DVD
2011, distribution France-Télévision.
Imaginez
un immense drapeau nazi, de l’ordre de 50m2, étendu parallèlement au sol avec
des piquets qui le maintiennent à 1,5m - 2 mètres du sol. Dessous des dizaines
d’hommes, femmes, enfants, vieillards qui vivent ou tentent de survivre, en
tout cas qui ne sont pas morts. Le drapeau nazi les protège des bombardements
japonais car l’Allemagne est, alors, alliée du Japon. Le drapeau nazi qui joue
un rôle protecteur et humanitaire, évidemment, ça craint. Cette image n’était
pas cinématographiable pendant des décennies. Mais la mise en contexte est
obligatoire.
Nankin,
décembre 1937, un crime contre l’humanité se commet : l’armée impériale
japonaise veut frapper un grand coup contre la capitale de la Chine nationaliste
et républicaine. Il y aura 300.000 morts par bombardements aériens, canonnades
d’artillerie, fusillades, mitraillages, explosions de mines, décapitations au
sabre, balles de revolver dans la nuque… Tout. Tout l’arsenal y passe. C’est
l’horreur. "Il faut que Nankin sente
notre supériorité. Nankin, la capitale est le symbole de la Chine libre"[1] a dit le prince-impérial, chargé du
haut-commandement. Cela se passe sans déclaration de guerre. Ce sont donc les "évènements
de Nankin"[2].
A
Nankin, port du Yang-Tseu-Kiang accessible aux navires de mer, l’électricien
allemand SIEMENS AG a construit une centrale électrique très importante ainsi
que le central téléphonique. John Rabe dirige tout cela. Il est arrivé en Chine
il y a 27 ans, donc en 1910. Jeune marié, sa femme avait 19 ans à cette date.
On ne sait s’il est retourné une ou deux fois en Allemagne pendant ces 27
années mais depuis 1933 et l’arrivée d’Hitler au pouvoir -quatre ans donc- il
n’y a pas mis les pieds. Il va le faire : il est rappelé en Allemagne, il
a pris ses billets à la compagnie maritime. Son remplaçant prend ses fonctions
le 6 décembre. Rabe est membre du parti nazi comme tout cadre dirigeant de la
grande industrie se devait de le faire. Il est loyaliste. C’est un sujet de
l’empereur, der Untertan. A Nankin,
l’ambiance est bonne entre les délégations internationales. Allemands et
Anglais partagent le même cercle. On boit le whisky soit devant le portrait du
führer soit devant celui du roi George. Le drapeau nazi envoyé d’Allemagne n’a
même pas été déployé, sorti de son emballage. Le remplaçant qui arrive, Fliess,
nazi jusque dans ses fibres, est scandalisé. D’ailleurs, Rabe a mal fait son
boulot : certains Chinois de l’usine, qui le saluent, font le salut
hitlérien avec la main gauche ! Ça va changer.
Les
évènements empêchent ce déroulement. Lors d’une cérémonie officielle où John
Rabe est félicité pour son travail par les autorités chinoises -il est déclaré "héros du peuple chinois, membre de l’ordre
de Jade" - les premiers bombardements japonais arrivent, Rabe n’a même
pas le temps de finir son discours de remerciement, le lustre monumental lui
tombe sur la tête, toutes les queues de pie, robes longues, beaux bijoux
s’enfuient à toutes jambes, c’est la pagaïe. L’armée impériale japonaise arrive de
Shanghai - un bain de sang selon le
jeune diplomate allemand Dr Georg Rosen (Daniel Brühl, Good bye Lenin !,
qui confirme ses talents), qui en témoigne - et ses intentions sur
Nankin sont claires. Une seule solution pour les étrangers : créer une zone
de sécurité, bien délimitée, sous contrôle des civils et une zone exclusivement
civile, aucun soldat chinois ne doit s’y trouver. Aucun. Sinon, les Japonais
banaliseront la zone et, donc, tout sera exterminé, rasé, aura disparu. Soit. C’est
John Rabe qui est élu président de la zone civile de sécurité de Nankin. Un
Anglais, le médecin de l’hôpital, Dr Wilson, qui déteste les nazis et déteste donc
Rabe, est élu vice-président.
Nous
avons ici affaire à un excellent film historique. Le danger est -comme je viens
de le faire- de tomber dans l’ennui. Dans le documentaire. D’ailleurs ARTE en a
réalisé un excellent, visible en ligne. http://www.youtube.com/watch?v=tqdAOOM3X6s.
Mais sans parler de cinéma de divertissement, mot particulièrement inapproprié,
il fallait au minimum réaliser un film grand public, car il y a là un fait
historique monstrueux qui doit être connu, dénoncé et dont la mémoire doit être
entretenue. Je crois que Florian Gallenberger a gagné son pari. Par exemple, le
film mêle adroitement les photos d’époque, prises sur le vif -sur le vif avant
la mort- et les prises de vue de 2009. Les photos d’époque sont noires et
blanches, on passe à d’autres photos qui en sont la suite, mais qui prennent
peu à peu de la couleur et l’on arrive à la fiction. On sait qu’il y avait à Nankin,
comme témoin, un certain révérend, John Magee, qui possédait une camera dernier
cri et dont les films constituent une des preuves les plus accablantes du crime
japonais.
Le scénario place des scènes dignes de film d’aventures. En
voici une. Dans la zone civile de sécurité, il y avait un lycée de jeunes
filles chinoises. L’une d’elles, Langshu, fort
jolie (Zhang Jingchu, casting réussi) - qui tombera d’ailleurs amoureuse du
jeune Dr Rosen - apporte régulièrement, fort tard dans la nuit, une portion de
riz à son jeune frère qui vit chez son père malade. Un soir, elle est surprise
par deux soldats japonais qui patrouillent. Ils la suivent, pénètrent dans le
taudis, tuent le père sans autre forme de procès et entreprennent de la violer
sur la table, non sans avoir, toutefois, poser le pistolet sur un meuble. Les
Kamis ont la classe. Le petit frère, 7 ans, dissimulé sous le lit, réagit en brave, il voit le pistolet, s’en
empare et tue les deux salopards. Mais les coups de feu ont été entendus. Il
faut fuir. On retrouve Langshu, déguisée en soldat japonais dont elle a pris l’uniforme,
et son petit frère dans la nuit. Mais un soldat japonais a-t-il un visage si
fin et une silhouette si délicate ? La supercherie ne passe pas, poursuite,
fuite, etc… je tais la suite.
Très
belle scène également : Madame Rabe monte sur le navire qui doit les ramener en Europe. Elle voit la gêne de son
mari. Elle comprend : il va rester à Nankin. Étreinte. Cruauté. L’équipage
presse. Impossible de se séparer. C’est la rampe d’accès qui recule manipulée
par les dockers du port. Rabe n’a pas fait un geste, c’est la situation, c’est Nankin,
c’est la Chine qui l’obligent à rester. La situation objective est sa volonté.
Sur
cette photo extraite du film, on voit le navire à passagers -sur lequel
John Rabe a décidé de ne pas monter pour rester et aider ces salariés
et amis chinois - qui vient à peine de quitter le port de Nankin et qui a
été bombardé par les Japonais ; il est en flammes.
Tout
cela pour dire que l’on a droit à une vraie séance de cinéma en plus d’une
leçon d’histoire nécessaire. Le film fait bonne place à un fait réel
spectaculaire. Il s’agit du défi que se sont lancé deux officiers débiles à
savoir qui décapitera le plus de Chinois. A un moment donné, le score était de
105 à 106. "C’est très suivi par la
presse de notre pays, vous savez"
dit un soldat à John Rabe qui n’en revient pas et est même totalement
décomposé. Le scénario amène habilement le spectateur à voir la violence. Rabe
cherche son chauffeur (chinois), habituellement toujours à côté de la voiture. Voit sa casquette
par terre. On lui dit qu’il a été malpoli avec un officier japonais et qu’il a
été emmené pour être puni. On court. Trop tard ; Rabe ne peut que voir derrière
une palissade un japonais manier le sabre, à très large lame, et ensuite la
tête à même le sol. Quelques minutes plus tard, il verra des têtes amoncelées
comme un tas de pastèques. On s’amuse comme on peut dans l’armée impériale japonaise.
.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Contest_To_Cut_Down_100_People.jpg
Un
ancien combattant japonais qui raconte ses souvenirs dira « c’était les ordres de l’armée. Nous ne
pouvions pas désobéir ». Vive donc la révolution française dont la
déclaration des droits de l’homme et du citoyen dit, en son article VII, « Ceux qui sollicitent, expédient, exécutent ou font exécuter
des ordres arbitraires, doivent être punis » et dont la
constitution de l’an I (1793) proclamait : « ART. 33. - La résistance à l'oppression
est la conséquence des autres Droits de l'homme. (…). ART.35. - Quand le
gouvernement viole les droits du peuple, l'insurrection est, pour le peuple et
pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus
indispensable des devoirs ».
A la fin du film, Rabe quitte ceux qui sont
devenus ses amis. Ce ne fut pas facile. Le Dr Wilson lui reprochera tant et
plus son adhésion au nazisme, sa naïveté à l’égard d’Hitler. Mais le film
montre bien que Rabe est ignorant des réalités de son pays qu’il a quitté depuis
27 ans, que son courage face aux Japonais démoniaques relève de l’héroïsme, que
son attachement à l’égard de ses employés chinois puis de tous les Chinois de Nankin
relève de l’humanité la plus pure. Wilson et les autres lui chantent For he’s a jolly good fellow, cette
chanson qui est entonnée, nous dit-on, pour féliciter quelqu’un lors d’un
heureux évènement. Il meurt en 1950 d’une crise cardiaque. En 1997, sa
dépouille est transférée de Berlin à Nankin où elle est accueillie avec les
honneurs. Il repose désormais à l'emplacement du mémorial du massacre. Le gouvernement
japonais n’a toujours pas reconnu officiellement le massacre de Nankin.
Un
grand film. porté sur ses épaules par Ulrich TUKUR, dans le rôle de John Rabe, de fort belle manière.
·
Guerre sino-japonaise (1937-1945)
· Massacre de Nankin
John Magee
http://fr.wikipedia.org/wiki/John_Rabe,_le_juste_de_Nankin