Film
programmé au festival Lumière-Lyon 2012.
Ainsi
que je l’ai souligné par ailleurs, "Le
train sifflera trois fois" (High Noon) avec Gary Cooper (1952) la
critique de Rio bravo est inséparable
de celle de High Noon dont le
scénario a été écrit par Carl Foreman, blacklisté d’ Hollywood. Il est donc
indispensable de s’informer sur ce film avant de lire ce qui suit et qui est
relatif à ce film d’ Howard Hawks Rio
bravo.
En
termes de cinéma de divertissement, disons-le de suite, Rio bravo est un excellent western qui se laisse voir avec plaisir.
Tous les ingrédients sont réunis : le sheriff et sa bande qui veut faire
régner l’ordre, le mauvais gars (Nathan Burdette) et sa bande qui veut faire
régner sa propre loi, la rousse sulfureuse - une femme libre est rare dans le
très masculin Ouest lointain du XIX° siècle américain, les braves gens plus ou
moins pleutres qui comptent les coups, la grand’rue sableuse, le saloon, la
bagarre finale (gunfight) toujours très attendue avec suspense préalable, etc…
En
réaction au film de Foreman, le sheriff de Rio
bravo n’est pas seul. Il a un adjoint (Dean Martin) et le gardien de la
prison municipale (Walter Brennan dans le rôle de Stumpy). Si John Wayne est
toujours aussi monolithique et inexpressif, Dean Martin -le Dude- interprète un sheriff déchu, ruiné
physiquement et mentalement par l’alcool. Quant à Walter Brennan il excelle
dans ces rôles de vieillards décalés, claudiquant, un peu fous. Tout cela
constitue une équipe de bric et de broc mais c’est une des leçons que le film
veut donner : tout le monde peut sauver l’Amérique !
Le
film est, en effet, aussi une histoire de rédemption. Et Dean Martin, du rôle
d’alcoolique, est appelé à se muer à celui d’authentique soldat de l’ordre qui
retrouve sa joie de vivre et sa voix de crooner
que complète harmonieusement l’harmonica. Au début du film, désargenté et
assoiffé, il quémande au saloon une pièce de monnaie qu’accepte de lui donner
un gars de la bande adverse mais en la jetant dans le crachoir au pied du
comptoir... et le Dude s’abaisse à la prendre mais le sheriff veille et donne
un coup de pied dans le crachoir… Puis, le Dude traverse une crise morale
intense qui lui fait réaliser qu’il n’est qu’un raté, une merde, et que
l’alternative est d’en finir ou de se ressaisir. Ce thème de la nouvelle chance
donnée à des marginaux constitue la trame de films comme Les douze salopards. C’est en réalité un thème religieux ancien
créé, sauf erreur, par Bernard de Cîteaux. Au XII° siècle, ce moine-soldat,
initiateur des croisades, pense que les plus criminels des hommes peuvent être sauvés
: "Admirez les abîmes de la miséricorde du Seigneur" prêche
Bernard, "n'est-ce pas une invention exquise et digne de lui que
d'admettre à son service des homicides, des ravisseurs, des adultères, des
parjures et tant d'autres criminels et de leur offrir par ce moyen une occasion
de salut ? Ayez confiance, pécheurs, Dieu est bon". Dans la pieuse
Amérique anti-communiste de la Guerre froide et de John Wayne, cette
interprétation salvatrice est…pain béni.
Ce
trio est renforcé progressivement. La « rousse sulfureuse » (Angie
Dickinson, aux formes adéquates), une joueuse-tricheuse de poker, tombe
amoureuse du sheriff, un homme un vrai. Son rôle n’est pas capital dans la
défaite de la bande à Burdette mais enfin, elle s’implique. L’homme d’armes,
chargé de veiller à la sécurité d’un ami du sheriff, après avoir refusé d’aider
ce dernier, se ravise après l'assassinat de son patron et deviendra même
sheriff-adjoint. Même l’hôtelier - il y a toujours un hôtel dans les westerns -
prendra part à bagarre finale. Bref, on le constate, à la grande différence de High Noon, film
« anti-américain » selon J. Wayne, il y a du monde dans la ville de Rio bravo pour
défendre la loi, l’ordre, Dieu et son roi. Pardon, Dieu et l’Amérique élue.
Rio bravo a une richesse baroque, colorée, costumée. H. Hawks
est très à l’aise avec sa caméra pour embrasser des plans larges et filmer
des scènes à rebondissements. On peut préférer Le train sifflera trois fois, en noir et blanc, une épure, une
stylisation. La finesse absolue.