C’est
un film admirable à tous points de vue, il faut le voir et re-voir. Wiki nous
informe que "c'est un des
films les plus récompensés de l'histoire du cinéma pour un réalisateur qui est
également acteur principal et producteur. En effet, il reçut sept Oscars, trois
Golden Globes et l'Ours d'argent au Festival International du film de Berlin". Je l’ai vu une première
fois en version réduite (3 heures) puis en version longue (224 mn). La version
longue est souhaitable.
Le
cœur du film est constitué par la rencontre, le contact entre les Indiens des
hautes Plaines (le film a été entièrement tourné dans le Dakota du sud) et les
Yankees, blancs venus de l’Est, comprenez de la côte atlantique. Mais une
première partie nous présente des aspects de la Guerre de Sécession. C’est
d’ailleurs un des premiers intérêts/qualités du film : nous montrer que la
conquête du Sud esclavagiste et la conquête du Grand Ouest indien s’effectuent
dans la foulée, dans la même conjoncture historique. C’est une phase
d’expansion de ce que l’on appellera plus tard le Nord-Est
(Boston - New-York -Chicago), expansion du capitalisme du Nord-Est.
Concernant
cette première partie, on voit que les soldats sont las de cette guerre civile
qui s’éternise ajoutant des morts aux morts, au demeurant le lieutenant Dunbar
(Kevin Costner, qui mérite toutes les louanges) effectue une tentative de
suicide en offrant sa poitrine aux balles adverses, on voit les tentes-hôpitaux
de chirurgie avec l’horreur du sang, des scies, des amputations, des moignons,
tout ; on voit la folie qui frappe certains soldats. Ainsi Dunbar qui a
raté son suicide est détaché de son unité, est muté dans un avant-poste
improbable dans l’Ouest lointain mais doit se présenter devant le major qui
commande le dernier poste avant la "frontière", au-delà c’est
la conquête qui commence. La rencontre entre Dunbar et le major dans son bureau
est une scène forte. Le major est fou, malade de la guerre. L’interprétation
par Wayne Grace eût mérité à elle seule
une récompense. En voyant partir le Lt Dunbar, le major se tire une balle dans
la tête. http://www.youtube.com/watch?v=XQGSri7WqFM
À
ce niveau se place un moment musical exceptionnel. C’est le thème de la
conquête de l’ouest composé par John Barry, qui correspond au moment où Dunbar
accompagné d’un pionnier expérimenté emporte avec lui son chariot, ses vivres… il
fouette les chevaux, la musique nous emporte littéralement vers l’Ouest,
l’épopée commence. Il s’agit de "Journey To
Fort Sedgewick". J’ai
été heureux de constater que les auteurs du coffret-DVD de la version longue
ont utilisé ce morceau de la partition pour la présentation du menu, du choix
des langues, des chapitres, etc... ; Malgré tout ce thème me semble
sous-exploité. Mais globalement, l’ensemble de la musique du film est à louer.
Chef-d’œuvre. http://www.youtube.com/watch?v=E83zJF-WCuE&feature=kp
Commence
alors la partie qui fait le cœur du film.
Le
Lt Dunbar est un soldat ; il va rester seul des semaines dans un fortin
abandonné, construit dans un vallon de la prairie, l'improbable fort Sedgewick. Il se fixe à lui-même des
corvées, il note tout dans son journal. Il n’a d’abord pour ami que Cisco son
cheval puis il entreprend de domestiquer, d’apprivoiser - pour écrire le mot
d’A. de Saint-Exupéry - un loup qu’il appelle Chaussettes. Parce que la partie
inférieure de ses pattes est blanche. Il est évident que les efforts faits par
Dunbar pour apprivoiser le loup est une métaphore de son contact difficile,
long, parsemé d’échecs, avec les Indiens. La force du film vient de l’audace
qui a consisté à faire parler les Indiens - qui sont de véritables Amérindiens
(Sioux pour la plupart) - la langue sioux : le lakota grâce notamment à
Doris Leader Charge, seule véritable représentante du peuple sioux et
originaire du Dakota du Sud. Cette linguiste pédagogue est magnifique, on peut
l’approcher quelque peu grâce au bonus du DVD. On sait que les spectateurs
américains n’aiment pas lire les sous-titres et cela est un élément toujours
pris en compte par les financiers du cinéma mais K. Costner tint bon et les
Indiens parlent donc le lakota et cela donne une vérité définitive aux moments
de rencontre, avec des Indiens qui ne parlent pas anglais et un soldat de
l’armée américaine qui n’a jamais entendu parler une telle langue étrangère.
Comment se faire comprendre ? Il faut d’abord beaucoup de bonne volonté.
Et puis il faut faire des gestes, souvent ridicules. Ainsi la scène où Dunbar
tente d’imiter un bison pour demander à ses interlocuteurs où on peut trouver
un troupeau.
Le
lecteur trouvera beaucoup de détails sur ce site : http://www.cin-et-toiles.com/films/fiche-danse-avec-les-loups.htm
Plus
d’une heure passe durant laquelle on assiste -devrait-on dire on participe - à
ce lent apprivoisement réciproque. Le Lt Dunbar délaisse peu à peu son fort,
d’autant plus qu’il tombe amoureux d’une belle indienne (interprétée par Mary
McDonnell, resplendissante) totalement acculturée mais qui n’a pas oublié son
anglais maternel car il s’agit à l’origine d’une enfant rescapée d’un massacre
de Blancs par la tribu indienne rivale des Pawnees et adoptée par les Sioux. Et
nous aussi on se laisse apprivoiser, on est conquis par ces paysages
majestueux, cette musique envoûtante qui en est la transcription, ses indiens
si sympathiques comme Oiseau-bondissant (Graham Greene au port de seigneur) ;
comme Cheveux-aux-vents, tout d’abord très farouche et même hostile et qui peu
à peu devient ami avec Dunbar au point que la scène d’adieu entre les deux
hommes est parfaitement déchirante ; comme le jeune Sourit-beaucoup,
incarnation de la pureté et de la naïveté, qui eût pu être Tadzio dans Mort à
Venise…
Lorsque
la tribu décide de décamper, Dunbar retourne précipitamment à son fort
pour récupérer son journal oublié. Et alors ce produit le choc.
L’inattendu. L’effroi. La
terreur.
Le
fort, propriété des États-Unis, a été investi par une compagnie de "Tuniques bleues". Dunbar, innocent, arrive
au galop habillé en Sioux. Les soldats à vingt contre un tirent sur lui sans
sommation, c’est un indien donc un ennemi. Cisco est abattu. Ainsi en sera-t-il
aussi de Chaussettes. Le tir des balles fracasse le crâne, on n’est plus dans
la musique symphonique. Le contraste violent voulu par Costner entre la chaleur
amicale de la vie au sein de la tribu et la sauvagerie des soldats de l’armée
des États-Unis qui tirent sur tout ce bouge, fait tout son effet : ainsi
en fut-il du contact entre les pionniers et les Indiens.
Cette
soldatesque est constituée de gens incultes et analphabètes. Le film met
en scène un soldat qui est en train de déféquer dans les hautes herbes
de la prairie et qui feuillette le journal de Dunbar pour finalement
s'en torcher les fesses. Un voisin, dans la même situation que lui, lui
demande du papier, une page du journal, "toutes façons, t'es comme moi, tu sais pas lire"... .
Les
premiers pionniers étaient souvent "gens de peu", nous dit l’historien
Jean Meyer, fréquemment recrutés de force dans les prisons londoniennes, "bas-fonds à forte criminalité". H. Arendt évoque cet
aspect des choses en parlant de « "cet autre
sous-produit de la production capitaliste : les déchets humains (sic). (…).
L’exportation de ces hommes avaient contribué à peupler les dominions aussi
bien que les États-Unis"[1]. Certains colons furent carrément enlevés et les
archives du gouverneur de Virginie indiquent que les nouveaux arrivés étaient "pour la plupart des enfants ramassés par centaines
dans les rues des villes anglaises et expédiés en Virginie pour y travailler". La Chambre des bourgeois
de cet État s’effrayait que "les serviteurs de Dieu dans ce pays
appartiennent, pour la plupart, à la pire engeance que l’on puisse trouver en
Europe". On voit à
l’œuvre, ainsi que l’écrit H. Arendt pour l’impérialisme du XIX° siècle, "le parfait gentilhomme et la parfaite canaille (qui)
finissaient par bien se connaître dans la ‘grande jungle sauvage et sans loi’
et (qui) s’y trouvaient ‘bien assortis dans leur immense dissemblance ;
âmes identiques sous des masques différents"[2].
K.
Costner n’est pas tendre avec ces brutes. Mais peut-il en être autrement quand
on traite de gens qui ont eu un comportement génocidaire ? Lors d’une
séquence antérieure, le Lt Dunbar, nu au bord de la rivière pour effectuer une
lessive, surprend un Indien qui l’épiait. Il lui court après mais l’homme lui
échappe. Voici l’armée des États-Unis à poil dans la prairie…
Jamais
on n’avait présenté avec autant de vérité la violence du contact entre les natives et les Européens.
[1]
H. ARENDT, L’impérialisme, page 54.
[2]
H. ARENDT, L’Impérialisme, page 119.