Ce film est un
chef-d’œuvre absolu qui marqua durablement mon enfance : c’est tout
dire ! La musique (oscar) du « si toi aussi tu m’abandonnes » et
la chute de la croix métallique du sheriff que Gary Cooper laisse choir à ses
pieds dans la poussière de la rue avant de quitter ses concitoyens minables
sans jeter un œil en arrière, tout cela je le revois et je l’entends de nouveau
à chaque fois.
Je dis quelques mots sur
ce film parce que je voulais évoquer le film Rio Bravo - Howard Hawks, 1959- qui est programmé au festival
Lumière-2012 de Lyon "Rio bravo" de Howard Hawks (1959). En me documentant, j’ai vu que Rio Bravo était une réplique à High
Noon, autre nom du film de Fred
Zinnemann. John Wayne, parangon de l’acteur américain défenseur des valeurs de son pays impérialiste, jamais
perturbé par le moindre doute, "in his Playboy interview from May 1971, stated he considered High Noon "the most un-American thing I’ve ever seen in my whole life"
and went on to say he would never regret having helped blacklist liberal
screenwriter Carl Foreman from Hollywood". Ce qui peut se
traduire de la manière suivante : "Wayne dans son entretien avec Playboy de mai 1971 déclara qu’il considérait High Noon comme le truc le plus antiaméricain qu’il a jamais vu de toute sa vie
et alla jusqu’à dire qu’il ne regrettera jamais d’avoir contribué à faire
inscrire le scénariste gauchiste Carl Foreman sur la liste noire d’Hollywood".
Foreman devra quitter les États-Unis -comme Dassin, comme Chaplin et
d’autres.. - pour poursuivre sa carrière.
Cette saillie de Wayne
s’explique de la manière suivante : le sheriff Will Kane - admirable et
définitif [1]
Gary Cooper, oscar du meilleur acteur - attend le train de midi qui déposera un
truand -Miller- qui vient se venger de lui. Trois compères attendent déjà ce
dernier à la gare. Quatre bandits prêts à tout, le sheriff cherche de l’aide.
Et alors tout se dérobe sous ses pieds. Sa fraîche épouse - quakeresse et, donc
non violente - l’enjoint de renoncer à toute épreuve de force. Son adjoint le
laisse tomber, un autre était d’accord mais à condition d’être nombreux, à deux
avec le sheriff, ça ne marche plus ! Un bistrot - un saloon ! on est au
Far West ! - rempli d’hommes qui chôment le jour du Seigneur- lui fait un
accueil d’abord glacial puis ricaneur : le sheriff n’a réussi à convaincre
personne ! Beaucoup de consommateurs sont même ravis du retour de Miller [2].
Au temple, Kane interrompt l’office, l’heure est trop grave. Les paroissiens
admettent le courage de Kane qui a débarrassé la ville d’un truand, mais on ne
veut pas d’ennui, la partie est perdue d’avance, que Kane s’en aille, Miller ne
trouvera personne face à lui, il n’y aura donc aucune victime !
Bref, le
peuple est lâche, c’est une débâcle morale, une débandade des valeurs…
l’Amérique est bien malade.
Cette succession de
dérobades est d’autant plus dramatique que l’heure d’arrivée du train approche.
Les multiples horloges, pendules, balanciers, réveils que l’on voit sans cesse
scandent le temps qui passe vite et l’on sait que l’un des traits de génie du
scénario du film est de faire correspondre 1 minute de scénario avec 1 minute
de temps réel. Sheriff Kane apprend l’arrivée de Miller à 10h37, le train
arrivera à High Noon : midi
pile. Le spectateur va rester 1h 23 minutes à attendre sur le gril les trois
sifflets de la machine à vapeur. Lorsque Miller est arrivé, il se
dirige immédiatement vers le centre-ville. C'est alors le grand
rendez-vous qui rend célèbre ces westerns américains, le gunfight final
comme disent les cinéphiles : chaque camp se dirige l'un vers l'autre,
la tension est au sommet. Les pleutres sont derrière leurs fenêtres :
ils attendent, mi-vautour, mi-vaches à traire.
De l’avis même des
persécutés d’ Hollywood - c’est l’époque de la chasse aux sorcières, de la
deuxième Red Scare [3],
on pourchasse tout ce qui pourrait être communiste - le film, le scénario
serait une métaphore de ce qu’ils subissent : la ville lâche, c’est
Hollywood qui laisse tomber tous ces/ses artistes qui ont fait la grandeur du
cinéma américain dans les années trente et quarante, l’arrivée de Miller, c’est
l’irruption de la Commission parlementaire d’enquête (HUAC) qui pourchasse les "Red",
faisant fi de tout respect des droits de l’homme, de la liberté de conscience,
et le sheriff, c’est l’un des 10 d’ Hollywood, blacklistés, voués au piloris sur la place publique, solitaire mais
conscient de ses droits et devoirs.
Cela peut cependant se
retourner comme une crêpe. Si on ignore le contexte de la guerre d’ Hollywood,
que voit-on ? Un homme seul, déterminé, sûr de son fait, qui affronte seul
l’ennemi et l’élimine. C’est le triomphe de l’action individuelle : c’est
le héros qui fait l’histoire comme disait Maurras, pas les masses populaires
comme le disaient Marx et les communistes d’ Hollywood. C’était d’ailleurs le
film préféré du président Eisenhower et R. Reagan déclara apprécier ce film
comme porteur des valeurs de la nation américaine.
D’ailleurs, cela montre la
monstruosité de la chasse aux sorcières : un scénariste communiste était
capable de construire des films édifiants pour le bon peuple, ce dernier fût-il
méprisable.
NB. Dans la série "the Sopranos", Tony Soprano -le boss - pose la question : mais où est passé Gary Cooper ? Il s'agit bien de celui de High noon, celui
qui se défend seul , fait face seul à l'adversité, celui qui n'a besoin
d’aucune aide. Bref, Tony appelle au secours l'Amérique, la vraie. John
Wayne était donc bien un imbécile.
[1]
« définitif » parce qu’aucun remake qui a été ou qui sera ne pourra
jamais égaler cette performance d’acteur : élégance, maitrise de soi,
force intérieure mais qui laisse parfois la place -car ce n'est pas une tête-brûlée - à la crainte sinon à la peur.
Magnifique.
[2]
Il est à noter que Rio Bravo
reprendra cette idée d’un saloon majoritairement fréquenté par les ennemis du
sheriff.
[3]
La première a eu lieu lors des années 1920’ avec l’arrivée des immigrants
méditerranéens -donc ni anglo-saxon, ni protestants - (affaire Sacco et Venzetti).