Notre révolution, y compris dans
ce qu’elle a produit de plus généreux, est combattue, critiquée, méprisée. Mais
elle ne nous appartient plus entièrement, les peuples s’en sont emparé. Comme
en Afrique du sud par exemple.
Après la mort de Robespierre, il
y eut quoiqu’en disent les révisionnistes, une réaction, c’est-à-dire un retour
en arrière. Le lobby esclavagiste redresse …la tête. Et comme on ne prête qu’aux
riches, pour diminuer et combattre le rôle de la députation de Saint-Domingue,
de Sonthonax et Polverel, « on les
accuse tous ensemble de ‘robespierrisme’ ce qui était grave à l’époque »[1].
Cette place reconnue à l’Incorruptible explique sans doute sa popularité dans
le pays de Nelson Mandela.
Le petit monde
des historiens révisionnistes
Le journal Le Monde publie, en
2009, un numéro hors série relatif au 220° anniversaire de la Révolution. Sa
page de couverture montre le comte Henri de Vaucelles dont l’ancêtre, Gabriel
Barthélémy Romain de Filhot, a été guillotiné en 1794. Et, comme chacun sait,
le Monde est un journal très drôle et le comte Henri, décapité, assis sur un
fauteuil nous présente sa tête sur un plateau qu’il tient avec sa main droite. La
Révolution, c’est la guillotine et la terreur. Depuis quelques décennies, le
Monde – journal de l’élite patronale, il l’annonça avec fracas le mardi 22
septembre 2009 suite à des sondages – a résolument opté pour les thèses
révisionnistes concernant la Révolution française. Il le dit sans ambages dans
un article du 10 mai 2009 : « l’apparition
en 1789-1793 de termes qui glacent le sang donne raison à ceux qui, de
l’historien François Furet à Alexandre Soljenitsyne, considèrent que ces
années-là ont imprimé à l’histoire un cours pervers »[2].
Concernant l’abolition de
l’esclavage, Le Monde exhume pour ce 220° anniversaire un article de
Sala-Molins du 21 février 1994, dans lequel celui-ci ne tient aucun compte des
travaux du congrès tenu à Saint-Denis, trois semaines auparavant. Peut-être n’y
a-t-il pas assisté ? Les journalistes du Monde de 2009, en revanche,
avaient en mains les actes de ce colloque publiés en 1995. En tout cas, on
constate qu’entre Sala-Molins et sa thèse de la « farce » d’une part,
et ce colloque d’autre part, dont le comité scientifique était composé de
Maurice Agulhon (Collège de France), Boubakar Barry (Dakar), Carminella Biondi
(Bologne), Catherine Duprat (Paris I), Jean Metellus (écrivain), Bernard
Plongeron (CNRS), Madeleine Rebérioux (Paris VIII, présidente de la ligue des
droits de l’homme), Jean Suret-Canale (Paris VII), Michel Vovelle (Paris I,
ancien titulaire de la chaire d’enseignement de l’histoire de la R.F.), entre
les deux donc, le cœur du Monde ne balance pas et opte pour Sala-Molins lequel
apporte de l’eau aux moulins des furetistes de l’autre bord. Il fut un temps où
Le Monde choisissait mieux ses sources.
L’hommage de la patrie de Nelson Mandela
Mais la Révolution a une aura qui
déborde du cadre de l’hexagone et peut négliger les mesquineries.
Le 18 novembre 2003, le président
Thabo Mbeki, successeur de Nelson Mandela à la tête de la république
Sud-Africaine, fut invité à s’exprimer devant la représentation nationale
française. D’un texte de 3500 mots environ, j’extrais ce vibrant hommage à
l’Incorruptible - cité quatre fois - et à notre Révolution (450 mots).
Le chef de cet État sud-africain né d’un conflit débuté « en 1510 contre les Portugais et qui s’acheva
484 ans plus tard, en 1994, lorsque notre peuple acquit la liberté
prévue dans la Déclaration des droits de
l’homme de 1789 »
commence par citer de fortes paroles : « Que la France, qui fut illustre parmi les nations asservies, puisse
devenir, en éclipsant la gloire de tous les pays libres qui aient jamais existé,
un modèle pour les nations, la terreur des oppresseurs, une consolation pour
les opprimés, un ornement pour l’univers et que, en scellant cet ouvrage par
notre sang, nous puissions voir l’aube
du jour lumineux du bonheur universel. Telle est notre ambition, tel est le
but de nos efforts... ». Ces paroles, poursuit le président, « ont
été prononcées par le jacobin Maximilien
Robespierre, en février 1794 ». Le chef d’État salue « le peuple français qui a osé être libre, qui
a osé agir avec audace pour créer un monde nouveau »[3]. Le peuple français acteur « d’une révolution qui a fait date ».
C’est pourquoi,
« en tant que Sud-Africains, nous ne pouvons que conclure qu’un peuple tel
que celui-ci ne peut qu’être notre ami, notre allié. (…). Il était donc inévitable
que nous, les victimes du système pernicieux d’un régime raciste de minorité
blanche, qui nous considérait et nous traitait comme des sous-humains, nous nous identifiâmes avec la révolution française et nous
inspirâmes de ce qui avait été fait dans ce pays ayant donné naissance à la
déclaration solennelle selon laquelle
« les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits », ce
qui proclamait la vision de l’égalité, de la liberté et de la fraternité !
Nous sommes venus en France en sachant, dans nos cœurs, que nous rendons visite
à une peuple ancien qui, comme l’a dit Maximilien Robespierre, « en scellant cet ouvrage avec son sang, peut
voir l’aube du jour lumineux du bonheur universel ».
« En effet, notre continent
a grand besoin de voir, à son tour, ‘l’aube
du jour lumineux du bonheur universel’. (…). Mais nous devons d’abord
procéder de manière générale à un réalignement et à ce que Robespierre appelait l’empire de la raison. (…). Peut-être tout
ceci nous est-il une invitation à proclamer notre propre siècle des Lumières
avec son nouveau Jean-Jacques Rousseau.
(…). Parce que je m’exprime dans ce
lieu chargé d’histoire, né d’une
révolution qui a aidé le monde à changer, puis-je rassembler assez de
courage pour demander aux représentants du peuple français, aux descendants de ceux qui ont osé engager les événements
de 1789, d’affirmer d’un seul homme que nous avons pour ambition d’être les témoins de l’aube de ce
jour de liesse universelle ».
Fin de citation.
Posons la question aux
révisionnistes : devant quel autre pays, le président du pays de Nelson Mandela pouvait-il prononcer cette
allocution ? L’ Allemagne ? N’insistons pas. Les Pays-Bas dont le
calvinisme gomarien a enfanté l’immonde apartheid ? L’ Angleterre, grande
massacreuse de Zoulous, inventeur des Indentured
Servant, dont la figure de proue de la soi-disant Glorious revolution est l’esclavagiste John Locke ? Les États-Unis ? N’insistons pas non plus…
Oui, il y a une exception
française. C’est un honneur de pouvoir associer les noms de Robespierre et de
Nelson Mandela [4].
[1] Fl. GAUTHIER, colloque de
1994, page 206.
[2] Sous la plume de B. Le
Gendre, universitaire par ailleurs. 10 mai 2009. Ces termes qui glacent le sang
sont nationaliser, propagande,
guillotine, déporter. Ce dernier mot étant « prêt à resservir »
(sic). Révolution française et nazisme : même famille ! Voici le texte
de la lettre que j’ai adressée au Monde. « Je viens de (re)lire votre
article du 10 mai 2009. Il est simplement odieux. Tout concourt à faire le
parallèle entre (voire à l’identifier) révolution française et nazisme : déporter, effroi, Soljenitsyne, raciale,
déportation, le mot est entré dans le vocabulaire courant, prêt à resservir
(en 39-45, bien évidemment)… Ces déportations sont anciennes. Comment
croyez-vous qu’a été peuplé le nouveau monde ? Voici des documents sur les
méthodes de nos amis Anglais tant admirés par Le Monde : Lettre CIV de
Cromwell, 16 septembre 1649, adressée à Bradshaw, président du conseil d’État : Je crois que nous avons passé au fil de l’épée la totalité des
défenseurs, je ne pense pas que trente d’entre eux aient eu la vie sauve, ceux
qui l’ont eu sont sous bonne garde à destination des Barbades. Lettre CV du
même, expédiée de Dublin le 17 sept 1649, Adressée à l’honorable W. Lenthall,
Esquire, speaker du parlement d’Angleterre : « Le jour suivant,
furent sommées les deux autres tours…mais (les hommes) refusèrent de se rendre…
Lorsqu’ils se soumirent, leurs officiers furent assommés, et leurs soldats
décimés, et le reste embarqué pour les Barbades ». Lettre de Cromwell,
16 juillet 1658 (concernant l’Espagne) citée par Stirling-Taylor
(pp.301-302) : « à notre fils.
J’ai reçu une adresse du Lt-Colonel Nelson touchant le transport d’Irlandais en
Espagne : il désire par là recevoir quelque compensation pour les pertes
qu’il a encourues dans cette affaire, en terres situées en Irlande. Je crois
qu’il a beaucoup souffert et que ses pertes ont été de quelque profit pour
l’Irlande, par le fait qu’il a déporté ces gens ». Stirling-Taylor
publie son livre en 1934, bien avant l’arrivée des historiens révisionnistes. …
. Quant à la France, la « peuplade » (sic) du Canada aux XVII-XVIII°
siècles s’est faite par des rafles et le film de Tavernier « Que la fête commence » nous en
donne une illustration. … . La révolution française n’a pas pu tout
‘révolutionner’. Elle est héritière de l’Ancien Régime sur bien des points. Et
votre Petit Robert ne vous dit rien sur les mots hérités de cet Ancien Régime
catholique ? Excommunication,
anathème, martyr, supplice, roué de coups, croisade, hérésie, servage,
dragonnades… j’en passe et des meilleurs. … .Quelle tristesse ! ».
[3] Dans l’emploi de ce verbe
« oser » ne faut-il pas entendre un salut à E. Kant qui déclara
« ose te servir de ton propre entendement »… ? N.B. le texte est
disponible sur le site de l’Assemblée nationale. C’est moi qui souligne, soit en
gras, soit en italique.
[4] J’écris ces lignes
(octobre 2009) au moment où j’apprends que le conseil municipal de Paris vient
de refuser, une nouvelle fois, de baptiser une rue de la capitale du nom de
Robespierre, sur une proposition de Georges Sarre (MRC). Lors de la discussion,
la droite le qualifia d’«assassin ». Propos indignes.