Avec
un titre pareil, ce film devait figurer depuis le début dans ma liste puisque ce
site s’intitule « Traditionalisme & Révolution ». En fait, j’ai
longtemps hésité car ce film ne m’a jamais plu, j’y ai toujours vu une
rigolade, une dénonciation virulente de la geste révolutionnaire. Il vient
d’être programmé récemment à la tv, je l’ai donc re-visionné avec papier et
stylo, et j’ai trouvé confirmation de mes sentiments passés.
Le
film peut faire passer un bon moment, le dimanche après-midi dans les multiplex
de banlieue. C’est sans doute sa vocation. C’est un gros budget, il ya des
scènes de guerre bien mises en scène, des trains attaqués, des banques
attaquées, des moments d’émotion forts, une histoire d’amitié virile qui se
construit, des acteurs prestigieux qui sont à la hauteur -et le doublage
français est bon-. Mais, in fine, le
message idéologique qu’on veut faire passer est clair : la révolution
c’est de la merde, de la violence gratuite et massive, mieux vaut l’éviter. D’ailleurs
le film débute par la mise en exergue d’une pensée de Mao Tsé-toung qui se conclut
par "la
révolution est un acte de violence". Il est vrai que le film est
tourné en 1970. Les révolutions citoyennes
en cours en Amérique latine, continent de l’action du film au demeurant,
démontrent le contraire mais Leone ne pouvait pas le deviner. Nonobstant, cette
citation nous indique que ce que nous allons voir c’est une révolution.
Laquelle ?
il est bien difficile de le savoir et celui qui ne sait rien sur la révolution
mexicaine n’aura rien appris en sortant de la salle.
Le
cadre historique qui semble avoir été exploité par Leone est le suivant :
la révolution mexicaine date de 1911 avec l’arrivée au pouvoir de Madero. Selon
les riches bourgeois de la diligence du début du film, Madero a voulu « redistribuer les terres » -ce qui
est inexact- pris qu’il était sur sa gauche par les peones -paysans - de Zapata. Heureusement,
selon les riches passagers, le général Huerta a remis les « peones à leur place » en
établissant une dictature militaire après un coup d’Etat. Cela en 1913, date de
l’action du film. Localement, Huerta est représenté par un gouverneur
tyrannique. Conformément à la réalité historique, Huerta est allié aux
Allemands - qui ont des intérêts économiques au Mexique (on entend
subrepticement un dialogue "un Allemand est patron d’une mine
d’argent") - et leur aide militaire arrive par le port
de Vera Cruz. Le coup d’Etat de Huerta est refusé par d’autres Mexicains et
engendre une guerre civile, Pancho Villa restant fidèle à Madero. Parmi les
révolutionnaires, on a une organisation dont le mot d’ordre/slogan est « tierra y libertad ». C’est là en
principe le mot d’ordre d’une organisation d’extrême-gauche teintée
d’anarchisme qui a réellement existé -Wiki donne les détails - et qui agissait
pour une réforme agraire, socialement réellement révolutionnaire, le Mexique
étant le domaine des latifundia,
lointain héritage espagnol. Certains révolutionnaires -dont Zapata, au sud du
pays- agissaient également pour ce partage des terres mais ils n’étaient pas
adepte d‘une idéologie quelconque, alors qu’un personnage central du film lit
un ouvrage de Bakounine, mentor anarchiste. Mais, selon mes sources, la lutte
entre les partisans de Huerta et ceux restés fidèles à la mémoire de Madero -il
fut assassiné- ne tourne pas du tout autour du thème de la réforme agraire. C’est
donc une liberté capricieuse du scénariste.
Pour
alléger le scénario et prendre par la main les spectateurs, la lutte armée se
réduit à des Mexicains bien reconnaissables avec leur chapeau national et les
soldats germanisés de Huerta -ils ont des voitures blindées et un casque qui
rappelle en réalité celui des Anglais en Afrique du sud contre les Boers - mais
c’est une guerre civile. La Révolution dévore ses enfants, c’est bien connu. Lien LE VENT SE LEVE…
Si
l’on voit beaucoup de violence, de fusillades, de morts et de cadavres, on ne
voit jamais les "révolutionnaires", les vrais, j’entends.
Tout tourne autour des deux acteurs principaux : un Irlandais, John Mallory, qui a fuit son pays
où il est recherché par les Anglais pour meurtres [1] commis dans le cadre de son action révolutionnaire et qui vient au
Mexique chercher des métaux précieux - de l’argent - grâce à son aptitude à
manier les bâtons de dynamite. Interprété par James Coburn, excellent. Et un
Mexicain, Juan Miranda, ancien peone
devenu avec ses six enfants et son père, un bandit de grand chemin, comme on
disait sous l’Ancien régime, qui attaque les diligences pour dévaliser les
passagers, et qui va jusqu’à violer les belles bourgeoises. Donc pas seulement "un enfoiré de voleurs de poulets"
comme dira Mallory dans un coup de gueule. Interprété par Rod Steiger, parfait.
Ce voleur-violeur ne
pense qu’à l’or qu’il idolâtre et sent que Mallory, avec sa dynamite, peut
l’aider à dévaliser la banque de la grande ville voisine. Aucun des deux n’est
révolutionnaire. Mallory a perdu ses illusions en Irlande parce que son
meilleur ami -c’étaient un peu Jules et Jim qui se partageaient l’amour d’une
même jeune femme - l’a dénoncé à la police, après torture il est vrai, et parce
qu’il a tué cet ami, ce frère, ayant toujours sa mitraillette sur lui. Quant à
Miranda, peone, il ne sait pas lire.
Il survit. Il se reconnaît comme bandit et un bandit ne fait pas la révolution.
La révolution ? Il a eu connaissance de Pancho Villa mais "c’est le plus grand bandit ! et il est
devenu général". Historiquement exact. "Et maintenant, il est dans la merde". On ne saura pas
pourquoi.
La
première action "révolutionnaire" du film est l’assaut de
la banque de Mesaverde. Mallory a finalement rejoint les clandestins de Terria y Libertad et organise avec Juan
Miranda l’attaque. Bon moment de cinéma de divertissement. Juan exploite
l’ingéniosité de ses gosses et l’efficacité de la dynamite de son acolyte pour
pénétrer dans l’établissement. Recherche des coffres-forts, des portes
blindées, rien, on descend au sous-sol, on tue trois ou quatre gardiens
huertistes. Enfin des portes, un, puis deux, etc… Juan ouvre les portes une à
une, des têtes hirsutes et étonnées l’accueillent. Enfin, une vraie, lourde et
épaisse porte à faire sauter. John lui a appris les rudiments du dynamitage.
Boum… Juan Miranda après la dissipation de l’inévitable nuage de fumée opaque
se retrouve sur… la grand’ place de Mesaverde. Il est ridiculisé, grugé. En
lieu et place des lingots d’or fin, il a libéré 380 prisonniers politiques.
C’était l’objectif mais on ne le lui avait pas dit ! Qu’importe, on le
porte en triomphe, c’est un nouveau Libertador !
Mallory lui balance dans un gros éclat de rire : "tu es devenu un grand héros de la Révolution ! " et on
entend de partout " Viva Miranda !
", " Viva Miranda !".
D’ailleurs,
arrêtons-nous sur le choix de ce patronyme "Miranda". Il y eut un
personnage historique du nom de Miranda durant la suite d’évènements qu’il est
convenu d’appeler "Révolution mexicaine". Sociologiquement, il n’a
rien à voir avec le Miranda de S. Leone. Mais l’auteur de l’article wiki utilise
pour établir sa monographie les mots suivants : "Excentrique, illuminé, amusant plus que dangereux, personnage comique
et emblématique".
La révolution de
Leone est une farce. Au demeurant, toute la séquence de la banque est
accompagnée d’une musique grotesque Autre temps
fort : l’arrivée de la colonne blindée du colonel Günther Reza (prestation magistrale d’Antoine Saint-John). John
et Juan s’installent chacun avec une mitrailleuse à un endroit stratégique qui
domine un pont en pierre que la colonne doit emprunter. Évidemment, Mallory a
truffé les piles du dit-pont de dynamite. Tout le monde s’en va sauf Mallory et
Juan qui reste parce qu’il est persuadé que Mallory va l’emmener ailleurs en
lieu sûr. Erreur, l’Irlandais est sérieux : il a mal aux pieds !
donc, il s’arrête. Après un discours démago où il reproche au docteur Villega
d’aller se mettre à l’abri. A quoi celui-ci rétorque que tout le monde ne peut
pas se battre, "il faut
quelqu’un pour organiser». Effectivement, Robespierre a sauvé la patrie par
ses directives sans jamais quitter son cabinet de travail sauf pour se rendre à
la Convention ou au Club des Jacobins. Mais Leone réalise un film populiste.
Bref, quand Reza arrive, Miranda est incapable de mettre en route sa
mitrailleuse qui, finalement, démarre toute seule ! encore du
grotesque ; Mallory est très efficace, lui, et quand les assaillants sont
réfugiés sous le pont, la dynamite fait son office. Du beau travail. Mais où
est la révolution ? C’est un coup d’éclat individuel, un exploit de deux
individus tueurs qui n’ont aucune foi dans les mobiles de l’action soi-disant
révolutionnaire. Mallory le dira : "Je ne crois plus en rien. J’ai fini par ne plus croire qu’en la
dynamite". Le peuple est étranger à tout cela.
Grand
moment d’émotion avec la scène de la grotte. Là, Miranda trouve le désastre, le
massacre et, pour la première fois semble-t-il, l’émotion et la tristesse. Les
hommes de Huerta ont débusqué les peones
et les ont exterminés. Crime de guerre. Crime de révolution pour Leone. Miranda
déclare qu’il n’avait jamais compté ses enfants. Il constate qu’il en avait
six. Mais ce sont six cadavres maintenant. Morts pour quoi ? Pour
qui ? Pour quelle cause ? Aucune. Rien. Absurde. Il arrache la croix
qu’il porte autour du cou.
Temps
fort également avec l’exécution immédiate, sans jugement, de coupables, par les
hommes du colonel Reza. Les hommes sont mis contre un mur et fusillés. L’ordre
est donné par Reza lui-même qui est dans un camion avec, à ses côtés, le Dr
Villega qui a été torturé et qui a parlé, qui dénonce ses camarades qui sont
exterminés sous ses yeux. Flash back. Mallory qui assiste à la scène voit la
scène du pub irlandais où s’introduisent la police anglaise et son ami, lequel
va le dénoncer et le dénonce effectivement. Les révolutionnaires sont des
lâches. Révolution égale trahison. Sauver sa peau plutôt que l’idéal.
Juan
va utiliser deux fois son arme avec la conviction de quelqu’un qui se sent dans son
droit. La première fois, lorsque les huertistes sont en grosse difficulté et
que le gouverneur de l’État s’enfuit lâchement avec une fortune. Mallory le
reconnaît, jette son revolver à Juan en lui faisant comprendre que l’auteur du
meurtre de ses enfants, c’est lui, et que Juan peut donc se faire justice. Ce
qu’il fait. La seconde fois, lors de la scène finale, lorsque Reza tue Mallory,
la seule personne avec laquelle Juan Miranda a encore des liens d’amitié. Il
décharge alors tout ce que son fusil-mitrailleur peut contenir de balles. Mais,
on le voit, la motivation n’a absolument rien de révolutionnaire. C’est
affectif, ce qui a sa légitimité, mais ça n’a rien de révolutionnaire.
Et
le plan-séquence final, c’est un gros plan sur le visage de Miranda qui dit "Et moi, alors ?".
Ce qui confirme que c’est un film sentimental et en rien un film politique, même
si son orientation idéologique est claire : la révolution, c’est de la
rigolade. Miranda n’a plus personne pour aller aux États-Unis, son Eldorado
dont le rêve ne l’a jamais abandonné.
Mallory meurt en
disant que le Dr Villega est mort en "héros
de la révolution", ce qui lui donne la force de rire une nouvelle fois
malgré ses trois balles dans le corps. Villega s’est suicidé, en accomplissant
un acte héroïque il est vrai, Mallory lui ayant déclaré qu’il savait tout sur
sa délation.
[1]
En 1913, l’Irlande appartient au Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d‘Irlande.