08/10/2010 L’Alsace est une place de choix pour l’étude du vote Front national. Les résultats de la présidentielle de 2002 y sont en effet catastrophiques. Des raisons historiques bien connues nous amènent à associer la Moselle aux deux départements alsaciens dans cette présentation d’ensemble. Pour mieux faire ressortir l’originalité de ces trois départements, je compare leurs chiffres à ceux de la France que nos compatriotes Alsaciens-Mosellans appellent fréquemment « la France de l’intérieur ».
Tableau 1 Vote de l’Alsace-Moselle en 2002
Sources : établi à partir des chiffes du ministère de l’Intérieur. Le différentiel de vote extrême-droite en faveur de l’Alsace-Moselle est très accusé en termes de suffrages exprimés : sur une base 100 France entière, « l’intérieur » est à 98 et l’Alsace -Moselle à 143 soit 45 points d’écart avec le reste de la France. Il est encore plus accusé en termes d’électeurs inscrits. Sur une base 100 France entière, l’Intérieur est à l’indice 98 et l’Alsace-Moselle à 147 soit 49 points d’écart. Globalement, les Alsaciens-Mosellans ont voté extrême-droite à 50% de plus que le reste de leurs compatriotes. Les raisons sont, on s’en doute, diverses et variées. Ce qui suit ne prétend pas à l’exhaustivité mais donne quelques pistes. L’Alsace d’abord ?Laissons de côté la Moselle dont j’ai parlé dans un autre article. L’Alsace est une région globalement riche. Son PIB/hab. est supérieur à la moyenne nationale : il n’y a que deux autres régions dans ce cas : Rhône-Alpes et Ile-de-France. Ces trois régions sont les seules où les prélèvements de l’État central sont supérieurs aux versements de ce même État. Le « régionalisme » voire « l’autonomisme » qui s’expriment, et dont des listes comme Alsace d’abord - alsacisation du slogan « les Français d’abord » - sont le reflet, sont donc un réflexe de riches de type lombard. A quoi s’ajoute le dynamisme remarquable du Land allemand voisin, le Bade-Wurtemberg, ou celui des cantons suisses de la région bâloise, dynamisme que les Alsaciens peuvent observer chaque jour s’ils sont travailleurs frontaliers et qui se manifeste par des flux d’investissements qui placent l’Alsace dans une situation de « périphérie » ce qui, évidemment, peut irriter l’orgueil régional. Les ouvriers ?On a vu que l’ouvrier « caché » était le thème de recherche d’un universitaire dont j’ai exploité les travaux dans les articles consacrés à la Moselle. « Cachés » c’est-à-dire ne vivant pas dans les grands ensembles des banlieues de grandes villes, construits à côté de vastes usines, mais au contraire tapis à la campagne, dans des PME-PMI diffuses, dispersées. Et il est vrai qu’aujourd’hui, il n‘y a plus que très peu de paysans à la campagne, les petites communes éloignées sont peuplées majoritairement d’ouvriers et d’employés. L’Alsace est une grande région industrielle. Ce fut l’une de nos régions les plus industrialisées. En 1975, alors qu’en France 38,5% de la population active travaillaient dans le secteur secondaire, il en allait pour 46,6% en Alsace ce qui en faisait la sixième région la plus industrialisée du pays. Donnée qui surprend toujours le touriste qui se promène dans le jardin de la plaine d’Alsace et a fortiori dans le vignoble plus que coquet. En 1995, le pourcentage est tombé à 35,2% ce qui était toutefois supérieur à la France : 28,1%. Présentement, on en est à 33% ce qui reste, relativement, important. Par ailleurs, les ouvriers retraités continuent d’exercer leur droit de vote. Justement, les ouvriers alsaciens n’ont jamais voté massivement pour le P.C.F.. En 1978, le Parti Communiste obtenait un bien maigre 6,6% alors qu’au plan national il obtenait encore 20,6%. En 2002, élection qui nous intéresse ici, Robert Hue n’obtenait pas 1% en Alsace ! Même le PS a eu du mal à s’implanter, et ce qui est vrai pour la Moselle est vrai pour l’Alsace : les ouvriers et leurs épouses votaient massivement pour le candidat gaulliste ou pour le candidat centriste, gaulliste s’ils étaient protestants, centriste s’ils étaient catholiques. Mais ce n’est jamais si tranché que cela : beaucoup de catholiques votèrent De Gaulle puis pour ses épigones. On peut appréhender cette réalité avec l’étude du cas de la 7° circonscription du Bas-Rhin, dite « de Saverne », qui était naguère la 6° circonscription. Au recensement de 1999, cette circonscription était structurée de la manière suivante par les catégories socio-professionnelle : Salariat modeste (SM) : 64,8% Professions intermédiaires : 20,0% Bourgeoisie patronale : 15,1%. Nous avons donc là une circonscription massivement « ouvrière » alors que nous sommes en pleine campagne : c’est l’Alsace bossue, c’est-à-dire l’Alsace des collines, prolongement nord des Vosges que l’on franchit dans le sens Ouest-Est au col de Saverne. Saverne est le canton le plus peuplé -grâce à sa ville éponyme- mais ne représente que le cinquième de la circonscription. Tableau 2 Évolution électorale dans la 7° circ. du Bas-Rhin
(ex 6°) (suffrages exprimés)
Sources : établi à partir des données des Cahiers du communisme, n° spécial de 1978, et ministère de l’intérieur. En 1973, les centristes, héritiers du M.R.P. pour lequel l’Osservatore Romano, organe du Vatican, avait appelé publiquement à voter pour les législatives de 1951, étaient encore dans l’opposition au pompidolisme, auquel ils reprochaient de la mollesse quant à l’intégration européenne. Au second tour, ironie électorale, c’est la gauche, incapable de maintenir l’un de ses candidats, qui fait élire le candidat catholique représentant alors l’opposition. L’élu est Adrien Zeller, futur président de la région Alsace (ce qu’il ignorait alors…). A. Zeller est réélu dès le premier tour en 1978. Il représente, à cette date, la majorité présidentielle de V. Giscard d’Estaing. À supposer que les 15% de voix à gauche viennent toutes du salariat modeste -ce qui est loin d’être le cas- on constate que les ouvriers et employés votaient tout de même d’abondance pour la droite que celle-ci fût du ‘centre’ ou gaulliste. En 2002, il est facile de répondre à la question : d’où viennent les voix du Front national ? Ridicule serait celui qui répondrait « du parti communiste » ! En réalité, comme pour d’autres régions de France (cf. mon article sur l’Ardèche, par exemple), c’est la droite classique qui s’est effondrée et a fourni ses gros contingents. Et, avec une telle sociologie, il y a forcément nombre d’ouvriers et employés. Région industrielle, l’Alsace est une région en crise. L’industrie textile est gravement touchée dans les vallées vosgiennes, l’extraction de la potasse n’est plus créatrice d’emplois, j’ai cité les chiffres de la « fonte industrielle » de la population active. Les ouvriers, premiers touchés par cette crise, réagissent électoralement non pas en votant à gauche mais en votant extrême-droite : c’est, hélas, leur culture politique. A
suivre. II. Vote F.N., Vote OUVRIER, La RELIGION, L’ALSACE…(2ème partie) [1] Il n’y a pas de nuances entre les trois départements. Moselle, Bas-Rhin et Haut-Rhin ont voté FN+MNR respectivement à hauteur de 27,1%, 27,3 et 28,5% (suffrages exprimés). [2] Voir l’article « Ligue du Nord, Ligue du Sud ». [3] Ce qui ne veut absolument pas dire à la technologie rétrograde. [4] Fin des « Trente Glorieuses », début du « redéploiement » giscardien, délocalisations massives et désindustrialisation s’ensuivent… [5] Cette circonscription comprend les cantons de Bouxwiller, Drulingen, Hochfelden, Marmoutier, La Petite-Pierre, Sarre-Union et Saverne. Le Bas-Rhin a gagné une 9° circonscription grâce à sa démographie. [6] Au sens de l’INSEE, c’est-à-dire ouvriers et employés. Pour les catégories intermédiaires, lire mon article sur « régionales 2010, FN et banlieue… ». Bourgeoisie patronale : chefs d’exploitation agricole, artisans, commerçants, chefs d’entreprise, cadres et professions intellectuelles supérieures. [7] Le communiste obtint 5,8% et le socialiste 9,3%. [8] Comme nous invite à le penser le cas de la 1ère circonscription constituée de quatre cantons de Strasbourg (I, II, IV, IX) qui a élu le seul député socialiste du Bas-Rhin, en 2007, alors qu’elle a un taux de bourgeoisie patronale supérieur à 32 (22% en France) et que le salariat modeste est de 42,7% (55% en France). [9] Pour 2002, les voix de ‘gauche’ sont la somme des voix Gluckstein, Besancenot ; Laguiller, Hue, Chevènement, Jospin, Mamère et Taubira. Voix de ‘droite’ : Bayrou, Lepage, Chirac, Boutin, Madelin, Saint-Josse. Extrême-droite : Le Pen et Mégret. [10] En 2002, les candidats LO et LCR ont obtenu, à eux deux, parfois 11% des exprimés comme dans le canton de Lapoutroie. 8,5% en Alsace. Vote de désespoir qui n’offre aucune alternative politique. |