à lire au préalable : Le PÉKIN des empereurs.
Ce film utilise un fait historique bien réel : la
révolte des Boxers contre la présence des étrangers, en l’occurrence de 11 pays,
au sein même de la Ville intérieure de Pékin, capitale de ce qui est encore
l’empire chinois. Ces légations vivaient dans un quartier qui leur était
réservé et qui fut assiégé par les Boxers du 20 juin au 14 août 1900, soit une
durée de 55 jours.
C’est la super production hollywoodienne par excellence
et, somme toute, assez peu récompensée. Elle réunit Charlton Heston, Ava
Gardner et David Niven, comme têtes d’affiches. Mais il y a des centaines de
figurants et une partie de la ville a été construite ex-nihilo, à
quelques kilomètres de … Madrid. Les figurants chinois
venaient de toute l’Europe. Ava Gardner, en revanche, était chez elle :
elle avait décidé de s'installer en Espagne, sous le régime franquiste,
faisant l'attrait des nuits madrilènes.
Le metteur en scène Nicholas Ray prend beaucoup de
libertés avec l’histoire et la géographie de Pékin. Les critiques aussi
d’ailleurs. Ainsi, le journal VSD écrivit le 2 juin 1963 : "Pendant
deux heures trente, on plonge avec délices et frissons au cœur de la Cité
Interdite". Or, les protagonistes, Boxers ou Étrangers, ne
mettent jamais les pieds dans la Cité interdite. Le quartier des Légation était
situé entre l’enceinte fortifiée de la ville tartare et la Cité impériale, la
Cité interdite étant elle-même à l’intérieure de la Cité impériale. Il faut
lire mon article sur le Pékin des empereurs Le PÉKIN des empereurs. pour comprendre. Je rajoute
cette autre reproduction du quartier des légations ; document sur lequel
on peut lire "
Wall of tartar city" . On
franchit la muraille grâce à une porte qui mène à "Entrance to Palace".
En fait, cette porte -dont le nom est orthographié Qianmen sur le document ci-dessus est
celle de la Muraille de la "ville chinoise" qui jouxte la muraille de
la "ville tartare", dont la porte est, elle, dénommée Zhengyangmen. Jamais ces portes n’ont été
aux mains des Légations et aucune d’elle ne portait cette surélévation qui
ressemble aux sabords d’un grand voilier[1].
Mises
à part ces nombreuses inexactitudes, le film rend assez bien compte des
combats
qui ont pu avoir lieu pendant ces 55 jours. Par exemple, cette tour
d’assaut a été construite pour les besoins du film (source : Enc.
Universalis).. Mais comment faire un film qui dure
2 heures 30 minutes ?
-
d’abord, il faut une histoire de femmes. C’est Ava Gardner qui y est affectée.
Elle joue un concours de chapeaux dignes du derby d’Ascot et de My fair Lady. Elle est méprisée par le
tout-Pékin colonialiste et on tarde à savoir pourquoi. C’est une baronne russe
qui avait épousé un brillant officier du Tsar - "qui
l’avait remarqué"
comme on disait à la cour de Louis XIV -
mais qu’elle a trompé. Le jeune espoir de l’armée russe s’en est suicidé. Pire,
elle l’a trompé avec un général… chinois ! la pécheresse ! Mais elle
va souffrir pour assurer sa rédemption. Pendant les 55 jours elle deviendra
infirmière, collaboratrice indispensable du vieux médecin-chef, elle ira
jusqu’à vendre un collier à la valeur inestimable pour acheter des drogues et
autres médicaments. Une balle perdue la rencontrera. Aucun intérêt historique
ni, d’ailleurs cinématographique.
-
ensuite, il y a la petite métisse, fruit des amours d’un capitaine américain et
d’une Chinoise morte au moment des évènements. Le capitaine va mourir à son
tour : est-ce que le major des Marines (Charlton Heston) va se laisser
attendrir et s’occuper de la fille de son ami et compagnon d’armes ? Oui.
Mais, si l’intérêt historique est nul là aussi, disons que l’évolution
psychologique du Major est bien suivie, crédible. Baroudeur, qui ne conduit pas
sa vie mais se laisse déplacer au gré des nominations par son État-major, il
sort peu à peu de sa carcasse et découvre le sentiment d’affection pour un
enfant, ici, une charmante petite chinoise. Il l’emmène aux States, après la
victoire.
-
autre moyen de faire durer : le coup de main, tenté et réussi par quelques
aventuriers assiégés. Parmi eux le Major, bien entendu, déguisé en bandit de
grands chemins - mais il s’agit d’aller faire sauter un arsenal impérial en
passant par les égouts de Pékin - mais aussi l'ambassadeur britannique, Sir Arthur Robertson (D. Niven). Et là, c’est
invraisemblable. L’ambassadeur britannique, chef de la Légation de son pays est
aussi l’ambassadeur des ambassadeurs, c'est-à-dire qu’il parle à l’Impératrice
au nom de toutes les Légations présentes à Pékin. L’imagine-t-on un instant se
déguiser en baroudeur et aller faire sauter l’arsenal ? Quel risque
pris ! Quelle conséquence en cas d’échec et de prise par l’ennemi !
L’ambassadeur de sa majesté la reine Victoria, Impératrice des Indes, pris la
main dans le sac à poudre pour faire exploser un arsenal de l’empire du
Milieu ? Mais bon, il fallait sans doute donner à D. Niven autant de temps
de passage à l’écran qu’à Charlton Heston…
-
encore un moyen, ce qu’on pourrait appeler "le
quart d’heure américain". J’en ai parlé dans l’analyse des Canons de Navarone, dans chaque film de
guerre américain de cette époque, il y a un discours moralisateur parfaitement
déplacé sinon ridicule. Là, le fils de l’ambassadeur anglais est touché par une
balle perdue. Son pronostic vital est engagé. On imagine les dialogues, sur la
mort d’un enfant en pleine guerre, l’innocence frappée par la violence aveugle,
et à l’étranger ! loin de sa terre natale ! et à qui profitera sa
mort, à personne, c’est une mort inutile, etc… et dans ce film, nous sommes
gratifiés d’un second quart d’heure durant lequel, D. Niven, ambassadeur de sa
Majesté, prend un coup de blues et s’interroge gravement : qui
suis-je ? (sic), suis-je un raté ? ai-je cherché à éviter la
guerre ? heureusement, son épouse le console.
Revenons
au fond. Ce film est sorti en 1963, en pleine guerre froide et la Chine-Pékin
n’a pas d’existence diplomatique pour les Occidentaux -sauf pour les Anglais à
cause de Hong-Kong -. Les Américains ne connaissent que la Chine-Taïwan qui
dispose du siège permanent à l’ONU avec droit de veto. Pour les États-Unis et leurs féaux le gouvernement de Pékin
est illégitime, usurpateur, etc... La France de De Gaulle reconnaitra le gouvernement de Pékin en 1964.
Le film montre à la fois la mésentente entre
les Occidentaux au sein du quartier des Légations où, par exemple, chaque
fanfare militaire interprète son hymne national en même temps que le voisin ce
qui donne une cacophonie drolatique et montre la nécessité de s’unir pour faire face
au danger de la multitude chinoise. Le film insiste sur le nombre. Le Major
conclut le film en disant à l’ambassadeur anglais : "vous nous avez unis, c’est peut-être un
début, les gens s’en souviendront un jour…". Les Chinois sont présentés sous un éclairage
violent : ce sont des coupeurs de têtes avec exécution sans autre forme de
procès, alors que le coupable de l’assassinat de l’ambassadeur allemand le 20
juin, est dans la salle, aux côtés de l’impératrice et n’est donc pas ni jugé
ni exécuté…
Source
de la photo : Encyclopaedia Universalis. NB. La révolte des Boxers
s'était déroulée dans presque toute le Chine et pas seulement à Pékin.
Le film n'évoque jamais cette violence impérialiste. Mais de façon générale ce film est parfaitement intolérable parce
qu’il est occidental : il ne dit pratiquement jamais que les Occidentaux
sont en train de dépecer la Chine, de l’exploiter sans vergogne, que les
patriotes/nationalistes chinois qui ne supportent plus cette présence étrangère
sont dans leur bon droit. Certes, il y a plus sympa dans la vie que la secte
des Boxers, xénophobes, réactionnaires, violents, etc… mais enfin, les
Occidentaux et Japonais recueillent le fruit de leurs turpitudes. L’ambassadeur
anglais dit un moment pour justifier son combat : "On se bat pour un principe !"
Lequel ? Je ne vois pas trop. Les Occidentaux coupent aussi de nombreuses
têtes chinoises pendant le conflit.
Le journal Le Monde qui présente ce film écrit "en 1900, à Pékin, le soulèvement des Boxers
menace la stabilité du pays" … De quoi s’esclaffer. Depuis les guerres
de l’opium, scandaleuses, honteuses, la Chine est assaillie de toutes parts par
les Anglais, les Français, les Russes, les Allemands, les Américains, les
Japonais…La Chine humiliée : les traités inégaux (1839 - 1864) 2ème partie et ce seraient les Boxers qui déstabiliseraient le pays ? Comme
dit, dans un dialogue - l’Impératrice Tseu-Hi "La Chine ne peut pas tomber plus bas". Rare seconde de
lucidité des auteurs du film.
L’Impératrice est magistralement interprétée par
Flora Robson avec mention spéciale pour ses costumiers et maquilleuses, et
Robert Helpmann est plus vrai que nature dans le rôle du ministre belliciste le
prince Tuan.
La photo ci-dessus est extraite du manuel ISAAC .
Ci-contre, Flora Robson et son ministre TUAN dont l'ornement des doigts montre son mépris du travail manuel.
En conclusion, rappelons qu’on ne peut pas
comprendre grand chose si l’on ignore tout de la structure de la capitale
chinoise et de l’emplacement du quartier de Légations en son sein ainsi que la
proximité géographique du port maritime de Tien-tsin.
Voici
la photo (prise avant 1914) d'une porte de Pékin-ville tartare (porte
de Fuchengmen) qui a inspiré les décorateurs du film :
:
et voici maintenant les sabords du flanc d'un navire : (supprimés faute de place).
[1]
Sabord : ouverture dans le flanc d'un navire, par laquelle passent
les fûts de canons, les avirons ou simplement une prise d'air. Aussi : Ouverture
quadrangulaire pratiquée dans la muraille d’un vaisseau et par laquelle le
canon tire.
Pour ceux qui aiment les portes de Pékin :http://parisbeijing.over-blog.com/article-5500541.html