Et si la République célébrait enfin l’anniversaire de sa naissance ?
Par Michel BIARD, professeur à l’université de Rouen, président de la Société des études robespierristes.
Le 14 juillet 1789 est la date symbolique de la Révolution. Elle n’a pourtant rien à voir avec l’avènement de la République, qui eut lieu le 22 septembre 1792, quand la Convention nationale, chargée de rédiger une nouvelle constitution, abolit la royauté et instaura la République. Pourquoi un tel oubli ? En ces premières années du XXIe siècle, de nombreux débats ont eu pour enjeux, réels ou prétendus, des questions liées à l’histoire, à tel point qu’un projet de Maison de l’histoire de France a même vu le jour sous le précédent quinquennat, tandis que diverses questions dites « mémorielles » agitaient la scène médiatique. Dans notre pays apparemment si soucieux de mémoire, aucune date ne marque dans le calendrier le jour de naissance de la République et aucune célébration officielle nationale ne rend hommage aux hommes qui abolirent la monarchie il y a deux cent vingt ans de cela. Pire, à l’exception des plus jeunes de nos concitoyen-ne-s, chacun-e se souvient que le bicentenaire de la Révolution française s’est pour l’essentiel concentré sur l’année 1989. Les lundi et mardi 21 et 22 septembre 1992, tous nos médias, toutes tendances politiques confondues, n’ont eu d’attention que pour les résultats du scrutin dominical tout juste connus… rien de moins que le référendum donnant une très courte majorité au «oui de la France à Maastricht» (titre du Monde, le 22). Difficile dans ces conditions de lutter pour celles et ceux qui, alors rassemblés à Paris à l’initiative du professeur Michel Vovelle, célébraient par un grand colloque international les deux cents ans de la République. Deux décennies se sont depuis écoulées sans que le constat soit modifié. Certes, des initiatives nombreuses célèbrent chaque année cette date anniversaire, mais l’État persiste à l’oublier. On objectera que la nation fête avec soin le 14 juillet comme un événement fondateur, mais encore convient-il de rappeler ici qu’il ne s’agit pas du 14 juillet 1789 (jugé trop «violent») mais du 14 juillet 1790. Ce jour-là, la Révolution se mit en scène elle-même pour donner, à Paris et dans toute la France, l’image d’une révolution achevée dans la concorde et d’une nation rassemblée autour du roi des Français. Notre République célèbre donc une fête de la monarchie et ignore la date de sa naissance ! Mais au fait, de quelle date s’agit-il ? Après l’assaut contre les Tuileries, le 10 août 1792, et le renversement de la monarchie, une nouvelle Assemblée fut élue, pour la première fois au suffrage universel masculin (quoique encore indirect). Prenant le nom de Convention nationale, elle avait pour mission de rédiger une nouvelle constitution[1]. Réunie de manière encore informelle le 20 septembre, alors que la précédente Assemblée se séparait, elle vota le 21, sur proposition de deux de ses membres (Collot d’Herbois et l’abbé Grégoire), un décret très court mais lourd de sens : «La Convention nationale décrète que la royauté est abolie en France.». Pour autant, la forme du nouveau régime ne fut pas mise en débat et il fallut donc attendre l’ouverture de la séance du 22 pour que ce dernier apparaisse. Encore n’est-ce qu’à travers une proposition symbolique, celle de Billaud-Varenne, qui demanda à «(…) dater les actes (… de) l’an premier de la République française», et ce «à compter de la journée d’hier (…)». La Première République française vit toutefois le jour ce 22 septembre 1792, car le décret aussitôt voté remplaça la référence au 21, proposée par Billaud-Varenne, par l’adverbe «dorénavant». Au sens strict, la Première République ne fut donc pas proclamée et ne fut même pas un objet de débats tant son évidence s’imposait[2]. De fait, elle naquit le 21, de droit le 22, néanmoins aucune de ces deux dates ne figure aujourd’hui dans notre calendrier. On s’en doute, le souvenir de la période la plus radicale de la Révolution et surtout celui de la Terreur nuisent à l’image de la Convention nationale et de son œuvre. Toutefois, si l’affaire était aussi simple, il conviendrait donc de débaptiser nombre de nos places et artères qui portent des noms de conventionnels, de supprimer plusieurs institutions prestigieuses nées des initiatives de la Convention, sans oublier de retirer du Panthéon les restes de Carnot, Condorcet et… Grégoire. Entendons-nous bien, nul ne prétend ignorer les violences de ces années, mais réduire à celles-ci la période 1792-1795 relève au mieux de l’ignorance, au pire d’une volonté d’extirper jusqu’à la moindre radicelle des si nombreux héritages révolutionnaires qui fondent encore notre démocratie et plus encore les idéaux gravés sur les frontons de nos édifices publics. Les 20 et 21 septembre 2012, en hommage à la Convention nationale et à la République, se tiendra à Paris un grand colloque international réunissant des historien-ne-s soucieux-ses de rappeler ces héritages, mais aussi de débattre des réalités de cet automne 1792. À l’issue du colloque, organisé par quatre universités (Clermont-Ferrand, Lille, III, Paris, I, Rouen) et par la Société des études robespierristes, se déroulera, à l’initiative de cette dernière, une cérémonie devant le Panthéon. Tous les citoyen-ne-s sont invité-e-s à participer à cet événement place du Panthéon le vendredi 21 septembre, à 17 heures. Société robespierriste La Société des études robespierristes, fondée en 1907 par Albert Mathiez, reconnue d’utilité publique en 1935, consacre ses activités à l’étude de la période révolutionnaire (entendue au sens large). Elle rassemble des chercheurs dont les travaux portent sur la Révolution française, mais accueille également tous les citoyen-ne-s que celle-ci passionne et/ou qui entendent en défendre les héritages. Présente dans le champ scientifique par ses publications et sa revue, les Annales historiques de la Révolution française, elle se conçoit aussi comme une société de pensée, ainsi que l’ont voulu ses fondateurs. En 2011, elle a, avec d’autres, organisé une souscription nationale qui a permis aux Archives nationales d’acquérir des manuscrits de Robespierre mis en vente publique et alors sur le point d’être dispersés. [1] JPR : La constitution en vigueur jusque là était une constitution monarchiste (1791). Avec la révolution du 10 août 1792 les Français montrent qu’ils ne veulent plus de roi. Il faut donc une nouvelle constitution. Mais on ne veut pas que celle-ci soit conçue et rédigée par l’assemblée législative qui avait été élue par les riches en 1791, les citoyens « passifs » étant évincés. [2] Je me permets une réflexion que le professeur Biard voudra bien me pardonner. Quand on se marie, on ne dit pas « c’est mon premier mariage » ! De même, en 1792, les Conventionnels ne dirent jamais, à ma connaissance, « c’est la première république ». C’eût été admettre que la royauté allait revenir, qu’il faudrait donc installer une 2ème république, etc… Certes, c’est ce qu’il advint mais en 1792 on ne lisait pas dans le marc de café… |