L’Institut Lumière de Lyon
a programmé pour la période d’avril-mai 2012, La
captive aux yeux clairs (The Big Sky) de Howard Hawks.
Il présente le film de la
manière suivante : « la fille d’un chef indien provoque la rivalité
entre deux amis aventuriers … Un chef-d’œuvre de Hawks, d’une simplicité et
d’une beauté admirables, un grand film sur l’amitié masculine et le
désir. ».
C’est d’abord selon moi un
beau western, au sens premier c’est-à-dire un film qui a pour cadre le Far
West, « l’extrême-occident » comme on ne dit pas [1].
Sans tout dévoiler, disons que le scénario raconte les aventures d’un pionnier
qui, sur son bateau le Mandan,
remonte à partir de St-Louis, l’affluent du Mississippi, le Missouri. L’action
se déroule en 1832. Le pionnier s’appelle Jourdonnais, nom à connotation
française mais n’est-ce-pas le cas de Saint-Louis également ? Le cadre
géographique choisi est celui de l’ancienne Louisiane française qui intégrait
tout le bassin-versant du Missouri-Mississippi jusqu’au haut des Montagnes Rocheuses.
Louisiane vendue pour une bouchée de pain par Bonaparte. Jourdonnais parle
français dans le film original.
Il fallait à Jourdonnais
un équipage. Le trappeur Deakins (Kirk Douglas) et son nouveau copain Boone
Caudill fuient les prisons de St-Louis et partent à l’aventure qui leur est
proposée par l‘oncle de Boone, un vieil aventurier qui, lui, a tout connu.
Tout cela renvoie à l’analyse que fait H. Arendt sur la nature sociale de ceux qui
ont conquis l’Amérique. Mais, ici, nos deux protagonistes sont de bons bougres.
Les aléas du voyage font que l’on découvre à bord du bateau la présence d’une
femme - épreuve redoutable pour le capitaine Jourdonnais qui voulait dissimuler
sa présence, sachant bien que dans cet univers masculin clos cette présence
ouvrira une compétition qui peut être fatale à son expédition. Cette femme est
une indienne, aux yeux bleus -d’où le titre français du film- belle et
mystérieuse. L’amitié de Daekins et Caudill est exposée à ce risque car on se
doute que nos deux stars hollywoodiennes ne vont pas être insensibles aux
charmes de Teal Eye (Yeux bleus).
Film d’aventure, La captive aux yeux clairs raconte la
remontée du Missouri. Jourdonnais veut
commercer avec une tribu indienne des Rocheuses, tribu de chasseurs qui vendent
des peaux de bête recherchées. Si l’expédition réussie, la fortune à vie est
assurée non seulement pour Jourdonnais mais pour tout l’équipage. H. Hawks
reprend le célébrissime scénario du roman de Joseph Conrad Heart of Darkness, titre original du roman « Au cœur des ténèbres ».
Nul n’ignore plus que ce scénario a fourni la trame à Apocalypse Now. Mais, historiquement, il semble bien que ce
soit Hawks et son scénariste qui ont eu les premiers l’idée de porter à l’écran
cette trouvaille [2]. Un autre film utilise les
mêmes ressorts dramatiques : Aguirre ou la colère de Dieu. Mais dans ce
cas, le radeau descend le fleuve amazonien pour aller aux devants de multiples
dangers au lieu de le remonter comme dans le roman africain de Conrad.
Donc tout y passe et l’atmosphère dramatique est à
chaque fois bien rendue : au fur et à mesure que le Mandan
progresse les ennuis se multiplient. Remonter un fleuve de montagne c’est
forcément rencontrer des rapides tumultueux et le bateau s’échoue sur la rive,
c’est rencontrer des Indiens hostiles - les Crows- qui se cachent derrière les
arbres et courent aussi vite que le bateau qui peine à vaincre le courant
contraire. Ces Indiens sont hostiles car ils sont, en réalité, stipendiés par
une compagnie opposée à l’expédition de Jourdonnais. La Compagnie des
Fourrures va tout entreprendre pour faire échouer l’entreprise. Et comme
elle est constituée de bandits, on imagine ses méthodes. Mais encore une fois,
la conquête de l’Ouest américain ne fut pas le fait de braves gens munis de
leur seule Bible. Donc le bateau progresse lentement à travers moult
difficultés haletantes et, enfin, il arrive à son Eden, son paradis, son
Canaan. Fortune sera faite (et fête aussi, bien sûr).
Je n’évoque pas la fin du film sur le qui des deux
héros aura l’amour de la belle indienne. Laissons le suspense à ceux qui n’ont
pas vu le film.
Les Yankees ont
pris très au sérieux la « quête du
bonheur ». Avec La captive aux yeux clairs nous avons sous les yeux une version soft de cette quête : L’action se
déroule dans les années 1840’. Les luttes décisives contre les Indiens des
Grandes Plaines sont encore loin. Le capitaine Jourdonnais réussit dans son
entreprise d’aller chercher peaux et fourrures chez les Indiens Pieds-Noirs de
la haute vallée du Missouri. Il en revient très riche, lui et tout l’équipage [3]. « Oui,
mais vous aussi. Tout le monde est riche » dit-il. Que feras-tu
de cet argent lui demande-t-on. « Ah !
Ça…Je n’avais jamais pensé que je serais riche. Et voilà ! J’achèterai une
maison à ma femme. Les aventures, c’est fini, je reste à la maison avec ma
femme. Puis, j’achèterai des habits pour elle et pour moi. Et je me promènerai
dans la rue, en fumant un gros cigare. Tout le monde saura que je suis riche.
Et on dira « ah ! Mr Jourdonnais, comment allez-vous ? Très
bien, mon vieux, merci ». Je leur offrirai un cigare. Peut-être… Mon
bonheur est là ».
Ce
film dont la réputation n’est plus à faire retrace l’esprit pionnier : Plus
on pénètre les Rocheuses plus les dangers se multiplient. Mais on n’a rien sans
rien. Et, au bout des efforts et sacrifices, on obtient le bonheur. Au fond, ce
film est la présentation concrète de l’idéologie de la quête du bonheur.
Et pour le brave Jourdonnais,
le bonheur c’est l’argent.
P.S. Le film est une commande de Howard Hughes, le
directeur de la RKO, troisième studio américain qui se trouve alors en
difficulté. Le producteur veut réitérer la réussite de La Rivière rouge
avec une nouveau fait historique de la conquête de l'ouest porté pour la
première fois à l'écran. Si le film démarre très bien dans les salles, la RKO décide
soudain d'en couper douze minutes pour pouvoir placer plus de séances. Une
décision qui entraîne une défection du public et fait de The Big Sky un
nouvel échec commercial qui précipite le déclin du studio. Source : encyclopédie
Wikipaedia.
Moralité :
la recherche effrénée du profit peut donc nuire au bonheur
[1]
Alors que l’usage a accepté Far-East et Extrême-Orient.
[2]
Le scénario s’appuie sur le roman « Teal eye » (1947) de A.B. Guthrie
qui connaissait certainement l’œuvre de Conrad.
[3]
N.B. : les dialogues qui suivent sont la retranscription exacte - effectuée par mes soins- de scènes
de la version longue du film.