Le bon, la brute et le truand... Sergio Leone (1966)

publié le 14 juin 2019, 06:42 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 29 juil. 2019, 14:17 ]
publié le 20 août 2013 à 15:40 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 21 juin 2015 à 17:27 ]
   

    Ce film célèbre que l’on a vu trois ou quatre fois, présente un intérêt historique que je voudrais souligner ici. Les trois hommes qui se battent pour la découverte du trésor le font en ignorant presque totalement le formidable enjeu qui se déroule à leur côté : la Guerre civile américaine. Parfaitement je-m’en-foutistes du sort des esclaves et de la suprématie -ou non- des yankees, ils sont rattrapés par la guerre dont ils vivent les horreurs ou plutôt dont ils regardent les horreurs.

    A un moment du scénario, le bon et le truand sont unis contre la brute et ses hommes. La confrontation a lieu comme dans tout bon western dans la rue principale. Cela se passe dans les ruines d’une petite ville entièrement bombardée. Les éclats d’obus trouent la grand-rue et, de la fumée noire, sort la silhouette du truand. Métaphore pour dire que, de l'indicible, sortira un monstre. Il n’y aura pas de rédemption. L’enjeu pour les trois hommes reste la cassette remplie de 200.000 dollars en or, somme dérobée aux sudistes.

    Autre moment fort qui a demandé un gros travail de mise en scène et la participation de centaines de figurants : l’attaque du pont. Il y a là un petit Verdun local : pour les deux états-majors, nordiste et sudiste, ce pont est stratégique. Ainsi en a-t-il été décidé. Il faut le prendre. Il y a donc deux attaques par jour, avec tirs d’artillerie lourde, rafales de mitrailleuse (c’est la guerre de Sécession qui a permis la mise au point de cette nouvelle arme). Les soldats sortent de leurs tranchées - la comparaison avec celles de 1915 est frappante - et la faucheuse fait son travail d’anéantissement. C’est le massacre bi-quotidien. La guerre civile américaine fut en effet particulièrement meurtrière.    En utilisant ce « bon marqueur (sic) que constitue la moyenne des pertes journalières » (S. Audouin-Rouzeau), on peut comparer : la guerre de Sécession a fait 480 morts par jour ; les États-Unis ont perdu 195 morts par jour de 1917 à 1918 (…) et 123/jour de 1941 à 1945. Pour la Grande-Bretagne, pour les deux guerres mondiales, les chiffres sont respectivement de 457/j et 147/j  [1].

    Le capitaine nordiste a cette pensée hétérodoxe : faire sauter le pont et le massacre cessera, mais il n’ose passer à l’acte. Blondin (le bon) et Tuco (le truand) le feront. Oh ! leur geste n’est pas humanitaire… Le problème pour eux est que le coffre aux pièces d’or se trouve côté sudiste. Lorsque le pont aura sauté, les sudistes se replieront et le cimetière au trésor sera libre d’accès. 

.Les camps de concentration

    Les Américains vont innover en créant les camps de concentration pour les prisonniers militaires. Et cela aussi bien au Sud qu’au Nord.

    Les Confédérés entassent les prisonniers nordistes dans plusieurs camps dont un va devenir tristement célèbre : Andersonville (Géorgie), lequel est cité dans le film. C’est un camp avec fils de fer barbelés, guérites, etc.…, conçu pour recevoir 13.000 hommes et qui en contint plus du double avec une "pointe" à 32.000 détenus.

« En quatorze mois, 13.000 soldats auront succombé à la faim, la soif, la maladie, des conditions d’hébergement abominables, buvant l’eau d’un bras de la rivière Sweetwater, pollué par les rejets de la boulangerie située à l’extérieur, en amont, et traversant le camp en un filet d’eau saumâtre dans lequel sont rejetées poubelles, immondices et matières fécales ».

    Le camp est dirigé par le capitaine Wirz qui laisse les prisonniers à la merci de véritables kapos qui font régner leur ordre à l’intérieur du camp. Dans le film, le responsable du camp est soucieux de l’honneur de l’armée du Nord mais, blessé, il doit laisser le commandement de fait à Sentenza, la brute, et au caporal Wallace  (Mario Brega qui a le physique de l’emploi).

« les blessures mal ou pas soignées, les mauvais traitements, les brimades des gardiens, l’arrêt du programme d’échange de prisonniers, mais aussi les luttes intestines entre prisonniers organisés en groupes rivaux érigeant de véritables tribunaux et exerçant une justice sauvage sous l’œil amusé du commandant du camp, le capitaine Wirz –qui favorisera l’érection d’un gibet où sont pendus des prisonniers jugés par d’autres prisonniers – seront responsables pour leur part de centaines de morts »[2].

    Dans son film, Sergio Leone reconstitue l’ambiance terrifiante d’un camp où l’on oblige des détenus à chanter de plus en plus fort pour couvrir les cris d’un prisonnier que l’on torture. Cette scène est inspirée de faits réels, notamment les camps nazis

    Mais le cinéaste a voulu représenter un camp de prisonniers nordiste, il estima, en effet, que l’on parlait trop d’Andersonville et pas assez des camps yankees. Car le crime fut partagé. Le camp de concentration nordiste le plus connu et le pire fut celui de l’État de New York : Elmira [3]. Les conditions y étaient tellement épouvantables que les détenus sudistes le surnommèrent Hellmira (Hell signifiant enfer en anglais). Sur 12.000 prisonniers, près de 3.000 moururent dans les mêmes conditions que ceux d’Andersonville. L’originalité d’Elmira c’est qu’il fut, sous réserve d’inventaire, l’un des premiers zoos humains. L’administration du camp autorisa en effet des mercantis à monter des estrades à l’extérieur des barbelés d’où les visiteurs, moyennant finance bien entendu, pouvaient contempler les souffrances sudistes. Il y a des choses qui ne s’inventent pas. Il n’y a pas de petits profits non plus. Surtout lorsque l’on est prédestinés à devenir riches.

    A la fin du conflit, le capitaine Wirz sera le seul officier sudiste que les Nordistes feront exécuter pour crimes de guerre. Le procès a montré ses actes de violence et de sadisme.

    Si ces morts ne relèvent pas d’une politique délibérée d’extermination, on peut affirmer que la négligence coupable et le mépris invétéré des bourreaux à l’égard de leurs victimes sont responsables. Là encore, on peut s’interroger : pourquoi tant de haine au sein de ce qui était, somme toute, un même peuple. Je ne parle pas ici de la haine à l’égard des Noirs qui relève d’une autre problématique mais de la haine entre WASP : entre white anglo-saxons et protestants… Ces camps restent une tache indélébile dans l’histoire des États-Unis. Histoire honteuse dont on ne parle pas ou peu [4]. Dans son ouvrage célébrissime sur les origines du totalitarisme, Hannah Arendt écrit que « les camps apparaissent pour la première fois au début du (XX°) siècle, pendant la guerre des Boers »[5]. Elle omet ces camps américains. Mais elle écrit son ouvrage en pleine Guerre froide (1951), il n’était sans doute guère opportun de malmener le pays dont elle venait de prendre la citoyenneté.

 

    L’observateur attentif pourra donc constater une bonne mise en scène de la Guerre de Sécession chez S. Leone. Mais attention, ce n’est pas un film de guerre ! Mis aux côtés d’un évènement de l’histoire mondiale, nos trois « héros » ne pensent qu’à leurs pièces d’or. Ils font penser à Thénardier, un misérable, qui fait les poches des morts et blessés sur le champ de bataille de Waterloo. L’histoire aboie, mais la caravane des chiens poursuit son chemin.

    Pessimisme fondamental de Leone que l’on a trouvé déjà dans son "Il était une fois la révolution". Il était une fois…la révolution (S. Leone, 1971)

 




[1] Cf. « la violence de guerre, 1914-1945 », article de S. AUDOUIN-ROUZEAU, éditions COMPLEXE. (Pour la guerre de Sécession, il s’agit d’un calcul personnel).

[2] Roger MARTIN, Dictionnaire iconoclaste des États-Unis, entrée Andersonville. Éditions Le Cherche midi.

[3] Consulter le site www.cityofelmira.net

[4] Sauf inattention de ma part, Bruce CATTON ne parle pas une seule fois des camps dans les six cents pages de son livre « la guerre de Sécession ».

[5] Le système totalitaire, Seuil éditeur, coll. Essais. Réimpression 1995.

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