"Le train sifflera trois fois" (High Noon) avec Gary Cooper (1952)

publié le 14 juin 2019, 07:20 par Jean-Pierre Rissoan
publié le 28 sept. 2012 à 16:24 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 30 sept. 2016 à 09:15 ]

 

    Ce film est un chef-d’œuvre absolu qui marqua durablement mon enfance : c’est tout dire ! La musique (oscar) du « si toi aussi tu m’abandonnes » et la chute de la croix métallique du sheriff que Gary Cooper laisse choir à ses pieds dans la poussière de la rue avant de quitter ses concitoyens minables sans jeter un œil en arrière, tout cela je le revois et je l’entends de nouveau à chaque fois.

    Je dis quelques mots sur ce film parce que je voulais évoquer le film Rio Bravo - Howard Hawks, 1959- qui est programmé au festival Lumière-2012 de Lyon "Rio bravo" de Howard Hawks (1959). En me documentant, j’ai vu que Rio Bravo était une réplique à High Noon, autre nom du film de Fred Zinnemann. John Wayne, parangon de l’acteur américain défenseur des valeurs de son pays impérialiste, jamais perturbé par le moindre doute, "in his Playboy interview from May 1971, stated he considered High Noon "the most un-American thing I’ve ever seen in my whole life" and went on to say he would never regret having helped blacklist liberal screenwriter Carl Foreman from Hollywood". Ce qui peut se traduire de la manière suivante : "Wayne dans son entretien avec Playboy de mai 1971 déclara qu’il considérait High Noon comme le truc le plus antiaméricain qu’il a jamais vu de toute sa vie et alla jusqu’à dire qu’il ne regrettera jamais d’avoir contribué à faire inscrire le scénariste gauchiste Carl Foreman sur la liste noire d’Hollywood". Foreman devra quitter les États-Unis -comme Dassin, comme Chaplin et d’autres.. - pour poursuivre sa carrière.

    Cette saillie de Wayne s’explique de la manière suivante : le sheriff Will Kane - admirable et définitif [1] Gary Cooper, oscar du meilleur acteur - attend le train de midi qui déposera un truand -Miller- qui vient se venger de lui. Trois compères attendent déjà ce dernier à la gare. Quatre bandits prêts à tout, le sheriff cherche de l’aide. Et alors tout se dérobe sous ses pieds. Sa fraîche épouse - quakeresse et, donc non violente - l’enjoint de renoncer à toute épreuve de force. Son adjoint le laisse tomber, un autre était d’accord mais à condition d’être nombreux, à deux avec le sheriff, ça ne marche plus ! Un bistrot - un saloon ! on est au Far West ! - rempli d’hommes qui chôment le jour du Seigneur- lui fait un accueil d’abord glacial puis ricaneur : le sheriff n’a réussi à convaincre personne ! Beaucoup de consommateurs sont même ravis du retour de Miller [2]. Au temple, Kane interrompt l’office, l’heure est trop grave. Les paroissiens admettent le courage de Kane qui a débarrassé la ville d’un truand, mais on ne veut pas d’ennui, la partie est perdue d’avance, que Kane s’en aille, Miller ne trouvera personne face à lui, il n’y aura donc aucune victime !

    Bref, le peuple est lâche, c’est une débâcle morale, une débandade des valeurs… l’Amérique est bien malade.

    Cette succession de dérobades est d’autant plus dramatique que l’heure d’arrivée du train approche. Les multiples horloges, pendules, balanciers, réveils que l’on voit sans cesse scandent le temps qui passe vite et l’on sait que l’un des traits de génie du scénario du film est de faire correspondre 1 minute de scénario avec 1 minute de temps réel. Sheriff Kane apprend l’arrivée de Miller à 10h37, le train arrivera à High Noon : midi pile. Le spectateur va rester 1h 23 minutes à attendre sur le gril les trois sifflets de la machine à vapeur.  Lorsque Miller est arrivé, il se dirige immédiatement vers le centre-ville. C'est alors le grand rendez-vous qui rend célèbre ces westerns américains, le gunfight final comme disent les cinéphiles : chaque camp se dirige l'un vers l'autre, la tension est au sommet. Les pleutres sont derrière leurs fenêtres : ils attendent, mi-vautour, mi-vaches à traire.


    De l’avis même des persécutés d’ Hollywood - c’est l’époque de la chasse aux sorcières, de la deuxième Red Scare [3], on pourchasse tout ce qui pourrait être communiste - le film, le scénario serait une métaphore de ce qu’ils subissent : la ville lâche, c’est Hollywood qui laisse tomber tous ces/ses artistes qui ont fait la grandeur du cinéma américain dans les années trente et quarante, l’arrivée de Miller, c’est l’irruption de la Commission parlementaire d’enquête (HUAC) qui pourchasse les "Red", faisant fi de tout respect des droits de l’homme, de la liberté de conscience, et le sheriff, c’est l’un des 10 d’ Hollywood, blacklistés, voués au piloris sur la place publique, solitaire mais conscient de ses droits et devoirs.

    Cela peut cependant se retourner comme une crêpe. Si on ignore le contexte de la guerre d’ Hollywood, que voit-on ? Un homme seul, déterminé, sûr de son fait, qui affronte seul l’ennemi et l’élimine. C’est le triomphe de l’action individuelle : c’est le héros qui fait l’histoire comme disait Maurras, pas les masses populaires comme le disaient Marx et les communistes d’ Hollywood. C’était d’ailleurs le film préféré du président Eisenhower et R. Reagan déclara apprécier ce film comme porteur des valeurs de la nation américaine.


    D’ailleurs, cela montre la monstruosité de la chasse aux sorcières : un scénariste communiste était capable de construire des films édifiants pour le bon peuple, ce dernier fût-il méprisable.

 NB. Dans la série "the Sopranos", Tony Soprano -le boss - pose la question : mais où est passé Gary Cooper ? Il s'agit bien de celui de High noon, celui qui se défend seul , fait face seul à l'adversité, celui qui n'a besoin d’aucune aide. Bref, Tony appelle au secours l'Amérique, la vraie. John Wayne était donc bien un imbécile.



[1] « définitif » parce qu’aucun remake qui a été ou qui sera ne pourra jamais égaler cette performance d’acteur : élégance, maitrise de soi, force intérieure mais qui laisse parfois la place -car ce n'est pas une tête-brûlée - à la crainte sinon à la peur. Magnifique.

[2] Il est à noter que Rio Bravo reprendra cette idée d’un saloon majoritairement fréquenté par les ennemis du sheriff.

[3] La première a eu lieu lors des années 1920’ avec l’arrivée des immigrants méditerranéens -donc ni anglo-saxon, ni protestants - (affaire Sacco et Venzetti).

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