« John RABE, le juste de Nankin », 2009, Florian Gallenberger

publié le 14 juin 2019, 09:55 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 15 nov. 2019, 00:50 ]
publié le 18 déc. 2012 à 17:26 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 2 oct. 2016 à 00:01 ]

    DVD 2011, distribution France-Télévision.

 

    Imaginez un immense drapeau nazi, de l’ordre de 50m2, étendu parallèlement au sol avec des piquets qui le maintiennent à 1,5m - 2 mètres du sol. Dessous des dizaines d’hommes, femmes, enfants, vieillards qui vivent ou tentent de survivre, en tout cas qui ne sont pas morts. Le drapeau nazi les protège des bombardements japonais car l’Allemagne est, alors, alliée du Japon. Le drapeau nazi qui joue un rôle protecteur et humanitaire, évidemment, ça craint. Cette image n’était pas cinématographiable pendant des décennies. Mais la mise en contexte est obligatoire.

    Nankin, décembre 1937, un crime contre l’humanité se commet : l’armée impériale japonaise veut frapper un grand coup contre la capitale de la Chine nationaliste et républicaine. Il y aura 300.000 morts par bombardements aériens, canonnades d’artillerie, fusillades, mitraillages, explosions de mines, décapitations au sabre, balles de revolver dans la nuque… Tout. Tout l’arsenal y passe. C’est l’horreur. "Il faut que Nankin sente notre supériorité. Nankin, la capitale est le symbole de la Chine libre"[1] a dit le prince-impérial, chargé du haut-commandement. Cela se passe sans déclaration de guerre. Ce sont donc les "évènements de Nankin"[2].

    A Nankin, port du Yang-Tseu-Kiang accessible aux navires de mer, l’électricien allemand SIEMENS AG a construit une centrale électrique très importante ainsi que le central téléphonique. John Rabe dirige tout cela. Il est arrivé en Chine il y a 27 ans, donc en 1910. Jeune marié, sa femme avait 19 ans à cette date. On ne sait s’il est retourné une ou deux fois en Allemagne pendant ces 27 années mais depuis 1933 et l’arrivée d’Hitler au pouvoir -quatre ans donc- il n’y a pas mis les pieds. Il va le faire : il est rappelé en Allemagne, il a pris ses billets à la compagnie maritime. Son remplaçant prend ses fonctions le 6 décembre. Rabe est membre du parti nazi comme tout cadre dirigeant de la grande industrie se devait de le faire. Il est loyaliste. C’est un sujet de l’empereur, der Untertan. A Nankin, l’ambiance est bonne entre les délégations internationales. Allemands et Anglais partagent le même cercle. On boit le whisky soit devant le portrait du führer soit devant celui du roi George. Le drapeau nazi envoyé d’Allemagne n’a même pas été déployé, sorti de son emballage. Le remplaçant qui arrive, Fliess, nazi jusque dans ses fibres, est scandalisé. D’ailleurs, Rabe a mal fait son boulot : certains Chinois de l’usine, qui le saluent, font le salut hitlérien avec la main gauche ! Ça va changer.

    Les évènements empêchent ce déroulement. Lors d’une cérémonie officielle où John Rabe est félicité pour son travail par les autorités chinoises -il est déclaré "héros du peuple chinois, membre de l’ordre de Jade" - les premiers bombardements japonais arrivent, Rabe n’a même pas le temps de finir son discours de remerciement, le lustre monumental lui tombe sur la tête, toutes les queues de pie, robes longues, beaux bijoux s’enfuient à toutes jambes, c’est la pagaïe. L’armée impériale japonaise arrive de Shanghai - un bain de sang selon le jeune diplomate allemand Dr Georg Rosen (Daniel Brühl, Good bye Lenin !, qui confirme ses talents), qui en témoigne - et ses intentions sur Nankin sont claires. Une seule solution pour les étrangers : créer une zone de sécurité, bien délimitée, sous contrôle des civils et une zone exclusivement civile, aucun soldat chinois ne doit s’y trouver. Aucun. Sinon, les Japonais banaliseront la zone et, donc, tout sera exterminé, rasé, aura disparu. Soit. C’est John Rabe qui est élu président de la zone civile de sécurité de Nankin. Un Anglais, le médecin de l’hôpital, Dr Wilson, qui déteste les nazis et déteste donc Rabe, est élu vice-président.

    Nous avons ici affaire à un excellent film historique. Le danger est -comme je viens de le faire- de tomber dans l’ennui. Dans le documentaire. D’ailleurs ARTE en a réalisé un excellent, visible en ligne. http://www.youtube.com/watch?v=tqdAOOM3X6s. Mais sans parler de cinéma de divertissement, mot particulièrement inapproprié, il fallait au minimum réaliser un film grand public, car il y a là un fait historique monstrueux qui doit être connu, dénoncé et dont la mémoire doit être entretenue. Je crois que Florian Gallenberger a gagné son pari. Par exemple, le film mêle adroitement les photos d’époque, prises sur le vif -sur le vif avant la mort- et les prises de vue de 2009. Les photos d’époque sont noires et blanches, on passe à d’autres photos qui en sont la suite, mais qui prennent peu à peu de la couleur et l’on arrive à la fiction. On sait qu’il y avait à Nankin, comme témoin, un certain révérend, John Magee, qui possédait une camera dernier cri et dont les films constituent une des preuves les plus accablantes du crime japonais.

    Le scénario place des scènes dignes de film d’aventures. En voici une. Dans la zone civile de sécurité, il y avait un lycée de jeunes filles chinoises. L’une d’elles, Langshu, fort jolie (Zhang Jingchu, casting réussi) - qui tombera d’ailleurs amoureuse du jeune Dr Rosen - apporte régulièrement, fort tard dans la nuit, une portion de riz à son jeune frère qui vit chez son père malade. Un soir, elle est surprise par deux soldats japonais qui patrouillent. Ils la suivent, pénètrent dans le taudis, tuent le père sans autre forme de procès et entreprennent de la violer sur la table, non sans avoir, toutefois, poser le pistolet sur un meuble. Les Kamis ont la classe. Le petit frère, 7 ans, dissimulé sous le lit, réagit en brave, il voit le pistolet, s’en empare et tue les deux salopards. Mais les coups de feu ont été entendus. Il faut fuir. On retrouve Langshu, déguisée en soldat japonais dont elle a pris l’uniforme, et son petit frère dans la nuit. Mais un soldat japonais a-t-il un visage si fin et une silhouette si délicate ? La supercherie ne passe pas, poursuite, fuite, etc… je tais la suite.

    Très belle scène également : Madame Rabe monte sur le navire qui doit les ramener en Europe. Elle voit la gêne de son mari. Elle comprend : il va rester à Nankin. Étreinte. Cruauté. L’équipage presse. Impossible de se séparer. C’est la rampe d’accès qui recule manipulée par les dockers du port. Rabe n’a pas fait un geste, c’est la situation, c’est Nankin, c’est la Chine qui l’obligent à rester. La situation objective est sa volonté.


    Sur cette photo extraite du film, on voit le navire à passagers -sur lequel John Rabe a décidé de ne pas monter pour rester et aider ces salariés et amis chinois - qui vient à peine de quitter le port de Nankin et qui a été bombardé par les Japonais ; il est en flammes.

    Tout cela pour dire que l’on a droit à une vraie séance de cinéma en plus d’une leçon d’histoire nécessaire. Le film fait bonne place à un fait réel spectaculaire. Il s’agit du défi que se sont lancé deux officiers débiles à savoir qui décapitera le plus de Chinois. A un moment donné, le score était de 105 à 106. "C’est très suivi par la presse de notre pays, vous savez" dit un soldat à John Rabe qui n’en revient pas et est même totalement décomposé. Le scénario amène habilement le spectateur à voir la violence. Rabe cherche son chauffeur (chinois), habituellement toujours à côté de la voiture. Voit sa casquette par terre. On lui dit qu’il a été malpoli avec un officier japonais et qu’il a été emmené pour être puni. On court. Trop tard ; Rabe ne peut que voir derrière une palissade un japonais manier le sabre, à très large lame, et ensuite la tête à même le sol. Quelques minutes plus tard, il verra des têtes amoncelées comme un tas de pastèques. On s’amuse comme on peut dans l’armée impériale japonaise.   .

http://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Contest_To_Cut_Down_100_People.jpg

     Un ancien combattant japonais qui raconte ses souvenirs dira « c’était les ordres de l’armée. Nous ne pouvions pas désobéir ». Vive donc la révolution française dont la déclaration des droits de l’homme et du citoyen dit, en son article VII, « Ceux qui sollicitent, expédient, exécutent ou font exécuter des ordres arbitraires, doivent être punis » et dont la constitution de l’an I (1793) proclamait : « ART. 33. - La résistance à l'oppression est la conséquence des autres Droits de l'homme. (…). ART.35. - Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l'insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs ».

 

    A la fin du film, Rabe quitte ceux qui sont devenus ses amis. Ce ne fut pas facile. Le Dr Wilson lui reprochera tant et plus son adhésion au nazisme, sa naïveté à l’égard d’Hitler. Mais le film montre bien que Rabe est ignorant des réalités de son pays qu’il a quitté depuis 27 ans, que son courage face aux Japonais démoniaques relève de l’héroïsme, que son attachement à l’égard de ses employés chinois puis de tous les Chinois de Nankin relève de l’humanité la plus pure. Wilson et les autres lui chantent For he’s a jolly good fellow, cette chanson qui est entonnée, nous dit-on, pour féliciter quelqu’un lors d’un heureux évènement. Il meurt en 1950 d’une crise cardiaque. En 1997, sa dépouille est transférée de Berlin à Nankin où elle est accueillie avec les honneurs. Il repose désormais à l'emplacement du mémorial du massacre. Le gouvernement japonais n’a toujours pas reconnu officiellement le massacre de Nankin.

    Un grand film. porté sur ses épaules par Ulrich TUKUR, dans le rôle de John Rabe, de fort belle manière.

 

 

·  Guerre sino-japonaise (1937-1945)

·  Massacre de Nankin

John Magee

http://fr.wikipedia.org/wiki/John_Rabe,_le_juste_de_Nankin

 

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