"La vie est belle", Frank CAPRA, 1946

publié le 29 déc. 2020, 03:07 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 29 déc. 2020, 03:42 ]

une ode à la solidarité

Lundi 21 Décembre 2020

    Ignoré lors de sa sortie en salles, ce mélo de Frank Capra devenu un grand classique des fêtes de fin d’année distille un puissant shoot de bonheur et d’entraide en ces temps troublés.

    Des étoiles scintillent au firmament. Sur terre, George Bailey est prêt à sauter d’un pont. Comment ce père de famille modèle en est-il arrivé là ? Les anges veillant sur sa destinée vont remonter le fil de sa vie. Passé sous les radars lors de sa sortie en 1946, La vie est belle est ensuite devenu LE classique du réveillon de Noël. Diffusée tous les ans à la télévision américaine, cette madeleine de Proust fait partie de ces œuvres touchées par la grâce. Frank Capra, Sicilien d’origine, réalise un mélo émouvant et jamais niais comme Hollywood en avait le secret. Son personnage principal va traverser les joies et surmonter les peines de cette première moitié de XX e siècle.

    Figure sacrificielle

Interprété par James Stewart, plus connu en France pour ses multiples collaborations avec Alfred Hitchcock, George Bailey coche toutes les apparences du parfait American Way of Life. Son épouse, séduite par son humour taquin lors d’une scène culte où elle se retrouve nue dans un buisson, quatre beaux enfants et son travail sont sources de fierté. L’homme se dédie corps et âme à une seule mission : fournir des prêts à taux décents aux concitoyens pour combattre le mal-logement. En face, un banquier véreux nommé Potter ne songe qu’à faire prospérer le paradis des taudis. Mais l’idéaliste, en quête d’aventures lointaines, va progressivement incarner une figure sacrificielle, quasi christique dans son abnégation. Renonçant à ses rêves pour sauver l’entreprise familiale, il ne quittera jamais Bedford Falls.

    Instants poétiques et danses endiablées

Deux visions de l’Amérique s’opposent ici. Capra, qui tourna des films de propagande durant la Seconde Guerre mondiale, a choisi son camp en transcendant le pire. Équilibriste des émotions, cinéaste de la convivialité, ce catholique fervent veut croire en une époque où le bien et l’optimisme triomphent. Les danses de charleston endiablées, les conversations enflammées et les chants résonnent aussi de la légèreté retrouvée de l’après-guerre. Les instants poétiques, notamment quand George veut décrocher la lune à sa promise, ou encore la dinde rôtissant dans la cheminée d’une maison délabrée grâce à un ingénieux système de tourne-disque, ajoutent une touche de fantaisie à ce conte moral.

La réaction du héros le jour du krach de Wall Street en 1929 résume à elle seule la posture humaniste du metteur en scène. Alors que les titulaires d’un prêt veulent récupérer leur argent, George Bailey refuse et propose de leur distribuer, avec l’aide de sa femme, les 2 000 dollars économisés pour leur voyage de noces. Mais une autre catastrophe, la perte d’une enveloppe de 8 000 dollars par son oncle, pourrait à nouveau tout faire basculer…

Icon Quote Un homme ne connaît pas l’échec s’il a des amis.

Grâce à l’irruption de l’ange de seconde classe Clarence, « au QI de lapin », le bienfaiteur va pouvoir mesurer la cruauté d’un monde sans lui. Frank Capra, qui croit dur comme fer aux lendemains américains qui chantent, met un pied dans le fantastique pour professer : « Un homme ne connaît pas l’échec s’il a des amis. » Le happy end – fin joyeuse –, concentré de bons sentiments et d’embrassades, sans dépasser la dose prescrite, reste dans les annales du cinéma antidépresseur. En ces temps troublés, ce shoot d’espoir, doublé d’une puissante réflexion sur la solidarité, devrait accomplir un petit miracle : réchauffer les cœurs les plus meurtris.


Frank Capra, une légende trop belle pour être vraie

Lundi 28 Décembre 2020

    Le réalisateur américain a beaucoup enjolivé ses souvenirs dans ses Mémoires. Dimitri Kourtchine revient sur ce qu’il a apporté au cinéma et sur son parcours d’homme.

    Frank Capra est l’auteur de films bouleversants qui comptent dans l’histoire du cinéma. Et un homme en perpétuelle réinvention de sa propre histoire. Dans son épatant documentaire (1), Dimitri Kourtchine raconte, archives à la clé, comment le réalisateur phare des années 1930-1940 s’est identifié à une Amérique vécue comme glorieuse et mythique.

Une vision idyllique de l’american way of life

    Et le travail de Dimitri Kourtchine touche à la fois par la richesse de ses archives, la rigueur de ses recherches et la fluidité de sa narration. En partant de l’autobiographie de Frank Capra, Hollywood Story, il démonte les raccourcis et la réalité très enjolivée que le réalisateur s’est et a racontée. Le petit garçon italien, qui a débarqué à 6 ans avec sa famille aux États-Unis, a connu la misère, enfant.

S’il met ses succès sur le dos de la providence et d’une Amérique qui donne sa chance à tous, la réalité est tout autre : il fut un acharné du travail, qui a su saisir les bonnes opportunités et s’entourer des bonnes personnes. Il fut aussi le premier réalisateur à s’imposer comme auteur de ses films, avec sur les affiches son nom en grosses lettres au-dessus du titre. Républicain, il a participé à une vision idyllique de l’american way of life (le mode de vie américain). Et n’a pas hésité à lâcher ses amis au moment de la chasse aux sorcières de McCarthy dans l’immédiat après-guerre.

Des films qui touchent au coeur

Mais ses films, aujourd’hui encore, touchent au cœur. Ses personnages, auxquels chacun peut s’identifier, ont toujours une force cachée derrière leur apparente fragilité. Et pas mal d’humour, aussi. Comme dans La Vie est belle, diffusé à 20 h 50, où le héros du film, George Bailey (James Stewart), veut mettre fin à ses jours quand un ange gardien lui montre à quoi ressemblerait sa ville, et la vie de ses proches, s’il n’avait pas vécu. Ou dans Mr Smith au Sénat, où un simple citoyen se bat contre la corruption organisée du système. Dans l’Extravagant Mr Deeds, où un garçon tout simple (Gary Cooper) triomphe d’avocats véreux par son honnêteté…


(1) "Frank Capra, il était une fois l'Amérique", diffusé sur ARTE, mardi 29 décembre 2020.


NB. lire aussi : "Lady for a day", Frank Capra, 1933.

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