DJANGO DECHAINE (Q. TARANTINO, DJANGO UNCHAINED, 2013)

publié le 14 juin 2019, 06:15 par Jean-Pierre Rissoan

publié le 30 déc. 2017 à 23:46 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 22 avr. 2018 à 19:26 ]

C’est un bon film de Tarantino qui traite de la question de l’esclavage (Sud des Etats-Unis forcément) deux ans à peine avant le déclenchement de la Guerre de Sécession. Ce n’est pas un plaidoyer scientifique ou moralisateur,  Tarantino cherche à accueillir le plus de monde possible. Pari réussi si l’on en croit Wikipédia qui parle du "meilleur succès commercial de Tarantino". La distribution fut à la hauteur de l’ambition avec Jamie Foxx (capable d’interpréter aussi bien Django que Ray Charles), Christoph Waltz que l’on a vu dans Inglourious Basterds et Carnage, Leonardo Di Caprio que l’on ne présente plus et Samuel L. Jackson (Pulp fiction et bien d’autres).

Tarantino a écrit le scénario du film. Il fallait utiliser la germanité de C. Waltz et Tarantino invente une "maîtresse" germanophone puisque d’origine allemande, qui apprend la langue à une esclave afin de ne pas être seule à la parler. Cette esclave sera surnommée Brunehilde. Cette dernière est l’épouse de Django mais l’esclavage est ainsi fait qu’il peut séparer ce que Dieu – le même que celui des esclavagistes – a uni. Grâce au Docteur King Schultz (C. Waltz excellent) Django part à la reconquête de son épouse Brunehilde ; il est donc Siegfried : un Siegfried noir, il fallait y penser.

Juste avant que Django se libère de ses chaînes, "se déchaîne", il formait avec le Dr Schultz un duo de chasseurs de primes. Schultz n’est pas avare de ses balles pour trucider le "wanted" à restituer mort ou vif à la police. Un cas d’espèce se pose à Django quand il doit tirer sur un "wanted" qui est en train de labourer un champ avec son fils, n’aurait-il pas droit à des circonstances atténuantes ? Cela ne vaut-il pas la peine d’être discuté ? pas pour le Dr Schultz qui reste inflexible. C’est l’aspect noir du chasseur de primes qui n’est d’ailleurs pas – de façon générale – admiré par la population ou par les élites  . Cette séquence reste au travers de la gorge.

J’en profite pour signaler un détail. Le duo – qui a décidé de quitter le Texas pour effectuer un immense détour via les Rocheuses - se trouve, lors de la scène rupestre du labour, dans un espace totalement dépourvu, y compris les sommets, de neige. Contrairement à la séquence précédente. Puis, on retrouve nos héros en haute-montagne avec 30 cm d’épaisseur de neige. Quel itinéraire ont-ils donc suivi ? C’est un peu agaçant et suscite chez l’ancien pédagogue l’envie d’écrire "manque de soin" ou "soignez vos exemples", etc… Soudain, on revient dans le Mississippi. Tarantino n’en est pas à quelques milliers de km près. Au moins, durant ce périple, Django a-t-il pu perfectionner la précision de ses tirs et tenter de tirer plus vite que son ombre. Cela lui sera utile ultérieurement.  

Puisque le film traite de l’esclavage voyons ses apports à l’édification historique des masses qui accourent aux films de Quentin. Ce dernier accorde une place importante à l’homme à cheval. Django devenu libre grâce à Schultz se déplace par ce moyen. Cela stupéfie les gens du Sud. Un nègre à cheval ! Cela ne s’est jamais vu. Ou alors c’est un noir libre ? D’ailleurs, cela est une pièce à conviction : des Blancs demandent à des Noirs s’ils ont vu arriver Django à cheval aux côté du Dr Schultz le matin même, leur réponse affirmative confirme la déclaration de Schultz. Le Sud est au stade préindustriel : les masques de fer, les chaînes, les anneaux de fer aux pieds, les "paniers à salade" –pour le transport de quelques esclaves – tout cela rappelle l’artisanat médiéval. Même le "four" : c’est une boîte en fer forgé, de forme parallélépipédique de 40 cm de hauteur, 70 de large x 1m60 de long, à moitié enfouie dans le sol dans laquelle on enferme un esclave fugitif. Exposée en plein soleil subtropical. Sans trous d’aération. C’est l’horreur. Brunehilde était enfermée dans un four quand Django et Schultz arrivent dans la plantation de Calvin J. Candie (Di Caprio) dont elle est l’une des esclaves. On assiste à la marque au fer rouge (sur la joue droite), au supplice du fouet infligé même aux femmes. Tarantino filme le coton à fleurs rouges : éclaboussures du sang d’un esclave tué par balles. Un salopard arrive non pas avec l’épée en main droite et la Bible en main gauche, comme tous les pionniers venus d’Angleterre ou des Pays-Bas mais avec le fouet et la Bible. Avant de passer à l’acte, il récite un passage de la dite-Bible : "Et Dieu te dira : tu as sous ta coupe tous les animaux de la terre"… Comme il est devant des nègres, cela signifie que, pour lui, ceux-ci appartiennent au monde animal. C’est l’insulte suprême.   

Qu’est-ce donc que l’insulte suprême ? Ce sont des mots - qui peuvent tuer on le sait - adressés à un Noir et lui disant qu’il n’est pas un homme mais un animal. Malgré les révolutions du XVIII° l’insulte suprême reste très en vogue au XIX° siècle. Aux Etats-Unis d’Amérique, en 1829, David Walker (1785-1830), noir abolitionniste dont la tête fut mise à prix, peut écrire que la condition des Noirs est pire que celle que connurent les Juifs en Égypte car on ne les considère pas comme des hommes[1] : "montrez-moi une page (de l’Ancien testament, JPR) qui affirmerait que les Égyptiens ont proféré l’insulte suprême en prétendant que les fils d’Israël n’appartenaient pas à la grande famille humaine". Cette thèse selon laquelle le blanc et le noir sont différents pour des raisons objectives est affirmée avec violence par Calvin Candie devant Schultz et Django qu’il a invités à sa table. Adepte de la phrénologie, il démontre – croit-il – que le cerveau des noirs possède des alvéoles – introuvables chez un cerveau blanc – qui sont les "alvéoles de la servilité". Cela dit, que doit-on penser de ces Blancs qui forniquent sans arrêt avec des Noires, violées ou non ? Qu’est-ce donc que cette zoophilie ?

Je passe sur l’histoire des Mandingues, ces noirs-gladiateurs qui se battent à mains nues jusqu’à ce que mort s’en suive. Pour certains c’est une erreur historique de Tarantino (cf. deux liens ci-dessous). En revanche, l’utilisation des chiens est un fait historique avéré. Chiens élevés pour suivre le fugitif, le mordre voire le dévorer. Ce sont les Espagnols qui ont introduit le chien contre les Indiens (d’où l’appellation de chiens de Cuba). Les Américains s’en sont servis contre les Indiens séminoles en Floride, dès les années 1820.  

Dans cette sorte de western, tout le monde attend le gunfight final. C’est le moment où Django se déchaîne. Tireur d’élite, il ne fait qu’une bouchée des dizaines d’hommes-lige de Calvin – choix de prénom malin de la part de Quentin qui souligne l’âpreté au gain des Sudistes - . Django tue avec sang-froid les blancs qui le gênent ou l’agressent : mais c’est la guerre. La guerre des races. Il est particulièrement violent à l’égard de Stephen (Samuel L. Jackson remarquable dans le déni de soi) qui est totalement acculturé, c’est-à-dire blanc dans l’âme, il est plus esclavagiste que son maître peut l’être. Hélas, il ne fut pas seul dans ce cas. La fin est un feu d’artifice, Django utilise tous les bâtons de dynamite dont il a pu disposer pour faire exploser la villa de la plantation de Calvin Candie, belle bâtisse avec colonnes extérieures de style ionique.  

C’est évidemment une forte critique à formuler à l’égard de Quentin Tarantino : sa lutte des noirs contre l’esclavage est la lutte d’1 noir ! Django n’a aucun souci de rassembler les masses les plus nombreuses, de distiller l’esprit de lutte dans les âmes de ses frères abâtardis. C’est un solitaire. C’est un héros qui fait l’Histoire, pas le peuple. Déjà, dans Inglourious Basterds, la vérité historique en avait pris un coup sérieux et il ne sera pas surprenant de lire des copies – dans quelques années – où le potache écrira que Hitler est mort dans une salle de cinéma à Paris.    

Autre aspect à retenir. Chaque planteur est un propriétaire au sens le plus aigu. Il y a le monde extérieur et il y a SA plantation où s’applique le droit qu’il a conçu. Le Sud est une mosaïque de souverainetés innombrables. Chaque maître y est un seigneur-chevalier. plus exactement un seigneur-chatelain. Il partira contre le yankee avec l’assurance du vainqueur d’avance.

 à lire aussi sur ce site : THE BIRTH OF A NATION (NATE PARKER, 2016)

 

Deux lectures recommandables :

http://www.standardsandmore.fr/vu-lu-entendu/39-cinema/487-django-unchained-esclavage-stereotypes

https://lepetitlexiquecolonial.wordpress.com/2013/02/06/django-ketchup-et-marmelade/

 



[1] Cité par H. ZINN, page 209.

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