There will be blood… avec D. Day-Lewis (2007)

publié le 14 juin 2019, 06:35 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 29 août 2019, 07:41 ]
publié le 22 mai 2014 à 17:46 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 25 déc. 2017 à 01:40 ]

    Le film pourrait se traduire par “ça va saigner”...Le sang va couler. Pourquoi ? Parce que nous sommes en plein Far-West (la Californie), en fin du XIX° siècle (1898) et que certains ont compris que le pétrole est/va être le nouveau secteur porteur de l’économie. Ils font du Schumpeter, si vous voulez. Sauf qu’ils ne connaissent pas cet économiste autrichien dont ils n’ont rien à faire. Ce qui est sûr, c’est qu’il y a du fric à se faire et cela ne laisse personne indifférent. L’Amérique n’a pas été construite par des enfants de chœur.



    Daniel Plainview (D. D.-Lewis toujours aussi convaincant) est un authentique mineur - comme l’ingénieur Négrel, dans Germinal, est un vrai mineur car il descend dans les fosses et partage les risques des ouvriers-mineurs - Plainview creuse des puits à ses risques et périls et, d’ailleurs, il est blessé à la jambe lors d’une explosion et il boitera le reste de ses jours. C’est donc un capitaliste prométhéen comme eût pu dire Marx et non un rentier oisif. Plus tard, Plainview changera de statut et laissera travailler les autres pour lui.

    "Spéculation" a été dès le début le maître-mot du capitalisme américain. Depuis les terres volées aux Indiens et revendues à des prix usurpés aux pionniers, depuis les terres achetées une bricole par les compagnies de chemin de fer et revendues au maximum aux nouveaux pionniers, on arrive ici dans les champs pétrolifères de Californie, où parfois le pétrole sort spontanément à la lumière du jour. L’art du spéculateur est d’acheter un terrain pour une bricole et de faire fortune en exploitant le pétrole dont il avait tu l’existence à l’ex-propriétaire. De ce point de vue Daniel Plainview est doué, il sait faire. Et il tient éloigné Dieu de ses affaires.

    Son chemin professionnel est croisé par celui de Eli Sunday (Paul Dano, au faciès capable de jouer toutes les psychopathies), fils d’un pauvre pionnier qui exploite un terrain lamentable mais -Plainview le sait - dont le sous-sol regorge de pétrole. Il le sait parce que Paul - le jumeau d’Eli- est venu le lui dire quelque temps auparavant. On ne reverra plus Paul qui est parti avec les 10.000$ que Plainview lui a donnés. Esprit de famille. Eli accepta que son père vende la propriété à la condition que Plainview donne $5.000 à son Église. Car, Eli est un prophète, il a créé sa propre Église, l’Église de la troisième révélation ! (influence luthérienne, tout le monde est prophète et peut fonder son Église). Eli ne verra jamais la couleur de cet argent et les contentieux s’accumulent entre les deux hommes.  

A partir de là, il y a deux temps forts, très forts.

    Pour pouvoir acheter un terrain, stratégique en termes de tracé du pipeline qui mènera à l’océan, Daniel Plainview doit se faire baptiser à l’Église de la troisième révélation ce qui passe par l’aveu de ses péchés. Devant la communauté complètement fascinée par le prophète Eli qui la manipule comme une première communiante, Daniel doit avouer ses péchés, mais il ne le dit pas assez fort, jamais assez fort, alors Eli le persécute, l’humilie, lui balance de l’eau, le bouscule et Daniel de crier toujours plus fort "j’ai péché, je suis un pécheur". Malgré l’humiliation, il ne perd cependant pas le nord et, alors que la salle s’évanouit, extasiée, pleurante, avachie, Daniel -qui sent qu’il a réussi l’examen- nous murmure "j’ai mon pipe-line"… Tout cela est censé être une fête religieuse avec présence du Saint-Esprit. Nous sommes en 1911.

    L’autre temps fort se passe après la crise de 1929. C’est la revanche. Immensément riche, Daniel s’est fait construire une maison massive de nouveau-riche, très kitsch américain, avec, restons simple, une salle de bowling pour lui tout seul et ses quelques invités. Il a des domestiques. C’est un KING du pétrole. Et arrive Eli… Eli, lui, par contre est ruiné. Il y a eu la crise de 1929 et Dieu ne l’a pas prévenu ! (sic). Il vient avec la simplicité du prophète demander $100.000 à Daniel… Daniel le fait se renier. Il doit dire "Je suis un faux prophète et Dieu est une superstition". Mais, cette fois, c’est lui qui ne le dit pas assez fort. Eli hurle "Dieu est une superstition ! ",  DIEU EST UNE SUPERSTITION ! Cent mille dollars pour dire ces quelques mots, ça vaut bien le coup… Daniel constatant cette loque qu’il a devant lui, incapable d’avoir la moindre résistance du martyr alors qu’il exploitait plus d’une paroisse, Daniel donc se venge de la manière la plus brutale : il lui fracasse le crâne avec une quille de son bowling flambant neuf.


    Le film peut avoir un intérêt documentaire sur l’industrie du pétrole aux États-Unis au tout début du XX° siècle -date, rappelons-le, de la naissance de Los Angeles. Avec plusieurs séquences dont je n’ai pas parlé, on voit la formation d’un businessman qui oublie tout sentiment. Business is business cela veut dire qu’on ne mêle pas sentiment et affaire. Et Daniel Plainview ne mélange pas tout. Mais l’intérêt essentiel, selon moi, du film est cette démonstration forte du rôle de la religion que l’on mêle à tout, bible et pétrole mêlés…

    Aujourd’hui, les évangélistes américains font fortune en mêlant argent et spectacle religieux, le veau d’or reste le vrai dieu de l’Amérique.

    Film puissant, porté par les épaules larges de D. D-Lewis, à voir et revoir.

 

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