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Lettre ouverte au PDG du groupe américain TITAN, par Jack DION

publié le 22 févr. 2013, 01:01 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 22 févr. 2013, 01:48 ]
publié le il y a une heure par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : il y a une heure ]

    Par Jack DION, journaliste

 

    Monsieur,

    Bien que la missive que vous avez adressée à Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif, soit assurément d’un grand prix, je ne vous agrémenterai pas du traditionnel "cher". A votre différence, en effet, je respecte les ouvriers en général et ceux de l’usine d’Amiens-Nord en particulier. La description que vous en faites rappelle le Roi parlant de ses sujets, ou le colon évoquant ses esclaves.

    Vous écrivez : "Les salariés français touchent des salaires élevés mais ne travaillent que trois heures. Ils ont une heure pour leurs pauses, discutent pendant trois heures et travaillent trois heures". Sans doute avez-vous confondu avec l’un de ces colloques patronaux où l’on échange des banalités entre deux séances de golf. A moins que vous n’ayez pas digéré le refus des ouvriers d’Amiens de passer sous vos fourches caudines et d’accepter des conditions de travail indignes d’un pays développé. C’est évidemment de cela qu’il s’agit. Vous parlez du « syndicat fou » qui s’est opposé à votre diktat. Sous votre plume, qui ne dégage pas un sens aigu de la réalité, le mot est plaisant. Mais jusqu’à preuve du contraire, ce syndicat (la CGT pour ne pas la nommer) est ultra majoritaire dans l’entreprise, que cela vous plaise ou non. Faut-il donc en conclure que les salariés d’Amiens-Nord relèvent tous de l’asile psychiatrique ?

    Vous affirmez : "Titan est celui qui a l’argent et le savoir-faire pour produire des pneus". L’argent, c’est possible. Mais le savoir-faire, sauf erreur, c’est l’apanage des ouvriers, des techniciens et des cadres qui le mettent en œuvre dans une entité collective appelée une entreprise. La preuve, c’est que lorsqu’ils arrêtent le travail, aucun pneu ne sort des chaines. Oui, je sais, c’est toujours pénible d’entendre réaffirmer qu’une entreprise comprend aussi des travailleurs (excusez ce vocable empreint d’archaïsme socialisant, voire marxiste). Mais jusqu’ici, malgré tous les progrès de la science, la présence conjointe d’actionnaires et d’administrateurs n’a jamais suffi à faire fonctionner une usine. J’entends bien que pour un homme comme vous, qui fut candidat à l’investiture républicaine de 1996 en expliquant que les États-Unis devaient être dirigés par un entrepreneur (si l’on peut dire pour un fondé de pouvoir des rentiers), cela relève du terrorisme intellectuel. Pourtant vous ne convaincrez pas davantage du contraire les ouvriers d’Amiens que vous n’avez réussi à séduire les électeurs du parti républicain, pourtant plus sensibles en principe à votre rhétorique ancestrale.

    Après avoir mis dans le même sac d’opprobre les gouvernements des États-Unis et de la France, vous lancez une ultime menace : "Titan va acheter un fabricant de pneus chinois ou indien, payer moins d’un euro l’heure de salaire et exporter tous les pneus dont la France a besoin". Alors là, du fond du cœur, je dis merci. Merci pour le sens de l’humain qui vous anime et qui vous fait traiter les ouvriers asiatiques avec le respect d’un chauffard pour le pneu de sa voiture. Merci, surtout, de déciller les yeux des naïfs qui nous chantent les louanges de la mondialisation heureuse en expliquant que le libre-échangisme est la panacée universelle et qu’il faut s’y soumettre vaille que vaille. Vous le résumez à votre manière : ou les ouvriers français acceptent de travailler comme des Chinois d’hier ou je les jette au rebus. C’est justement à ce chantage qu’il ne faut pas céder.

    Si votre missive permet de rouvrir le débat sur le protectionnisme européen et sur la nécessité de réguler les échanges internationaux, elle aura servi à autre chose qu’à étaler votre morgue de classe. Arnaud Montebourg a bien eu raison de vous renvoyer le pneu à sa façon en vous réaffirmant certaines réalités que vous semblez avoir oublié. Il rappelle non sans perspicacité qu’il faudrait que l’Europe et la France s’organisent contre le dumping, retrouvant soudain certains des accents de sa campagne de candidat à la candidature socialiste. On souhaiterait qu’il passât des paroles aux actes, comment l’attendent les salariés de France.


     publié dans Marianne2 du 21 février 2013

    aimablement transmis par J.-J. Romettino de l'Improbable.

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