Le désert et les religions monothéistes

publié le 6 août 2012, 05:24 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 3 sept. 2012, 05:13 ]

L’article sur le film Lawrence d’Arabie m’a conduit au cœur du désert et d’autres articles seront publiés, exploitant au maximum le matériau photographique fourni par un ami routard et photographe tout à la fois. Là, je publie un article découpé il y a longtemps, avec négligence, puisque je n’ai pas relevé sa date exacte. Il est signé A.W. ce qui peut signifier André Wurmser mais cet écrivain, créateur et érudit, est mort en 1984 alors que l’Humanité annonce dans ses programmes tv des films datés de 1988. Il s’agirait donc d’un article posthume ? Quoiqu’il en soit, la tenue du texte montre à quel point l’Huma respecte ses lecteurs.

J.-P. R.

 

SABLES MOUVANTS

 

Le désert, lieu de toutes les ambigüités. Contrée de la faim et de la soif et théâtre des fiançailles de Dieu avec son peuple. Repaire du diable tentateur et berceau des trois religions monothéistes filles d’Abraham.

 

« Le désert est une terre de beauté inutile et irremplaçable », écrivait Camus. « Il faut passer par le désert et y séjourner pour recevoir la grâce de Dieu », disait, de son côté l’ermite du Hoggar, Charles de Foucauld. Cet univers du minéral pur, coin posé de sable et de vent, de pierre et de soleil, a, de tout temps, inspiré poètes et mystiques.

Le mot hébreu pour désert, midbar, signifie « parole ». Et les mots sont encore les fleurs les plus luxuriantes à pousser sur ce sol aride. La poésie arabe préislamique chante le combat entre le désert qui refuse l'homme et l'homme qui conquiert le désert Les bédouins étaient peut-être frustes mais également ivres de poésie. Ils avaient cinquante-six mots différents pour désigner le sable et trois cents autres pour décrire le chameau...

Ecrasé par un cadre aussi démesuré, aussi inhumain - vide absolu réduit à la matière la plus irrationnelle, la pierre, - l'homme, dépouillé de tout ce qui est superflu se trouve acculé au néant - ou à la transcendance - bref, à lui-même. Cette épuration de l’homme par une fournaise qui le lamine comme les rochers qu’elle réduit en poussière, l’obligeant à prendre conscience de son néant, comme de la fuite inexorable du temps, explique pourquoi on a attribué au désert la découverte de l'unicité de Dieu.

C'est la thèse développée par la belle émission de Jean-Marc Leblon, «  Le désert de Dieu » qui s'inscrit naturellement dans la série de six émissions proposée et commentée par Henri de Turenne, « Les grands déserts». Ici, il retrace la genèse des religions monothéistes, toutes surgies des sables du Moyen Orient. A commencer par celle du dieu égyptien du soleil, Aton, instaurée par Aménophis IV en 1350 avant notre ère. Pourquoi ce pharaon a-t-il délaissé les nombreux dieux tutélaires des villes - Amon, Rê, Min, Isis, Ptah - pour vénérer le disque solaire, dieu du pays « de la mort», le désert ? Cette fulgurante, et brève parenthèse monothéiste (ou panthéiste) - une vingtaine d'années en plus de seize siècles de culte polythéiste — était-elle influencée par Moïse et le Dieu unique des Hébreux ?

S'il est difficile de dater l'Exode avec précision - sous Ramsès II (1290-1224 avant J.-C.), - on sait qu'une communauté juive était installée en Égypte du temps d Aménophis IV et de la belle Néfertiti : on trouve sept cents fois le nom d'Égypte dans la Bible ! Ce qui est sûr, en revanche, c'est que la sortie d'Égypte des enfants d'Israël et leur traversée du désert, pendant quarante ans à la recherche de la Terre promise sous la conduite de Moïse, a forgé et affermi leur croyance en un Dieu unique.

Malgré les plaintes et les rechutes dans l'idolâtrie -le veau d'or-, Dieu a nourri son peuple -la manne et les cailles tombées du ciel, les sources jaillissant du rocher-, pour mener enfin la nouvelle génération, aguerrie et purifiée par le désert, dans le pays où coulaient le lait et le miel. A chaque persécution, du reste, les juifs se réfugiaient au désert, lieu à la fois d'épreuve et d'inspiration. Pour eux, le désert était empli de mystères, chargé de sens et d’histoire. Chaque buisson rappelait celui de Moïse, symbole de la mystique du désert qui brûle sans se consumer. Chaque rocher rappelait le sacrifice d'Abraham, les tables de la Loi, en un mot le lieu de prédilection pour les rencontres entre Dieu et le peuple élu : « Je vais la séduire, dit Yahvé, par la voix de son prophète Osée, à son épouse infidèle, Israël, je la conduirai au désert et, 1à, je parlerai à son cœur ».

Le désert continue de jouer un rôle capital dans la spiritualité du Nouveau Testament. D'abord les Esséniens, qui vivaient un monachisme avant la lettre et d'où est sorti saint Jean-Baptiste, s'étaient installés dans le désert. Puis le Christ s'y retira, près de Jéricho, pour jeûner pendant quarante jours et résister à la triple tentation du diable. L'histoire de l’Église, enfin, est traversée d'expériences semblables, de saint Antoine, anachorète de la Thébaïade et fondateur de l'érémitisme, à Charles de Foucauld, en passant par les ermites du désert au deuxième siècle et le cénobites du quatrième siècle, qui peuplèrent le désert de monastères. A tel point que le monachisme occidental qui en est né est une image du désert au milieu du monde : solitude, jeûne, souffrance, recueillement.

Troisième religion abrahamique, la branche aînée mais bâtarde descendue d'Ismaël, l'islam, est également née chez les nomades du désert, à Mareb, ancienne capitale de la reine de Saba, deux mille ans après Moïse, six cents ans après Jésus-Christ. Le prophète Muhammad, qui se déclare héritier d'Adam et d'Ève, d'Abraham, de Moïse et de Jésus, était un commerçant de La Mecque. Il prêcha dans les villes, et aboutit à Jérusalem, cité des trois religions sœurs, et pourtant ennemies. Trois religions nées des sables du même désert, dont les adeptes continuent de se déchirer, au nom du même Dieu unique.

A. W.


PS. on cliquant sur le lien ci-dessous, "déserts de dieu", on lira l'article tel qu'il fut publié.

 lire aussi : Jean-Paul Hiltenbrand « Le prix du monothéisme, Jan Assmann », La revue lacanienne 2/2007 (n° 2), p. 98-102.
URL :
www.cairn.info/revue-la-revue-lacanienne-2007-2-page-98.htm.
DOI : 10.3917/lrl.072.0098.

et pour quelques euros de plus (2 exactement) :"Rencontre avec Jan Assmann : Les conséquences du monothéisme"



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Jean-Pierre Rissoan,
6 août 2012, 05:24
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