller et Drulingen) votent massivement pour l’extrême-droite alors que l’immigration ne peut entrer en ligne de compte. Il existe cependant des correspondances (forts votes EXD et densités d’immigrés relativement élevées) : par exemple à Haguenau ou bien dans les cantons situés au quart-nord-ouest de Mulhouse. Mais à Strasbourg et cantons limitrophes, on a une densité élevée et croissante et le vote extrémiste est inférieur à la moyenne du Bas-Rhin et donc à la moyenne alsacienne. « Dans les vallées vosgiennes » écrit l’INSEE « la densité de la population immigrée, faible à l’origine, a baissé pendant la période intercensitaire (1990-1999) ». Cela n’empêche pas l’extrême-droite d’y faire des scores vertigineux : Masevaux 30,1% ; Saint-Amarin 35,9% ; Munster 30,8% ; Sainte-Marie-aux-Mines 30,5%. Seul, le canton de Lapoutroie se distingue de bonne manière avec 23,7%. La religion ?L’analyse de la situation dans la 7° circ. a introduit le thème de la religion. Strohl écrit que « l'enchevêtrement des territoires a amené une extraordinaire complication de la carte confessionnelle d'Alsace » et qu’« aujourd'hui encore, malgré le brassage des populations, (cette) carte laisse apparaître les limites de ces anciens territoires, supprimés par la Révolution française, et l'atmosphère n'est pas la même dans un village du Pays de Hanau –marqué par le Luthéranisme, JPR – et un village du Sundgau –demeuré catholique ». Dans ces régions – qui relevèrent de l'histoire allemande jusqu'en 1648 - le culte protestant est luthérien pour l’essentiel mais il y a des bastions calvinistes comme dans certaines communes des cantons de Wissembourg, Wasselonne, Sarre-Union, et Mulhouse. Est-ce que la Réforme peut avoir induit des comportements qui ont une traduction électorale, plusieurs siècles plus tard, sous la République ? Oui. Mais il ne faut toutefois pas confondre la religion intrinsèquement diffusée par les Églises officielles et pratiquée par les fidèles avec les habitudes créées par elle et qu’ont conservées des populations qui ont perdu la foi. C’est ce que veut dire A. Siegfried quand il écrit, évoquant le cas américain : « L'esprit protestant joue donc, dans la vie américaine, un rôle fondamental, même quand il s'agit de protestants devenus indifférents ou ayant perdu la foi : c'est cet esprit qui conditionne, plus que tout autre, les façons nationales de penser, de sentir, d'agir et de réagir ». Aujourd’hui, selon les déclarations des Néerlandais eux-mêmes, la religion catholique est la première des Pays-Bas avec 30% de la population qui la revendiquent, le calvinisme venant en second avec 20% environ. Mais ceux qui se déclarent sans religion ont gardé un « tempérament » fortement marqué par cette religion et personne ne niera que les Pays-Bas restent un pays « calviniste ». Tout cela pour dire que lorsque je parlerai de cantons « protestants », il faut entendre des cantons marqués par leur histoire religieuse, même si la pratique et le respect des recommandations des pasteurs ont fortement reculé. J’espère avoir été clair. L’Alsace-Moselle a ceci de particulier, c’est que la France en était amputée lorsqu’elle adopta la loi de 1905 sur la séparation des Eglises et de l’Etat. En conséquence, les trois départements, redevenus français en 1918, ont conservé le statut établi par le concordat napoléonien de 1801. La religion n’est pas un fait privé qui relève de la conscience de chacun, c’est un élément de la vie publique, par exemple dans le domaine scolaire. André Siegfried pouvait écrire : « Les Églises, dans ces conditions, demeurent unies a l'État et l'on entend que celui-ci conserve un caractère religieux On estime naturel que chacun ait une religion, la déclare, soit incorporé lors des recensements dans le cadre d'une confession ; On estime naturel également que l'école soit confessionnelle ; on ne s'étonne, ni ne se froisse (comme on le ferait en France) que l'État se fasse, pour le compte des Églises, collecteur de l'impôt ecclésiastique, le christensteuer (Siegfried veut dire Kirchensteuer, JPR). La notion d'une neutralité de l'État en matière religieuse, d'une laïcité du pouvoir politique, ne s'est jamais implantée au-delà du Rhin, ni du reste même en Alsace (c’est moi qui souligne, JPR). Pareil monisme est attrayant, susceptible de splendide efficacité, mais il est gros de déformations et de périls ». L’Alsace-Lorraine se trouve donc dans la même configuration que des pays comme les Pays-Bas ou l’Angleterre -voire l’Allemagne- qui découvrent la réalité de l’islam de masse alors que leur État est conçu pour intégrer des religions chrétiennes au titre d’institutions officielles. L’impôt d’Église doit-il devenir aussi l’impôt de la mosquée ? Au nom du principe d’égalité, comment le refuser ? Par ailleurs, quand un jeune élève musulman voit la croix au-dessus du tableau de l’instituteur, que pense-t-il ? La France laïque est bien mieux placée pour affronter ce genre de situation même si tout n’est pas simple, bien entendu. Le texte de Siegfried que l’on vient de lire est parfait dans le cadre de l’unanimisme chrétien, il n’est pas fait pour une religion nouvelle qui ne croit pas au Christ sauveur. Dans une interview au journal l’Humanité, Didier Fassin déclare fort justement me semble-t-il : « en réalité, les enfants d’immigrés ne bouleversent pas la France en tant que telle, mais une conception de la nation qui serait occidentale, chrétienne et blanche ». L’Alsace et la Moselle concordataires étaient-elles prédisposées sinon à l’accepter du moins à le comprendre ? Les jeunes français d’origine turque ou marocaine bousculent les certitudes que l’on croyait définitives. Dans les parties suivantes, je vais montrer le rôle du facteur religieux dans le comportement électoral. A suivre. III. Vote FN, vote ouvrier, la religion, l’Alsace… (3ème partie) [1] Je demande au lecteur de bien saisir le distinguo entre « être de tradition luthérienne » et « être luthérien ». [2] Bas-Rhin : 27,26%, Haut-Rhin : 28,5%, moyenne alsacienne : 27,78. [3] Et même 1680 pour Strasbourg, sans compter l’annexion allemande de 1870 à 1918. De plus, jusqu’en 1789, de nombreux villages protestants alsaciens avaient pour seigneur un prince allemand que l’on disait « possessionné ». Même si ce prince acceptait la suzeraineté du roi de France, ses sujets gardaient des liens avec la civilisation allemande. [4] La sortie du film « Le ruban blanc » m’a ôté tout doute sur ce point, à supposer que j’en aie eu jamais. [5] Sur ce point, lire un bon résumé : « Les Églises protestantes d'Alsace et de Lorraine - EPAL, EPCAAL, EPRAL », http://www.museeprotestant.org/ . « Le Concordat de 1801 n'a pas été abrogé en Alsace-Lorraine après la Libération de 1918 et par conséquent les Eglises chrétiennes du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, comme le culte Israélite, y conservent certains privilèges d'ordre scolaire et financier. Les ministres des Cultes sont rétribués par l'Etat » (F.-G. Dreyfus). [6] Anthropologue, médecin à l’Institute for Advanced Study de Princeton, entretien accordé à l’Humanité, n° du 4 octobre 2002. [7] Sur ces questions, je recommande vivement la lecture de l’article de Patrick Weil, Le Monde du 24 août 2010. |