Ce
film célèbre que l’on a vu trois ou quatre fois, présente un intérêt historique
que je voudrais souligner ici. Les trois hommes qui se battent pour la
découverte du trésor le font en ignorant presque totalement le formidable enjeu
qui se déroule à leur côté : la Guerre civile américaine. Parfaitement
je-m’en-foutistes du sort des esclaves et de la suprématie -ou non- des yankees,
ils sont rattrapés par la guerre dont ils vivent les horreurs ou plutôt dont
ils regardent les horreurs.
A
un moment du scénario, le bon et le truand sont unis contre la brute et
ses
hommes. La confrontation a lieu comme dans tout bon western dans la rue
principale. Cela se passe dans les ruines d’une petite ville entièrement
bombardée. Les éclats d’obus trouent la grand-rue et, de la fumée noire,
sort la
silhouette du truand. Métaphore pour dire que, de l'indicible, sortira
un monstre. Il n’y aura pas de rédemption. L’enjeu pour les trois
hommes reste la cassette remplie de 200.000 dollars en or, somme dérobée
aux sudistes.
Autre
moment fort qui a demandé un gros travail de mise en scène et la participation
de centaines de figurants : l’attaque du pont. Il y a là un petit Verdun
local : pour les deux états-majors, nordiste et sudiste, ce pont est
stratégique. Ainsi en a-t-il été décidé. Il faut le prendre. Il y a donc deux
attaques par jour, avec tirs d’artillerie lourde, rafales de mitrailleuse
(c’est la guerre de Sécession qui a permis la mise au point de cette nouvelle
arme). Les soldats sortent de leurs tranchées - la comparaison avec celles de
1915 est frappante - et la faucheuse fait son travail d’anéantissement. C’est
le massacre bi-quotidien. La guerre civile américaine fut en effet
particulièrement meurtrière. En
utilisant ce « bon marqueur (sic) que constitue la moyenne des pertes
journalières » (S. Audouin-Rouzeau), on peut comparer : la guerre
de Sécession a fait 480 morts par jour ; les États-Unis ont perdu 195
morts par jour de 1917 à 1918 (…) et 123/jour de 1941 à 1945. Pour la
Grande-Bretagne, pour les deux guerres mondiales, les chiffres sont
respectivement de 457/j et 147/j [1].
Le
capitaine nordiste a cette pensée hétérodoxe : faire sauter le pont et le
massacre cessera, mais il n’ose passer à l’acte. Blondin (le bon) et Tuco (le
truand) le feront. Oh ! leur geste n’est pas humanitaire… Le problème pour
eux est que le coffre aux pièces d’or se trouve côté sudiste. Lorsque le pont
aura sauté, les sudistes se replieront et le cimetière au trésor sera libre
d’accès.
.Les
camps de concentration
Les
Américains vont innover en créant les camps de concentration pour les
prisonniers militaires. Et cela aussi bien au Sud qu’au Nord.
Les
Confédérés entassent les prisonniers nordistes dans plusieurs camps dont un va
devenir tristement célèbre : Andersonville (Géorgie), lequel est cité dans
le film. C’est un camp avec fils de fer barbelés, guérites, etc.…, conçu pour
recevoir 13.000 hommes et qui en contint plus du double avec une
"pointe" à 32.000 détenus.
« En quatorze mois, 13.000 soldats auront succombé à la faim, la soif, la
maladie, des conditions d’hébergement abominables, buvant l’eau d’un bras de la
rivière Sweetwater, pollué par les
rejets de la boulangerie située à l’extérieur, en amont, et traversant le camp
en un filet d’eau saumâtre dans lequel sont rejetées poubelles, immondices et
matières fécales ».
Le
camp est dirigé par le capitaine Wirz qui laisse les prisonniers à la merci de
véritables kapos qui font régner leur ordre à l’intérieur du camp. Dans le
film, le responsable du camp est soucieux de l’honneur de l’armée du Nord mais,
blessé, il doit laisser le commandement de fait à Sentenza, la brute, et au
caporal Wallace (Mario Brega qui a le
physique de l’emploi).
« les blessures mal ou pas soignées, les mauvais traitements, les
brimades des gardiens, l’arrêt du programme d’échange de prisonniers, mais
aussi les luttes intestines entre prisonniers organisés en groupes rivaux
érigeant de véritables tribunaux et exerçant une justice sauvage sous l’œil
amusé du commandant du camp, le capitaine Wirz –qui favorisera l’érection d’un
gibet où sont pendus des prisonniers jugés par d’autres prisonniers – seront
responsables pour leur part de centaines de morts »[2].
Dans
son film, Sergio Leone reconstitue l’ambiance terrifiante d’un camp où l’on
oblige des détenus à chanter de plus en plus fort pour couvrir les cris d’un
prisonnier que l’on torture. Cette scène est inspirée de faits réels, notamment
les camps nazis
Mais
le cinéaste a voulu représenter un camp de prisonniers nordiste, il estima, en effet,
que l’on parlait trop d’Andersonville et pas assez des camps yankees. Car le
crime fut partagé. Le camp de concentration nordiste le plus connu et le pire
fut celui de l’État de New York : Elmira [3]. Les
conditions y étaient tellement épouvantables que les détenus sudistes le
surnommèrent Hellmira (Hell
signifiant enfer en anglais). Sur
12.000 prisonniers, près de 3.000 moururent dans les mêmes conditions que ceux
d’Andersonville. L’originalité d’Elmira c’est qu’il fut, sous réserve
d’inventaire, l’un des premiers zoos humains. L’administration du camp autorisa
en effet des mercantis à monter des estrades à l’extérieur des barbelés d’où
les visiteurs, moyennant finance bien entendu, pouvaient contempler les
souffrances sudistes. Il y a des choses qui ne s’inventent pas. Il n’y a pas de
petits profits non plus. Surtout lorsque l’on est prédestinés à devenir riches.
A
la fin du conflit, le capitaine Wirz sera le seul officier sudiste que les
Nordistes feront exécuter pour crimes de guerre. Le procès a montré ses actes
de violence et de sadisme.
Si
ces morts ne relèvent pas d’une politique délibérée d’extermination, on peut
affirmer que la négligence coupable et le mépris invétéré des bourreaux à
l’égard de leurs victimes sont responsables. Là encore, on peut
s’interroger : pourquoi tant de haine au sein de ce qui était, somme
toute, un même peuple. Je ne parle pas ici de la haine à l’égard des Noirs qui
relève d’une autre problématique mais de la haine entre WASP : entre white anglo-saxons et protestants… Ces camps restent une tache
indélébile dans l’histoire des États-Unis. Histoire honteuse dont on ne parle
pas ou peu [4].
Dans son ouvrage célébrissime sur les
origines du totalitarisme, Hannah Arendt écrit que « les camps apparaissent pour la première fois
au début du (XX°) siècle, pendant la guerre des Boers »[5].
Elle omet ces camps américains. Mais elle écrit son ouvrage en pleine Guerre
froide (1951), il n’était sans doute guère opportun de malmener le pays dont
elle venait de prendre la citoyenneté.
L’observateur
attentif pourra donc constater une bonne mise en scène de la Guerre de
Sécession chez S. Leone. Mais attention, ce n’est pas un film de guerre ! Mis
aux côtés d’un évènement de l’histoire mondiale, nos trois « héros » ne
pensent qu’à leurs pièces d’or. Ils font penser à Thénardier, un misérable, qui
fait les poches des morts et blessés sur le champ de bataille de Waterloo. L’histoire
aboie, mais la caravane des chiens poursuit son chemin.
Pessimisme
fondamental de Leone que l’on a trouvé déjà dans son "Il était une fois la révolution". Il était une fois…la révolution (S. Leone, 1971)
[1]
Cf. « la violence de guerre,
1914-1945 », article de S.
AUDOUIN-ROUZEAU, éditions COMPLEXE. (Pour la guerre de Sécession, il
s’agit d’un calcul personnel).
[2]
Roger MARTIN, Dictionnaire iconoclaste des États-Unis, entrée Andersonville. Éditions Le Cherche midi.
[4]
Sauf inattention de ma part, Bruce CATTON
ne parle pas une seule fois des camps dans les six cents pages de son livre
« la guerre de Sécession ».
[5]
Le système totalitaire, Seuil
éditeur, coll. Essais. Réimpression 1995.