Ce
site - beaucoup l’ont compris - a aussi pour vocation d’aider les lycéens,
étudiants et jeunes collègues dans la lourde mission de professeurs. Que vient
faire un truc comme Sissi impératrice
ici ? Cette série de sucreries comme
l’écrit Jacques Siclier avec Sissi et
le troisième morceau Sissi face à son
destin ? Cette série connaît un succès qui ne se dément pas et chaque
année, à l’occasion des fêtes, on est sûrs de trouver une chaîne tv qui
programmera ces films d’Ernst Marischka. Un mot sur ce réalisateur : né à
Vienne, il avait 21 ans en 1914 et est donc un pur produit de l’empire
austro-hongrois. Il a « vu l’empereur »[1]. Il y avait 3 ou 4 décennies que je n’avais revu Sissi impératrice, un zapping
d’insomniaque m’a fait tombé dessus sur une chaîne dont je n’ai pas relevé le
numéro. A quoi bon ?
J’ai
regardé. Figurez-vous que Sissi est devenue jeune maman et que sa belle-mère
lui retire la garde de l’enfant pour donner à ce dernier une vraie éducation
impériale. C’est le clash, Sissi -inconsolable- retourne chez sa mère,
l’empereur est obligé d’aller la chercher, belle occasion pour passer trois
jours incognito dans une auberge du
Tyrol, etc… Scénario de feu. Court. Trop court. Alors le film a une seconde
partie -qui dure au moins 40 minutes- et qui est consacrée à la Hongrie. Après
ces affres épouvantables à la cour de Schönbrunn, Sissi n’a pas envie d’aller à
Budapest accompagner son empereur de mari qui, en l’occurrence et, ici, en
Hongrie, est roi [2]. Il doit y être sacré lors d’une cérémonie
solennelle. Mais Sissi ne veut pas venir. Marre que voulez-vous. Mais toute la
noblesse hongroise risque d’être froissée : la reine absente ! et le
peuple hongrois ? que dira-t-il ? Le suspens est insoutenable. Tout
le monde supplie l’impératrice de venir accompagner son mari. Toute la Hongrie
ne pense qu’à cela. Finalement, le couple se rend en carrosse à Budapest. Après
la série de cartes postales sur le Tyrol, Marischka nous gratifie d’une série
de cartes postales sur la Hongrie. La grande plaine hongroise, les paysans
faisant les foins, les chevaux sauvages…car le Hongrois est un cavalier aurait
dit le regretté T. Rolland.
La
cérémonie du couronnement est rendue avec un luxe de détails portant notamment
sur les vêtements militaires de la noblesse hongroise, tenues de hussards avec
la pelisse sur l’épaule, brandebourgs dorés à tire-larigot, bonnet à poils avec
plume hérissée, arc-en-ciel de couleurs, tout y passe. Et les braves paysans
qui ne pensent qu’à leur bonne reine. François-Joseph reçoit « la »
couronne qui aurait dû être une imitation de la couronne de Saint-Étienne mais
ce n’est pas le cas. Déception. http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Crown,_Sword_and_Globus_Cruciger_of_Hungary2.jpg Et on a droit à un discours de la nouvelle
reine de Hongrie, discours affligeant, à pleurer. D’ailleurs Sissi pleure de
bonheur, si, si. Du genre « je vous aime de tout mon cœur ». Face à
la longueur de la pellicule qui aurait justifié comme titre du film
« Sissi, reine de Hongrie », je me suis peu à peu interrogé malgré
l’heure tardive de la nuit.
Pour
comprendre où je veux en venir il faut replacer le film tourné en 1955-56 et
sorti en 1956 dans le contexte politique de l’époque. J’utilise par paresse,
l’encyclopédie Wiki mais elle est très correcte dans cet article
(« Insurrection de Budapest »).
La Guerre froide
psychologique.
"La
mort de Joseph Staline le 5 mars 1953 entraîna une période de libération
relative au cours de laquelle la plupart des partis communistes européens
devinrent plus modérés. En Hongrie, le réformateur Imre Nagy remplaça Mátyás
Rákosi, « le meilleur disciple hongrois de Staline », au poste de
premier ministre. Cependant, Rákosi restait secrétaire général du parti et fut
capable de saper les réformes de Nagy. En avril 1955, Nagy fut discrédité et
dut quitter ses fonctions. Après le « discours secret » de
Khrouchtchev de février 1956 qui dénonçait Staline et ses protégés, Rákosi fut
destitué de son poste de secrétaire et remplacé par Ernő Gerő le 18 juillet
1956.
Le 14 mai 1955, l'Union soviétique créa le Pacte de Varsovie qui liait la
Hongrie à l'Union soviétique et aux voisins d'Europe centrale et orientale.
Parmi les principes de l'alliance figuraient le « respect pour
l'indépendance et la souveraineté des États » et « la
non-interférence dans leurs affaires internes ». En 1955, le Traité d'État
autrichien établit la neutralité et la démilitarisation de l’Autriche. Cela
souleva les espoirs hongrois de devenir également neutres et en 1955, Nagy
considéra la « possibilité pour la Hongrie d'adopter un statut neutre sur
le modèle autrichien ».
"Avec
le contexte de guerre froide de l'époque, la politique américaine envers la
Hongrie en particulier et envers le bloc communiste en général évolua à partir
de 1956. Les États-Unis espéraient encourager les pays d'Europe de l'Est à
s'émanciper de l'emprise soviétique d'eux-mêmes mais souhaitaient également éviter
une confrontation militaire avec l'URSS qui pourrait dégénérer en guerre
nucléaire. Pour ces raisons, les stratèges américains cherchèrent à réduire
l'influence soviétique en Europe de l'Est avec d'autres méthodes que la
politique de "rollback" (ou refoulement). Cela aboutit au
développement de la politique d'"endiguement" (ou containment, JPR) et à des mesures de
guerre économique et psychologique
(c’est moi qui souligne, JPR) et finalement à des négociations directes avec
l'URSS concernant le statut des États du bloc communiste. À l'été 1956, les
relations entre la Hongrie et les États-Unis commencèrent à s'améliorer. Au
même moment, les Américains répondirent favorablement aux ouvertures hongroises
concernant une possible expansion des relations commerciales bilatérales. Le
désir hongrois en faveur de meilleures relations était en partie attribuable à
la situation économique catastrophique du pays. Cependant, le rythme des
négociations était ralenti par le ministre des affaires étrangères hongrois qui
craignait que ces meilleures relations avec l'ouest n'entraînassent
l'affaiblissement du pouvoir communiste en Hongrie". Fin de citation.
Vous
avez compris ? Ce film, ce nanar ou ce navet -lire l’article
« nanar » sur Wiki d’une richesse/drôlerie exceptionnelle- est en
réalité un des multiples avatars de la guerre froide psychologique que les
Américains livraient aux Soviétiques. Tout devait être fait pour démontrer que
les Hongrois, derrière Nagy, n’avaient qu’un désir - rejoindre l’Occident - et
ici n’avaient qu’un désir : que Sissi, la Bavaroise, la Tyrolienne, l’impératrice
d’Autriche éprise -jusqu’au caprice- de liberté, fût leur reine. Ce film ne
s’adresse pas aux intellectuels mais, figurez-vous, dans l’opinion publique
c’est le peuple qui compte, qui fait le plus de bruit. Les Américains l’ont
bien compris. La propagande en direction des intellectuels et classes
dirigeantes est à faire et est faite, mais le bon peuple doit être dans le coup
aussi. Et la machine de guerre hollywoodienne est en branle nuit et jour.
Le
film fait référence à un fait réel qui eut lieu le 8 juin 1867 :
François-Joseph 1er, empereur d’Autriche, fut couronné roi de
Hongrie et son épouse était présente à ses côtés. Mais loin de refléter
l’adhésion pleine et entière des Hongrois à la monarchie autrichienne, ce fait
consacre la quasi indépendance magyare. Autriche et Hongrie devenant deux États
ayant le même chef qui est empereur ici et roi là. C’est la double monarchie,
l’Autriche-Hongrie. Un évènement montre, mieux que tout, les réticences
autrichiennes qu’il a fallu surmonter et la pression hongroise sans
relâche : c’est la défaite militaire sans bavure des Autrichiens face aux
Prussiens à Sadowa, en 1866, qui a obligé François-Joseph à satisfaire aux
exigences hongroises : il n’était plus en mesure de résister. De tout
cela, le film ne dit mot. Mais cela me conduit à écrire un autre article.Deux ou trois choses sur l’histoire de la Hongrie...
L’art baroque, art de l’encens.
Marischka
est un autrichien de Vienne : le baroque coule dans ses veines. Pour
plaire au public, il sait qu’il faut le gaver de sucreries. Le concile de
Trente l’a dit avant lui qui engendrera le style jésuite puis le baroque. Concernant
l'art baroque, un spécialiste de la question nous fait remarquer que le concile
de Trente invitait "les évêques à tout faire pour que l'histoire des
mystères de notre Rédemption, représentés en peinture ou autrement, instruise
les fidèles" [3]. Un peu plus loin, le concile déclare : "la
nature de l'homme étant telle qu'il ne peut aisément sans secours extérieurs
s'élever à la méditation des choses divines, l’Église, pieuse mère, a établi
certains usages... Elle a introduit des cérémonies, comme les bénédictions
mystiques, les lumières, les encensements, les ornements et plusieurs choses semblables,
qu'elle tient de l'enseignement et de la tradition des apôtres, à la fois pour
rendre plus recommandable la majesté d'un si grand sacrifice (la messe) et pour
exciter les esprits des fidèles, par ces signes visibles de piété et de
religion, à la contemplation des choses sublimes qui sont cachées dans le
sacrifice"[4]. Désagréable sensation de lire que le peuple est pris
pour un imbécile. Peter Skrine, le spécialiste évoqué confirme, comme bien
d'autres historiens, que "l'on ne saurait exagérer l'importance de ces
trois facteurs — majesté royale, spiritualité ardente et goût du théâtre— dans
l'épanouissement du baroque européen".
De
ce point de vue, la scène finale de Sissi,
la cérémonie du mariage, est un chef-d’œuvre de matraquage des esprits. La caméra
insiste lourdement sur le retable baroque derrière l’autel, monte lentement
vers... le Ciel -mais on sait que la verticalité est divine alors que l’horizontalité
est humaine- et, over all, envoie à
la rescousse G.F. Haendel et son Messie. Ça
donne ça : (c’est tout ce que j’ai trouvé).
https://www.youtube.com/watch?v=BAnpQrO8oeQ
Après
avoir vu/entendu cela comment ne pas croire en Dieu ? Marischka exploite à
fond la veine traditionaliste.
Je
termine sur les trois Sissi en disant
que Marischka se moque totalement de ses spectateurs. Dans le n°2, on l’a vu,
nous assistons à une scène qui se déroule en 1867. Et dans le n°3, nous allons
en Italie, à Milan et à Venise, qui ont été perdus par François-Joseph
respectivement en 1859 et en 1866. Notez bien que tout le monde s’en fout.
Mais
ces Sissi, à leur façon, contribuent
à la diffusion de l’idéologie traditionaliste parmi les masses.
[2]
Lire la série d’articles sur l’empire d’Autriche-Hongrie.
[3]
Christian NORBERG-SCHULZ, "une dynamique de la séduction",
Courrier de l'UNESCO, numéro de septembre 1987.
[4]
Hefele-Leclercq, Histoire des conciles, Tome X.
[5]
Pour le baroque, on peut tenter ceci (s’arrêter pile à la 40° seconde, 00’ 40’’
sur 05 :13). supprimé : l'article a été remplacé par du porno...