Il était une fois…la révolution (S. Leone, 1971)

publié le 14 juin 2019, 06:44 par Jean-Pierre Rissoan
publié le 27 mars 2013 à 20:44 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 20 nov. 2017 à 11:18 ]

    Avec un titre pareil, ce film devait figurer depuis le début dans ma liste puisque ce site s’intitule « Traditionalisme & Révolution ». En fait, j’ai longtemps hésité car ce film ne m’a jamais plu, j’y ai toujours vu une rigolade, une dénonciation virulente de la geste révolutionnaire. Il vient d’être programmé récemment à la tv, je l’ai donc re-visionné avec papier et stylo, et j’ai trouvé confirmation de mes sentiments passés.

    Le film peut faire passer un bon moment, le dimanche après-midi dans les multiplex de banlieue. C’est sans doute sa vocation. C’est un gros budget, il ya des scènes de guerre bien mises en scène, des trains attaqués, des banques attaquées, des moments d’émotion forts, une histoire d’amitié virile qui se construit, des acteurs prestigieux qui sont à la hauteur -et le doublage français est bon-. Mais, in fine, le message idéologique qu’on veut faire passer est clair : la révolution c’est de la merde, de la violence gratuite et massive, mieux vaut l’éviter. D’ailleurs le film débute par la mise en exergue d’une pensée de Mao Tsé-toung qui se conclut par "la révolution est un acte de violence". Il est vrai que le film est tourné en 1970. Les révolutions citoyennes en cours en Amérique latine, continent de l’action du film au demeurant, démontrent le contraire mais Leone ne pouvait pas le deviner. Nonobstant, cette citation nous indique que ce que nous allons voir c’est une révolution.

    Laquelle ? il est bien difficile de le savoir et celui qui ne sait rien sur la révolution mexicaine n’aura rien appris en sortant de la salle.

    Le cadre historique qui semble avoir été exploité par Leone est le suivant : la révolution mexicaine date de 1911 avec l’arrivée au pouvoir de Madero. Selon les riches bourgeois de la diligence du début du film, Madero a voulu « redistribuer les terres » -ce qui est inexact- pris qu’il était sur sa gauche par les peones -paysans - de Zapata. Heureusement, selon les riches passagers, le général Huerta a remis les « peones à leur place » en établissant une dictature militaire après un coup d’Etat. Cela en 1913, date de l’action du film. Localement, Huerta est représenté par un gouverneur tyrannique. Conformément à la réalité historique, Huerta est allié aux Allemands - qui ont des intérêts économiques au Mexique (on entend subrepticement un dialogue "un Allemand est patron d’une mine d’argent") - et leur aide militaire arrive par le port de Vera Cruz. Le coup d’Etat de Huerta est refusé par d’autres Mexicains et engendre une guerre civile, Pancho Villa restant fidèle à Madero. Parmi les révolutionnaires, on a une organisation dont le mot d’ordre/slogan est « tierra y libertad ». C’est là en principe le mot d’ordre d’une organisation d’extrême-gauche teintée d’anarchisme qui a réellement existé -Wiki donne les détails - et qui agissait pour une réforme agraire, socialement réellement révolutionnaire, le Mexique étant le domaine des latifundia, lointain héritage espagnol. Certains révolutionnaires -dont Zapata, au sud du pays- agissaient également pour ce partage des terres mais ils n’étaient pas adepte d‘une idéologie quelconque, alors qu’un personnage central du film lit un ouvrage de Bakounine, mentor anarchiste. Mais, selon mes sources, la lutte entre les partisans de Huerta et ceux restés fidèles à la mémoire de Madero -il fut assassiné- ne tourne pas du tout autour du thème de la réforme agraire. C’est donc une liberté capricieuse du scénariste.

    Pour alléger le scénario et prendre par la main les spectateurs, la lutte armée se réduit à des Mexicains bien reconnaissables avec leur chapeau national et les soldats germanisés de Huerta -ils ont des voitures blindées et un casque qui rappelle en réalité celui des Anglais en Afrique du sud contre les Boers - mais c’est une guerre civile. La Révolution dévore ses enfants, c’est bien connu. Lien LE VENT SE LEVE…

    Si l’on voit beaucoup de violence, de fusillades, de morts et de cadavres, on ne voit jamais les "révolutionnaires", les vrais, j’entends. Tout tourne autour des deux acteurs principaux : un Irlandais, John Mallory, qui a fuit son pays où il est recherché par les Anglais pour meurtres [1] commis dans le cadre de son action révolutionnaire et qui vient au Mexique chercher des métaux précieux - de l’argent - grâce à son aptitude à manier les bâtons de dynamite. Interprété par James Coburn, excellent. Et un Mexicain, Juan Miranda, ancien peone devenu avec ses six enfants et son père, un bandit de grand chemin, comme on disait sous l’Ancien régime, qui attaque les diligences pour dévaliser les passagers, et qui va jusqu’à violer les belles bourgeoises. Donc pas seulement "un enfoiré de voleurs de poulets" comme dira Mallory dans un coup de gueule. Interprété par Rod Steiger, parfait.

    Ce voleur-violeur ne pense qu’à l’or qu’il idolâtre et sent que Mallory, avec sa dynamite, peut l’aider à dévaliser la banque de la grande ville voisine. Aucun des deux n’est révolutionnaire. Mallory a perdu ses illusions en Irlande parce que son meilleur ami -c’étaient un peu Jules et Jim qui se partageaient l’amour d’une même jeune femme - l’a dénoncé à la police, après torture il est vrai, et parce qu’il a tué cet ami, ce frère, ayant toujours sa mitraillette sur lui. Quant à Miranda, peone, il ne sait pas lire. Il survit. Il se reconnaît comme bandit et un bandit ne fait pas la révolution. La révolution ? Il a eu connaissance de Pancho Villa mais "c’est le plus grand bandit ! et il est devenu général". Historiquement exact. "Et maintenant, il est dans la merde". On ne saura pas pourquoi.

    La première action "révolutionnaire" du film est l’assaut de la banque de Mesaverde. Mallory a finalement rejoint les clandestins de Terria y Libertad et organise avec Juan Miranda l’attaque. Bon moment de cinéma de divertissement. Juan exploite l’ingéniosité de ses gosses et l’efficacité de la dynamite de son acolyte pour pénétrer dans l’établissement. Recherche des coffres-forts, des portes blindées, rien, on descend au sous-sol, on tue trois ou quatre gardiens huertistes. Enfin des portes, un, puis deux, etc… Juan ouvre les portes une à une, des têtes hirsutes et étonnées l’accueillent. Enfin, une vraie, lourde et épaisse porte à faire sauter. John lui a appris les rudiments du dynamitage. Boum… Juan Miranda après la dissipation de l’inévitable nuage de fumée opaque se retrouve sur… la grand’ place de Mesaverde. Il est ridiculisé, grugé. En lieu et place des lingots d’or fin, il a libéré 380 prisonniers politiques. C’était l’objectif mais on ne le lui avait pas dit ! Qu’importe, on le porte en triomphe, c’est un nouveau Libertador ! Mallory lui balance dans un gros éclat de rire : "tu es devenu un grand héros de la Révolution ! " et on entend de partout " Viva Miranda ! ", " Viva Miranda !".

    D’ailleurs, arrêtons-nous sur le choix de ce patronyme "Miranda". Il y eut un personnage historique du nom de Miranda durant la suite d’évènements qu’il est convenu d’appeler "Révolution mexicaine". Sociologiquement, il n’a rien à voir avec le Miranda de S. Leone. Mais l’auteur de l’article wiki utilise pour établir sa monographie les mots suivants : "Excentrique, illuminé, amusant plus que dangereux, personnage comique et emblématique".

    La révolution de Leone est une farce. Au demeurant, toute la séquence de la banque est accompagnée d’une musique grotesque Autre temps fort : l’arrivée de la colonne blindée du colonel Günther Reza (prestation magistrale d’Antoine Saint-John). John et Juan s’installent chacun avec une mitrailleuse à un endroit stratégique qui domine un pont en pierre que la colonne doit emprunter. Évidemment, Mallory a truffé les piles du dit-pont de dynamite. Tout le monde s’en va sauf Mallory et Juan qui reste parce qu’il est persuadé que Mallory va l’emmener ailleurs en lieu sûr. Erreur, l’Irlandais est sérieux : il a mal aux pieds ! donc, il s’arrête. Après un discours démago où il reproche au docteur Villega d’aller se mettre à l’abri. A quoi celui-ci rétorque que tout le monde ne peut pas se battre, "il faut quelqu’un pour organiser». Effectivement, Robespierre a sauvé la patrie par ses directives sans jamais quitter son cabinet de travail sauf pour se rendre à la Convention ou au Club des Jacobins. Mais Leone réalise un film populiste. Bref, quand Reza arrive, Miranda est incapable de mettre en route sa mitrailleuse qui, finalement, démarre toute seule ! encore du grotesque ; Mallory est très efficace, lui, et quand les assaillants sont réfugiés sous le pont, la dynamite fait son office. Du beau travail. Mais où est la révolution ? C’est un coup d’éclat individuel, un exploit de deux individus tueurs qui n’ont aucune foi dans les mobiles de l’action soi-disant révolutionnaire. Mallory le dira : "Je ne crois plus en rien. J’ai fini par ne plus croire qu’en la dynamite". Le peuple est étranger à tout cela.

    Grand moment d’émotion avec la scène de la grotte. Là, Miranda trouve le désastre, le massacre et, pour la première fois semble-t-il, l’émotion et la tristesse. Les hommes de Huerta ont débusqué les peones et les ont exterminés. Crime de guerre. Crime de révolution pour Leone. Miranda déclare qu’il n’avait jamais compté ses enfants. Il constate qu’il en avait six. Mais ce sont six cadavres maintenant. Morts pour quoi ? Pour qui ? Pour quelle cause ? Aucune. Rien. Absurde. Il arrache la croix qu’il porte autour du cou.

    Temps fort également avec l’exécution immédiate, sans jugement, de coupables, par les hommes du colonel Reza. Les hommes sont mis contre un mur et fusillés. L’ordre est donné par Reza lui-même qui est dans un camion avec, à ses côtés, le Dr Villega qui a été torturé et qui a parlé, qui dénonce ses camarades qui sont exterminés sous ses yeux. Flash back. Mallory qui assiste à la scène voit la scène du pub irlandais où s’introduisent la police anglaise et son ami, lequel va le dénoncer et le dénonce effectivement. Les révolutionnaires sont des lâches. Révolution égale trahison. Sauver sa peau plutôt que l’idéal.

    Juan va utiliser deux fois son arme avec la conviction de quelqu’un qui se sent dans son droit. La première fois, lorsque les huertistes sont en grosse difficulté et que le gouverneur de l’État s’enfuit lâchement avec une fortune. Mallory le reconnaît, jette son revolver à Juan en lui faisant comprendre que l’auteur du meurtre de ses enfants, c’est lui, et que Juan peut donc se faire justice. Ce qu’il fait. La seconde fois, lors de la scène finale, lorsque Reza tue Mallory, la seule personne avec laquelle Juan Miranda a encore des liens d’amitié. Il décharge alors tout ce que son fusil-mitrailleur peut contenir de balles. Mais, on le voit, la motivation n’a absolument rien de révolutionnaire. C’est affectif, ce qui a sa légitimité, mais ça n’a rien de révolutionnaire.

    Et le plan-séquence final, c’est un gros plan sur le visage de Miranda qui dit "Et moi, alors ?". Ce qui confirme que c’est un film sentimental et en rien un film politique, même si son orientation idéologique est claire : la révolution, c’est de la rigolade. Miranda n’a plus personne pour aller aux États-Unis, son Eldorado dont le rêve ne l’a jamais abandonné.

    Mallory meurt en disant que le Dr Villega est mort en "héros de la révolution", ce qui lui donne la force de rire une nouvelle fois malgré ses trois balles dans le corps. Villega s’est suicidé, en accomplissant un acte héroïque il est vrai, Mallory lui ayant déclaré qu’il savait tout sur sa délation.

 



[1] En 1913, l’Irlande appartient au Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d‘Irlande.

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