12/11/2010 Je présente aujourd’hui un article de Serge Laurent, Président de la Société populaire de Villefranche-sur-Saône. En prenant ce libellé, la société qu’il dirige montre que l’héritage de la Révolution française est bien vivant et qu’il est entretenu. Autant que purent le montrer les manifestants qui défilent pour la bataille des retraites revêtus du costume des Sans-culottes, costume connu dans le monde entier. La Société populaire de Villefranche est née, en effet, en 1792. Ceci est une page d’histoire locale. Loin d’être anecdotique, cette renaissance du passé démontre une idée fondamentale : la Révolution n’eût pas réussi si elle n’avait été que l’affaire de Robespierre, du Comité de salut public, de la Convention et des sections parisiennes. Paris a joué un rôle majeur, nul ne le nie, et on lui en sera toujours reconnaissant mais sans l’appui des sans-culottes de milliers de municipalités de province, la Révolution aurait eu une base trop étroite et n’aurait pas survécu. Serge Laurent nous donne les noms de ces révolutionnaires de Villefranche-en-Beaujolais qui méritent d’être connus, et les portraits qu’il trace font des sans-culottes des êtres de chair et de sang. Albert Soboul a décrit de manière définitive les sans-culottes parisiens de l’an II mais leurs frères de province méritent tout autant de sortir de l’anonymat. Villefranche-sur-Saône partage avec d’autres municipalités de France, le fait assez rare d’avoir connu une « seconde révolution municipale » avec la prise du pouvoir local par des militants montagnards. On voit dès lors par cet article forcément trop court que les grands gestes révolutionnaires comme la réquisition des blés, la déchristianisation, la collecte du bronze des cloches ou de métaux précieux pour les besoins de la guerre, etc… sont le fait des sans-culottes de « la base » comme nous disons aujourd’hui, et que le succès final est dû à ces milliers d’initiatives locales qui n’avaient pas besoin de contraintes du pouvoir central pour être mobilisées. Toutes choses que Michel Vovelle a parfaitement montrées dans ses publications. Cela ramène aussi à sa juste place la thèse sur la soi-disant ‘dictature’ de Robespierre. Jean-Pierre RISSOAN.
LA SOCIETE POPULAIRE DE VILLEFRANCHE-SUR-SAONE SOUS LA REVOLUTION.
Par Serge LAURENT, Président de la Société populaire de Villefranche-sur-Saône.
A. Les Sociétés Populaires sous la RévolutionDès le début de la Révolution, dans toute ville d'une certaine importance, il existe une société bourgeoise qui se réunit régulièrement pour débattre de la situation politique et des grands problèmes de l'heure. Cette société devient la correspondante du Club des Jacobins qui est le seul club à avoir créé et fait vivre une telle structure que certains historiens ont pu comparer à une première ébauche de parti politique national. Au début de la Révolution, ces sociétés réunissent les petite et moyenne bourgeoisies qui suivent avec intérêt les événements politiques parisiens. Seuls les citoyens actifs et les électeurs sont admis et la cotisation est élevée. Au fur et à mesure de l'infléchissement de la Révolution du côté des positions montagnardes, le Club des Jacobins passe sous la direction de Robespierre et de ses amis et les sociétés populaires locales s'ouvrent largement aux couches populaires des Sans-culottes. Avec le suffrage universel, la cotisation de membre des sociétés populaires devient modique. Voici ce qu’écrit A. Soboul sur les sociétés populaires : « Les sociétés populaires parisiennes avaient joué dès 1791 un rôle éminent dans la marche de la Révolution. En l'an II, les sociétés sectionnaires apparaissent comme l'organisation de base du mouvement populaire : par leur intermédiaire, les militants sans-culottes dirigent la politique sectionnaire, contrôlent les administrations, donnent l'impulsion aux autorités municipales et gouvernementales. Tandis que les modérés entendaient cantonner les sociétés dans un rôle simplement éducatif, les patriotes leur assignèrent dès l'origine un but politique. Lors du grand débat qui s'instaura à l'Assemblée constituante en septembre 1791, au terme duquel toute activité politique leur fut interdite, Brissot et Robespierre s'accordèrent pour combattre cette limitation. Pour Brissot les sociétés populaires doivent avoir trois objets : « discuter les lois à faire, s'éclairer sur les le qui sont faites, surveiller tous les fonctionnaires publics ». Pour Robespierre, elles ont pour mission de veiller à la sauvegarde des droits de la nation. Marat cependant, avec son sens aigu des nécessités politiques, avait précisé dès le 7 février 1791 dans l'Ami du peuple, le rôle que les sociétés sectionnaires assumeront effectivement en l'an II : les clubs populaires ne se contenteront pas du simple rôle d'éducateurs ; les patriotes de chaque section y discuteront les arrêtés soumis aux assemblées générales ; « ainsi les membres des clubs porteront dans leurs assemblées respectives de section un jugement réfléchi et les meilleurs citoyens ne se laisseront plus étourdir par le bavardage des marchands de paroles » ; les sociétés populaires surveilleront par ailleurs les fonctionnaires publics ; et jusqu'aux organes du gouvernement.»[1]. B. La Société Populaire de Villefranche sur SaôneCe vocable apparaît en 1792. Auparavant la société a connu différentes appellations qui permettent d'avoir une idée de l'évolution politique révolutionnaire. Le "Club des Amis de la Constitution" fondé le 23 janvier 1791 devient "Société des Amis de la République". Enfin, au moment où la patrie est proclamée «en danger» en juillet 1792, le vocable "Société Populaire" apparaît, à la suite de l'irruption des Sans-culottes sur la scène politique. C'est dans cette société - longtemps présidée par Préveraud (voir ci-dessous) - que l'on retrouvait les révolutionnaires caladois les plus convaincus[2]. Ils s'efforçaient de réveiller l'ardeur de leurs compatriotes ou de contrecarrer la volonté contre-révolutionnaire des opposants. Ainsi, pendant la période très troublée de la Terreur, la Société fut à l'origine du «comité de surveillance» local, chargé de détecter et d'arrêter les « suspects » : nobles, prêtres réfractaires ou tous ceux que l'on soupçonnait d'avoir sympathisé avec la rébellion lyonnaise de l'été 1793. Cette surveillance de la population incluait la délivrance de « certificats de civisme » indispensable pour prouver sa fidélité au régime révolutionnaire. La société organisa plusieurs fêtes civiques, dont celle qui célébra la prise de «l'infâme Toulon», le port qui s'était «donné» aux Anglais pendant la guerre opposant la France révolutionnaire au reste de l'Europe. Pendant la manifestation, la société déploya une bannière sur laquelle on pouvait lire : «tremblez ennemis de la République, nous sommes là, nous vous surveillons ». Au cours d'autres cérémonies furent détruits les symboles de la monarchie et de la religion catholique : ainsi furent brûlés le 8 février 1794, «les mannequins du dernier tyran (Louis XVI) et du fanatisme (la religion catholique)». A l'heure où le gouvernement révolutionnaire fixait un prix maximum pour le blé, la société lutta également pour améliorer l'approvisionnement de la ville en grains. Rare du fait de mauvaises récoltes successives, le blé était devenu cher depuis 1790, rendant le pain de moins en moins accessible aux couches populaires. En janvier 1794, la société populaire de Villefranche affichait ainsi sa volonté de surveiller les « accapareurs » soupçonnés de conserver chez eux de grandes quantités de blé en attendant de le vendre à un prix très élevé. La Société populaire fut en général à l'origine des mesures de déchristianisation prises dans la ville : deux cloches furent descendues du clocher de la collégiale pour être fondues et transformées en canons, et l'église paroissiale fut dépouillée de son argenterie, envoyée à Paris. La Société populaire voulut changer le nom de la ville, en plein cœur de la Terreur. Sur son injonction, mais non sans une vive discussion qui témoigne d'une résistance non dissimulée, le conseil de la commune de Villefranche adopta pour la ville le nouveau (et très provisoire) nom de Mont-Buisante-sur-Saône[3]. La Société Populaire prend le pouvoir municipal La Société Populaire de Villefranche intervient à plusieurs reprises directement dans la vie politique locale. On peut même dire qu'elle joue le rôle politique majeur et dicte ses décisions à la Municipalité « modérée » pendant le début de la période. Puis, le 12 décembre 1793, à l’issue d’une authentique "journée révolutionnaire", elle suspend la municipalité jugée trop modérée et les « vrais Sans-culottes » en prennent la direction percevant « un traitement proportionné à la cherté des denrées ». Ces militants révolutionnaires méritent d'être cités car leurs noms sont restés trop longtemps inconnus. Ce sont : Pierre Boulot, menuisier, maire (voir ci-dessous) ; Ch. Bruchet, fabricant ; Vincent aîné, débitant de tabac ; Brun-Sanlaville, marchand de vin ; Martinaud, maçon ; Caire, quincaillier ; Finat, plâtrier ; Thévenin, peintre ; Zolla, plâtrier ; Sicaire-Marin, procureur. Après la chute de Robespierre et la réaction thermidorienne, les Sans-culottes sont pourchassés, les sociétés populaires sévèrement épurées, pour finalement être interdites. Les registres de la Société populaire sont détruits, mais on sait qu'elle dura deux ans (juillet 1792 - juillet 1794). Elle ne fut véritablement active que pendant la Terreur : après Thermidor et la mort de Robespierre, elle se transforma en Société populaire régénérée, puis disparut définitivement en mai 1795. Après les événements de la contre-révolution de Lyon, de mai à octobre 1793, des éléments de la Société Populaire de Villefranche dont son président Préveraud, sont fortement soupçonnés d'avoir aidé les insurgés lyonnais. Ils seront jugés. La Révolution et le peuple Tout au long de son déroulement, la Révolution française a progressé par le déroulement de "Journées révolutionnaires", marquées par l'intervention directe du peuple de Paris dans le débat politique pour imposer des décisions qui lui sont chères mais aussi par le peuple de province comme le cas de Villefranche-sur-Saône nous le démontre. Cette intervention est celle du petit peuple qui souffre des privations, des salaires insuffisants, de la scandaleuse lenteur des décisions ou des positions de certains députés, du peuple qui répond à l'appel de la Patrie en Danger et de la levée en masse, du peuple qui entend bien défendre les acquis de la Révolution. C'est toujours le peuple qui intervient dans une "journée révolutionnaire". Mais de quel peuple s'agit-il ? Comme le montre le cas concret de la municipalité montagnarde de Mont Buisante sur Saône (Villefranche-sur-Saône), c'est le peuple des Sans-culottes, c'est à dire les petits boutiquiers, artisans et compagnons parisiens qui attendent beaucoup des Montagnards au gouvernement. Ils sont organisés à Paris en sections. Ils sont membres de la Garde Nationale et donc armés. Lorsqu'ils interviennent à l'Assemblée, c'est avec leurs armes et, la plupart du temps avec leurs canons. Une méthode radicale de démocratie directe ! C. Deux personnages de la Société Populaire de Villefranche : Pierre Boulot et Préveraud.Pierre Boulot Le 12 décembre 1793, au moment où les Montagnards prennent la direction de la municipalité caladoise, Pierre Boulot, menuisier, est installé comme maire par la Société Populaire. Il est secondé par quatre artisans, deux commerçants et un fabricant. Les « vrais patriotes » sont désignés par la Société Populaire. C'est seulement dans cette période que l'on voit la municipalité se préoccuper du sort des petites gens et des indigents. Pierre Boulot incarne la Révolution jacobine : ces artisans, boutiquiers et ouvriers qui, en intervenant dans la vie politique en 1792-93, sauveront la France et la Révolution en lui donnant son originalité. Mais après Thermidor et la chute de Robespierre, Pierre Boulot et ses amis ne seront guère récompensés, la bourgeoisie reprendra seule et sans pitié le pouvoir : les conseillers montagnards sont chassés en septembre 94. La bourgeoisie marchande et financière revient à la direction de la municipalité avec plusieurs des élus de 1790-91-92 dont le nouveau maire Escoffier Oncle. Il nous reste à retrouver ce que devinrent alors Pierre Boulot et ses amis, ancêtres du mouvement populaire caladois.
Préveraud De son vrai nom, Préveraud de Pontbreton, ce montagnard caladois fut d'abord un notable royaliste. Né dans la capitale du Beaujolais le 20 février 1754, Préveraud de Pontbreton était, du côté maternel, parent de Jean-Marie Roland de la Platière, comme lui issu d'une famille influente du Beaujolais (Thizy). Avant 1791, il appartient sans conteste possible à la catégorie des notables. C'était un ancien «garde du corps du roi Louis XVI». II fut plus tard titulaire d'un office royal, hérité de son père, « receveur à l'entrepôt du tabac de Villefranche» On le retrouve avec sa femme parmi les premiers souscripteurs de la Société philanthropique fondée en 1788 à Villefranche par le duc d'Orléans ; or cette « maison philanthropique » ne recevait que des notables. Quelques mois plus tard, en mars 1789, il représente Ouilly [4] à l'Assemblée du Tiers État du Beaujolais. Enfin, lorsque la milice bourgeoise de Villefranche se transforme en garde nationale, il en devient 1'un des principaux officiers, ces derniers étant tous choisis parmi les notables. Préveraud avait de l'aisance : en 1793, le prix du blé et du pain était élevé ; soixante-seize citoyens souscrivirent pour acheter du blé afin qu'il soit distribué « aux citoyens dans le besoin ». Seules six personnes versèrent une somme supérieure à celle de Préveraud, 1000 livres (deux fois plus que le maire), alors que d'autres se contentèrent de 50. Tel est l'homme qui abandonna la particule compromettante qui marquait la fin de son nom ; il ne s'appelait plus désormais que Préveraud, et devint, pendant les années 1792 et 1793, 1'un des jacobins les plus en vue de Villefranche. Préveraud était donc devenu un Sans-culottes caladois. Avec d'autres citoyens, il avait présenté le 23 janvier 1791 à la municipalité caladoise le projet de formation d'un Club des Amis de la constitution, transformé par la suite en Société populaire. Il en devint vite le président. Il y prononça en de nombreuses occasions des discours enflammés ; le 20 novembre 1793, il dirigea la cérémonie qui voulait mettre fin à la féodalité et au prestige de l’Église catholique : il mit lui-même le feu aux terriers[5] et aux emblèmes religieux entassés sur une place de la ville. Il fit également brûler le portrait de son cousin, «l'infâme Roland»[6]. A la tête de la légion du district, il participa activement aux combats qui eurent lieu dans les bois d'Alix contre les Lyonnais insurgés, mis en fuite par la victoire de l'armée révolutionnaire. Enfin, il fut le contrôleur des finances du district. Cela n'empêcha pas Préveraud d'être arrêté en janvier 1794. Peut-être fut-il la victime de la jalousie ou de la haine d'un « patriote » local ? On l'accusa en tout cas d'avoir reçu une délégation de Lyonnais rebelles. Condamné à mort le 6 février, il ne fut sauvé que par un ordre suspendant l'exécution, ordre confirmé par les représentants en mission à Lyon, puis par la Convention elle-même (5 mai 1794). Apres la mort de Robespierre, il quitta la région, mais fut de nouveau arrêté à Paris en 1795 : il lui fallut cette fois-ci se justifier de décisions prises à Villefranche pendant la Terreur, terreur que l'on condamnait à présent. Pour l'instruction de ce second procès, un rapport fut demandé à Villefranche. II se révéla accablant pour l'ancien sans-culotte : « Adjoint pendant deux mois au Comité révolutionnaire, il s'est entouré d'êtres qui ne respiraient que désordre, meurtres et pillages ; il a coopéré par sa présence et sa signature à huit délibérations portant mandat d'arrêt contre trente-cinq individus, tous gens de bien, dont huit ont péri victimes innocentes de sa tyrannie». Il ne nous a pas été possible de trouver d'autres archives permettant de connaître l'épilogue de cette affaire. Serge LaurentPrésident de la Société Populaire[7] Certaines de ces "journées
révolutionnaires" sont bien connues, d'autres le sont moins. Ainsi, le 14
juillet et la prise de la Bastille. Ainsi les journées d'octobre 89 où le roi
est ramené à Paris aux Tuileries. Ainsi le 20 juin 1792, lorsque le roi qui
refuse de signer certains [1] Albert Soboul, « Les sans-culottes », Seuil, coll. Points histoire, 1968. [2] Caladois est le nom donné aux habitants de Villefranche sur Saône, la Calade. [3] Buisante est le nom de la colline qui domine la ville. [4] Paroisse de Gleizé, limitrophe de Villefranche-sur-Saône. [5] Un livre terrier, ou terrier, est un registre contenant les lois et usages d'une seigneurie, la description des biens-fonds, les droits et conditions des personnes, ainsi que les redevances et obligations auxquelles elles sont soumises (Wikipaedia). [6] Leader girondin bien connu (25 mars 1754-15 novembre 1793). [7] Créée en 1987, notre association traite de l'histoire ouvrière et sociale de Villefranche-sur-Saône et du Beaujolais, créneau historique qui n'existait pas encore en Calade. Nous travaillons sur les archives syndicales et politiques qui nous ont été confiées et sur les archives municipales, départementales et journalistiques. Nous avons édité trois livres : sur l'usine Vermorel, sur l'industrie textile caladoise et sur les métallos caladois. Nous avons publié à ce jour treize Gazette pour rendre compte de nos travaux. Nous faisons deux conférences annuelles. La dernière, le 28 mai 2010, avait pour sujet l'histoire du Morgon à travers les âges, la petite rivière qui traverse la ville. LIRE AUSSI : 5. Les Sans-culottes de la révolution française |