Voici un texte ravissant et
alléchant de Brillat-Savarin. Quel est sa place dans un site réservé au thème de
la révolution ? Il y a un argument : Maire de Belley, dans l’Ain,
magistrat,
Brillat-Savarin est député à la Constituante pendant la
Révolution, puis conseiller à la Cour de cassation sous l’Empire. «Physiologie du goût, ou Méditations de
gastronomie transcendante, ouvrage théorique, historique et à l’ordre du jour,
dédié aux gastronomes parisiens, par un professeur, membre de plusieurs
sociétés littéraires et savantes», paraît sans nom d’auteur
en décembre 1825, deux mois avant sa mort.
En réalité, tout cela n’a rien à
voir avec la révolution mais bon, un révolutionnaire peut manger des truffes et
en assumer les conséquences …J.-P. R.
Des truffes
par Jean Anthelme Brillat-Savarin
" 43. Qui dit truffe prononce un grand
mot qui réveille des souvenirs érotiques et gourmands chez le sexe portant
jupes, et des souvenirs gourmands et érotiques chez le sexe portant barbe.
Cette
duplication honorable vient
de ce que cet éminent tubercule passe non seulement pour délicieux au
goût ; mais encore parce qu’on croit qu’il élève une puissance dont
l’exercice est accompagné des plus doux plaisirs. (…)
44. De la vertu érotique des truffes
Les Romains ont connu la truffe ;
mais il ne paraît pas que l’espèce française soit parvenue jusqu’à eux. Celles
dont ils faisaient leurs délices leur venaient de Grèce, d’Afrique, et
principalement de Libye ; la substance en était blanche et
rougeâtre, et les truffes de Libye étaient les plus recherchées, comme à la
fois plus délicates et plus parfumées.
Libidinis alimenta per omnia quærunt,
Juvénal.
Des Romains jusqu’à nous il y a eu un long interrègne, et la
résurrection des truffes est assez récente ; car j’ai lu
plusieurs anciens dispensaires où il n’en est pas mention : on peut même dire que la génération qui s’écoule au moment où
j’écris en a été presque témoin.
Vers 1780, les truffes étaient rares à Paris ; on n’en trouvait, et seulement en petite quantité, qu’à
l’hôtel des Américains et à l’hôtel de Provence, et une dinde truffée était un
objet de luxe qu’on ne voyait qu’à la table des plus grands seigneurs, ou chez
les filles entretenues.
Nous devons leur multiplication aux marchands de
comestibles, dont le nombre s’est fort accru, et qui, voyant que cette
marchandise prenait faveur, en ont fait demander dans tout le royaume, et qui,
les payant bien et les faisant arriver par les courriers de la malle et par la diligence,
en ont rendu la recherche générale ;
car, puisqu’on ne peut pas les planter, ce n’est qu’en les recherchant
avec soin qu’on peut en augmenter la consommation.
On peut dire qu’au moment où j’écris (1825) la gloire de la
truffe est à son apogée. On n’ose pas dire qu’on s’est trouvé à un repas où il
n’y aurait pas eu une pièce truffée. Quelque bonne en soi que puisse être une
entrée, elle se présente mal si elle n’est pas enrichie de truffes. Qui n’a pas
senti sa bouche se mouiller en entendant parler de truffes à la provençale ?