Le triomphe de la bourgeoisie au XIX° siècle et la différenciation sociale

publié le 22 juil. 2012, 13:15 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 17 oct. 2017, 09:17 ]
publié le il y a 6 heures22 juil. 2012 15:42 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : il y a 6 heures22 juil. 2012 15:48 ]

      

    La bourgeoisie, notamment la bourgeoisie industrielle, devient la nouvelle classe dominante de la société. Mais la structure de la société devient plus complexe.

           Voyez le célèbre tableau d' Ingres, portrait de Monsieur Bertin, incarnation (presque) vivante de ce que Édouard Manet appelait "la bourgeoisie cossue, repue et triomphante". http://mini-site.louvre.fr/ingres/1.7.2.1.3_fr.html Pour le tableau lui-même voir le lien en fin d'article.

 

I. UN EXEMPLE : LES PERIER

 

1. Les origines de la famille

L'ancêtre de la famille Périer est un négociant, né à Voiron (Isère actuelle) en 1730, qui est marchand de toiles et qui se constitue un patrimoine de terres et immeubles. 

C'est Claude Périer (1742 - 1802) qui établit les bases de la fortune familiale à l'époque contemporaine. Exportateur de toiles vers les Isles, via Marseille, la Révolution nuit d'abord à ses affaires. Mais il devient un des grands bénéficiaires de la Révolution. Il rembourse ses dettes en assignats (monnaie de papier qui avait été très dévaluée), monte une grosse fabrique d'armes en 1794 et achète des Biens Nationaux.

Profiteur de la Révolution, il veut la consolider et est l'un des soutiens financiers du coup d'État du 18 brumaire. Bonaparte avait des soutiens ! Il devient l'un des co-fondateurs de la Banque de France créée par le même Bonaparte en 1803 (avec le franc germinal).

 

2. L’apogée : industrie & politique

    La 3° génération compte huit garçons et deux gendres, sur ces dix hommes, huit seront députés.

    Celui qui se dégage du lot est CASIMIR. Casimir Périer est né en 1777 et meurt en 1832 frappé par l'épidémie de choléra. Il créa une banque en 1801 qui contrôle la Compagnie des Mines d' Anzin (Valenciennois) puis rachète une fonderie dans la Région parisienne. C'est lui qui équipe les mines d'Anzin de machines à vapeur. Il est, en outre, régent de la Banque de France (qui est alors de statut privé). Député de Paris en 1817, il fait partie de l'opposition au régime de la Restauration (il s'inscrit dans la tradition de la bourgeoisie révolutionnaire) et après la révolution de 1830 il devient ministre de la Monarchie de Juillet. Il réprime vigoureusement les révoltes ouvrières de Paris et de Lyon (les canuts) et demande aux ouvriers "patience et résignation". Discours éternel.

    A sa mort, il était Premier Ministre de Louis - Philippe, régent de la Banque de France, et président de la Banque Périer.

    La quatrième génération compte Augustin, fils du précédent (1811-1878) banquier et ministre du gouvernement d'Adolphe Thiers en 1871. Avec lui, la république donne un visage conservateur et rassurant. « La république sera conservatrice ou ne sera pas » avait dit Adolphe Thiers, grand massacreur de la Commune de Paris.

    Jean - Casimir Périer est la 5° génération. Il est le principal actionnaire de la Compagnie des Mines d' Anzin, l'une des plus grandes concentrations prolétariennes de France qui connut des grèves retentissantes en 1884. C'est la vie de cette compagnie qui inspire Zola dans Germinal. Jean-Casimir sera successivement président de la Chambre des députés, président du Conseil, et président de la République de 1894 à 1895. C’est lui qui signe les « lois scélérates » votées après l’assassinat de Sadi Carnot. Appelées ainsi parce que sous le prétexte de lutter contre les attentats elles visent surtout l’opposition socialiste naissante.


II. LA DIFFÉRENCIATION SOCIALE

    NB. Je prends mes exemples dans Germinal de Zola, livre dont il est inutile de souligner l'importance. Le film de Claude Berri (1993), tiré du livre, est excellent.

1. De nouvelles classes "fondamentales"

        a. Les classes fondamentales de l'ancien régime économique

    Le mode de production de l'Ancien régime reposait sur l'exploitation de la terre et les deux classes fondamentales étaient alors l'aristocratie terrienne et la paysannerie (fermiers et métayers) et paysannerie propriétaire.

    Ces catégories subsistent mais l'aristocratie est en déclin. Elle fournit les cadres du courant traditionaliste et alimente encore les emplois dans l'armée et la diplomatie. L’aristocratie trouve une nouvelle jeunesse avec la création du syndicalisme agricole qui - à la différence du syndicalisme ouvrier - réunit à la fois les propriétaires-bailleurs et les paysans-preneurs. Les «chefs de terre» dirigent les syndicats agricoles.

        b. Les classes fondamentales du capitalisme industriel

    Avec la Révolution industrielle (R.I.), on distingue le Capital et le Travail. Bourgeoisie et prolétaires.

    Dans Germinal, roman consacré à la classe ouvrière, la bourgeoisie est représentée par la "compagnie", invisible et partout présente, type de la société anonyme par actions, dont Hennebeau est le directeur salarié. Mais celui-ci partage les valeurs de la bourgeoisie et il est certainement actionnaire. La Compagnie pratique le paternalisme du XIX° siècle (logement et charbon de chauffage fournis aux mineurs). Les Périer, on l’a vu, incarnent la haute bourgeoisie dominante. C'est la compagnie des mines d'Anzin de la famille Périer qui a inspiré Zola dans sa description de la grande entreprise capitaliste, nouveauté du XIX° siècle.

    Deneulin est un patron, propriétaire d'une mine familiale (il n'y a pas d'actionnaires, ni de conseil d'administration). Quant aux Grégoire, ce sont des rentiers qui vivent des "dividendes d'actionnaires anonymes".

    La bourgeoisie, classe dominante, se définit alors comme le propriétaire du capital mis en valeur par le travail des ouvriers salariés.

    Les ouvriers sont l'autre classe fondamentale du capitalisme industriel. leur statut est très différent d'une entreprise à l'autre, d'une branche industrielle à l'autre... L'historien Claude Willard voit dans cette grande diversité de conditions la cause première de la multiplicité des partis qui se réclament du socialisme.

 

2. Les classes moyennes se développent

         La révolution industrielle (R.I.) crée de nouvelles catégories sociales ou alors provoque la multiplication de catégories qui jouent un rôle croissant.

        a. Les classes moyennes nouvelles

         Dans Germinal, l'incarnation de ces catégories nouvelles est l'ingénieur NEGREL. C'est un ingénieur formé à l'école des Mines, école d'application de l'école Polytechnique créée par la Révolution française. Grandes écoles qui forment les ingénieurs nécessaires aux entreprise de la R.I. mais c'est un authentique mineur : il descend dans les fosses, il encourt tous les dangers du travail de mineur. De ce point de vue, c'est une classe moyenne car il vend aussi son travail à la Compagnie. Mais ses origines sociales en font un membre de la bourgeoisie.

     Les médecins, les scientifiques, les professeurs voient leur nombre se multiplier. Au XIX°, ils sont considérés comme bourgeois s'ils embauchent un ou une domestique.

    Dans un discours célèbre Gambetta se félicite de ces progrès de la démocratie : "N'a-t-on pas vu apparaître sur toute la surface du pays cette génération nouvelle de la démocratie, un nouveau personnel du suffrage universel ? Ne voit-on pas ce monde du travail à qui appartient l'avenir, faire son entrée dans les affaires politiques ? Oui, je pressens, je sens, j'annonce la venue et le présence dans la politique d'une couche sociale nouvelle qui est aux affaires (…) et qui est loin à coup sûr d'être inférieure à ses devancières".

     Les employés (cf. le secrétaire de la Compagnie) sont de plus en plus nombreux en rapport avec la complexification des tâches dans un grand établissement industriel.

        b. Les classes moyennes traditionnelles restent très influentes au XIX°

 Ce sont essentiellement les artisans et les commerçants. Dans Germinal, on a Maigrat et Rassneur

     Ils sont propriétaires de leur outil de travail (cela les rattache à la bourgeoisie) mais ce sont eux qui font fructifier leur capital (cela les lie aux travailleurs). Les paysans-propriétaires en faire-valoir direct sont souvent incorporés à ces classes moyennes traditionnelles. Ils font valoir leur terre - dont ils sont propriétaires - par leur propre travail alors que les fermiers et les métayers ne sont que des locataires. Mais ces derniers sont chefs d'exploitation et, à ce titre, embauchent des ouvriers agricoles ce qui les rattache à la petite/moyenne bourgeoisie.

     L'essor des villes multiplie le nombre des artisans et commerçants. Mais la R.I. en fait disparaître d'autres (artisanat rural par exemple) et l'agriculture est un enjeu économique et social. 

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tableau de Monsieur Bertin : http://www.google.fr/imgres?imgurl=http://www.histoire-image.org/photo/zoom/dor14_ingres_001f.jpg&imgrefurl=http://www.hollyweb.org/Photos-jean-dominique-Casting-154179.html%26page%3D2&h=1400&w=1139&sz=93&tbnid=hrX3dl_1-tLV5M:&tbnh=90&tbnw=73&prev=/search%3Fq%3DIngres,%2Bportrait%2Bde%2BBertin,%2Bjournaliste%26tbm%3Disch%26tbo%3Du&zoom=1&q=Ingres,+portrait+de+Bertin,+journaliste&usg=__ThyKtlg5ylEsBjeRLtk46tCAQk8=&docid=xrgNM4_CVD4RdM&hl=fr&sa=X&ei=zfvFUPvGGIzP0AXu1YGQBQ&ved=0CBYQ9QEwAA

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NB. Dans les statistiques INSEE d'aujourd'hui, on trouve la bourgeoise patronale :

- les chefs d'exploitation agricole (petits paysans propriétaires, agriculteurs exploitants)

- les ACCE : artisans, commerçants, chefs d'entreprises

- les cadres supérieurs et professions intellectuelles supérieures (médecins, avocats, prof. libérales)

puis

- les professions intermédiaires (instit. infirmiers, etc. dans le public), dans le privé (chefs d'équipe, VRP, techniciens)

puis le salariat modeste :

- employés

- ouvriers (dont ouvriers agricoles)


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