publié le 4 août 2018, 08:39 par Jean-Pierre Rissoan
[
mis à jour : 4 août 2018, 08:42
]
La nuit du 4 au 5 août (la séance s'achève à 2 heures du matin), dite "nuit du 4 août" est historique. Après la prise de la Bastille, le 14 juillet, qui fut la révolution de la Liberté, c'est la révolution de l’Égalité. Sont notamment abolies -sans indemnité - la servitude personnelle (il restait des serfs, notamment en France-Comté), l'exclusivité seigneuriale sur les colombiers et la chasse (voir plus bas), l'exclusivité sur l'accès à certaines professions (dès le 4 août, on pourrait appliquer le mot de Napoléon : "dorénavant, chaque Français a, dans son berceau, son bâton de maréchal), les justices seigneuriales (droit de basse justice), les dîmes au clergé (1/10° de la récolte), la vénalité des offices (les postes que nous appelons aujourd'hui de "fonctionnaires" s'achetaient), etc... Durant cette nuit du 4 août, la noblesse renonça en effet à son droit
exclusif de chasse, ce qui fut inscrit dans le marbre des deux premiers
articles du décret. Bien plus que d’autres droits, c’était une victoire
concrète qui marqua la paysannerie et assura en grande partie son
adhésion à la Révolution, tout en libérant les centaines d’hommes
condamnés aux galères pour faits de chasse. Comme le relate Jacques
Bernet dans sa présentation du Journal d’un maître d’école d’Île-de-France, 1771-1792
(PUS, 2000), la chasse, que l’on ne saurait regarder avec nos yeux
contemporains au risque de l’erreur anachronique, fut ainsi une des
conquêtes démocratiques les plus fortes de la Révolution (P. Serna). Très vite, certains députés voulurent revenir sur ce qui avaient été pour eux un moment d'égarement. Et cet enthousiasme à abandonner ses privilèges fut souvent moqué car, par exemple, les droits seigneuriaux n'étaient pas réellement abolis : il aurait fallu attendre trente ans pour ce faire ! A cet égard, la pièce d'Ariane Mnouchkine reste pour moi un souvenir inoubliable. Mais 1793, autre moment très fort de la Révolution, régla ce problème de façon radicale.
le 4 août mérite d'être célébré autant que le 14 juillet... Je publie ce texte de Pierre Serna, paru dans L'Humanité du 3 août 2018.
J.-P. R.
Révolution.
La nuit du 4 août, ou la naissance d’un pays libre Le
5 août 1789 à 2 heures du matin, les députés mettent à bas la
domination féodale en proclamant l’abolition des privilèges, faisant de
chaque Français un citoyen égal à tous les autres. L’Ancien Régime est
mort.
L’analyse
de Karl Marx demeure juste lorsqu’en 1848, dans la Nouvelle Gazette
rhénane, il constate à propos des révolutions de 1789 et de 1848
qu’« elles étaient le triomphe de la bourgeoisie, mais le triomphe de la
bourgeoisie était alors le triomphe d’un nouveau système social, la
victoire de la propriété bourgeoise sur la propriété féodale ». L’été
1789 reste pour le philosophe allemand la matrice du monde contemporain,
celui de la « Révolution la plus gigantesque qu’ait connue
l’Histoire », faisant référence à cette nuit magique, celle du mardi 4
août 1789, lorsque, entre 8 heures du soir et 2 heures du matin, le
système féodal qui corsetait la France depuis les Carolingiens et
renforcé par les Capétiens depuis 1 200 ans s’effondra en quelques
heures, faisant naître un monde nouveau.
Tout avait commencé la veille, le soir du 3 août, lors de
la réunion du club breton à Versailles. C’est ainsi que l’on désignait
le club des députés patriotes à la pointe du combat depuis le mois de
juin lorsque, après s’être déclarés Assemblée nationale le 17 juin, ils
désobéirent au pouvoir exécutif du roi le 23 juin leur intimant l’ordre
de se séparer. En ce temps-là, les députés faisaient justement la loi.
Or, les nouvelles qui remontent des provinces depuis la mi-juillet sont
alarmantes. Une « grande peur » s’est emparée des campagnes. Les paysans
effrayés par des rumeurs de pillage se sont mis sur les chemins et ont
décidé de se rendre dans les châteaux, pour vérifier les chartriers, là
où sont entreposés ces fameux documents dont se servent les seigneurs
pour imposer toujours davantage les communautés de travailleurs sur leur
fief. Les impôts de toutes sortes ne cessent de s’appesantir sur la
masse paysanne, sans compter les vexations anciennes, ni même les impôts
en nature, ou bien les caprices. Ici, il faut refaire gratuitement les
chemins du seigneur, là il faut l’inviter de force à la noce des
enfants, partout il est interdit de chasser un gibier qui pullule
lorsque tous ont faim.
Le vicomte de Beauharnais demande l’égalité des peines, la même justice pour tous
C’est décidé, les députés vont donner une réponse forte à
ces « brûlements de château » et faire cesser cette domination féodale
qui n’a plus de sens au moment où naît la nation. Le vicomte de Noailles
suggère d’emblée l’allégement des droits féodaux, mais surtout
l’abolition des privilèges devant l’impôt, faisant de chaque Français un
citoyen égal à tous les autres, devant par ses contributions aider à la
fortune nationale. Plus prudent, le duc d’Aiguillon approuve ces
décisions en soulignant que, la propriété privée devenant le socle de la
nouvelle notabilité, il faudra racheter les droits seigneuriaux durant
un laps de temps de trente ans. S’ensuit alors un moment électrique dans
l’Assemblée, où les prises de parole ne cessent plus, rivalisant de
générosité civique. Le clergé renonce à la dîme, impôt qui s’il n’est
pas le plus lourd est le plus détesté, car unanimement levé dans tout le
royaume. Le vicomte de Beauharnais demande l’égalité des peines, et
donc la même justice pour tous. Le duc de La Rochefoucauld, qui préside
la séance, va jusqu’à évoquer l’abolition de l’esclavage.
Le pouvoir n’était plus à vendre, ni aux nobles ni aux bourgeois
À 2 heures du matin, il clôt le débat, constatant que les
privilèges, les inégalités et les particularismes ont été abolis. De
fait, il faudra plus de six jours pour que toutes les propositions de la
nuit soient rédigées sous forme de décrets, beaucoup revenant, après
l’ivresse de la nuit, sur ce qu’ils ont cédé et tentant d’amoindrir la
force des déclarations. Mais le pas a été franchi lorsque, le 11 août,
la loi est votée. Une France nouvelle est née, un ancien régime est
mort. Il n’y a plus en France de système féodal.
Les mesures ne furent pas seulement économiques ou
sociales. Elles furent aussi politiques. Les provinces avaient renoncé à
leurs barrières et les villes à leurs privilèges. La France devenait un
tout égal et uni. Surtout, en abolissant la vénalité des charges et la
vente des offices, désormais la propriété privée était séparée du
pouvoir. Désormais le pouvoir n’était plus à vendre, ni aux nobles ni
aux bourgeois. Tous pouvaient participer librement et également à toutes
les charges publiques. C’en était fini des prébendes. Désormais le
talent et le travail honnête garantissaient seuls la juste place de
chacun dans la société. Plus que la fin de l’ancienne royauté, la nuit
du 4 août porte le germe de la République. Loustallot, journaliste des
Révolutions de Paris, peut conclure, se souvenant de cette nuit : « La
Fraternité, la douce fraternité régnait partout. ».
Pierre SERNA, Historien Vendredi, 3 Août, 2018
|
|