The charge of the light brigade (1936)

publié le 15 juin 2019, 01:49 par Jean-Pierre Rissoan
    Publié le 21 juil. 2011 à 16:43 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 3 avr. 2019 à 13:39 ]

juillet 2011.

Film de Michael Curtiz de 1936[1].

    Je rappelle que la charge de la brigade légère est un fait militaire authentique qui eut lieu lors de la guerre de Crimée (1854-1855) menée par les Anglais et les Français, contre les Russes. Dans la vallée de Balaklava, 600 lanciers de sa gracieuse majesté chargèrent des batteries de canons russes, les canonniers russes étant eux-mêmes secondés par une division de cavalerie. Ce fut un massacre, un désastre, une des pires fautes de commandement commises au sein de l’armée britannique.

    Concernant ce film de Curtiz le titre est parfaitement trompeur et le scénario ridicule.

    On arrive à Balaklava exactement 1 heure et 27 minutes après le début du film qui dure 1h 50. Le film se passe en Russie durant les 20 dernières minutes. Et auparavant ? Auparavant tout se déroule dans l’empire des Indes. C’est un film sur l’empire anglais des Indes.

    On sait que les Anglais auront toujours maille à partir avec les Indiens, ce sont des occupants qui mirent en place un système fiscal ingénieux tel que les recettes recouvraient entièrement les charges d’administration de l’empire et que les Anglais purent donc exploiter leur colonie gratuitement. Mais, bien entendu, le film les présente comme cherchant avant tout la paix, même à ne pas riposter à une agression armée, la guerre ne peut venir que des Indiens belliqueux. Le héros, capitaine Geoffrey Vickers (Errol Flynn), a su se faire aimer des enfants indigènes. Bref que du bonheur, comme nous l’offre la scène du bal où l’on voit que les Anglais sont vraiment chez eux à …Calcutta.

    Dans ce film sur la guerre de Crimée -si l’on en croit le titre - on a droit à une chasse au léopard à dos d’éléphant, dans la jungle indienne. On a droit à un conflit amoureux entre Elsa (l’immortelle Olivia de Havilland) et les deux frères Vickers, Geoffrey et Perry. Elsa s’était fiancée à Geoffrey, mais, loin des yeux loin du cœur, durant la longue absence de Geoffrey elle tombe amoureuse de Perry. Au retour de Geoffrey, elle retombe dans ses bras. Lorsqu’elle part avec son colonel de père et Geoffrey à la forteresse de Chukoti, elle fugue et retourne vers Perry qui, lui, avait été envoyé en mission à Lohara par l’état-major. Car, figurez-vous, l’état-major préfère la liaison Elsa-Geoffrey à l’autre. A Lohara, Elsa redit son amour à Perry : bref, c’est une chipie. Où est la puritaine Angleterre ? et la puritaine Amérique qui a, paraît-il, horreur du mensonge ?

    Mais le plus clair du film est la bataille de Chukoti. Elle résulte de la trahison -du point de vue anglais- de l’émir Surat Khan qui se soulève contre les Anglais. Casting et maquillage font tout pour que cet émir passe pour un vicieux, un retors, un filou, bref, rien de comparable au capitaine Geoffrey Vickers, au visage frais, glabre et fin, au regard limpide, le vrai WASP incarné par le sémillant Errol Flynn. C’est l’Orient du mensonge face à l’Occident lumineux. La garnison du fort Chukoti est cernée, l’émir donne sa promesse de laisser partir femmes, enfants, vieillards, et -comme de juste- il ne l’a respecte pas : c’est un massacre ignominieux. Les derniers soldats restés dans le fort, sentant leur mort prochaine, écoutent le colonel Campbell leur lire des passages de la Bible. On le retrouvera mort, ses doigts crispés sur le livre sacré.

 

La machine hollywoodienne

    Les Américains ne manquent pas d’air. Toute leur histoire est faite du non respect de leurs engagements. Histoire qui commence en Angleterre et d’ailleurs le film traite des Anglais aux Indes.

    Quelques exemples pris dans le tapuscrit de mon prochain livre.

    En Irlande, guerre de 1579-1584, une petite armée espagnole et vaticane - 800 hommes - fut cernée par les canons anglais, elle capitula pour garder –comme les Anglais lui avaient promis- la vie sauve et tout son effectif fut égorgé jusqu’au dernier.

    Après le soulèvement des catholiques, toujours en Irlande, Guillaume d’Orange triomphe. Comme ses prédécesseurs, il signe un traité (Limerick, 1691), traité « qui sauvegarde encore tout ce qui peut l’être » mais qui, dès 1695, « n’est plus bon que pour la corbeille à papier » (Cheviré). Et les Irlandais de subir les Lois pénales : « The penal laws against the Roman Catholics, both in England and Ireland, were the immediate consequence of the revolution (…) »[2]  c’est-à-dire qu’un Irlandais catholique n’a plus d’existence légale.

    En Écosse, après le soulèvement de 1745, les prisonniers dont certains s'étaient rendus sous promesse d'amnistie, furent déportés en masse aux Antilles et en Amérique, comme des esclaves « entassés dans d'infectes sentines, sans air pour respirer, sans espace pour se coucher ou se mouvoir ».

    En Amérique, en 1774, des colons ne songent qu’à aller toujours plus vers l’Ouest et à s’emparer, par la loi de la force, des terres des natives. Des pionniers s’invitèrent dans un village Mingo, saoulèrent les Indiens avant de les massacrer et de les scalper. Ils mutilèrent aussi la sœur du chef Logan, laquelle était enceinte. Ces crimes eurent un grand retentissement. C’est une nouvelle guerre qui débuta. Finalement, Lord John Murray Dunmore, gouverneur de Virginie, aida les colons de Pennsylvanie à la répression : sept villages Mingos sont détruits.

    A la veille de la bataille de Yorktown, « plus de 700 nègres infectés par la variole ont descendu le cours de la rivière. Je compte les renvoyer dans les plantations des rebelles » écrit le général A. Leslie à Cornwallis, généralissime. Les Britanniques n’avaient pas respecté leur promesse de libération des esclaves, lesquels avaient pourtant compté sur la sincérité des Anglais, et devaient maintenant retourner chez leurs maîtres.

    A. de Tocqueville écrit :"Les Européens ont condamné les tribus indiennes à une vie errante et vagabonde, pleine d’inexprimables misères. Je crois que la race indienne est condamnée à périr, et je ne puis m’empêcher de penser que le jour où les Européens se seront établis sur les bords de l’océan Pacifique, elle aura cessé d’exister " Pourquoi vagabonde ? Parce que les Européens, comme dit Tocqueville - en réalité, les Américains - ne respectent jamais leurs accords. On signe un « traité » qui prévoit une nouvelle "frontière" puis quand le nombre de pionniers est de nouveau élevé, on demande aux Indiens de déguerpir ou l’on crée les conditions pour qu’ils le fassent, et ainsi de suite. Il existe ainsi des dizaines de traités dans les archives. Tous non respectés. Un chef indien vaincu dit à ses ennemis : "Vous savez les raisons pour lesquelles nous vous avons fait la guerre. Tous les hommes blancs le savent et ils devraient en avoir honte. (…). Un indien qui serait aussi mauvais que les hommes blancs ne pourrait pas vivre parmi nous".

    Il y a comme ça bien d’autres méfaits. Ce film de Curtiz et de la Warner Bros. est une immense mystification, un énorme mensonge de propagande. Comment l’expliquer ? est-ce que la montée des tensions en Europe (1936) a poussé les Américains à rappeler la qualité de leurs cousins d’Angleterre et qu’il faudra peut-être, un jour, voler à leur secours ? je ne sais.

 

Et la charge ?

    Comment passe-t-on de Calcutta à Sébastopol ? Les scénaristes ont plus d’un tour dans leur sac. Surat Khan fuit l’Inde où il se sait traqué et rejoint ses alliés russes dont il avait appris qu’ils allaient combattre l’Angleterre. Il est donc logiquement à Sébastopol ! Apprenant cela, le 27° lanciers et son major Geoffrey Vickers n’ont qu’un désir : se venger du massacre de Chukoti.

    Mais le supérieur hiérarchique de Vickers, Sir Macefield, ne veut pas lancer sa brigade contre les canons russes et dicte à Vickers une lettre ordonnant le retrait de la cavalerie. Vickers est stupéfait et alors - chose invraisemblable- commet un faux en écriture, il rédige une nouvelle lettre ordonnant l’assaut qu’il signe Macefield ! et cette charge de cavalerie de la guerre de Crimée s’explique ainsi par le désir de Vickers et de ses camarades de tuer Surat Khan. Quelle histoire !

    Bref, ce film n’a guère d’intérêt. Il rappelle leur enfance à des gens de ma génération, enfance qui fut encadrée par la propagande des films américains mais la charge est un moment inoubliable. La mise en scène est parfaite, il faut le dire. Les lanciers mènent d’abord leur monture au pas, puis on passe au trot, progressivement on passe au galop jusqu’à la sonnerie de trompette qui annonce la charge menée au grand galop. La musique nous casse les oreilles mais on l’accepte comme élément du décor. Les canons russes crachent le feu, les chevaux s’effondrent. L’union jack va tomber par terre. Non ! un autre lancier est là pour le reprendre des mains du mourant. Les Anglais meurent. Pour quoi ? pour qui ? peu importe, ils meurent en gentlemen. N’est-ce pas l’essentiel. C’est un désastre mais Surat Khan subit le martyr de saint Sébastien : chaque lancier qui a réussi à sauter pas dessus les batteries russes -il y en eut quelques uns tout de même- lui plante sa lance dans le corps. Vickers peut alors rendre son âme à Dieu.

    Le poème déroulèdien d’Alfred Lord Tennyson The Charge of the Light Brigade est ici omniprésent. Et le film nous invite à rendre hommage à ceux qui ont tué Surat Khan…

Le film de Tony Richardson La charge de la brigade légère (1968) est d’une tout autre facture.  


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