La
bourgeoisie, notamment la bourgeoisie industrielle,
devient la nouvelle classe dominante de la société. Mais la structure de
la
société devient plus complexe. Voyez le célèbre tableau d' Ingres, portrait de Monsieur Bertin, incarnation (presque) vivante de ce que Édouard Manet appelait "la bourgeoisie cossue, repue et
triomphante".
http://mini-site.louvre.fr/ingres/1.7.2.1.3_fr.html Pour le tableau lui-même voir le lien en fin d'article.
I. UN EXEMPLE : LES PERIER
1. Les origines de la
famille
L'ancêtre
de la famille Périer est un négociant, né
à Voiron (Isère actuelle) en 1730, qui est marchand de toiles et qui se
constitue un patrimoine de terres et immeubles.
C'est
Claude Périer (1742 - 1802) qui établit les
bases de la fortune familiale à l'époque contemporaine. Exportateur de
toiles
vers les Isles, via Marseille, la
Révolution nuit d'abord à ses affaires. Mais il devient un des grands
bénéficiaires de la Révolution. Il rembourse ses dettes en assignats
(monnaie
de papier qui avait été très dévaluée), monte une grosse fabrique
d'armes en
1794 et achète des Biens Nationaux.
Profiteur
de la Révolution, il veut la consolider
et est l'un des soutiens financiers du coup d'État du 18 brumaire.
Bonaparte
avait des soutiens ! Il devient l'un des co-fondateurs de la Banque de
France
créée par le même Bonaparte en 1803 (avec le franc germinal).
2. L’apogée :
industrie & politique
La 3°
génération compte huit garçons et deux gendres, sur
ces dix hommes, huit seront députés.
Celui qui se
dégage du lot est CASIMIR. Casimir Périer est né en 1777 et meurt en
1832 frappé par l'épidémie de choléra. Il créa une
banque en 1801 qui contrôle la Compagnie des Mines d' Anzin
(Valenciennois) puis
rachète une fonderie dans la Région parisienne. C'est lui qui équipe les
mines
d'Anzin de machines à vapeur. Il est, en outre, régent de la Banque de
France
(qui est alors de statut privé). Député de Paris en 1817,
il fait partie de l'opposition au
régime de la Restauration (il s'inscrit dans la tradition de la
bourgeoisie
révolutionnaire) et après la révolution de 1830 il devient ministre de
la
Monarchie de Juillet. Il réprime vigoureusement les révoltes ouvrières
de Paris
et de Lyon (les canuts) et demande aux ouvriers "patience et
résignation". Discours éternel.
A sa mort, il
était Premier Ministre de Louis - Philippe,
régent de la Banque de France, et président de la Banque Périer.
La quatrième
génération compte Augustin, fils du précédent
(1811-1878) banquier et ministre du gouvernement d'Adolphe Thiers en
1871. Avec
lui, la république donne un visage conservateur et rassurant. « La
république sera conservatrice ou ne sera
pas » avait dit Adolphe Thiers, grand massacreur de la Commune de
Paris.
Jean -
Casimir Périer est la 5° génération. Il est le principal actionnaire de
la Compagnie des Mines
d' Anzin, l'une des plus grandes concentrations prolétariennes de France
qui
connut des grèves retentissantes en 1884. C'est la vie de cette
compagnie qui
inspire Zola dans Germinal. Jean-Casimir sera
successivement président de la Chambre des députés, président du
Conseil, et président
de la République de 1894 à 1895. C’est lui qui signe les « lois
scélérates » votées après l’assassinat de Sadi Carnot. Appelées ainsi
parce que sous le prétexte de lutter contre les attentats elles visent
surtout
l’opposition socialiste naissante.
II. LA DIFFÉRENCIATION SOCIALE
NB. Je prends mes exemples dans Germinal de Zola, livre dont il est inutile de souligner l'importance. Le film de Claude Berri (1993), tiré du livre, est excellent.
1. De nouvelles
classes "fondamentales"
a. Les
classes fondamentales de l'ancien régime économique
Le mode de
production de l'Ancien régime reposait sur
l'exploitation de la terre et les deux classes fondamentales étaient
alors l'aristocratie
terrienne et la paysannerie (fermiers et métayers) et paysannerie
propriétaire.
Ces
catégories subsistent mais l'aristocratie est en déclin.
Elle fournit les cadres du courant traditionaliste et alimente encore
les
emplois dans l'armée et la diplomatie. L’aristocratie trouve une
nouvelle
jeunesse avec la création du syndicalisme agricole qui - à la différence
du
syndicalisme ouvrier - réunit à la fois les propriétaires-bailleurs et
les
paysans-preneurs. Les «chefs de terre» dirigent les syndicats
agricoles.
b. Les
classes fondamentales du capitalisme industriel
Avec la
Révolution industrielle (R.I.), on distingue le Capital et
le Travail. Bourgeoisie et prolétaires.
Dans Germinal,
roman consacré à la classe ouvrière, la bourgeoisie est représentée par
la
"compagnie", invisible et partout présente, type de la société
anonyme par actions, dont Hennebeau est le directeur salarié. Mais
celui-ci
partage les valeurs de la bourgeoisie et il est certainement
actionnaire. La
Compagnie pratique le paternalisme du XIX° siècle (logement et charbon de chauffage fournis aux mineurs). Les Périer, on l’a
vu, incarnent
la haute bourgeoisie dominante. C'est la compagnie des mines d'Anzin de la famille Périer qui a inspiré Zola dans sa description de la grande entreprise capitaliste, nouveauté du XIX° siècle.
Deneulin est un patron, propriétaire
d'une mine
familiale (il n'y a pas d'actionnaires, ni de conseil d'administration).
Quant aux Grégoire, ce sont des rentiers qui vivent des "dividendes
d'actionnaires anonymes".
La bourgeoisie, classe
dominante, se définit alors comme le
propriétaire du capital mis en valeur par le travail des ouvriers
salariés.
Les ouvriers sont l'autre
classe fondamentale du capitalisme
industriel. leur statut est très différent d'une entreprise à l'autre, d'une branche industrielle à l'autre... L'historien Claude Willard voit dans cette grande diversité de conditions la cause première de la multiplicité des partis qui se réclament du socialisme.
2. Les classes
moyennes se développent
La révolution industrielle (R.I.) crée de nouvelles
catégories sociales ou alors
provoque la multiplication de catégories qui jouent un rôle croissant.
a. Les
classes moyennes nouvelles
Dans Germinal,
l'incarnation de ces catégories nouvelles est l'ingénieur NEGREL. C'est
un
ingénieur formé à l'école des Mines, école d'application de l'école
Polytechnique créée par la Révolution française. Grandes écoles qui forment les ingénieurs nécessaires aux
entreprise de la R.I. mais c'est un authentique mineur : il descend dans les fosses, il encourt tous les dangers du travail de mineur.
De ce
point de vue, c'est une classe moyenne car il vend aussi son travail à
la
Compagnie. Mais ses origines sociales en font un membre de la
bourgeoisie.
Les médecins, les
scientifiques, les professeurs voient leur
nombre se multiplier. Au XIX°, ils sont considérés comme bourgeois
s'ils
embauchent un ou une domestique.
Dans un discours célèbre Gambetta se félicite de ces progrès de la
démocratie : "N'a-t-on pas vu apparaître sur toute la surface du pays
cette génération nouvelle de la démocratie, un nouveau personnel du suffrage
universel ? Ne voit-on pas ce monde du travail à qui appartient l'avenir, faire
son entrée dans les affaires politiques ? Oui, je pressens, je sens, j'annonce
la venue et le présence dans la politique d'une couche sociale nouvelle qui est
aux affaires (…) et qui est loin à coup sûr d'être inférieure à ses devancières".
Les employés (cf. le
secrétaire de la Compagnie) sont de
plus en plus nombreux en rapport avec la complexification des tâches
dans un
grand établissement industriel.
b. Les
classes moyennes traditionnelles restent très influentes
au XIX°
Ce sont essentiellement les
artisans et les commerçants. Dans Germinal, on a Maigrat et
Rassneur
Ils sont propriétaires de
leur outil de travail (cela les rattache à la
bourgeoisie) mais ce sont eux qui font fructifier leur capital (cela les
lie
aux travailleurs). Les paysans-propriétaires en faire-valoir direct
sont souvent incorporés à ces classes moyennes
traditionnelles. Ils font valoir leur terre - dont ils sont propriétaires -
par
leur propre travail alors que les fermiers et les métayers ne sont que des locataires. Mais ces derniers sont chefs d'exploitation et, à ce titre, embauchent des ouvriers agricoles ce qui les rattache à la petite/moyenne bourgeoisie.
L'essor des villes multiplie
le nombre des artisans et commerçants. Mais
la R.I. en fait disparaître d'autres (artisanat rural par exemple) et
l'agriculture est un enjeu économique et social.
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tableau de Monsieur Bertin : http://www.google.fr/imgres?imgurl=http://www.histoire-image.org/photo/zoom/dor14_ingres_001f.jpg&imgrefurl=http://www.hollyweb.org/Photos-jean-dominique-Casting-154179.html%26page%3D2&h=1400&w=1139&sz=93&tbnid=hrX3dl_1-tLV5M:&tbnh=90&tbnw=73&prev=/search%3Fq%3DIngres,%2Bportrait%2Bde%2BBertin,%2Bjournaliste%26tbm%3Disch%26tbo%3Du&zoom=1&q=Ingres,+portrait+de+Bertin,+journaliste&usg=__ThyKtlg5ylEsBjeRLtk46tCAQk8=&docid=xrgNM4_CVD4RdM&hl=fr&sa=X&ei=zfvFUPvGGIzP0AXu1YGQBQ&ved=0CBYQ9QEwAA
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NB. Dans les statistiques INSEE d'aujourd'hui, on trouve la bourgeoise patronale :
- les chefs d'exploitation agricole (petits paysans propriétaires, agriculteurs exploitants)
- les ACCE : artisans, commerçants, chefs d'entreprises
- les cadres supérieurs et professions intellectuelles supérieures (médecins, avocats, prof. libérales)
puis
- les professions intermédiaires (instit. infirmiers, etc. dans le public), dans le privé (chefs d'équipe, VRP, techniciens)
puis le salariat modeste :
- employés
- ouvriers (dont ouvriers agricoles)